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ARTcT
ècorÀTion
PEVUE MENSUELLE D'ART MODERNE
'art décoratif, si longtemps délaisse, reprend '^faveur. Aux
manifestations isolées par lesquelles il s'est affirmé au
début, succèdent des manifestations plus compactes; à
l'initiative privée des artistes, correspondent, chez les
fabricants, des efforts moins brillants et moins originaux,
mais plus étudiés, plus coordonnés, plus pratiques.
L'imagination est le guide unique des artistes. Elle les a souvent
inspirés d'une façon très heureuse ; mais ces bonheurs d'e.xpres-
sion, tout partiels, seraient restés sans intluence sur la marche
de l'art décoratif s'ils n'avaient piqué d'émulation le fabricant.
Nous avons vu ce dernier, à son tour, s'inquiéter, chercher, lui aussi,
du nouveau, et, pour interpréter l'idée neuve, courir le risque dispen-
dieux ci'un renouvellement d'outillage. L'essai lui a réussi. Dans le papier
dans l'étoffe, dans la reliure, dans l'orfèvrerie, dans, le vitrail, d'intéressants
ont surgi, suivis d'encourageants résultats.
LES PELERINS D EMMAl S.
L.-O. MERSON
Art et Décoration
•^
LE VITRAIL
• •••• •••• •••• •••• •
• •••• •••• •••• •••• •
i: vitrail, comme
tous les arts de la
déciH'ation, a été
créé pour une des-
tination précise.
11 s'ai^issait, dans
nos pays d'Occi-
dent, lorsque les
murs des édifices
se réduisirent aux
points d'appui re-
cevant par l'entre-
mise des arcs la
charge des voûtes
et des combles, de transporter sur les claires-
voies la déi-oration qui n'avait plus de place sur
les murs. C'est en France que l'architecture
renouvelait ses méthodes au xh'' siècle, imaj^i-
nant pour la construction des grands édifices
religieux, des quillages de pierre équilibrés de
travée en travée par des contreforts extérieurs
et substituant aux coupoles, aux votâtes en ber-
ceaux et aux voûtes d'arêtes; legs de l'art ro-
main et de l'art byzantin, un organisme de
nervures saillantes et de remplissages de pierres
appareillées. Comment s'étonner si le vitrail,
né avec l'architecture française, est demeuré au
xu'' et au xui'' siècle un art exclusivement
français ?
Le vitrail, appliqué tout d'abord aux édi-
fices religieux, n'est en réalité qu'une mosaïque
translucide. Comme les mosaïques de revête-
ment, il est formé de fragments de verre juxta-
posés suivant une forme décorative. Mais
tandis que la couleur d'une mosaïque opaque
n'impressionne l'œil que par réflexion, la
coloration d'un vitrail est transmise direc-
tement par la lumière qui traverse la surface
vitrée, et l'impression est absolument différente.
Les mosaïques byzantines, qui revêtent les
voûtes et les murs d'édifices où les rayons lu-
mineux ne pénètrent que par de rares ouver-
tures, admettent pour les fonds des colorations
très lumineuses, le bleu ou l'or, qui s'éclairent
par reflet, dessinant les contours des ligures
et des ornements. Pour le vitrail, l'artiste
n'avait point à redouter les colorations vives,
puisque la lumière les pénétrait. Ce qu'il
fallait craindre, c'était le ra\onnement au con-
tact des tons francs, le bleu et le rouge par
exemple pouvant se combiner en rayons vio-
lets qui eussent laissé indécise la lorme à
limiter. Or, voici qu'une nécessité de consti'uc-
tion obviait à ce danger.
Les petits cubes de verre d'une mosaïque de
revêtement se lient les uns aux autres et adhè-
rent aux surfaces des murs ou des voûtes à
l'aide d'un mortier de chaux ou de ciment.
C'est le plomb coulé en vergettes à double rai-
Sjint Benoit, église Saint-Là.
GRASSET
nurc qui fournit le moyen d'assembler les
fragments de verre coloré d'une mosaïque
1
Art et Décoration
translucide. Non sculenicnt les ailes saillanies
de ces vergeites enchâssaient dans un réseau
très résistant les verres de différents tons,
mais elles obligeaient l'artiste à tenir compte
dans sa composition de ces lignes obscures,
dont l'épaisseur variait de o™,oo5 à o™,oi, et
qui se multipliaient avec les tons. Loin de
gêner l'artiste, celte obligation lui fournissait
le moyen de détinir chaque forme par un con-
tour opaque qui disparaissait dans le rayonne-
ment de la lumière, mais qui suffisait cepen-
dant pour établir entre deux couleurs juxta-
posées une sorte de zone neutre, et pour éviter
ainsi la combinaison de deux couleurs.
La technique du vitrail n'a point sensible-
ment changé pendant cinq siècles. Elle est
définie par Théophile dans son célèbre
« Essai sur divers arts » (Diversarum artiim
Schediila). On dessinait d'abord, en rouge ou
en noir, la composition sur une table plane,
blanchie à la craie, en réservant l'épaisseur
des vergettes de plomb; on levait ensuite
les panneaux ou patrons correspondant aux
divisions nécessitées par les changements
de couleur ; on coupait alors suivant le
panneau, chaque morceau de verre coloré.
A une époque où l'on n'utilisait pas les pro-
priétés du diamant, et où la coupe du verre
était préparée par une fêlure résultant de l'ap-
plication d'un fer rouge, l'opération était déli-
cate et la coupe devait être régularisée à l'aide
d'une pince, détachant de proche en proche de
petits éclats de verre pour atteindre le contour.
Cela fait, on calquait en transparence, à
l'aide de grisaille, mélange d'oxyde de fer par-
faitement broyé et d'eau légèrement acidulée, le
trait des ornements ou des figures. Dans un
vitrail où la lumière doit passer partout, où
toute partie obscure équivaudrait à une tache,
il était indispensable d'adopter pour le modelé
et pour l'ombre, un procédé conventionnel
facilitant le passage des rayons lumineux. Aussi
est-ce par une série de traits juxtaposés, larges
dans l'ombre et amincis vers la lumière, que
le peintre verrier procédait à l'exécution sur
verre des modelés de sa composition.
Déjà la mosaïque de revêtement, par l'as-
semblage même des petits cubes de verre, avait
nécessité pour le dessin des figures une inter-
prétation décorative et des conventions analo-
gues. Là aussi, il avait fallu simplifier le tracé
des ombres en enveloppant les formes par les
cubes de verre, et, comme on peut le voir sur
les magnifiques mosaïques du transept sud à
Saint-Marc de Venise, le fond d'or reflété passe
en filets minces entre les lignes d'ombre pour
les éclairer en quelque sorte. Les filets de
lumière passant entre les lignes noires de la
grisaille agissaient de même en se chargeant du
ton du verre et donnant par ravonnement l'illu-
sion d'ombres colorées.
D'ailleurs, si des procédés techniques on
passe à l'étude des thèmes décoratifs, on recon-
naît de singulières analogies au \\v siècle entre
la mosaïque et le vitrail. La verrière de la
Passion qui décore l'abside de la cathédrale de
Poitiers, et qui est peut-être la plus belle œuvre
décorative de cette époque, a de singuliers rap-
ports pour la composition et pour le style avec
la mosaïque de Saint-Marc qui représente le
même sujet. Le Christ de Saint-Marc est,
comme celui de Poitiers, beaucoup plus grand
que tous les personnages qui l'entourent; l'atti-
tude est la même et l'anatomie du corps, accen-
tuée à Poitiers par la mise en plomb, est
presque identique; les figures de la 'Vierge et de
saint Jean, celles des soldats intercalées dans
les compartiments inférieurs de la croix, ont le
même sentiment, la même allure.
Il n'y a pas lieu d'en être surpris si l'onsonge
que l'art oriental, celui des mosaïstes et des pein-
tres byzantins, inspira jusqu'au xir= siècle toute
composition décorative en Occident, et que
l'art grec avait déjà fixé les thèmes empruntés
soit à la vie du Christ, soit à la vie de la "Vierge,
soit aux légendes des saints. La composition
est d'ailleurs très simple : les figures, isolées le
plus souvent les unes des autres, se détachent
dans les verrières primitives sur des fonds unis,
rouges ou bleus, plus rarement blancs, ainsi
qu'on le remarque à Poitiers, à Angers ou à
Chàlons.
Les colorations claires du xiii^ siècle se modi-
fient pendant le siècle suivant: les bleus et les
jaunes sont plus soutenus, et les médaillons des
vitraux légendaires ont, notamment dans les
bas-côtés de la cathédrale de Chartres, des
colorations si intenses qu'on distingue à peine
les sujets. D'ailleurs, c'est de la moitié du xii« siè-
cle à la moitié duxiii'', à l'époque où s'élevèrent
nos grandes cathédrales, qu'ont été créées les
grandes œuvres de décoration translucide, les
verrières du portail occidental, celles de la
grande nef et du transept à Chartres, celles des
collatéraux de la cathédrale de Sens, 'celles de
l'ancienne cathédrale de Chàlons, les vitraux
de la nef d'Angers et de l'abside de Poitiers,
ceux des fenêtres hautes à la caihcdrale de
Le Vitrail
J
Bourges, et tant d'autres qui attestent à cette à mes élèves de l'École des Beaux-Arts les
époque la grandeur et l'orininalité del'art fran- rapprochements à faire entre cette cathédrale
cais. Il est à remarquer qu'une seule cathédrale et celle de Bourges. Non seulement l'église de
l'aisum de Poitiers.
construite hors de France, la cathédrale de Tolède reproduit le chœur de Bourges avec ses
Tolède, possède encore au transept des vitraux chapelles et ses bas-côtés étages, mais les dé-
du xiii' siècle. Mais j'ai signalé, il y a quatre ans, t ails d'ornements et les profils des moulures ont
Art et Décoration
de tels rapports dans les deux Jditiccs. qu'on ne invariable, la composition se complique, le
peutdouterder..rit;ine française du monument. geste et le mouvement s exagèrent, le dessin
' ' est souvent défectueux. La
réaction contre ces défauts,
qui se manifeste dès le
début du XV siècle, a pour
point de dépari le progrès
du dessin résultant d'une
étude plus attentive du mo
dèle vivant. Cependant la
ligure n'a. dans les compo-
sitions de cette époque,
qu'une importance secon-
daire: elle est subordonnée
aux décorations architec-
Uiniques qui envahissent
alors les fenêtres, enca-
drant les ligures dans des
niches surmontées de ga-
bles et accotée des pinacles.
C'est une idée singulière
que celle de cette transition
d'architecture peinte en
grisaille entre l'architec-
ture réelle et les sujets
Colorés. L'invention d'une
couleur d'application, le
chlorure d'argent, teintant
en jaune par cémentation
le verre incolore, avait
contribué au développe-
ment de ces grisailles
émaillées de jaune, criti-
quables sans doute pour
ime décoration monumen-
tale, mais se prêtant aux
délicatesses que comporte
le vitrage d'une habitation.
Avec le xv siècle, com-
mencent pour le verre de
nouveaux procédés de la-
brication. .lusque-là, les
verres, dont les colorations
sont obtenues par des
owdes métalliques, étaient
colorés en masse ; l'im-
pureté des matières colo-
rantes et les défauts mêmes
de la fabrication fournis-
saient aux artistes des
verres d'épaisseur et de to-
nalité inégales dont ils tiraient merveilleu-
sement parti p.)Ui' le modelé des figures. L un
des procédés de fabrication les plus curieux est
JKANNP: I) ARC.
Jusqu'à la tin du xn» siècle, la mosaïque
translucide ne se moditie que par des nuan-
ces de style. Si la technique demeure
GRASSKT
Le Vitrail
S
assiircment celui du verre rouge qui, jusqu";ui progrès du dessin corrigent les défauts d'ana-
xiv^' siècle, parait colciié en épaisseur. L'étude au toniie. apparents dans les luuvres primitives, et
microscope d'une section
laite dans un tragiiient de
verre rouge provenant de la
grande verrière de Poitiers,
m'a permis de reconnaitre
que le rouge, dii au sous-
oxvde de cuivre, s'est déve-
loppé dans une masse vi-
treuse, teintée en bleuâtre
par le protoxvde de cuivre,
au contact de globules ou
de tilets d'un verre réduc-
teur jaunâtre à base de fer.
Ainsi l'inclinaison des filets
et globules rouges répartis
dans la masse, recevant les
rayons de lumière sous des
angles très diti'érents, se
prêtait à des phénomènes
de réfraction qui augmen-
taient singulièrement l'é-
clat du verre rouge. .\ cet
égard, la fabrication mo-
derne demeure encore in-
férieure à la fabrication du
xu'' siècle.
Dès les premières années
ciu xv siècle, un nouveau
procédé, celui du placage,
avait régularisé la fabrica-
tion du verre rouge en don-
nant comme support à la
couche mince du verre
teinté, qui serait opaque en
épaisseur, un verre non
coloré. Il suffisait de faire,
au bout de la canne servant
au soufflage du verre, plu-
sieurs « cueillies >• dans
les creusets contenant des
verres colorés diflerem-
ment. pour obtenir ainsi
par superposition toutes
les nuances ; c'est le pro-
cédé qui fut appliqué d'une
manière générale du xvau
xvi"-' siècle.
A cette époque, le vitrail,
qui tendait à se décolo-
rer par l'abus des grisailles, reprend pour l'harmonie des colorations n'a point à en
unepériode très courteses qualités de mosa'ïque souffrir. Cette seconde période glorieuse pour
translucide aux tons' francs et vibrants. Les notre art est bien caractérisée par les vitraux
SAINT MICHt;L.
GRASSET
Art et Décoration
du cha'ur Je Tci^lise di- M onimorcncv, par
le .lusse de l'Jglisc Suint-Godard à Rouen, par
TETE DK JEANNE D ARC.
la grande verrière de la cathédrale de Poitiers
est encore \ive de couleur comme au pre-
mier jour.
La vulgarisation, par les gravures
sur bois et sur cuivre, des œuvres
principales des maîtres allemands
et italiens eut sur la composition
décorative en France, une déplo-
rable influence. Désormais on ne
crée plus un vitrail en vue de sa
destination: on se contente de dé-
marquer effrontément les gravures
qui courent les ateliers. Les figures
de la fable de Psyché, gravées par
le Maître au dé, deviennent avec
quelques variantes celles d'un
vitrail de Gisors représentant la vie
de la Vierge, ou d'un vitrai
d'Ecouen sur lequel est figurée la
Visitation. Les vitraux de Conches
dans l'Eure sont les copies, ainsi
que je l'ai prouvé, ici d'une gra-
vure d'Albert Durer, là d'une gra-
vure du Maître à l'étoile, là encore d'une
cravure d'Hans Sebald Beham. Dans cette
GRASSET
les vitraux de Beauvais, œuvre d'Engrand le
Prince, par les verrières des églises de Troyes.
Les œuvres sont très nombreuses : c'est par eftVoyable décadence, l'art du vitrail disparaît
milliers qu'on les compte dans nos cathédrales au xviie siècle, et sa renaissance en France date
et nos églises. à peine de cinquante ans.
Cette belle période de production est anté- Elle est due certainement au mouvement
Vers cette époque,
a gravure contribuent
rieure a i djo
des émaux et
décadence rapide de l'art du vitrail.
L'émail, permettant la juxtaposition
de plusieurs tons sur tme feuille
de verre, sans interposition de
plombs, paraissait être un progrès.
Mais qu'est la transparence de
l'émail comparée à celle du verre,
et comment empêcher les émaux,
au moment de la fusion, de couler
l'un dans l'auti'c, en détruisant les
contours qui sont la condition es-
sentielle de toute composition dé-
corative? Non seulement la mise
en plomb est indispensable pour
éviter le rayonnement des tons, mais
elle forme un réseau si élastique,
en assemblant des morceaux de
petite dimension, qu'elle assure en
quelque sorte la perpétuelle durée
de l'œ-uvre malgré son apparente
fragilité. Nous n'avons plus une
seule peinture intacte du xn" siècle,
à rexcellente fabiication des verres
invention d'opinion provoqué par des artistes et des
une écrivains éminents, les Lassus, les Viollet le
et grâce
anciens,
lETE DE SAINT MICIU:!.. GRASSET
Duc, les Duban, les Mérimée, les Vitet, en
faveur des chefs-d'ceuvre longtemps délaisses
Le Vitrail
7
de notre art au Moyen Age. Les réparations
de l'église abbatiale de Saint-Denis et de la
Sainte-Chapelle fournirent l'occasion favo-
rable ; un concours fut ouvert pour la restau-
ration des verrières, et les lauréats, Stcin-
heil et les frères Gc-
rente, en furent char-
gés. Tout était à re-
constituer : on ne
savait même plus fa-
briquerle verre rouge ;
quant aux autres
verres colorés, l'in-
dustrie les fournissait
en feuilles aussi régu-
lières de fabrication
que criardes de ton.
et malgré les efforts
des architectes qui,
comme Viollet-le-Duc,
dessinaient eux-mêmes
les cartons, l'exécution
était bien imparfaite.
C'est cependant
dans les travaux des
monuments histo-
riques que se sont re-
constituées depuis cin-
quante ans nos indus-
tries d'art, chaque
chantier devenant une
école où se formaient
des ouvriers, des ar-
tistes habiles, étu-
diant passionnément
les œuvres anciennes
jadis dédaignées, cher-
chant à reconnaître
les procédés anciens
d'exécution et à s'en
inspirer dans leurs
travaux.
Tout d'abord, on
borna son ambition à
la conservation des
vitraux anciens. C'é-
tait déjà un travail
considérable; il fallait,
en utilisant les indications données par les
parties anciennes d'un vitrail, éliminer les
morceaux étrangers qui y avaient été inter-
calés par la suite des temps, fabriquer, pour
boucher les trous, des verres de même colora-
tion, remettre en place les morceaux déplacés
Saillie MaJcIciiic.
en tirant parti pour ce travail d'interpolation,
des indications fournies par le réseau des
plombs anciens et par les contours plus ou
moins grugés des verres pouvant s'adapter à
ce réseau. Il fallait encore compléter, sur les
morceaux neufs inter-
calés, les traits de gri-
saille, parfois refaire
une tête ou une figure
complète, afin de ren-
dre compréhensible
une scène ou une com-
position. On conçoit
que des travaux de ce
genre aient exigé des
études archéologiques
très appriifondies en
même temps que des
connaissances techni-
ques très étendues.
Bien que ces travaux
aient toujours été exé-
cutés avec prudence,
il me semble qu'il
conviendrait à l'ave-
nir de distinguer par
un signe apparent les
morceaux neul's des
morceaux anciens, et,
dans le cas où une
figure serait à refaire,
de se contenter de ré-
tablir la mosaïque de
verre dans son réseau
de plombs sans cher-
cher à créer par le
dessin une fi g u r e
neuve qui ne peut
être qu'un pastiche.
Dans les verrières
du xu'- et du xin'' siè-
cle, dont le grand effet
tient aux colorations
mêmes et à leur distri-
bution, le dessin ana-
tomique est secon-
.^1, ., ,, I daire. Il n'en est pas
de même dans les ver-
rières du xvi» siècle, où le dessin, quoique
simplifié en vue d'une décoration translucide,
est essentiel. Les peintres verriers, très aptes
à restaurer les vitraux de nos anciennes cathé-
drales, étaient moins bien préparés à des
études de formes, qui nécessitaient un autre
8
An et Dccoration
appreniissaj^c. Aussi, les icsuuiraiions laites
de verrières du xvi'^ siècle sont-elles en général
moins à l'abri des critiques que celles des
vitraux antérieurs.
Limité à de savantes reconstitutions, l'art du
vitrail n'était pas encore, il y a quinze ans
en voie de progrès dans un sens
vraiment nij-lerne, et si parfois
quelques-uns de ces restau
rateurs habiles aboi
daieni une compo-
sition, on pouvait
mesurer la distance
qui sépare l'inven-
tion artistique de la
plus consciencieuse
imitation.
Cependant, pour-
quoi l'art du vitrail
aurait-il aujourd'hui
moins que jadis l'oc-
casion d'être appli-
qué? La technique
est invariable; il n'y
a pas plusieurs
movens d'assembler
et de mettre en plomb
lesmorceauxde verre
coloré. Nos verriers,
à la demande des ar-
tistes, ont étudié les
verres anciens, et
saut' peut-être pour
le verre rouge, les
procédés de fabrica-
tion se sont perfec-
tionnés à ce point
que nous disposons
aujourd'hui, comme
au xvr' siècle, de
toutes les nuances de
verre. Nous avons
même, grâce au pla-
cage, ces nuances
dans un même mor-
ceau, et l'artiste sait
disposer ses coupes
pour utiliser la par-
tic claire dans la lu-
mière et la partie foncée dans l'ond^re. en
évitant d'obscurcir le vitrail par la gri-
saille.
La gravure, d'un emploi si difficile lorsqu'il
fallait enlever à la pointe ou au touret la
couche supérieure d'iui verre plaqué, est faci-
litée aujourd'hui par l'emploi de l'acide fluor-
hydrique; quant à la coupe, le diamant rem-
place avantageusement le fer rouge et la pince
à gruger.
Si la composition
le carton s'exécute
au fusain ou au
cra von sur une feuille
de papier au lieu
d'être exécutée au
pinceau sur une table
revêtue d'un enduit
blanc, le principe de
la composition déco-
rative ne peiu varier.
11 s'agit toujours,
quel que soit le style
des figures ou des or-
nements , d'appro -
prier la composition
à la place qui lui est
réservée dans l'eti-
semble, d'y subor-
donner la grandeur
des figures en évitant
les complications de
plans perspectifs, qui
risqueraient de dé-
composer la surface
à décorer et auraient
l'inconvénient de
[n'admettre qu'un
seul point de vue.
D'ailleurs, il est im-
possible de dessiner
un carton sans tenir
compte de l'épais-
seur du plomb : le
plomb, c'est le dessin
d'un vitrail.
Mettez en parallèle
le tracé des plombs
d'un vitrail du xir".
Celui de la Passion
de Poitiers, que j'ai
dessinés lorsque j'ai
Le Piintemi:s. grasset reproduit ce vitrail à
l'aquarelle, avec un
carton de M. Grasset, celui du Printemps
ou de l'Automne par exemple, vous verrez
que l'artiste du xix<' siècle compose encore son
canon comme le composait son confrère du
xu" siècle. Depuis quinze années, en effet.
Le Vitrail
9
les progrès accomplis sont cijiisidérahlcs, et le
vitrail tend à redevenir en France im art avant
sa technii-iiie, laquelle, loin de nuire à l'ini-
tiative de l'artiste, aide ^in:;ulièreinent à l'eltel
du décor translu-
cide.
La difficulté consis-
tait, pour le vitrail
comme pour la tapis-
serie, dans la C(jm-
position des cartons.
L'enseignement don-
né aux peintres à
rÉcole des Beaux-
Arts les préparait
beaucoup mieux à
rexécution d'une
figure nue ou dra-
pée qu'à l'inven-
tion d'une ieu\ le
décorative, exigeant
des études spéciales
sur l'ornement, sur
le costume, sur le
mobilier , sur ces
mille détails dont
l'interprétation Juste
donne tant de prix
aux fresques d'un
Mantegna ou d'un
Benozzo Gozzoli . C) a
se rappelle le mot
d'Ingres : « L'Indus-
trie, nous n'en vou-
lons pas. » Or, pour
les peintres, le vitrail
était encore, il v a
quinze ans, une in-
dustrie.
Après l'exposition
de vitraux que j'orga-
nisai en 1884 et où
figuraient, à coté
d'œuvres originales,
des dessins anciens
du plus beau carac-
tère; après la publi-
cation des verrières L'Automne.
de Montmorency et
d'Ecouen, et la formation au Palais de l'In-
dustrie d'une collection de verrières anciennes
acquises par l'Etat sur ma proposition pour
former le premier fond d'un musée d'en-
seignement, d'éminents artistes ont compris
l'inieiei qui s'attache à la renaissance d'im an
qui fin, à proprement parler, du xii'- au
xvr' siècle, la peinture frani;aise, et qui peut
"aLUant mieux s'approprier aux idées mo-
ernes, que l'usage du fer tend à l'établisse-
menl de grandes baies, dont le vitrail
de\rail tonner naiLirellemenl la déco-
raliiin.
l'.irmi les verrières impor-
tantes exécutées en France
dans ces quinze der-
nièi'es années, il v a
lieu de distinguer
celles qui, par leur
destination, par le
choix des sujets, sont
des (euvres de déco-
ra t ion mon u mentale,
et celles d'un carac-
tère plus intime, des-
tinées à orner les
fenêtres d'un appar-
tement, tout en y
ménageant l'intru-
duction de la lu-
mière. Pourcelles-ci,
on comprend qu'il
importe d'éviter des
colorations trop in-
tenses qui obscur-
ciraient les pièces
d'habitation et don-
neraient des tons faux
aux étoffes ou aux
peintures. Dans cer-
tains cas, c'est la gri-
saille et le jaune d'ar-
gent qui ont été pré
térés.
i'oui'lespremières,
au contraii'e, qui
constitLient la déco-
ra t i o n p r i n c i p a I e
d'une grande salle, \'
tenant lieu de pein
lures murales, l'ar-
tiste n'a pas à crain-
dre les oppositions
franches : il suffit
qu'il observe l'harmonie des couleurs, sachant
emplover à propos chacune d'elles et surtoiu
utiliser le bleu qui, dans toutes les verrières
anciennes, donne la note lumineuse, souvent
même aux dépens du bhmc.
lO
Art et Décoration
Parmi ces vorricrcs, je citerai celles exécu-
tées sur les cartons de M. Jean-Paul Laurens
pour la chapelle du château de Chaumoiu,
celles qu'a composées M. Frans-ois Hhrmann
pour la cathédrale dWuiun cl pour l'église de
Montmorency, le vitrail de M. Luc-Olivier
Merson, représentant les pèlerins d'Emmaiis
et la jolie scène de danse commandée par
M. Vanderbilt. et dont le dessin est au Luxem-
bourg. Je citerai encore les vitraux de Jeanne
d'Arc composés
par M . Grasset, lors
du concours ouvert
pour la décoration
de la cathédrale
d'Orléans , deux
verrières du même
artiste représentant
l'une Jeanne d'Arc,
l'autre saint Michel
exécutées pour M.
Mignon, un saint
François d'Assise
destiné à l'église de
Merville, et dans le
même monument
cinq verrières absi-
dales, notamment
celle du centre oii
est tigurée la Tri-
nité entre les attri-
buts des Evangé-
listes.
Comme il arrive
au début d'une renaissance artistique, surtout
à une époque d'individualisme, les caractères
de ces œuvres sont très différents. M. Olivier
Merson a su trouver une expression nouvelle
et profondément religieuse d'un sujet bien sou-
vent traité. Il v ajoute le charme exquis d'un
dessin très pur, enveloppant bien les formes, et
si nettement écrit pour la mise en plomb
qu'il donne l'illusion du vitrail exécuté.
Le sujet emprunté au vitrail d'Autun, l'édu-
cation de la Vierge, est l'un de ceux que
M. Ehrmann a le mieux traités, rajeunis-
sant aussi ce thème ancien par le style des
personnages, sans rien lui enlever de cette
EDUCATION DE LA VIERGE.
naïveté charmante qui lient autant à l'expres-
sion des figures qu'à l'étude du milieu où
se passe la scène.
M. Grasset a plus que tout autre le tempé-
rament d'un décorateur. Il en a\ ait donné la
mesure dans ses brillantes illustrations des
Quatre Fils Aymon. Son concours d'Orléans
nous a révélé un peintre verrier capable de
concevoir, dans un sentiment d'extraordinaire
unité, une :> œuvre considérable, et d'apporter
dans la disposition
et le dessin de cha-
que scène l'interpré-
tation décorative
qui lui convient. A
cet égard, je consi-
dère comme des
chefs-d'œuvre le sa-
cre de Charles Vil
à Reims et la scène
du supplice.
Je retrouve les
m ê m e s qualités
dans la Jeanne-
d'Arc foulant aux
pieds le léopard
d'Angleterre , et
dans lesaint Michel
terrassant ledragon.
Si les formes ar-
chaïques, qu'on re
proche parfois à
M. Grasset, sont
justifiées, c'est bien
lorsqu'il s'agit de représenter Jeanne d'Arc,
tout armée, tenant en main son étendard.
Ce reproche d'archaïsme ne tient pas d'ailleurs
devant l'examen de compositions aussi ingé-
nieuses que la verrière absidale de la Trinité à
l'église de Merville ou que les gracieuses figures
du Printemps et de l'Automne.
Nous avons donc en France des peintres ca-
pables de composer une verrière suivant les
lois immuables de toute composition déco-
rative. Comment cette verrière doit-elle être
exécutée, par quels moyens, a\ec quels maté-
riaux? C'est ce qu'il convient d'examiner.
( A suivre) Ltcn:N Magne.
EHRMANN
UArt Décoratif en Belgique
UN NOVATEUR : VICTOR HORTA
L s';igit d'un novateur,
en etfet.
Dans le mouve-
ment qui emporte
aujourd'hui tout ar-
tiste à la poursuite
de formes nouvelles
dictées par un nou-
vel idéal, l'architecte
s'est mis en branle
le dernier. Instruit
à l'école du passé, nourri dans le respect
de la tradition et gavé, dès sa prime jeu-
nesse, de formules servant à tous usages,
il avait rompu sous la Monarchie de
Juillet, sous l'Empire, avec l'habitude de
la recherche et, par suite, avec l'accent
personnel.
Quelque doué qu'il fut, il se préoccupait peu
d'inventer. Comme nous composions en rhé-
torique nos devoirs latins —
avec des recueils d'expres-
sions — l'architecte mar-
quetait ses projets de pièces
d'emprunt quétées dans les
morceaux choisis de l'art
classique. Son eti'ort se bor-
nait à les raccorder; un joli
travail d'arrangement lui te-
nait lieu d'originalité. C'est
merveille qu'il soit né sous ce
régime un Garnier, qu'un "Vaudremer s'v soit
fait sa place au soleil.
A .ce métier de pasticheur, on perd néces-
sairement le goût de son art, le sens de sa
fonction. Aussi, l'architecte avait-il vu, peu à
peu, son autorité et son rôle s'amoindrir. Du
jour où il ne fut plus, pour ses collaborateurs,
l'excitateur du cerveau et le guide de la main
qu'il doit être, ses collaborateurs, un à un, le
délaissèrent. Ils se dérobèrent à cette direc-
tion vague et molle, ils reprirent leur liberté
d'action, ils travaillèrent chacun à leur guise.
Le décorateur, l'ornemaniste, le sculpteur sur
pierre ou sur bois se livrèrent à leur inspira-
tion sans contrôle; l'ébéniste et le tapissier, le
céramiste, le menuisier, le ferronnier, le cise-
leur et le peintre-verrier rirent de même.
Jamais, entre les divers éléments qui concou-
rent à la décoration, le malentendu ne fut plus
grand et la cacophonie plus complète.
.A. quelque chose pourtant ce malheur fut
bon. Les artistes avaient appris à chercher :
ils s'essayaient à la chasse aux idées, ils s'in-
Balcon en Fer.
géniaient à trouver eux-mêmes des modèles.
Ils recoururent à l'éternelle conseillère, la
nature; ils rafraîchirent leurs inspirations à ce
Art i't Dt'coratiou
contact, ils v rcnouvclcrciii Il-up bai^agc. et de
cet étfort sérieux, continu, est sortie peu à
peu la renaissance à lai]uelle nous assistons
en ce moment.
A vrai dire, la marche est leiiie. l.'incohé-
Pljiis de Li iihTisdii 7\tssc'1.
renée, le désordre et le manque de discipline
la retardent. Pour conduire le « nouveau
bateau » droit au but. il lui fallait au gouver-
nail un pilote. Pour coordonner et faire aboutir
toutes ces recherches, il eut lai lu le coup de
barre d'un de ces vigoureux maîtres d'ttuvre
dont la fantaisie, tempérée par un rigoureux
esprit de méthode, enfanta les merveilles du
gothique. L'an nouveau a manqué de maîtres
d'œuvre.
Il en surgit à présent de tous cotés, qui ne
manquent ni d'originalité ni de mérite, mais
nulle part il ne s'est rencontré d'inventions
plus hardies et plus neuves, d'art à la lois plus
logique et plus profondément personnel que
dans les travaux d'un jeune architecte, Victor
Horta. — dont la Belgique a le droit d'être
tière.
Un récent voyage en lirabani m'a mis en
en rapport avec lui. Ancien élève de Fjalat qui
fm, dans la note classique. l'architLCte le plus
estimé de son pays, et qui dressa les plans du
Musée d'Art ancien de Bruxelles, Horta n'a
commencé à construire, à donner sa note per-
sonnelle, que depuis quatre à cinq ans. Son
(Linie est donc encore, malgré l'activité qu'il
déploie, très restreinte : elle n'en est pas moins
forte.
Contrairement à l'usage français qui nous
parque, vu la cherté des terrains, dans des
maisons de rapport occupées par de nom-
breux locataires, et presque toutes conçues
dans le même esprit, uniformément bâties
dans le même stvle, le type de la maison
bourgeoise, en Belgique, est le petit hôtel;
Horta en a construit en cinq ans une demi-
douzaine. \'oici son premier essai, destiné à
un célibataire. C'est la maison Tassel, rue de
Turin.
Quoiqu'elle s'élève à deux pas de l'avenue
Louise, dans le quartier le plus élégant de
Brtixelles, sa façade, en pierre nue, est d'une
extrême simplicité. Elle
accuse avant tout, très
nettement, les disposi-
tions intérieures. Au-des- '
sus du rez-de-chaussée,
un entresol très bas, sur-
monté d'un premier étage
de belle taille; un second
étage, de médiocre im-
portance, s'ajoute à ce
piano nobilc; le tom
est couronné d'une cor-
niche, en saillie très
PLtns de Ij iimixdu Tassel.
légère, sur laquelle s'a\ance le chéneau.
i)e l'entresol au second, la partie centrale du
logis se projette, en une double loggia, au
dehors par un encorbellement circulaire dont
le limeau de la porte suit le nKJUvemcnl. Des
L'Art Dccoratif en Belgique
M
c^fty^î II LU.
1
deux colés de la porte, une console en soutienl
la charité. Répartis sur la baie de l'entresol, de
robustes piliers ronds servent d'appui à la cor-
niche sur laquelle
s'assied le bel
étai^e. Or le bel
étage pèse lourd :
l'architecte a donc
tait en pierre les
piliers sur les-
quels il repose,
etil n'a laissé entre
eux que peu d'es-
pace. Le premier
étage, au contrai-
re, n'avant à sup-
porter qu'un sim-
ple balcon de ter.
le Constructeur y
remplace les pi-
liers trapus par
de sveltes et min-
ces colonnettes ,
qu'il exécute, non
plus en pierre,
mais en fer. Il
les réduit en mê-
me temps de cinq
à quatre.
Au second, l'en-
corbellement dis-
parait et tait place
à une baie carrée
de même largeur.
Deux colonnettes
en ter s'y insèrent
et portent sans
faiblir la corni-
che.
De ce parti-pris
d'ensemble déri-
vent, dans la fa-
çade, les seules
lignes qui en rom-
pent, par quel-
ques saillies, la
mâle simplicité.
L'architecte n'a
donné libre cours
à son imagination
que dans le détail.
Voyez par quels
de l'art gothique ,
gritfes, les piliers
a leur soubassement, a leur entablement.
Au premier, vovcz le joli mouvement de la
grille, l'imprévu des colonnelles de 1er el leur
i;race; vo\ez aussi
rfiHi
Maison Tdsscl, façade
motifs ingénieux, dérivés
dont ils rappellent les
de l'entresol sont reliés
ci}mme ces colon-
nettes de 1er. par
leur soupçon de
chapiteau , font
corps avec les pou-
trelles de même
métal qui portent
l'entablement, et
dites-moi ce que
\()Us pensez de
ces trouvailles .
Mais, dans la
maison elle-même
des surprises bien
autres vous at-
tendent.
Vous voilà sous
le porche, pavé de
mosaïque, tout en-
tier lambrissé de
bois verni, éclairé,
par un vitrail in-
térieur, d'un jour
apaise, mysté-
rieux.
Est-ce en étran-
ger que vous ve-
nez: N'avez-v(.)us
à faire au maiire
de céans que des
communications
sans grande im-
portance? l^assez
a droite. Vous v
t r o u \' e r e z u n e
pièce un peu plus
vaste, un parloir
de couvent, meu-
blé du stiict né-
cessaire, table et
chaises, et v(.ilon-
t a i r e m e n i gris
d'aspect, sorte de
terrain neutre, où
l'on viendra vous
r e c e ^• o i r p () u r
vous expédier au
plus vite, sans que vous ayez vu de l'intérieur
quoi que ce soit.
Ètes-vous un tamilierde la maison? La porte
14
Art et Dccoration
de gaucho s'ouvrira: vous pcn cirerez en ami et sur le même plan que le palier, un jardin
dans le vestiaire, aussi souriant, clair et gai d'hiver, où les palmiers étalent complaisani-
quele parloir est morne; vous y déposerez sans ment l'éventail dentelé de leur t'euillage.
façon le pardessus, la canne et le chapeati qui Poursuivez l'examen : vous vous rendrez
vous gênent; dans un cabinet adjacent, vous compte que la maison est composée de deux
ferez, s'il v a lieu, une toilette aussi complète parties bien distinctes; au fond, le corps de
que possible; il ne vous res- logis principal séparé par une cour vitrée
. où le soleil, à toute
our, vousjvisite, l'archi-
tecte a fait le centre
et le fûver lumi-
neux de la demeure.
Il a supprimé au-
Si tour d'elle, autant
n_ qu'il 1 ' a pu, les
iTurs pleins. Les
.liliers de maçon-
nerie qui la trans-
formeraient en un
puits, ont été rem-
placés par une Char-
ente métallique
apparente, renfor-
cée çà et là de colon-
nettes, dont les co-
lorations d'un vert
clair et la forme,
soigneusement
cherchée, délicieu-
sement trouvée,
concourent à l'envi
à la décoration
générale. Tiges
légères, feuillues
par le haut, s'élan-
çant comme d'un
stipe à leur base,
elles continuent
d'une manière char-
mante pour l'œil la
sensation de ver-
dure et de fraicheur
dont le jardin d'hi-
ver vous imprègne.
Et c'est merveillede
voir courir sur les murs, en capricieuses
arabesques de couleur, tout un semis de
feuillages stylisés qui prolongent encore l'illu-
sion et se marient en combinaisons harmo-
ches vous fait face. Au delà du palier qui le nieus^s aux rinceaux du fer assoupli,
termine, une grande baie s'ouvre sur un salon ; Gravissez maintenant les sept marches et
vous distinguez à votre droite l'escalier qui passez au salon. Visitez, après le salon, la
monte aux étages supérieurs, à votre gauche, salle à manger qui prend jour, par un penta-
Le Sahii, le Vestibule et le Jardin d'Hiver, vus de la Halle à Ma>ii;t
dans cet intérieur si bien chjs, abrité si soi-
gneusement des curieux, qu'à pousser une porte.
Un tîot de lumière, dans le vestibule octo-
gone, vous accueille, lin escalier de sept mar-
L'Art Dccoratij en Belgique
I
gonc vitré, sur un jardinet enclos de murs, —
partout vous .trouve
rez mêmes recherch
même emploi dti
La cit;arette fumée, le porto de l'amitié ab-
soi'bé, levez-vous. Avant de retourner au pa-
lier, arrêtez-vous dans cette façon de vesti-
bule qui sert de dégagement au fumoir et,
par la grande baie qui le relie à la cour
centrale vitrée, penchez-vous. Vos regards
iront sans peine, au-delà du salon qui
egne au rez-de-chaussée, jusqu'au fond
de la salle à manger. Les soirs de ré-
ception, s'il vous plait de fumer un ci-
gare, vous n'en resterez pas moins, par
cette baie, en communication perpétuelle
avec les mélomanes qui tiennent leurs
assises au salon. Sans que
vos ha- ^^"'-^i P"ii\.^é>
s-ms
la fumée de
vines les "êne
Le Pjlici- lin /'-■f et:
fer apparent, mêmes colorations et mêmes
formes heureuses imprévues, décoratives à
souhait, du métal.
Mais le temps presse : revenons sur nos pas
et du palier montons à l'entresol ménagé dans
le corps de logis sur la rue. Donnons un coup
d'œil, en passant, au joli dessin de la rampe,
examinons curieusement la muraille où repa-
rait, sous un aspect plus nouveau, en courbes
de plus en plus tourmentées, le motif sinueux
du palier.
Vous voici à l'entresol : vous n'êtes pas
encore au bout de vos surprises. De la partie
centrale, éclairée par un vitrail sur la rue, l'ar-
chitecte a fait un fumoir, flanqué d'une salle
de bains d'un coté, d'un laboratoire de l'autre.
Aux murailles, garnies sur leur pourtour d'un
divan, des spirales de flammes, stylisées, tor-
dent avec fureur leurs volutes sur un fond
bizarre d'améthyste qui va se dégradant vers
le haut, et dont la note étrange, en harmonie
avec les couleurs du vitrail, flamboyant lui
aussi, est d'un charme sinsulièrement attirant.
Le Palier du Saliiii.
conversations les émeuve, vous percevrez les
i6
Art et
pièces réser-
vées à la do-
mesticité.
Nous aurons
dit de cette
sons de leurs instruments ou l'accord
étotie de leurs voix, et vous saurez i;ré de
cette disposition point banale à Horta.
Passons sur le cabinet de travail, qui
occupe toute la largeur de Ihute
au premier, au-dessus du fumoir ;
passons également sur lu chambre
à coucher, précédée d'un salon tout
intime, au premier étage du corps
de logis prin-
cipal ;c()nteil-
tons-nous en-
tin d'ajouter
que le second
est divisé en
c h a m b r e s
d'amis et en
Lustre Electrique
pour Boudoir
ChJitc.iu
de 1.1 Hulfi
curieuse maison l'essentiel.
Et ce n'est pas la seule, parmi les construc-
tions de Horta, où
l'on trouve, dans
les aménagements
intérieurs, un en-
semble si complet
de précautions, une
adaptation si par-
faite du logis au
caractère et à la
manière de vivre
du maitre, une ori-
ginalité si pro-
fonde dans le détail
de la décoration.
L'artiste, en efiei.
se garde bien d'i-
miter en se copiant
sans cesse le déplo-
rable exemple que
tant de scsconfrères
nous donnent.
La maiscm type
n'existe pas pour
lui.
De celles qu'il a
élevées, aucune ne
ressemble aux au-
tres que par le soin
scrupuleux avec le-
quel il l'a étudiée, par l'heureuse utilisation de
tous les coins et des accidents les plus bizarres
de meubles, de
rcils d'éclairai;e
Lustre poui-
Sdllc à Maiii^er'
^ration
du terrain, par la simplicité élégante des
façades, par l'unité du principe décoratif,
nu l'emploi des courbes harmonieuses
ouc le grand rôle, par la préoccupation
d'éclairer directement toutes les
les distribuant autour
d'un point central, foyer de vie où
le jour verse à grands flots sa lu-
mière, et, avec la lumière, introduit
partout la gaieté,
.le voudrais
surtout insister
sur l'ingéniosité
raftinée avec la-
quelle l'artiste a
conçu, pour cha-
CLine de ses créa-
tions, des mo-
dèles, pour la
plupart exquis,
de ferronnerie,
vitraux, de tapis, d'appa-
non seulement étudiés
au cravon , mais
modelés, pour
mieux guider l'exé-
cutant, par lui-
même.
L'espace me fait
défaut, mais les
r e p r o d u c t i o n s
jiiintes à cet article
n'ont nul besoin de
com mental re, et
nos lecteurs sau-
ront d'eux-mêmes
apprécier tout ce
qu'il \' a dans ces
motifs, de richesse,
de variété impré-
\iie, de fraîcheur
ei d'irréprochable
logique.
(Quelques ré-
Hcxions pourtant
soniutiles. Le point
de départ de ces re-
cherches est l'ob-
servation de la na-
ture; mais, tout en
observant la na-
tiu'e, en se réglant,
pciuriel ou tel motif, sur les indications qu'elle
fournil, en arrachant à la plante le secret des
Château
de la Uulfc
L'Art Dccoratif cii Bcloiqiit
Chcmincc M^iisim de M. frisiin).
ondulations délicates ou des courbes gracieuses
de ses tiges, l'artiste a eu l'ambition de ne rien
faire qui rappelât di-
rectement la nature. S'il
suit, pour inventer le
caprice d'un décor, la
loi cachée à laquelle
les végétaux obéissent
en se développant sui-
vant des formes im-
muables et toujours har-
monieuses, il s'astreint
avec la même rigueur
à ne pas tracer un
motif, à ne pas décrire
une seule courbe où
puisse se reconnaître
un motif naturel pas-
tiché.
De même, pour les
meubles qu'il dessine :
ni dans le dévelop-
pement d'un pied de
table, ni dans le dessin
d une simple étagère, ni dans le contour gé-
néral ou le principe ornemental d'un bahut.
vous ne percevrez un mouxement du bois,
une moulure, un accent de la forme, un
relief, où s'accuse un emprunt direct à quoi
que ce soit d'existant. Chaque meuble est
une création véritable dont la nature a bien
fourni le thème; mais ce thème a été revu,
modifié, amplifié ou réduit suivant l'esthé-
tique spéciale de l'objet.
On pourrait dire, en un mot, que l'apport
de la nature se réduit à une suggestion.
Ceci posé, entrons dans le détail.
La photographie a complètement déformé
le grand lustre exécuté pour la salle à manger
d'apparat du château de la Hulpe. Rectifions
les données incomplètes qu'elle nous donne.
11 s'agissait de projeter la lumière, entons sens,
sur une table de dix-huit à vingt personnes.
L'appareil a donc été combiné pour s'étendre
en longueur. A droite et à gauche de la vaste
corolle dont les émaux de couleur vive, en-
châssés dans une mise en plomb de bronze
d(iré, multiplient de leurs éclatantes facettes
les feux du groupe central de lumières, des
tiges latérales, des tiges longitudinales se
détachent, abritant sous des corolles plus
petites, et de dimensions inégales, des
lampes simples formant comme le pistil de la
fleur.
La photographie a été plus exacte pour
le reste ; mais, tout en respectant les
Petite salle à mander (Chjteju de Ij Hnlpel
formes, elle n'a pu donner la couleur ni
dire la matière. Complétons donc les indica-
i8
Art et Décoration
lions insuffisantes qu'elle 'fournit. Le petit
lustre électrique pour boudoir, duVhàteaude la
Hulpc, est en cuivre rouge.
L'électricité se transmet aux
lampes Edison par des fils
apparents rouge ponceau.
Le mobilierde la petite salle
à manger est en acajou plein,
la table à écrire du grand hall
en hctre,de ton naturel, avec
plateau en bois marqueté.
On sera certainement
frappé, en considérant la
cheminée exécutée pour
M. Frison, d'un manque
d'harmonie entre les deux
tiges inférieures du double
appareil d'éclairage, termi-
nées par des tulipes élec-
triques, et la tige supérieure,
surmontée, pour l'éclairage
au gaz, d'une cheminée de
verre et d'un globe. Inutile
de dire que ce manque
d'harmonie n'est pas impu-
table à l'artiste, dont le
modèle, uniquement conçu
pour l'électricité, comportait
pour chaque bras de
lumière trois tulipes.
La transformation indi-
quée par notre repro-
duction n'est qu'une
modification transitoire imposée, dans une
maison neuve, par la nécessité de recourir
au gaz, en attendant l'installation électrique.
Dans ses essais de décoration intérieure.
l'architecte ne s'est pas seulement appliqué à
donner aux appareils d'éclairage des formes
neuves. Il a cherché à les disposer d'une façon
plus logique, en les reliant par exemple aux
cheminées pour en éclairer la glace, en les
faisant jaillir, dans une cage d'escalier, du dé-
part de la rampe. C'est l'occasion, pour lui, de
donner au bois un mouvement d'une grâce
inattendue, et d'obtenir en même temps, parla
juxtaposition des notes vertes du bronze et des
notes fauvesdu bois, d'heureuxeffets de couleur.
Ajoutons que les inventions de Horta font
école déjà en Belgique. Elles ont inspiré, dans
l'industrie du meuble, plus d'un de ses com-
patriotes et l'on retrouve, dans une maison que
vient de construire à Paris M. Guimard, et dont
nous parlerons, un écho lointain de ses prin-
cipes. Nous nous devions donc à nous-mêmes,
en entreprenant cette publication destinée à
l'art décoratif, d'apprendre au public français à
connaître undeceux. parmi les architectes étran-
Croquis de lampe.
Départ de rampe.
gers, qui se sont attaqués le plus résolument
au problème, sans cesse agité, de l'art nouveau.
L'aperçu que nous donnons de son œuvre,
tout incomplet, tout fragmentaire qu'il puisse
être, instruira, en les faisant penser, nos ar-
tistes. Ce ne sera pas une satisfaction banale
pour- nous, Thiébault-Sisson.
L'ART DÉCORATIF EN ANGLETERRE
stsf se
ARTS AND CRAFTS
I l'on en croit les publica-
tions londonnienncs qui
ont rendu compte, pendant
les deux derniers mois de
()6, de la cinquième exposi-
tion de la Société anglaise
" Arts and Crat'ts ", ja-
mais l'art décoratif n'a fait preuve d'une telle
vitalité outre Manche, jamais on n'a vu, dans
l'ensemble des travaux exposés, des inspirations
plus variées et plus neuves, plus pratiques et
plus rassurantes pour l'avenir.
Je ne sais ce qu'ont été les expositions anté-
rieures, mais je crains bien qu'en ce qui concerne
celle-ci, le grand nom de Morris et la haute in-
fluence dont il a joui légitimement de son
vivant n'aient abusé ses compatriotes sur le
compte de la société d'art décoratif qu'il fonda.
J'ai fait le voyage de Londres pour voir cette
exposition en détail, j'en ai étudié tous les
numéros un à un, et l'impression que j'en ai
rapportée diffère singulièrement de l'opti-
misme manifesté par les journaux londonniens.
J'étais arrivé, pourtant, dans les dispositions
les plus favorables et convaincu que je ver-
rais de fort belles choses. Je m'étais fait, d'après
les clichés du Studio, du Magasine of Art,
de Y Art Journal et de VArtist, une idée d'au-
tant meilleure des objets que la réduction en
masquait les défauts. J'avais pris surtout in-
térêt à une porte en cuivre repoussé dont la
composition m'avait paru franchement neuve
et l'exécution d'une superbe largeur. J'entre à
la New-Gallery, je me précipite sur le morceau
de mes rêves, et que vois-je ? — Un travail, en
eftet, très large et dénotant un ouvrier de pre-
mier ordre, mais une effrayante salade de
motifs, empruntés aux styles les plus connus et
démarqués avec une navrante maladresse.
Des trois partiesdont se composel'ensemble,
la seule originale est la base, parce qu'elle ne
comporte aucun ornement.
Dans le panneau central, de chaque coté de
trois pavots, hiératiques et raides comme des
lotus égyptiens, une frise d'urasus, dont l'ar-
tiste, pour donner le change aux curieux, a
remplacé la tête par un assemblage triangu-
laire de lignes droites. Au-dessus des pavots
stvlisés, trois têtes de pavots copiées d'après
nature s'enferment dans un cercle : démarquage
du blason japonais. Une bordure de coquilles
orne la partie supérieure; mais la forme de ces
coquilles est bizarre. Elle ne rappelle en rien le
motif dont les pèlerins de Saint-Jacques déco-
raient d'une façon si pittoresque leur chapeau et
chamarraient avec ostentation leur pèlerine au
xii« et au xni« siècles. Prenez un peu de recul :
vous vous apercevrez que ces coquilles, en
dépit de leurs stries verticales, en dépit de leurs
charnières en saillie, ont été inspirées unique-
ment par les scarabées égyptiens. Et voilà
comme on fait du neuf! En Angleterre, au moins,
les savants n'ont pas travaillé pour des prunes.
La désillusion est pénible; elle n'a rien, à la
la réflexion, de surprenant. J'ai déjà constaté
plus d'une fois, dans mes voyages à Londres,
l'étroite parenté qui existe entre telle ou telle
pièce de musée, peu connue, et tel ou tel
meuble curieux dont les ébénistes anglais se
Dessin de papier peint par Voysey
(essex et c°)
font honneur. Dans une seule maison, décorée
dans le goût esthétique le plus pur et meublée,
avec une originalité très réelle, de sièges dont
le modèle passait pour n'avoir été vu nulle
20
Art et Dccoration
CluifiU\iu lift' II! cheminée
ci-dcsstnts.
pan. 1 ai
rci ri) Il vij,
adroitement
reproduits,
— littérale-
ment copiés
devrais - je
dire, — trois
objets que
j'avais re-
marqués la
\ c i 1 1 e a u
British,
dans la sec-
tion égyp-
tienne : un
berceau de
nouveau-né
à bascule, en
bois plein,
une sellette
de bois dont
le plateau était ingé-
nieusement creusé
pour épouser les
formes assises, et
une de ces chaises
carrées
1730, un Louis XV anglais t\)rt gracieux, bien
connu sous le nom de Chippendale. On copie
couramment le Chippendale comme on copie
l'anglo-Hamand de la reine Anne. Voyez ces
chaises de salon à montures légères, ces fins
canapés d'acajou, d'érable ou de bois vert,
garnis d'étoffe Liberty, devant lesquels nos
snobs s'écarqui lient parce qu'ils viennent
d'Angleterre ! Les prendrez-vous, comme eux,
pour du neuf?. l'en doute fort. Pour peu que
vous ayez passé le détroit, vous en aurez
trouvé, chez les collectionneurs, des modèles
autrement parfaits, avec leurs supports un peu
grêles, d'un joli mouvement Louis XV, avec
leurs dossiers ajourés formés de pièces rigides
ou délicatement incurvées, mais toujours
carrées de forme. La seule différence qui existe
entre le Chippendale d'autrefois et celui d'à
présent, c'est que le premier, malgré sa légè-
reté, est solide, et que le second jouit d'une
réputation de fragilité méritée, due à sa
malfaçon.
Voilà dans quelles conditions, depuis trente
ans, l'art anglais section du mobilier) a fait
preuve d'invention. Je mets à part, évidem-
ment, certains arrangements de cheminée, cer-
montants de bois tourné, réunis
par de fortes lanières de cuir, font
un siège d'une simplicité élégante
et d'un confortable parfait.
Quand ce n'est pas de l'antique
qu'on s'inspire, c'est du stvle an-
glais de la reine Anne, et qu'est-ce
que le style anglais de la reine
Anne, sinon la Renaissance fla-
mande mise par Guillaume d'O-
range à la mode, à la fin du
XVII'* siècle, et appropriée dans les
premières années du xviii>^^, sous
le règne de sa belle-situr, aux
exigences et au tempérament de
leurs sujets! Ces modèles de fau-
teuils à dossier arrondi, pourvus
de balustres fuselés, sont les
frères de ceux qui ornèrent jadis,
à la Haye, le Mauritshuis, et ces
bancs de bois, à dossiers ingé-
nieusement découpés, ne dilTèrent
guère du mobilier succinct qui
garnit, avec les Frans Hais,
l'Hùtel de Ville de Haarlcm.
Cheminée dessinée par C. Harrisson TairnsenJ,
exécutée pjr G. Fi\impt(i)i.
Au Style delà reine Anne, s'est substitué vers tains trumeaux garnis d'étagères, nés sousl'ins-
L'Art Dccoratif en Angleterre 21
piration de Morris, et d'une fantaisie aussi jadis, en fait de meubles, de l'autre enté de la
charmante que pratique. Manche, quand on a vu. dans les boutiques
Quant aux imitations dont je \iens de parler, de brocanteurs, les massives constructions
Illustration four .( Facric Quccnc « yar W. ('}jnc iG. Allen Kdit.).
il n'y a pas lieu d'en médire, à tout prendre : jadis qualifiées là-bas du nom de chaises, de
elles ont été, dans leur temps, un progrès. tables ou de buffets, on sait gré aux pseudo-
Quand on sait quelles horreurs se fabriquaient inventeurs, que les premières prédications de
22
Art et Dccoration
Morris ont t'aii naitrc, d'avoir ramcnc clans le
mobilier ant^lais un peu d'art et un soup>;on de
style.
Les Anglais, par malheur, ne s'en sont pas
tenus là : ils ont voulu l'aire du nouveau et du
vrai; ils se sont acharnés, avec un louable
entêtement, à créer. Mais au lieu de se borner,
comme l'avait fait Morris dans ses essais de
mobilier, à des pastiches ingénieux et légère-
ment modernisés d'art ancien, ils ont mis en
pratique strictement les principes que ce même
Morris, devenu socialiste, a posés; il ont cru à
un art rudimentaire et simpliste, comme si le
terme d'art n'impliquait pas étroitement une
recherche, comme si l'on pouvait, en un mot,
faire de l'art sans se livrer à des combinaisons
harmonieuses de lignes, à des arrangements
délicats où rien, autant que possible, ne blesse
l'œil, où tout au contraire le charme.
De ce principe déjà critiquable, et que Morris,
avec un tact instinctif, s'était bien gardé d'ap-
pliquer, ils ont déduit des conséquences rigou-
reuses et à ces conséquences ils se sont rigou-
reusement conformés. De là les essais de mobi-
lier innomables, informes, présentés à cette
exposition d'Arts and Crafts, avec une ingénuité
convaincue, par des gens qui font figure d'ar-
tistes. Il y a là tout un stock de meubles dont
les pieds sont de lourds madriers, carrés de
forme; des casiers à musique tout pareils à
des buffets de cuisine, avec cette différence
seulement que les charnières, au lieu de s'appli-
quer sur le bois, sont posées en saillie sur
l'arête; une caisse de piano en bois vert où
le clavier s'enferme dans un bahut moyen
âge; un bahut à deux portes orné d'appliques
de cuivre calquées sur nos anciens modèles de
ferrures. Voilà le meuble anglais de l'avenir, si
tant est qu'il se trouve des badauds pour y
croire et des sots pour l'encourager.
Tout n'est pas, heureusement, de ce calibre,
mais j'ai regret à dire que le seul meuble un
peu intéressant que j'aie vu là venait de Bel-
gique, — une bibliothèque, envoyée par Serru-
rier, de Liège. Des stalles de bois pour une
église de campagne étaient une œuvre bien an-
glaise, d'une exécution libre et large, mais d'une
insupportable lourdeur. Une remarque, au
reste, s'imposait pour les travaux du métal et du
bois : si les modèles en sont généralement fort
médiocres, — ou d'une nouveauté disgracieuse,
ou d'une allure ancienne par trop imperson-
nelle, — la main-d'œuvre, au contraire, en est
irréprochable, ferme et franche, et bien dans le
sentiment de la matière. Il est permis néan-
moins de regretter l'emploi qui se fait cou-
ramment, dans l'ornementation, du cuivre
découpé. Les motifs qui s'en tirent ne sont pas
seulement secs et maigres : ils font redouter
pour la main le contact de ces surfaces hérissées
et coupantes.
Le morceau le plus parfait, de beaucoup, que
j'aie trouvé dans le péle-méle delà New-Gallery
est une cheminée de bois sculpté dessinée
par l'architecte Townsend et exécutée par
M. George Frampton. Ce n'est pas seulement
une pièce originale, c'est une a-uvre, au sens
complet du mot : ingéniosité d'arrangement,
originalité dans le choix des motifs, délicatesse
du travail, tout y est. Il faut féliciter hautement
de tels artistes.
A féliciter aussi, M. Voysey qui s'affirme de
plus en plus, dans l'étotîe et dans le papier
peint, comme un digne émule de Crâne. Tou-
jours égal à lui-même dans chacun de ces deux
genres, Walter Crâne reste aussi, dans ses com-
positions de blanc et de noir pour lelivre, l'ad-
mirable maitre connu depuis longtemps des
Français.
La section du livre est d'ailleurs, dans cette
exposition, celle qui donne la plus haute idée
de l'art anglais. De la réforme d'ensemble
essayée par William Morris, les seuls genres
où il ait pleinement réussi, où il ait, non seule-
ment indiqué la voie, mais fondé une école,
sont le papier de tenture, l'étoffe imprimée et
le livre. La semence qu'il y a jetée a bien levé ;
ses exemples ont porté fruit, et de beaux fruits.
Toute une régénération s'en est suivie pour le
livre, dont la décoration, revenue grâce à lui à
des formes logiques, fournirait à nos éditeurs
des sujets de méditation instructifs. Nous
reviendrons quelque jour sur cette école anglaise
du livre. Qu'il nous suffise aujourd'hui d'en
proclamer hautement l'existence.
Mentionnons, avant de terminer, d'intéres-
sants travaux de grande décoration, envoyés,
sous forme de cartons, par MM. Burne-Jones,
Walter Crâne, Heywood Sumner, Christopher
Whall, Louis Davis; rendons hommage, pour
une broche en argent ciselé, délicieuse, à
M"" Simpson, et inclinons-nous devant les tra-
vaux féminins, dentelles et broderies, tous
achevés dans l'exécution, presque tous d'un
goût exquis dans le motif. En Angleterre
comme en France, la femme, dans son domaine
spécial, est un maitre.
Thiéhavlt-Sisson.
L'ÉCOLE GUERIN. — LES CERAMIQUES DE LACHENAL ET DE DALPAYRAT
UN PANNEAU DÉCORATIF DE M. BIGAUX
¥
C'est un petit évcnement, chaque année, que
l'exposition des travaux d'élèves à l'Ecole
Dessin de papier peint. m '
Au lieu de le l'aire reposer, comme avant,
sur l'étude des styles, l'artiste leur fait da-
hord étudier toutes les combinaisons que
peut fournir, pour un fond, l'emploi des
éléments linéaires. Il leur apprend ensuite
à interroger directement la nature et à
s'en inspirer pour le choix et l'agence-
»i^ ment des motifs qu'ils mettront en valeur
sur ce fond. Les concours auxquels on
'»"'^ exerce périodiquement les élèves les fami-
liarisent peu à peu avec les principes géné-
raux que le décorateur se doit d'observer,
avec les règles auxquelles l'assujettit la ma-
tière employée, avec les exigences spéciales
auxquelles le mode de fabrication l'astrein-
dra.
De là, l'intérêt de ces expositions an-
nuelles. Rien n'est curieux comme d'v
suivre la marche progressive des jeunes
gens, l'éveil de leur personnalité, quand ils
passent des exercices monotones du début,
où la ligne droite, la ligne sinueuse, la ligne
courbe, le granulé et le pointillé jouent le
grand rôle, à l'étude de l'animal et de la
fleur, et quand de l'animal et de la fleur,
le travail analvtique terminé, ils s'essayent
aux études d'ensemble où tous ces élé-
ments se juxtaposent, s'équilibrent et se
pénètrent en une synthèse flnale.
d'enseignement
normale
du dessin que dirige après
l'avoir fondée, M. Guérin.
Non seulement la jeu-
nesse artistique y accourt,
mais les fabricants ont
pris l'habitude de s'y ren-
dre, et il est bien rare
qu'ils en sortent sans
avoir fait emplette d'un
modèle qu'ils exploite-
ront dans les industries
artistiques.
L'intérêt qui s'attache
à cette exposition ne
s'explique pas seulement
par l'autorité et la qualité
des maîtres associés par
M. Guérin à son œuvre.
Il s'explique surtout par
le mode nouveau d'en-
seignement de l'art décoratif inauguré dans Les travaux exposés récemment sont^ beau-
cet établissement par M. Eugène Grasset. coup trop nombreux pour que nous puissions
Dessin Jl' euupc.
M. rii)rR<.i^("iT
24
Art et Dccoration
les passer mus en revue. Quelle nécessité,
d'ailleurs, v aurait-il à les examiner en détail ?
Contentons-nous de citer, comme particuliè-
rement digne d'attention, un bas de portière
dont l'iris sauvage a fourni à M. Paycn le mo-
tif et, du même, un encadrement de porte en
bois sculpté, bien compris en vue de la matière,
que nous reproduirons dans notre prochaine
Dessin de ridcati.
livraison. Joignons-y un dessin pour tenture,
formé d'une heureuse alternance de poissons
et d'algues marines, par M"'' Gaudin; un projet
d'ombrelle qui n'est pas sans mérite, par M"''...;
une coupe de porcelaine supportée par des
oiseaux, dont M. Bourgeot est l'auteur; ci un
rideau de M"« Herwegh, où la libellule, em-
ployée comme élément décoratif, est traitée
avec autant d'ingéniosité que de chainie.
D'autres expositions, dans les deux derniers
mois de l'année, ont attiré l'attention publique.
Nous aurions voulu parler en détail des deux
plus importantes, celles des céramistes Lache-
nal et Dalpayrat. — Mais l'espace nous est
rigoureusement mesuré. — Tout au plus pou-
vons-nous constater, pour M. Lachenal, qu'on
a goûté la grâce robuste de ses grès, avec leur
décor en relief, emprunté à la feuille, à la fleur,
et si heureusement marié aux formes simples
qu'exige impérieusement
la matière. On n'a pas
moins goûté, dans ses
multiples faïences, la
variété et la grâce de
l'ornementation, la belle
qualité des émaux. M. Dal-
pa\rat toujours épris,
dans SCS grès, des colo-
rations somptueuses, et
sûr de lui dans les effets
qu'il en tire, s'est aven-
turé cette fois dans la
fabrication de la faïence.
11 s'v est signalé par des
débuts qui sont surtout
des pastiches, mais qui
aboutiront à des essais
personnels avant peu.
Le panneau décoratif de
M. Bigaux,quenous repro-
duisons, a perdu dans la
transcription photographi-
que, toute la grâce dont le
revêtait la couleur. Il n'en
subsiste pas moins un mo-
tif d'une exquise fraîcheur
et d'un sens décoratif des
plus justes, stylisé juste
assez pour donner de la
tenue au morceau sans
rien enlever à la nature
de son charme. Nous re-
'■ A. MEKWKGH vlcudrons, moins briève-
ment, sur ce décorateur
ingénieux dont l'ieuxre est considérable déjà
et qui ne suit les traces de personne.
Les Estampes Décoratives
DE GRASSET
Noi lu; nous TRxrr. v.ti couliouks est la repro-
duction réduite d'une des Estampes décoratives
que vient d'achever M. Grasset.
Expositions
■^
Cette suite de dix importantes composititjns nos intérieurs modernes, de même qu'elles
constitue un ensemble aussi captivant par ont leur place toute marquée dans le carton
l'unité générale des thèmes, — caractères de du collectionneur d'objets d'art graphiques.
,o.*> o'^r^-j^
l'aniu'jii Jcciiratif.
L. BIGAVX
femmes et fleurs emblématiques, — que par la L'Éditeur, M. G. de Malherbe, a bien voulu
variété des termes et des colorations. Ces très nous accorder l'autorisation de reproduire la
belles pièces en couleurs apporteront une note troisième de ces compositions, dont deux sont
artistique toute spéciale dans la décoration de déjà parues.
26
Art et Dc\i
vation
iXOTRE CONCOURS DE COUVERTURE
UN concours pour la couverture de notre
revue « Art et Décoration » fut annoncé,
il va deux mois, dans la presse. Cent
quatre-vingts concurrents répondirent à notre
appel
Parmi cescent quatre-vingts compositions. la
plus grande partie méritait certes d'attirer l'at-
tention, et certaines d'entre elles étaient de tout
premier ordre. Malheureusement, des concur-
rents, et non des moins intéressants, n'ont pas
cru devoir se conformer aux conditions d'exécu-
tion énoncées dans notre programme. Aussi,
malgré la haute valeur de plusieurs de ces pro-
jets, le jury a-t-il dû renoncer à les choisir.
Quelles sont, en effet, les qualités que l'on
doit demander à une couverture ?
D'abord, le titre très lisible et très apparent,
sautant aux yeux; ensuite, l'ornementation
sobre, le «parti franc n, la clarté dans la composi-
tion; enfin la reproduction et l'impression faciles.
Les récompenses à décerner étaient : un prix
de cinq cents francs et trois mentions, compor-
tant des livres d'art, dont la valeur respective
était decentcinquante, cent et cinquante francs.
Nous donnons ici les résultats du jugement :
Le projet de M. A. Cossard, élève de l'Ecole
nationale des Arts Décoratifs, a obtenu le plus
i^rand nombre de voix.
Ont été choisis pour mentions avec primes :
1° Un projet sans signature.
2" M. H. Bicuville, de la Manufacture de
Sèvres. .
3° M. Louis Fuchs, élève à f Ecole nationale
des Arts Décoratifs.
Etant donnée la haute valeur du concours, le
jury a en outre décerné les mentions hono-
rables suivantes, ex œquo :
M. R. Barabandy; M. G. Chauvet, de
r Ecole des Arts Industriels de Reims ; M"' J.
Milési ; M. J. Robichon et M. C. Schliim-
berger.
Signé :C.\ziN, Fremiet, E. Grasset, L. Magni:,
L.-O. Merson, Puvis de Chavannes, Vaudremer.
Examinons maintenant les différents projets.
Les qualités de dessin qui avaient attiré
l'attention du jury sur la composition de
M. Cossard n'ont pas subsisté à la reproduc-
tion. Le dessin est devenu hmrd et le parti
moins franc.
En conséquence, le Comité, à l'unaniniiié,
tout en conservant son prix à M. Cossard, a
décidé l'adoption du numéro 2 pour la eou-
xemn'e.
M. Rieuville, dans une composition de belle
allure, ne s'était pas conformé au programme.
Nous l'avons vivement regretté.
La composition de M. Fuchs, d'un dessin
très sûr et d'un charmant arrangement, nous
aurait donné une excellente couverture; mais,
exécutée sur papier gris bleu foncé avec rehaut
de blanc, la figure légèrement modelée, elle ne
pouvait être reproduite par le procédé indiqué
et sortait par là même du programme.
Dans la composition de M. Barabandy, nous
préférons à la femme, quoique bien dessinée,
les fleurs qui l'entourent; et peut-être l'ensemble
eùt-il gagné si l'effet avait été plus accentué.
Par contre, la composition de M. Georges
Chauvet est un peu dure et présente un
aspect de fer forgé trop accusé. Très bonne
couverture, cependant.
M"'' .Juliette Milési avait, elle, un thème
excellent; et son titre, comme cela doit être,
occupait la place prédominante. Mais peut-être
son ornementation, quoique très bien équili-
brée, eijt-elle pu enrichir un peu plus la page?
M. Robichon, dont nous n'avons pu repro-
duire l'envoi, sortait lui aussi du programme.
Enfin, de ALC. Schlumberger, un charmant
dessin; malheureusement, dans cette compo-
sition un peu confuse, le titre demeure trop
peu lisible, alors qu'il importe, au conti'aire.
qu'il frappe nettement les yeux.
Parmi les compositions non primées, nous
avons choisi quelques exemples : nous repro-
duirons dans notre prochain numéro celles
qui ne peuvent l'être dans celui-ci.
Sous la légende <■ Spes», M. Herbinier nous
envovait une composition d'une belle allure,
mais un peu chargée. Simplifiée, cette compo-
sition eût été des meilleures.
Un effet franc, un titre bien lisible, telles
sont les qualités qui distinguent la composi-
tion de M. P. Scheidecker. Dans un tout autre
esprit, on retrouvait celles-ci dans le projet de
M. H. Sauvage.
Bien gracieuse était la couverture portant
« .Agir «comme légende; et M. Marmion,
avec des ffeurs de stramoine, nous présentait
un dessin riche, mais où la question si impor-
tante des noirs et des blancs était encore un
peu à étudier.
Somme toute, de très bonnes choses qui
nous font présager de fructueux concours pour
J'avenir. M. P. V.
Prcinicr Pi-i.v. — a.
}ÎKrct3)€!CQR»TI0O
^M -î^^
Troisième Mciitian. — i.. kl'chs
_^£dà
Deuxième Mention. — horace bielvilli;.
Mention. — g. chauvet.
^iHiiJHiiiilailïM
/-^Rcvue mcn^udU d'Art nuxkme ^
Aleulidii. — ,11 LiEiii; MiLi':si.
Mentmn. — u. liAUABANDv.
Nos Concours nionsiiols
NOS CONCOURS MENSUELS
H
CONFORMÉMENT au programme qu'elle
s'est tracé. la revue » Art et Décora-
tion «ouvrira chaque mois un concours
portant sur des sujets pratiques et d'utilisation
courante. Nous serions certes largement récom-
pensés de nos eft'orts si les industriels, entrant
avec nous dans cette voie nouvelle, sonj^eaient
eux aussi à renouveler leurs modèles si vieux
et si peu en rapport avec nos goûts modernes.
Des etforts en ce sens ont été tentés ; mais au
lieu d'entrer dans la fabrication courante, les
modèles choisis sont restés des pièces rares et
chères, et par là même, le but cherché ne se
trouve pas réalisé.
Dans chaque numéro, nous donnerons donc
le programme d'un concours et nous nous
efforcerons, tout en variant les sujets, de les
faire servir au renouvellement et au rajeunisse-
ment de notre décoration intérieure. Notre
objectif restera donc essentiellement pratique.
Le jurv comme pour notre concours de cou-
verture sera composé de MM. les Membres du
Comité de Direction, ce qui donne toute
garantie de compétence et d'impartialité.
CONCOURS DE JANVIER
Un i'ûsirr à iiiiisiquc
L'iTiLiTi-; de ce tneuble est incontestable, et
bien laids et incommodes sont les modè-
les que l'on trouve dans le commerce.
Ce que nous demandons, avant tout, c'est, en
même temps que la beauté, l'appropriation
parfaite de l'objet à l'usage que l'on doit
faire, et celle de la matière qui doit le com-
poser.
Nous insistons particulièrement sur le coté
construction du meuble; destiné à supporter
un poids assez considérable, il doit, tout en
restant élégant, donner toutes garanties de
solidité.
Les concurrents auront à se préoccuper
des différents formats de musique,' lesquels
peuvent se réduire à trois principaux mesurant
36, ?i et 29 centimètres de hauteur.
Toutes les matières pouvant pratiquement
entrer dans la composition de ce meuble peu-
vent être employées, tantpour sa confection que
pour son ornementation.
Les concurrents devront envoyer à « la
Librairie centrale des Beaux-Arts, i3, rue
La Favette. Paris «.avant le 25 février, dernier
délai: un plan, une élévation et un croquis
perspectif du meuble. Ils peuvent à leur gré
joindre à cet envoi des détails d'ornementation
et de construction.
Les dessins présentés devront être du quart
de l'exécution; les détails, s'il y en a. pourront
être à plus grande échelle.
Les dessins devront porter indication des
matières employées ainsi qu'une devise ou tout
autre signe répétés sur une enveloppe cachetée.
Celle-ci contiendra en outre extérieurement la
désignation du concours, et intérieurement le
nom et l'adresse du concurrent.
Trois prix sont atfectés à ce concours:
i» Un premier prix de cent francs :
2" Un second prix de cinquante francs :
3" Un troisième prix de vingt-cinq francs.
Les résultats du concours seront donnés
et les projets primés seront reproduits dans le
numéro de la /?cr»e paraissant en mars.
CONCOURS DE FÉVRIER
Un voile pour dossier de coiiapc
D
ESTiNÉ à recouvrir et à protéger le dos-
sier d'un canapé, ce voile peut être
exécuté en telle matière qu'il plaira aux
concurrents, le sens pratique présidant toujours
à leur choix. Crochet, broderie, applications
d'étotîes, etc., peuvent être employés, s'ils
répondent au but à remplir : protéger et orner.
La plus grande dimension de l'objet exécuté
sera i°',5o.
Les dessins envovés seront au quart d'exécu-
tion et les concurrents devront joindre un
détail grandeur nature du motif intéressant de
leur compiosition ; de plus, ils devront indi-
quer les matières emplovées.
Les envois devront parvenir à « la Librairie
centrale des Beaux-Arts, i3, rue La Fayette,
Paris », avant le 25 mars, dernier délai; ils por-
teront une devise ou un signe répété sur une
enveloppe cachetée, mentionnant en outre la
nature du concours. Le nom et l'adresse des
concurrents seront placés intérieurement.
Trois prix seront décernés:
1° Un prix de soixante-quinze francs;
2" Un prix de trente francs;
3° Un prix de vingt francs.
Les résultats de ce concours paraîtront dans
la Revue du mois d'avril.
CHRONIQUE
Nous avons eu, le mois dernier, à la i;alerie
des Artistes Modernes, 19, rue Cauniar-
tin, une intércssanie exposition d'art
décoratif.
Cinq artistes s'étaient groupés pour présen-
ter leurs œuvres au public. C'étaient MM. Au-
bert, Charpentier, Dampt, Nocq et Plumet.
De M. Aubert, des étoffes imprimées ou
tissées, très intéressantes, mais un peu raides
et sèches, souvent.
M. Charpentier ne nous présentait pas grand'
chose de bien nouveau. Ses serrures, quoiqLie
d'un sentiment décoratif un peu discutable, et
ses plaquettes sont pourtant toujours de fort
agréables choses à regarder.
De M. Dampt, une bibliothèque dans la-
quelle certaines lignes obliques font craindre
pour la stabilité du meuble.
M. Nocq nous montrait divers bijoux dont
certains intéressants et un miroir à main, en
argent, qui empruntait fort heureusement son
motif à la fable de Narcisse.
L'envoi le plus intéressant était certes celui
de M. Plumet. Cet artiste nous montrait des
meubles d'une forme heureuse et nouvelle,
d'une tonalité claire et harmonieuse. Des pho-
tographies de décorations intérieures complé-
taient cet envoi, sur lequel nous aurons du
reste à revenir d'une façon plus détaillée et
plus complète.
Dernièrement, s'est réunie à l'Hôtel de Ville
la commission de décoration de ce monument.
Il a été fait choix de six artistes devant
prendre part au concours restreint, ouvert
pour la décoration du plafond de la biblio-
thèque.
Ont été choisis : MM. Baschet, Carrière,
R. Collin, Elliot, Lerolle et Prouvé.
L'Union Centrale des Arts Décoratifs vient
d'organiser une série de conférences qui seront
faites, ?, place des Vosges, pendant les mois de
février, mars, avril.
\'oici les dates des conférences et les noms
des conférenciers, avec les sujets traités par
eux :
Le 14 février : de l'emploi de la céramique
dans l'architecture et de la céramique artis-
tique, par M. G. Larroumet. Le 19 : de la dé-
coration du tissu et du papier, par M. Edme
Conty. Le 28 : de la décoration dans l'ameu-
blement, par M. Molinier. Le 7 mars: du
vitrail, par M. Edouard Didron. Le 21 : de la
broderie d'or, par \L Noirot-Biais. Le 28: de
la décoration du Livre, par M . Gonse. Le
7 avril : de la décoration dans les monuments
grecs, par M. Lucien Magne. Le i 1 avril : de
l'art nouveau, par M. Eugène Grasset.
Voilà certes des noms et des sujets bien faits
pour exciter l'intérêt du public. Il serait à dé-
sirer que cet exemple fut suivi, et que des con-
férences, ainsi faites par des hommes de talent,
vinssent nous initier aux questions si intéres-
santes de l'art décoratif.
De son côté, le journal Y Eclair ouvre un
concours pour une atïiche. Le programme en
est trop long pour que nous puissions le re-
produire ici. Nous allons en indiquer seule-
ment les grandes lignes. Ce concours se fera à
deux degrés ; les maquettes devront être en-
voyées à la direction du journal avant le 28 fé-
vrier et exécutées au quart de la dimen-
sion définitive, soit 40 x ôo centimètres.
On aura à se préoccuper d'un texte compre-
nant ces mots : 5 centimes. l'Eclair, journal
politique indépendant. Le mot Eclair en go-
thique. — Le jurv désignera dix concurrents
devant prendre part au concours définitif. Pour
celui-ci, le dessin devra mesurer S4X 122 cen-
timètres et n'exiger que cinq impressions.
De plus, un calque à la plume leur sera de-
mandé.
Les dessins devront être livrés avant le
10 avril. Il sera distribué comme prix: i" prix:
i.ooo francs ; 2'" prix: 5oo francs; plus, des in-
demnités de 100 francs pour les artistes n'avant
pas obtenu de prix.
Le jurv sera composé de douze membres,
nommés par moitié par le journal et les ar-
tistes.
A la fin de février, s'ouvrira, à la maison
d'Art de Bruxelles, l'exposition de la Libre
Esthétique. L. V.
Imp. de Vaugirartl. G. de .Malherbe & Ce, i52, rue de Vaugirard. Paris.
EMILE LÉVV, liditeur-gércmt.
Panneau
Cuir ciselé et repousse.
Art et Décoration
$$
QUELQUES ŒUVRES DE VICTOR PROUVÉ
i:s vieillards qui vécurent
les yeux fixés sur leur
rêve des jours fiévreux
.et magnifiques dans
'exaltation de la pensée
ou renivrement de Tac-
lion, s'aperçoivent un
jour que les chambres
sont nues et les murs
tristes où leur vie s'est
écoulée. Cette heure
de clairvovance et de repentir a-t-elle sonné
pour notre siècle ? A considérer la voie nou-
velle où s'engage depuis quelques années
noire art décoratif, l'espoir nous en est permis.
L'élite croit chaque jour des novateurs hardis
qui se font, comme au moyen âge, ouvriers et
artisans. L'imbécile division des arts aristo-
cratiques et des arts de roture tend à dispa-
raître et l'artiste peut désormais sans déchoir,
ciseler un vase, gaufrer un
cuir ou sertir des pierres
fines, manier le burin, la
gouge ou le brunissoir :
Victor Prouvé fut l'un de
ces avant-coureurs et de
ces héraults.
En iSg'-!, à la vitrine
d'un papetier nancéen, le
peintre exposa en collabo-
ration avec Camille Mar-
tin, des reliures d'une
technique nouvelle, dont
le principe était la mu-
sai*que de cuirs teintés,
gaufrés et pyrogravés.
L'apprenti s'afhrmait du
coup technicien subtil,
rompu aux finesses de la
matière — et poète. La
reliure qui décorait les
Symbolistes d'Albert Au-
rier était une symphonie
en deux tons, blanc et noir.
funèbres, une fumée de ténèbres, de longs
fûts de cyprès mortuaires, dressant leur deuil, et
dans l'écartement des nues, parmi les troncs de
cendre, un lac mélancolique que cerne une
montagne obscure. Mais voici les clartés
triomphantes. Des taches vives trou-ent l'ombre
épaisse : cvgne qui vogue, les ailes éployées
comme des étendards, mirant dans l'eau son
col de neige ; buisson touti'u de Ivs fleuris,
dressés comme un bouquet de cierges imma-
culés; vol de colombes, les plumes effarou-
chées, blanche avalanche qui traverse le ciel ;
pic vierge, aiguille de neige dom les micas
scintillent sous leur fourrure de nuages.
Le dessin très serré, très vigoureux, simplifie
les tV)rmes, abrège les détails du mouvement,
le rvthme seul est indiqué. Mais cette sim-
plicité est éloquente. Les lignes vibrent,
palpitantes d'idée, fléchissantes d'émotion,
et l'un sent, sous chaque trait, le frémis-
L'ombre et la lumière y luttent leur vieux sem
touchons ici à l'essentielle originalité d
combat. Dans un cadre fantastique de nuages
Les Symbolistes. (Rchurc-i
ent d'un cerveau. Prenons-y garde. Nous
ici à
Art et Dccoratioii
Prouvé. Ce souci inquiet de l'idée, cette vn-
lonté formelle d'animer la matière et de lui
souffler une beauté intelleciuelle lui sont pro-
pres. L'élégance pratique n'est pas l'unique
idéal qu'il poursuit et parce qu'il est plus
qu'un décorateur, parce que, prodigue d'idées
et d'images nouvelles, il n'est point, comme
tant d'autres, stérilisé par des procédés d'école
et des 'routines liturgiques, il stimule les lignes,
réveille les formes assoupies, ressuscite un art
en léthargie. Ainsi faisaient les artisans go-
thiques, aussi robustes croyants qu'habiles
praticiens. Penser une ligne demeure toujours
le plus sur moven de la faire éloquente et
belle. Dans toute l'œuvre de Prouvé nous re-
trouverons ce caractère. La décoration d'un
livre n'est pas pour lui l'illustration banale, le
dessin littéraire précisant le texte : les mots
n'ont besoin d'aucune explication plastique.
Ce qu'il faut au seuil du livre, c'est le
phant. Des lignes cl des nuances, une émotion
nouvelle alors jaillira, d'un charme parallèle
qui ne sera <> ni toiu à lait la même, ni
tout à fait une atitre ». l'rouvé n'illustre
pas. il évoqtie.
Tout le Japon tient sur l'étroite couverture
de y Art Japonais de Gonse. Debout, sous un
pécher, vcjici la lemiuc aux gestes menus,
la poupée câline et chantante, que gardent
comme un bibelot fragile les Samouraïs dans
leurs maisons de laque et d'osier. Sous le
kirimon de soie [mauve, broché de feuilles, le
corps frêle et fin transparait. Le bras nu, ac-
coudé, berce l'éventail bleu. Sur le nimbe des
pétales roses, la chevelure d'ébène s'incise,
sombre et profonde. Là-bas, parmi les bran-
ches, miroite la rivière en fête : des jonques
fuient au fil de l'eau, fleuries de femmes parées
et qui chantent. Des lanternes tapageuses
dansent au bout des perches: une fusée s'épar-
SaLiimiibô. ( Reliure. I
visage de l'd'uvre, sa couleur, flambo\'anie
ou voilée, son parfum mièvre ou triom-
pille en poussière d'étoiles et le Fusi-Hama
dresse sur l'horizon sa face de vieillard indul-
Victor Prouve
}
gent aux t'uIiL's humaines. Kmrc les nerts du
livre, des masques rieanent.
D'autres reliures suivirent, et dans toutes
une idée ravonnait, domina-
triee de la forme : VArt iic-
coratif d'Arsène Alexandre,
curieuse svnthèse des courbes
éternelles, femme, oiseau,
arbre ou vasque, de grâce
inépuisable, que la nature
otfre au décorateur : — VEs-
tampc originale : une presse
en taille douce, ses leviers en
croix, comme de gigantesques
ailes de moulin, couvre le
revêtement, simplement dé-
coré de feuilles de platanes et
de courges ; — les Sym-
phonies de Beethoven : dans
un étang se mire une femme
pensive, et ses tresses se
nouent dans l'eau aux tresses
de la face infléchie. Aux eaux
profondes des svmphonies.
que de tristesses déjà se sont
mirées et reconnues !
Une reliure étrange illus-
trait les .4i't'«^/t'i"! de Mœterlinck, imprécise et
troublante comme le drame : profils d'arbres
fantomatiques, silhouettes inquiétantes de
sapins chevelus, broussailles et ténèbres, où
des étoiles clignotent, lointaines, et qui va-
cillent comme des yeux sous des paupières.
Des reliures d'albums évoquaient au contraire
des visions de soleil, de vergers empourprés,
de cerises sanglantes et de femmes rieuses.
Enfin dans Salammbô le Zaïmph éblouissant,
constellé d'arabesques, d'étoiles et de pierreries,
enrobe le livre de ses plis étalés, s'agrafant
aux nerfs du dos. Sous la transparence de
l'étoffe, le corps s'ébauche de Tanit, la déesse
mystérieuse. Voici Moloch, le dieu dévorateur,
et voici Salammbô. Devant les cassolettes fu-
mantes, la vierge est debout, torse cambré,
tète renversée, chevelure au vent, « sa cheve-
lure poudrée de sable violet». Le serpent fati-
dique s'enroule autour du corps, et la bouche
de la femme et la gueule de la béte s'unissent
en un baiser frigide et monstrueux.
II
Les épopées héroïques de vie intense et ma-
gnifique tentaient Prouvé. Leconte de Lisle et
ses Pocnics harharcs le fascinaient. Ma's
à ce cerveau bouillonnant, lu reliure de-
venait un champ trop bref : l'espace nian-
L'cstainirc ungiiulc. Reliure. i
quait pour dire la marée d'images que soule-
vait en lui le poème écrit ; à sa verve débor-
dante il fallait l'ampleur du bronze. Le livre
se doubla d'un pupitre triomphal et l'hom-
mage se haussa jusqu'à l'apothéose. Un sapin
courbé par la tempête, battant l'air de ses bras
fous, dessine l'ossature du meuble. D'un hallier
une femme surgit, chasseresse alerte et musclée,
les yeux fauves, tendus vers une proie, d'une
main rejetant sa chevelure emmêlée et crispant
son poing droit aux crins rudes d'un loup qui
l'entraîne. Dans les hautes herbes d'une jungle,
parmi des lianes, des joncs, des débris d'idoles
hindoues, un tigre rode, et, dominant la femme,
l'arbre et les fauves, par dessus la tempête et
les nuases zébrés d'éclairs, ses larges ailes
étendues, le condor plane.
Dans ce fracas, le livre repose sous son ar-
mure de métal rigide. Les plats, vêtus de plaques
de cuivre repoussé, évoquent des formes d'oi-
seaux, d'hommes et de bêtes, qu'on dirait em-
pruntées à des cuirasses gauloises ou Scandi-
naves. Les chasses du livre et le fermail sont
armés de bronze ouvragé. Sur le cuir, d'un
bleu mat, vision évocatrice d'incendies et de
massacres, une fiamme écarlate crépite et flam-
boie. Mais ce que les mots misérables ne
Art et Dccoratioii
peuvent dire, c'est l'impression de force, de la toison nocturne, semée d'étoiles. Un crois-
grâce brutale et de grandeur qui se déijaije
Hotcl de ville de X^iiicy. mars
de l'ieuvre. Devant le brusque clan des corps
lancés, la fougue de l'instinct qui se rue, on
demeure surpris, terrassé. L'àpre grandeur des
palingénésies, le charme obscur des époques
animales, l'amour du sang et la volupté du
carnage, tous les appétits furieux de la béte
humaine débridée sont fixés ici dans leur beauté
farouche : c'est « le rugissement de la vie éter-
nelle ». L'œuvre fut exposée au salon du
Champ de Mars en i8q(3. Elle surprit. La cri-
tique moderne n'a point d'étalon pour ces
œuvres géantes, et l'effort courageux de l'ar-
tiste ne fut compris, mais passionnément, que
de quelques-uns.
Une coupe figurait au salon de i8q3, la Nuit,
œuvre imprévue, originale et de somptueuse
beauté. — Un visage de femme figurant le
Silence, le front hautain, les paupières closes,
la bouche sereine, d'un vol placide, majestueux
et lent, sur les ténèbies glisse. Les traits sont
calmes, d'une gravité surnaturelle, et le masque
paisible évoque le mystère inoubliable de cer-
taines nuits pacifiques et voilées. La chevelure
flotte, soulevée et gonflée par le vent et
s'incurve en carène. Des oiseaux funèbres,
chauves-souris, chats-huants, sont nichés dans
sant de lune et des pavots s'y mêlent harmo-
nieusement. Sous les cheveux, et comme écrasés
par leur ombre, se dressent des groupes allé-
goriques: corps enlacés d'une furieuse étreinte,
agonisants tordus dans un râle, amants cris-
pés, vierge endormie, malades et vicieux, misé-
reux et désespérés, tout un monde grimaçant,
turbulent et dramatique qui dit Féternité de la
douleur humaine. Des faces ricanent, convul-
sées de désirs, des yeux flambent, des mains
s'agitent, tremblantes et mauvaises, un bras
armé jaillit de l'ombre et frappe. Tout ce que
cache l'horreur des ténèbres, la Misère, la Faim
e Viol, l'Assassinat et le Désespoir, tous les
désirs brutaux qui naissent au crépuscule,
toutes les passions de nuit, les tourments et les
lièvres qui mènent l'humanité, s'incarnent en
ce tumulte de corps enchevêtrés. L'Effroi les
guette. Et c'est comme un sanglot tragique et
de souffrance aiguë qui monte vers la voiite
taciturne, fleurie d'astres, et qui s'v brise.
Mais, sans pitié pour l'humanité chétive qui
pleure sous ses lourds cheveux, sourde aux la-
mentations comme aux colères, sur les mains
Jfùtcl de ville de X.iiicy.
JANVIER
qui supplient et sur les poings tendus, sur les
fronts en sueur, sur^ les plaies et sur les larmes,
Victor ProiivJ
coule, impassible et radieuse, la face de si-
lence. Aux plis profonds du manteau vespéral,
les clameurs s'cteii;nent, les plaintes meurent,
les fureurs s'assoupissent. Elle est la mer ma-
gnifique et profonde et l'océan d'oubli où
tous les fleuves de la tristesse humaine \ien-
nent s'évanouir.
Au Salon de i8()4, au Champ de Mars,
Prouvé exposait un coftVet curieux dédié à la
Parure. Droite et nue, une femme la svm-
bolise, le corps souple dressé ner\eusement
sur les pieds tendus, nonchalante et superbe,
elle joue avec sa chevelure dénouée. Les mains
lentes glissent dans la soie fraîche, les bras
s'étirent dans une orgueilleuse détente et sous
le case]ue lourd de la coirte, le profil s'enlève,
tin, dédaigneux, triomphateur. Le geste et le
regard sont d'une impératrice qui sait sa puis-
sance terrible et qu'au moindre appel de ses
lèvres souveraines, des hdmmes s'en iront, au
péril de leur vie, cueillir au fond des océans,
dans les forets de madrépores, la perle qu'Elle
convoite. Aux pieds de la femme, une chi-
Chaque face du coffret est velue d'émaux
cloisonnés qui sont r(eu\re de C. Martin
La Suit.
La Suit. iCoufC.)
mère de bronze, les ailes étalées, étreint dans et l'armature est faite de tiges recourbées
sa gueule une améthyste que cisela Galle. où grimpent et s'enroulent des passiflores.
C///7 c7 'Dccoratioii
Le corps, radieux de force clcgame et de ^ràce.
est d'une ampleur et d'une mai^niticence dans
la coquetterie, qui ne sont ni d'un nmderne ni
d'un classique. Cette vierge, d'impudeur hau-
taine, ce n'est ni la femme d'aujourd'hui ni
l'Aphrodite grecque, c'est plutôt l'Ariémis
farouche des religions primitives.
De cette œuvre de-corative, commencée il v
a quatre ans à peine et déjà abondante, il faut
citer encore les bijoux dont aucun ne fut
exposé et quelques statuettes dont je veux
détacher, pour l'exalter, la fine et délicate
Floramyc, la petite Fille-Fleur qui, jaillie du
calice étrange d'un orchis, les doigts fins unis
sur les lèvres, tend vers quelque Parsifal la
grâce troublante de sa taille flexible, de ses
hanches musicales, de ses seins légers.
III
C'est une Hévre contagieuse que celle du
résolument moderne que celle de Prouvé,
sans nulle tare d'archéologie ni de pastiche,
détonne étrangement. L'éclatante jeiniesse de
l'objet semble exilée. Il faudrait, pour l'en-
cadrer, des murs, des parquets et des plafonds
vêtus de mêmes nuances, des meubles et des
étofl'es appareillées. Par une pente insensible
et fatale, l'artiste est donc conduit à l'étude
dti bois, des tissus, du papier, de tout ce qui
pare de beauté nos chambres t'amiliéres, et
pour loger un vase, il construit une maison.
Ainsi, Prouvé, renouant la tradition brisée
des maîtres espagnols, exposait au dernier
Salon un panneau de cuir ciselé et repoussé
où il tirait de la matière, sans lui donnerpour-
tant le relief du bois ni la patine de la cire, des
etîets ornementaux d'une finesse et d'une in-
tensité inconnues à Cordoue. Dans la ramure
épanouie d'un pommier, une tille, les pau-
pières plissées et rieuses, la bouche humide.
Lj l'Aiiirc. 'Cojrret.l
décor. Dans nos maisons, encombrées comme dans la chair d'un fruit nnu", mord à pleines
des musées d'art rétrospectif, ime coupe aussi dents, voluptueuse. La lace gourmande est
Victor Prouve
encadrée de mèches frisées où des verdures
s'entrelacent. Par dessus l'épaule nue, coule
un rci^ard de malice espiègle
et de joie sensuelle. La
flamme des yeux, l'éclair des
lèvres, les joues pleines,
creusées de fossettes, laissent
une impression d'estivale
splendeur et de chair fraîche.
Ainsi que dans tout l'œu-
vre de Prouvé, la femme se
révèle un être de vii;ueur et
d'équilibre autant que de
çràce. La vie coule en seve'-
chaudes sous la peau fleurie,
la force éclate en gestes dé-
liés, la joie ruisselle. N'y
cherchez pas pourtant les
festins de chair croulante oii
s'égavaient les peintres de
kermesses. La sensualité du
Lorrain est d'une qualité
plus flne que la flamande et
se prête mal au Ivrisme exu-
bérant des formes. Il v a dans sa jovialité
moins d'instinct et plus de raffinement, plus de
malice et d'ironie aussi, et le sourire narquois
s'v mouille parfois de tendresse et de maternité
couveuse. Ce n'est pas le moindre charme de
l'art de Prouvé que d'y trouver, réfléchies, ces
nuances de l'àme lorraine.
De sa peinture décorative, de ses plafonds
ensoleillés, des médaillons vigoureux et rusti-
ques de l'Hôtel de Ville de Nancv ou des fres-
ques d'amour et de sérénité destinées à décorer
l'Hôtel de Ville d'Issy, je ne pourrais parler
sans aborder l'ensemble de son ctuvre pictu-
rale. Une même pensée s'v affirme, dift'érenciée
seulement par les exigences de la décoration, et
c'est dans les tableaux de che\alet comme dans
les peintures murales la même qualité d'art :
ampleur de l'Idée, vigueur expressive du dessin,
intensité de l'émotion toujours fougueuse,
discrète et refoulée, mais indiquée avec force
et d'un geste sobre, comme il sied au Lorrain.
Et pour que cette nomenclature fût cum-
plète, il faudrait dire la beauté sculpturale du
monument de Nancy dédié au président Carnot
par la Lorraine. Au pied de l'olivier dont la
ramure encadre le masque du mort, deux
femmes, la Paix et la Force, s'avancent l'une
vers l'autre. Les mains s'unissent et les visages
échangent de silencieuses promesses. Allégorie
sans doute, mais rafraîchie et vivifiée par un
flot d'émotion si puissant qu'elle en devient
émouvante. Elles proclament, ces images élo-
La Parure. {Cofrct.)
quentes, la joie du travail, la grandeur des
besognes pacifiques et fécondes et l'orgueil de
la Force mise au service de la Justice et de
l'Humanité. Il convenait, sur l'une des places
publiques de la capitale lorraine, devant la
porte de Metz et les plaines soumises, oii se
dressent mal, en trophées attestant la victoire
brutale, ces lions de granit rouge aux griffes san-
glantes, il convenait que ce monument s'élevât,
cri superbe d'une conscience nationale qui,
devant l'injustice accomplie, se cabre encore
i nconsolée; la vigueur de l'idéeet la simplicité des
lignes qui l'expriment la font accessible à tous.
Devant la noblesse des corps et la loyauté
des gestes, des veux s'attendriront et s'ouvri-
ront à la bonté; un éclair de beauté luira dans
les cervelles fumeuses ; des colères, des haines
s'apaiseront; un songe de vie simple, juste et
joveuse enivrera les âmes frustes et stimulera
en elles le goût de la vie.
L'exemple est donc ici éclatant d'un art vrai-
ment populaire, fondé sur une exacte psycho-
logie des foules et capable, par sa simplicité,
d'émouvoir les plus pauvres d'esprit.
Dans cette trop brève revue de quelques
œuvres de Victor Prouvé, j'ai dit l'artiste et le
poète; j'ai négligé, de parti pris, la technique
savante de l'ouvrier. Qu'il sache la matièreet
ses lois, soti degré de résistance ou de sou-
plesse, la finesse du grain et la mesure de ses
8
Art et Décoration
complaisances, la chose éclate aux veux les J'ai préféré louer le principe de Tituvre, j"ai
moins exercés. Dans chaque objet, l'intelli- voulu «.lire l'espoir joyeux qu'on pouvait conce-
gence et l'habileté des doigts de ter et de voir devant les tendances de cet art nouveau
velours se révèlent, la maîtrise s'atiirme et venu de .Moselle, qui d'un élan vigoureux, nous
s'amplifie. Ce qu'il faut dire pourtant, c'est le ramène à la nature, à lu liberté et à la vie, dont
Mitnumcnt Cariuit li .Wiiicy fijgiiifnl,.
D'après le mudèlc en plâtre.
labeur intrépide de l'artisan, qui, justement les géomètres nous a\aient désaccoutumés,
méfiant de la division du travail, la mort de Sur cet art en germination, l'heure n'est pas
l'art, comme les maîtres d'autrefois mène d'une venue de tenter une synthèse. Si certaine et
main volontaire et joyeuse tout son ouvrage, lourde d'épis que soit la moisson future, le
du découpage initial jusqu'à raffinement des critique, aujourd'hui, ne peut qu'exalter les
gaufrures, mouille la peau, la bat, masse, semailles, qu'indiquer au public le geste des
trappe, polii, lamine, repousse, estampe et cisèle semeurs,
lui-même. Gi;orgi:s Dlcrocq.
LE VITRAIL isui,.)
L'exécution d'un vitrail coniporic tnui
d'abord le choix des \crrcs dont les colora-
tions auront été
déterminées d'a-
vance par la ma-
quette du peintre.
C'est donc de cette
maquette que dé-
pend avant tout
l'harmonie des
tons.
11 est absolu-
ment superflu,
piun- un vitrail ou
pour une tapis-
serie, d'exécuter
à grands frais
une peinture qui
i;enerait l'artiste
chartîé de l'exé-
cution, en lui im-
posant une l'ac-
ture inapplicable
au travail de la
laine ou à celui
du verre.
Ce qu'il faut
lui donner, c'est
un dessin d'exé-
cution très précis
pourles contours,
mais laissant une
large part à son
initiative ci ans
DH LEBAVLE. p j ntcrprétat i OU .
Pour le vitrail, il est indispensable que le
peintre ait tenu compte, en dessinant, de la
largeur des plombs qui doivent sertir et
séparer les uns des autres les verres colorés.
Le vitrail, comme toute œuvre décorative,
exige dans l'agencement d'une scène compor-
tant des figures et des fonds de paysage ou
d'architecture, des simplifications de forme et
de modelé qui sont l'une des conditions
essentielles de son etfet. Il ne saurait admet-
tre, en aucun cas, ni la composition, ni l'exé-
cution qui conviennent à un tableau, dont le
but n'est pas de décorer une surface opaque
ou translucide, mais de donner l'illusion d'un
J'Sxcciitioii
morceau de natine, pris d im point de vue
bien choisi et isolé dans un cadre. C'est faute
d'avoir distingué le vitrail du tableau, que les
peintres verriers du xvr- siècle ont déterminé
la décadence et la ruine d'un art cjui avait
brillé en France plus qu'en aucun autre pays.
11 faut donc non seulement que le carton soit
bien composé, mais encore que l'exécutioti
soit faite suivant un sentiment vraiment déco-
raiit et pour une destination spéciale.
Du xu'' au XIV'' siècle, les peintres verriers
ne s'écartaient pas, dans l'exécution, des pro-
cédés sommaires pour le modelé qui sont
indiqués dans le traité de Théophile. Le mo-
delé se réduisait à des demi-teintes, sur les-
quelles le trait est généralement posé à cheval
avec une incrovable dextérité. Mais c'est là un
procédé archaïque qui convient à une inter-
prétation décorative, mais naïve, des figures; et
pareille naïveté np serait pas de mise aujourd'hui.
Carton d'ehrmann.
Exécution de lebaylh.
Les maîtres de la Renaissance, en exaltant
la beauté de la forme, en fixant les lois de
lO
Art et Décoration
l'anatomie et de la perspective, ont imposé à
l'art des obligations nouvelles auxquelles il ne
>
"%
s
^
t^r
\ !
..lù. '.•.--■'
V'itiJli de Saint-Lll GRASSET
peut se soustraire. Sans doute, il sera toujours
indispensable de faire de la figure, de la Hore
ou de la faune une interprétation décorative
appropriée à la technique du vitrail ; mais nous
ne saurions reproduire, sous prétexte de don-
ner du caractère aux: figures, des défauts d'ana-
tomie que justitiait l'ignorance plus encore
que la convention. La naïveté ne se recom-
mence pas.
Il faut donc nous résoudre à modeler très
largement et très simplement nos figures;
mais, pour cela, la connaissance du dessin est
indispensable, et c'est le dessin qui manque
le plus aux artistes exécutants.
Cependant l'exécution sur verre ne com-
porte point de connaissances spéciales. Je ne
connais pas de morceau d'exécution compa-
rable à ceux que M. Lebayle a faits avant son
départ pour la villa Médicis, d'après les car-
tons composés par M . François Ehrmann
pour l'église de Montmorencv et la cathédrale
d'Autun. On peut en juger par les anges des
tympans que j'ai fait reproduire. L'exécution
est souple et spirituelle comme celle des ver-
rières anciennes de Montmorencv que M. Le-
bayle avait alors pour modèles dans l'atelier
d'un peintre verrier habile et consciencieux,
M. Leprévost.
Or, M. l.ebavle n'avait pas fait un long ap-
prentissage de la peinture sur verre; il avait
seulement appris à bien dessiner. Le dessin
d'un vitrail exécuté au pinceau avec la grisaille,
c'est-à-dire l'oxyde de fer parfaitement brové,
ne diffère pas, en somme, du dessin qu'on
exécute au fusain sur une feuille de papier : on,
procède de même par plans, on enlève des lu-
mières à la hampe du pinceau ou à l'aiguille
dans la grisaille, comme on les enlèverait à la
mie de pain dans le fusain, et on se sert du
blaireau comme d'un tortillon pour unifier une
teinte. Il n'y a donc là ni procédé particulier,
ni secret du métier, et cependant les bons exé-
cutants sont si rares que c'est presque toujours
par l'exécution que sont en défaut les verrières
modernes. Malheureusement, il n'existe point
d'école où puissent se former d'habiles prati-
ciens par l'exécution de morceaux sous la di-
rection d'un maitre. D'ailleurs, le peintre devrait
lui-même s'habituer à exécuter les morceaux les.
plus importants de sa composition, comme-
faisaient jadis un
Engrandle Prince
ou un Robert Pi-
naigrier. A une
époque comme la
notre, où la per-
sonnalité du pein-
tre s'affirme dans
ses œuvres, on
ne s'explique pas
qu'unartistechar-
gé de composer
un vitrail n'ait pas
le souci de le
parfaire en lui
donnant sa forme
définitive.
Il semble que
pour pare r à
l'insuffisance de
l'exécution , on
ait compté sur le
perfectionnement
de la fabrication
industrielle du
verre, et le peintre
verrier Oudinot,
qui fit, en collabo-
ration avec M.Luc
Olivier Merson,
pour M.Vanderbilt, la délicieuse verrière dont le
carton est conservé au musée du Luxembourg, .
Kxixiitiun
DE LEBAYLE
Le Vitrail
II
nous rapporta d'Amérique, comme le produit au xir- siècle pour les catlie'drales de Chàlons,
le plus merveilleux, le verre américain. de Chartres, du Mans, d'Antrers ou de Poi-
C'est un verre coulé, à la
surface rugueuse, nuancé
dans la pâte, d'aspect cha-
toyant, mais changeant sou-
vent de couleur au feu : or
il est indispensable, pour
l'adhérence de la grisaille
au verre, cjue les pièces
soient passées au four à une
température assez élevée.
Mais le verre coulé a un
défaut beaucoup plus grave :
la rugosité même de sa sur-
face, résultant du mode de
fabrication, y facilitera avec
le temps le dépôt des pous-
sières et des végétations
parasites qui détermineront
la dévitrification, et par con-
séquent l'opacité du verre.
Je suis convaincu qu'en
moins d'un siècle, les verres
américains exposés aux in-
tempéries seront absolu m eut
opaques.
L'engouement pour ces
verres nuancés de prove-
nance étrangère est d'autant
moins explicable, que ces
nuances peuvent être obte-
nues sans difficulté par nos
Terriers dans des verres fa-
briqués par les procédés
ordinaires. Nous trouvons
continuellement, dans nos
verrières anciennes , des
morceaux nuancés dans la
masse, sans doute à l'aide
de fils ou de gouttelettes
de verre coloré superpo-
sés à la (' parai son i, au
moment du soufflage, et
incorporés ainsi à la masse
vitreuse. Les verriers de Clichy, MM. Appert, tiers, si la fabrication du verre n'avait été à
ne seraient pas, j'en suis sûr, embarrassés cette époque l'objet de soins particuliers? .l'ai
de nous fournir des verres nuancés aussi tenu en mains, lors d'une remise en plomb, des
brillants et plus durables que les verres amé- morceaux de verre bleu et rouge du gi'and
ricains. vitrail de la Passion de Poitiers: leur surface
Il faut songer que la durée d'une leuvre n'avait subi, depuis sept cents ans, aucunealté-
dépend pour une large part des matériaux et ration. N'est-il pas merveilleux de songer que,
de leur mode d'emploi. Aurions-nous encore grâce à l'excellente technique des verriers
les magnifiques verrières qui furent faites français, des œuvres d'art, fragiles en appa-
Vitrail des AlciioJis, à MiiiilDiinciicy.
V. EHKMANN
12
Art et Décoration
rence, nous aient cté conservées intactes et de Chartres, ont leur surface criblée de petits
aussi éclatantes de couleur qu'au moment de trous, qui nuisent à la transparence au 'point
leur mise en place ? de rendre les sujets presque incompréhensi-
Les travaux très intéressants de MM. Appert blés. Il faut évitercela à tout prix pour une déco-
sur la déviiritication font suffisamment con- ration translucide, et c'est pour ce motif que.
Henri de Muiitiitoieiiev. Louise de Budos.
F. EHRMANN.
naître les conséquences 'qui peuvent résulter, tout en admirant les nuances des verres ame
pour la durée d'une œuvre, des procédés mêmes ricains. leur chatoiement de pierres précieuses,
de fabrication. 11 est certain que des vitraux,
relativement récents, ont beaucoup plus souf-
fert des intempéries, des vét;étations parasites
entretenues'par l'humidité, que les vitraux du
xn° siècle. Certains vitraux anciens, à l'église de
Vendôme et dans les bas-cùtés de la cathédrale
:rois qu'il serait imprudent de les employer-
pour de grandes verrières expoéess aux intem-
péries.
L'exécution d'une verriè-re doit toujours être
précédée d'un montage provisoire des frag-
ments de verres colorés, afin que l'artiste puisse
Le Vitrail
13
o
14
Art et Décoration
se rendre compte de l'effet et au besoin remé-
dier par des Vhani;ements partiels au défaut
d'harmonie qui pourrait résulter de la juxtapo-
sition des tons. Ce montage est le plus sou-
vent fait en plombs étroits, atin que les traits
et [modelés de^grisaille puissent atteindre les
contours du verre. On sait que l'adhérence de
la grisaille au verre est obtenue par le passage
au four[des morceaux une fois peints. Le mon-
tage définitif des panneaux est fait en plombs
assez épais pour [former après soudure un
réseau très résistant
i
Xi
et assez larges pour
que les bords soient
bien recouverts. Les
panneaux, pour con-
server leur résistance
et leur élasticité, ne
doivent guère dé-
passer la dimension
de r mètre en largeur
et de on'Go à o"'8o
en hauteur: encore
taut-il que de petites
tringlettes de fer re-
liées au panneau par
des ligatures de
plomb soudées l'em-
pêchent de se défor-
mer sous l'action du
vent.
Dans les verrières
du xn'siècle. les pan-
neaux suivent les di-
visions d'une arma-
ture en fer étudiée,
comme on le voit
sur le vitrail de la
Passion de Poitiers, pour correspondre aux
divisions principales du sujet. Plus tard,
lorsque l'architecture française admit l'évide-
ment des murs entre les piliers portant les
voûtes, il fallut diviser les grandes claires-
voies par des meneaux de pierre qui limitèrent
la composition aux divisions des meneaux. Dès
lors, les panneaux retenus latéralement dans les
feuillures des meneaux sont assujettis à la base
et au sommet contre des barres de fer horizon-
tales, à l'aide de clavettes traversant lesépaule-
menis de ces barres. Presque toujours, l'une
d'elles, formant " chainièrc », traverse les
meneaux à hauteur du joint de naissance des
arcs, afin de raidir et de consolider les remplis-
sages de la claire-voie.
I.a Tdiir ficiids i,'-"'^''-
-h-
Ces méthodes d'exécution applicables aux
verrières des édifices publics n'ont point varié
depuis l'origine de l'art. Elles ont été em-
plovées très habilement pour les vitraux neufs
de l'église de Montmorency, dont M. Ehrmann
a dessiné les cartons et dont l'exécution a été
confiée, pour les verrières du sud à M, Lepré-
vost, pour les verrières du nord à MM. Delon
et Loubens. Ces verrières modernes continuant
la série historique des vitraux du xvT siècle ont
des qualités décoratives identiques, qu'elles
doivent à l'emploi
' ^ des verres colorés en
masse, à l'exclu-
sion des émaux.
La composition de
\- e r r i è r e s neuves
pour un édifice an-
'j»- cien n'exige, à mon
avis, d'autre obliga-
tion que le respect
de l'ordonnance gé-
_. _- nérale primitivement
'^•^ ' < adoptée et de l'é-
> ^ chelle des figures.
i C'est d'ailleurs une
' condition essentielle
' i
\ pour toute œuvre
d'art faisant partie
d'un ensemble déco-
ratif. Elle a été par-
faitement remplie à
Montmorencv par
M. Ehrmann. qui a
j su faire œuvre mo-
■ derns et originale,
L.-o. MERsos alors même qu'il
complétait par deux
figures nouvelles, sainte Marie-Salomé et
sainte Marie - Madeleine, le vitrail ancien
des « Alérions ».
.le retrouve les mêmes qualités dans les ver-
rières exécutées par AL Caroi sur les cartons de
M. Besnard pour la salle des actes de l'Ecole
de Pharmacie. Les colorations sont puissantes,
l'exécution large et l'effet excellent.
Même pour les vitraux d'appartement qui
sont généralement de petite dimension et desti-
nés à être vus de près, c'est encore la mise en
plomb, affirmant le dessin des figures qui donne
la meilleure disposition décorative. On en a la
preuve dans les délicieuses fantaisies de M. Oli-
vier Merson, « Sur le Pont d'Avignon » et « La
Tour prends garde >•. La comparaison entre les
Le Vitrail
M
gravures exccutccs, l'une d'après le vitrail liii-
mème, l'autre d'après le dessin du peintre,
prouve sut'tisainment que la mise en phiinh,
loin de nuire au dessin, ne tait qu'aiouter à la
clarté et à la finesse de la composition.
On a sou-
V e n t p r é f é r é
pourles vitraux
d'appartement
la grisaille re-
haussée de
jaune aux dé-
corations polv-
chromes. C'est
ainsi qu'avait
été exécutée la
belle suite de
Psyché trans-
portée d'Ecouen
au château de
Chantilly. J'ai
souvenir d'a-
voir vu et beau-
coup admiré
jadis, chez M.
Bardon, pein-
tre verrier, des
médaillons
exquis, exécu-
tés ainsi en gri-
saille et jaune,
sur les dessins
de M. Merson,
etreprésentant,
je crois, des
scènes tirées de
Rabelais.
Parfoisaussi
on a employé
pour les haies
d'appartement,
surtout en
Suisse, au mi-
lieu du xvi'- siè-
cle, au temps
des Tobias Stimmer ou des Lindmever, des
vitraux émaillés, le plus souvent décorés d'ar-
moiries ou de scènes de genre, et qui ont
conservé le nom de vitraux suisses. C'est pour
ces œuvres de getire que doit être, selon moi,
réservél'emploi de l'émail, etj'endirais volon-
tiers autant du verre américain. 11 est évident
qu'une fenêtre à dimensions réduites et dont
l'entretien est facile, peut être décorée à l'aide
Sur le finit d'Ayii^iiiiii.
de matières plus oti moins fragiles, plus ou
moins opaques, qui ne sauraient convenir à
des baies d'édifices publics, exposées à toutes
les injures du temps. D'ailleurs, une déco-
ration monumentale e\ige une composition
claire à | con-
tours '[^.définis,
qu\ puisse être
visible à dis-
tance et ne sau-
rait admettre
les formes indé-
cises d'émaux
colorés, mélan-
gés sur leurs
bords par la
fusion et in-
suffisamment
translucides.
Une autre
application dé-
corative du vi-
trail fut ima-
ginée, dès le
XII'' siècle, lors-
que la règle de
Citeaux inter-
dit, c o m m e
contraire à
l'austérité delà
vie religieuse,
les scènes colo-
rées des verriè-
res. L'artiste
sut alors, à l'ai-
de des plombs,
former par l'ai -
t e r n a n c e d e
lignes droites
ou courbes, un
réseau d'entre-
lacs enchâs-
sant des frag-
ments de terre
iticoloreet réa-
simple et très
L.-(». .VÏhKSOS.
lisa ainsi une décoration très
satisfaisante.
Ce système est parfaitement applicable au
garnissage de fenêtres éclairant des pièces
d'habitation où il est nécessaire de laisser péné-
trer la lumière blanche, pour ne point fausser
les colorations de fresques, de mosaïques ou
de tapisseries. .l'ai eu l'occasion d'en faire
l'essai dans deux hôtels construits à Paris,
10
An et Di'coration
avenue de Villiers et avenue Henri-Martin. dant de l'hospice de Saint-IUide, dans le Cantal.
Ces entrelacs de plomb et de verre incolore Le vitrail a encore d'autres ressources. Au
durent, sans doute, sug^jérer l'idée de décora- xii^' et au .\iv« siècle, on a su très habilement
lions linéaires plus compliquées, dont lesdivi- associer les sujets colorés aux grisailles, en
ipons étaient accusées par des filets ou des établissant ces sujets par bandes de couleur
soints de verre coloré, et dont les vides étaient brochant sur fonds incolores; et ces fonds d'as-
remplis par d'élégants dessins de feuillages
exécutés en grisaille. Vos cathédrales de Chà-
pect nacré, chargés de dessins en grisaille
que séparent des filets de couleur, s'harmo-
nisent avec les sujets. Les
plus beaux exemples de ce
mode de décoration sont à la
cathédrale de Chàlons et à
l'église Saint- Urbain de
Troves. Je ne voispas pour-
quoi on n'essaierait pas de
nos jours d'en faire l'applica-
tion ; il Q&\ telle circonstance
où celle ilhernance des sujets
colorés et des grisailles
pourrait donner les résultats
les meilleurs. Il n'est pas in-
dispensable d'avoir recours
à la figure pour faire œuvre
décorative, et je préférerai
toujours une grisaille d'un
joli dessin approprié au mo-
nument, voire même une
mise en plombs de verres in-
colores, aux prétendus vi-
traux que l'industrie livre à
bon compte aux curés de
campagne et qui déshono-
rent toutes nos églises.
En résumé, si nous n'a-
vons pas en France ce qu'on
pourrait appeler une école
de peintres verriers, nous
avons au moins quelques
peintres capables de compo-
ser d'excellents cartons de
verrières. Si les exécutants
Ions, de Chartres, du Mans, de Po'itiers, d'An- expérimentés sont encore trop rares, l'apprcn-
gers, possèdent encore des témoins de ces tissageestassez simple pourqu'unpeintrehabile
décorations, dont la valeur artistique cstincon- devienne rapidement un bon exécutant. Quant
testable. L'exécution d'une verrière colorée aux verres, colorés en masse ou plaqués, point
comportant des figures entraine nécessaire- n'est besoin de les demander à l'étranger,
ment une dépense importante et ne saurait être puisque l'industrie française peut nous fournir
Carton dk
Kxùcutiiin DE t
réalisée convenablement avec des ressources
insuffisantes. La grisaille fournit à l'artiste le
moyen de satisfaire à peu de frais aux né-
cessités d'un décor monumental. C'est ainsi
que j'ai pu garnir de verrières décoratives,
sans représentations figurées, les baies de
l'église neuve d'Hrmont et delà chapelle dépen-
toutes les nuances, et réaliser tous les progrès.
Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'un vitrail
est une œuvre d'art et non d'industrie; qu'elle
exige du peintre qui fait le carton, aussi bien
que de celui qui l'exécute, un talent profession-
nel, qu'il faut rémunérer ce talent, et qu'on ne
fait pas d'art au rabais. Lucien Magne.
L'ART DÉCORATIF EN BELGIQUE
¥¥¥
LA KKXAISSAXCE .\ÉO-FLAMA.\DE. - LE NOUVEAU BRUXELLES, LE BOURGMESTRE BULS
LA RÉNOVATION DE L ENSEIGNEMENT ARTISTIQUE
ET LE STATUAIRE VAN DER STAPPEN
LES BRODERIES APPLIQUÉES D' ISIDORE DE RU DDE R
les
N voyage en Belgique,
à l'heure actuelle, est
un charme. La pros-
périté croissante du
pays, Textension de
son commerce, le
développement de
sa grande industrie
ont réveillé son art
et donné à son ar-
chitecture un essor
résultats, partout, sont
enchantaient parce que, repeintes à neuf tous
les ans, elles reprenaient tous les ans leur jeu-
nouveau dont
frappants.
Les travaux d'édilité entrepris dans la capi-
tale et dans les grands centres comme Anvers
ont été complétés par des ensembles de cons-
tructions gais et clairs où revivent, moderni-
sés, les principes si longtemps délaissés de la
vieille architecture flamande. A Bruxelles, sur-
tout, les quartiers neufs se sont peuplés d'une
multitude d'hôtels exécutés avec les matériaux
du pays, naguère encore dédaignés. La pierre
bleue et la brique s'y marient, en harmonieux
et doux assemblages, dans des façades qui ont
du mouvement et du style, — et le stvie qui
convient à la race.
Pour des esprits altérés de nouveautés, cette
renaissance néo-flamande n'est pas le rêve. Ce
n'est pas une renaissance, à vrai dire, car elle
tire son principal intérêt du pastiche ; mais s'il
se dessine aujourd'hui, en Belgique, un mou-
vement franchement original, sans racines
aucunes dans le passé, c'est à ce retour au
passé qu'il est dû.
Quand on revoit, dans les vieux quartiers, ces
façades banales où le travail du maçon dispa-
raît sous un enduit de plâtre peint en blanc, où
les fenêtres, sur la muraille plate et nue,
découpent géométriquement leurs rectangles
qu'aucun ornement ne relève, qu'aucune mou-
lure n'encadre, on se rend compte du chemin
parcouru.
Pour faire entrer dans leurs vues, peu à peu,
une clientèle éprise d'un étroit idéal de pro-
Dreté bourgeoise et que ces indigentes façades
Maison de M. Windcrs, à Anvers.
nesse, que d'obstacles il a fallu surmonter aux
apôtres du style néo-flamand! Quels assauts ils
3
i8
Art et Di'coration
ont dû subir ! Aussi, l'art nouveau leurîdoit-il
une reconnaissance sans bornes. Non-seule-
ment ils ont recréé, en se rés^Iant sur les
Applique. (Bronze.)
DE RUDDER
inodèles anciens, une architecture de stvle,
comme Fa fait dans sa maison d'Anvers, dont
nous reproduisons la façade, le précurseur du
mouvement néo-flamand, M. Winders, mais en
travaillant à remettre en honneur Tart ancien,
c'est pour l'art nouveau qu'ils ont travaillé plus
encore. En ramenant les jeunes à l'étude des
modèles les plus parfaits d'autrefois, ils ont
ramené dans l'architecture privée le sens dis-
paru des belles lignes, ils y ont ravivé le souci
du pittoresque et le sens oblitéré de la couleur.
Grâce à eux, la Belgique s'inquiète tout
entière d'égaver même les constructions utili-
taires d'une note d'an, ci d'une note d'art qui
ne doit rien à l'antique.
Des hommes éminents, d'ailleurs, v ont aidé.
Nul n'a plus fait, à Bruxelles, que le
bourgmestre Buis pour développer chez
ses concitoyens le goût du beau. Il a réor-
ganisé l'enseignement artistique, exalté par
des concours de façades l'amour-propre
et le talent des bâtisseurs et rendu à la
vieille cité brabançonne tout son lustre par
sa restauration méthodiquement entre-
prise, continuée avec une persévérance
inlassable, des constructions anciennes qui
bordent la Grand'place.
Pour mener à bien cette tâche lourde,
nul n'était mieux qualifié. Il s'y était pré-
paré de longue main par l'étude des mul-
tiples questions que doit résoudre celui
qui se préoccupe de la transformation et
de l'embellissement des grands centres.
L'opuscule où il a résumé ses idées sur
ÏEstlu'tiqiie des villes est à lire, et nos
conseillers municipaux v trouveraient,
s'ils daignaient le consulter, d'utiles in-
dications et des observations point banales.
11 n'a pu terminer, jusqu'ici, qu'une
partie encore de sa tache. Aux larges per-
cées qu'il a faites vont s'en ajouter nombre
d'autres et les grands travaux qu'il prévoit
ne seront pas de sitôt terminés, mais la
Grand'place aura repris, d'ici peu, sa phy-
sionomie curieuse d'autrefois et la restau-
ration de l'Hôtel de Ville est chose faite.
Tout ce que le temps avait épargné de
tapisseries, de boiseries ouvragées, de
peintures, a repris sa place aux murailles
et, sous sa direction, la main des artistes
modernes a heureusement et majestueuse-
ment complété l'œuvre des anciens Bruxel-
lois.
Dans l'œuvre entreprise, des concours de
tout ordre l'ont secondé. Pour la réorganisa-
tion de l'enseignement artistique, il a trouvé
dans l'éminent statuaire 'Van der Stappen, sur
l'œuvre duquel nous reviendrons, un auxiliaire
clairvovant, actif, plein d'idées, dont l'influence
s'est traduite, à l'Académie des Beaux-Arts où
se forme la jeunesse artistique, par un rema-
niement complet des programmes.
Pour 'Van der Stappen, l'art est un, et toutes
les formes d'art, solidaires les unes des autres,
se pénètrent et se rendent des services réci-
proques. Il est donc indispensable que l'ini-
tiation artistique ne se borne pas, pour le
i
L'Art Dec or at if en Bcli^ujuc
19
sculpteur, pour le peintre, au 'mo-
delage seulement de la tii;ure. Il
importe que le premier sache tra-
cer un pur dessin d'ornement et
que le second ne soit pas incapable
de déterminer le profil d'une mou-
lure ou de modeler un simple rin-
ceau. L'ornemaniste devra, de son
coté, apprendre à exécuter une
figure, car la figure n'est pas exclue
de l'ornement : elle le relève, au
contraire, d'une grâce propre, elle
lui donne du corps, elle permet
enfin à l'artiste d'en varier à l'intini
la formule.
L'éducation artistique devra donc
débuter, pour le peintre, l'ornema-
niste, le sculpteur, par un pro-
gramme d'études identique;, et les
éléments d'architecture doivent
jouer dans ce programme commun
le grand rôle. C'est l'architecture,
en effet, qui est l'art maître, et l'ar-
chitecte n'a pas seulement pour mis-
sion de construire les édifices, mais
de déterminer les conditions aux-
quelles doivent s'astreindre tous les
artistes qui concourent avec lui
à la décoration d'un ensemble.
Il leur apprend la loi des pro-
portions, cette loi essentielle trop
violée. En leur communiquant les
principes de son art, il les instruit
à tirer des modèles que leur four-
nit, sans jamais se lasser, la nature,
le parti le seul logique, le plus
fécond et le plus heureux par là
même.
En même temps qu'il a fait
triompher ces idées dans le nouveau
programme d'enseignement élaboré
par le Conseil de l'Ecole, Van
der Stappen a prêché d'exemple
dans son œuvre. Sans abdiquer
quoi que ce soit de son originalité,
il s'est soumis le premier à ces lois
dont il exige avec tant de justesse
des artistes l'étude préalable, et ses
compositions décoratives v ont ga-
gné une largeur d'accent, une no-
blesse qui le classent au premier
rang de nos contemporains. Il faut
voir, à l'Hôtel de Ville, son Saint
Michel de bronze et le surtout de
20
Art et Décoration
table, en bronze argenté, dans lequel il a
ingénieusement pris pour thème les vieilles
légendes bruxelloises.
Le professeur, en lui, n'est pas moins per-
sonnel que l'artiste. Nous avons eu la bonne
fortune de le voir, à l'Académie des Beaux-
Arts, en face de ses élèves, et nous avons pu
apprécier, avec la sagesse des conseils tech-
niques qu'il prodigue, la façon dont il sait se
plier, dans les indications personnelles qu'il y
ajoute, à la diversité des tempéraments, des
natures. S'aperçoit-il qu'un élève, dans ses
interprétations du modèle vivant, l'a reproduit
à plusieurs reprises dans des proportions supé-
rieures ou inférieures aux dimensions vraies,
il n'insiste pas pour le ramener à une obser-
vation plus exacte de la réalité. Dans cette
erreur de vision il a vu. non pas une erreur à
vrai dire, mais une manifestation de l'instinct
naturel. « Le modèle, dit-il en parlant de ses
disciples, est un morceau de musique qu'ils
transposent. Peu m'importe le ton dans lequel
ils transposent, pourvu que le résultat en soit
juste. »
Revenons à la décoration de l'Hôtel de Ville.
Un de ceux, parmi les artistes vivants, qui
ont témoigné, en collaborant à ce travail, du
sens décoratifle plus fin est le statuaire Isidore
de Ruddcr. La salle gothique où se célèbrent
les mariages a reçu de lui une ornementation
à la fois très moderne, et cependant en parfaite
harmonie avec les fenêtres en ogive qui l'éclai-
rent. avec les solives en bois sculpté de ses
plafonds.
Aux murailles, des appliques de bronze
dirigent sur l'intérieur de la salle des faisceaux
de lumière électrique. La conception, très
simple, est charmante : sur un croissant ren-
versé, dont les cornes s'allongent en fer à
cheval, les lampes Edison sont fixées; des évi-
dements quadrilobés les séparent. Un Saint
Michel aux ailes éployées. terrassant le dragon,
meuble au milieu du croissant l'espace vide.
Casque en tête, au poing l'épée flamboyante.
à la main gauche un écu. le messager céleste
vient de s'abattre sur un démon ailé dont les
griffes acérées se crispent en vain sur lessolerets
de fer de l'archange qui s'apprête à le frapper.
Un édicule gothique à pinacles, dans lequel le
croissant est fixé, relie à la muraille l'appareil.
L'ensemble est de l'effet le plus heureux. Entre
la figure et le motif décoratif qui l'encadre
aucune disparate. Le croissant forme une
auréole à l'archange, et le joli sentiment
L^Ârt Di-coratif en Bc\'oi\jnr
21
Art i't DJcoratioii
archaïque dom la stauieiie du saint est
empreinte, établit un lien logique, rigoureux,
entre elle et le pinacle gothique.
Dans la même salle, sur l'estrade où pren-
nent place les époux, un dais de satin cramoisi
abrite leurs fauteuils. Le dais, à sa partie anté-
rieure, est orné d'un bandeau soutenu par
une tringle de cuivre doré dont les extrémités
se terminent en bras de lumière. De chaque
coté de l'ouverture, deux larges lambrequins
descendent
du bandeau
sur l'estrade.
Lambrequins
e t b a n d e a u
sont ornés de
figures allé-
goriques, en
broderies de
couleur ap-
pliquées, exé-
cutées sur des
cartons de
son mari par
M'"'- de Rud-
der.
C'est la pre-
mière fois
qu'on fait
usage de nos
jours, dans la
grande déco-
ration , des
broderies ap-
pliquées. Ce
ne sera cer-
taine m e n t
pas la der-
nière. Le pro-
cédé a sur
richesse des tons centuplée par le brillant
de la matière. La lumière s'v joue en chaudes
harmonies qui n'excluent ni la délicatesse
ni la grâce. Nous n'avons pu nous procurer
à temps, pour les reproduire dans ce nu-
méro, les photographies des deux figures de
femmes dans lesquelles l'artiste a symbo-
lisé, sur les lambrequins du dais, VAffcctinu
et la Fidélité conjugales. Nous les reprodui-
rons dans le suivant. Mais, ces productions,
fort goûtées, ont été suivies de beaucoup
d'autres, et nous n'avons eu, pour les rempla-
cer, que l'embarras du choix.
Le collège échevinal de Gand a commandé.
Paravent des Parqua.
a tapisserie l'avantage de la
pour son Hôtel de ville, à de Rudder une série
de six figures, la Force, la Prévoyance, la Jus-
tice. ['Floqiieiice. la l'érité. la Sagesse. Nous
donnons la reproduction de cette dernière.
Nous y joignons l'ensemble et le détail d'un
paravent récemment exposé à Bruxelles, où il
a été accueilli par un succès des plus vifs.
L'artiste y a repris, en lui donnant Un accent
tout moderne et pourtant imprégné, comme
son Saint .Michel, d'un partuni très doux d'ar-
chaïsme , le
type tant de
fois retracé
par les Grecs,
des trois Par-
ques. Je me
garderai de
gâter au lec-
teur, par un
inutile ettrop
long c G m -
m e n t a i r e ,
l'impression
qu'il ne peut
manquer d'é-
prouver en
présence de
ces figures si
chastes d'une
grâce si pé-
nétrante et si
tière, d'une
élégance si
mélancolique
et si douce. Il
reconnaîtra
des éléments
très divers,
'"■'"■^"'" empruntés a
toutes les époques de l'art : dans les plis
nombreux, rapprochés, ingénieusement ondu-
lés de la robe de dessous de Lachésis, un sou-
venir évident de l'art grec le frappera; dans la
disposition et le choix des étoffes, il percevra
comme un écho du Japon; dans le geste
sinueux, un peu mièvre, il retrouvera, non
déguisée, l'influence des grâces botticelles-
ques. Çà et là, l'étude du moven-àge s'affirme,
mais le caractère des tètes est moderne, le
stvle, dans son ensemble, est bien de l'heure
présente, et tous ces souvenirs d'arts défunts se
sont fondus en un tout franchement homogène
et délicieusement personnel.
On nous en voudrait de nous borner à ces
L'Art Dt'cordtif
Bel
Qiqili'
23
explications sans entrer dans le détail du pro-
cédé. Voici les éclaircissements nécessaires:
Quand l'artiste, après avoir mùi-i son sujet,
se sent maître de sa composition, il en t'ait un
premier carton, au quart ou au cinquième, sur
lequel rexécutante se règle
pour l'emploi descouleurset
la recherche des tons de soie.
Dès que celle-ci s'est pro-
curé par avance les étoffes
qu'elle sait lui convenir.
de Rudder fait un second
dessin, grandeur d'exé-
cution, d'après lequel sa
femme découpe, aux dimen-
sions voulues, dans les
soies, les satins, les bro-
carts, tous les fragments
nécessaires. Au furet à me-
sure qu'elle les coupe, elle
les encolle au dos pour les
empêcher de s'efhler. Elle
les place ensuite sur une
toile oij ils sont cousus;
puis elle commence à bro-
der après avoir refait à nou-
veau son dessin avec une
netteté scrupuleuse, sur
l'ensemble de la composi-
tion. Tout l'art consiste
alors à bien respecter la
forme en brodant, et à
reproduire attentivement, dans le travail déli-
cat de l'aiguille, l'harmonie des tons du modèle.
Le mystère, on le voit, est très simple : il ne
s'agit au fond que d'être artiste, mais il faut
l'être beaucoup, et M""' de Rudder l'est de nais-
sance. Rien n'égale, dans les travaux que nous
mettons sous les veux de nos lecteurs, la finesse
de son tact et la légèreté suprême de sa main.
Il nous reste, après avoir appelé 1 attention
sur l'ceuvre accomplie en commun par ce
ménage d'artistes, à parler du mari plus longue-
ment. Statuaire et céramiste plein de talent,
médaillé à nos expositions parisiennes pour
TaHc du C,i\7iii ILill. [Chatcju de l.i Hulfc,
desieuvres dont les curieux d'art n'ont certai-
nement pas perdu tout souvenir, il s'est égale-
ment occupé, dès sa première jeunesse, d'art
ornemental et d'art appliqué. Les travaux qu'il
a faits, en vingt ans, pour le bronze et pour
l'orfèvrerie se comptent par milliers. Nous en
donnerons un aperçu quelque jour.
TiniilîAlLT-SlSSON.
Vityjil d'AffJiytcmcnt.
V. H-TRTA
NOTRE CONCOURS DE COUVERTURE
KT /1\0DERNC \
^^^€1.^"^^^^^^^^ S3îsis« s
H. SAUVAGE
AGin
1^VUE„ENs^„LLE
^HTFODEKNE
p. SCHKIDICCKKR
A propos d'une Dc3coration d'intérieur
POURQUOI i: ART NOUVEAU. CHEZ NOUS, ESI EN RETARD.
UN MOBILIER DE SALLE A MANGER,
NOUVEAU STYLE. PAR LES ARCHITECTES PLUMET ET SELMERSHEIM.
Dans une monarchie, c'est d'en haut qtie
vient l'exemple sur lequel la société du temps
prend modèle : dans une démucratie, le mnu-
venient part
d'en bas.
Nos styles
anciens se
sont créés,
dans 1 ' a r-
chitecture ,
danslemeu
b 1 e , dans
Tornement,
sous l'in-
fluence per-
sonnelle de
nos rois.
Supposez à
Louis XIV
une à m e
triste, enne-
mie de l'ap-
parat et du
faste, — Ver-
sailles n'eut
pas existé,
Levau et
Hardouin-
M a n s a r t
n'eussent
pas donné
corps à leur
rêve d'une
architecture
en complet
désaccord
a \- e c nos
traditiunset
nos idées
nationales ,
et 1 ecoledécorative des i^ebrun ne tùt pas née.
.\ Louis XIV vieilli succède en 171 5 la
Régence, et le meuble, comme la famille royale,
secoue le joug imposé par la mélancolie du
podagre. De lourd et de majestueux qu'il était,
il s'anime, il s'égave, il prend part, lui aussi.
SjUc à inaiii;cr de M. Léon. {La Cheminée.) l'LUMtr ti skLMHusiiKiM
au mouvement, et quand Louis XV, avec sa
fureur de plaisirs, son horreur des salons de
gala, son amour pour les petits cabinets soli-
taires où
l'on troisse
les i u p e s ,
entre inti-
mes, après
boire, don-
ne le signal
de la fête,
le meuble,
à son exem-
ple, s'afi'<jle
dans le tara-
biscoiage et
le dévergon-
dage de li-
gnes du ro-
coco.
Le retour
à l'antique
du Louis
XVI est le
r é s ti 1 1 a t ,
sans doute,
d'une réac-
tion inau-
gurée, dans
l'ordre des
idées, par
lesencyclo-
p é d i s t e s ;
mais cette
réaction est
en parfaite
h a r m o n i e
avec le sen-
timent gé-
néral, et la
Royauté, comme la nation tout entière, s'v
associe. Sous l'Empire, si les formes, de nou-
veau, s'alourdissent, si le meuble, architecture
pesamment, devient maussade, écrasé sous la
troide richesse des bronzes, c'est que le maître
est amoureux de ce qui brille, c'est qu'il aie
4
26
Art et Dccoration
goût innc du parvenu pour ropulcnco pom-
peuse et criarde.
Il est donc indéniable que, dans une mo-
narchie, Tarchitecture et les arts qui en déri-
vent s'inspirent, dans leurs créations, du mo-
narque. Ebénistes, ornemanistes, sculpteurs,
s'empressent à l'envi de lui complaire, et de
cette rivalité surgit à tout changement de règne
un changement caractéristique dans l'art.
Ces changements caractéristiques, la France
en a eu le monopole pendant les deux derniers
siècles. Comment se fait-il qu'aujourd'hui,
sous une démocratie, nous demeurions stériles
et que nos artistes aient tant de peine à trouver
une formule satisfaisante d'art nouveau? Se-
rait-il vrai, comme on l'a prétendu, que la dé-
mocratie, ennemie jurée de l'art, paralvse ses
efforts et les frappe irrémédiablement d'im-
puissance?
Rien de plus faux. La démocratie athénienne
et la démocratie riorentine ont enfanté, en art,
des merveilles. La vérité, c'est que la France
est de tous les pays d'Europe le moins propre
à favoriser l'éclosion d'un art démocratique. Nos
habitudes et nos façons de vivre s'y opposent.
Nous ne manquons pas d'artistes, et la classe
bourgeoise, qui représente chez nous cette in-
dispensable moyenne de culture générale, seule
capable d'aider au développement de l'art nou-
veau, ne manque ni de gotjt ni d'argent. Mais
au lieu que les Anglais et les Belges, même de
fortune très modeste, ont une maison à eux,
où ils s'installent généralement pour la vie, oîi
par conséquent ils s'entourent, — puisqu'ils doi-
vent toujours l'habiter, — non seulement des
arrangements les plus confortables, mais les
plus personnels et conçus dans la note d'art
qui leur plaît, nous vivons en appartement,
dans des maisons qui ne nous appartiennent
pas, dans des pièces qui ont été habitées par
d'autres avant nous, et que d'autres, après
nous, habiteront.
Pour la décoration de ces pièces, l'architecte
a dû nécessairement se plier aux exigences du
propriétaire. Il a visé à l'économie tout d'abord.
Il s'est préoccupé ensuite d'assurer la location
de l'immeuble en choisissant pour les aména-
gements intérieurs les dispositions les plus
acceptables pour tous, par suite les plus ba-
nales. L'appartement du riche ne diffère de
celui du pauvre qu'en un point : les pièces en
sont plus spacieuses, plus hautes de plafond et
plus claires, avec des peintures plus soignées
et une décoration, marbre ou bois, étoffe ou
papier peint, dont les matériaux seront de qua-
lité supérieure, — mais le principe décoratif
reste le même. Le propriétaire, à moins de
très rares exceptions, se gardera comme du feu
de l'an nouveau, car l'art nouveau peut ne pas
plaire, tandis que le locataire accepte sans re-
chigner, même quand il jure avec son mobi-
lier, le pastiche d'art ancien le plus plat et le
plus dénué d'intérêt.
Rien n'empêche, il est vrai, le locataire
homme de goût de s'offrir à ses frais une déco-
ration moins banale ; mais l'homme de goût v
regarde à deux fois. On déménage aisément, à
Paris. Pour un oui, pour un non. le locataire,
même riche, se déplace ; du centre, où le re-
tiennent sesaffaires, il passe -aux quartiersaérés
de l'Étoile, d'.-\uteuil ou de Passv. Aussi, se
borne-t-il d'habitude à des arrangements provi-
soires. L'indispensable une fois fait, on s'arrête,
on remet le reste à un renouvellement problé-
matique du bail, à une circonstance qui per-
mette de se fixer. Même si l'on se résout à
remédier, par c]uelque grosse dépense, aux dé-
fauts dont on est choqué dans la décoration
intérieure, on respecte les lambris, on laisse
intacte la muraille, on dissimule, en un mot,
ce qui existe plutôt qu'on ne transforme. On
sait le prix, en effet, des réparations locatives,
et d'avance la carte à payer vous effraye. Si l'on
était chez soi, on appellerait à son secours l'ar-
chitecte, le menuisier, l'ébéniste; chez un autre,
on se sent comme l'oiseau sur la branche, et
l'on recourt au tapissier uniquement. On re-
couvre d'étoffe les murailles, on drape les che-
minées par trop laides, on sème dans tous les
coins le pittoresque, mais le pittoresque le
plus démontable et le plus transportable pos-
sible, un pittoresque tout en tapisseries, en
tentures, en bibelots et en paravents. Rien
d'étudié, en somme, et rien de définitif, par
conséquent rien de bien.
Voilà pourquoi, tandis que la Belgique,
l'Angleterre ont fait tant de progrès, nous res-
tons, malgré nos efforts, stationnaires. Le
stvle nouveau, unanimement désiré, reste à
naître. Nous ne reprendrons nos avantages
que le jour où il se sera trouvé, parmi nous, des
amateurs assez fervents d'art nouveau pour
s'entêter à tout prix à le créer, fussent-ils dans
une maison de rapport, — et ces amateurs
phénomènes sont rares. .le n'en connais qu'un
seul encore à cette heure, celui qui s'est fait
faire, par les architectes Plumet et Sel-
mersheim. le mobilier complet de salle à
A propos J'iiiit' Dccoration d'iiito'rio
ur
manL;cr à propos duquel j'écris cet article. inoderne assez grande, maisjuute en lonLjueur,
Un plein succès l'a récompensé de son au- et qui put se transformer, la table une fois
Le Biijj'ct-di cssijir.
PLL'MET ET SHLMERSHEIM
dace. Le problème qu'il avait invité ces artistes desservie, en salle de billard. Cette complica-
a résoudre était pourtant délicat. Il consistait tion rendait la solution du problème d'autant
a décorer et à meubler, dans un stjle absolu- plus difficile que la table à usage de billard
ment neut, une salle à manger d'appartement devait tenir dans cette pièce, relativement très
28
Art et Décoration
étroite, une place considérable. Il était indis-
pensable que les meubles n'eussent qu'une
faible saillie, et il fallait loger dans ces meu-
bles tous les accessoires, non seulement du
service de table, mais du jeu de billard.
Il fallait enfin dissimuler entièrement la che-
minée sous un motif d'architecture en rap-
port avec le stvle du dressoir et capable,
comme le dressoir, de servir à mettre en évi-
dence quelques belles pièces de céramique ou
de verrerie.
L'emplacement de la pièce importante, le
dressoir, était indiqué par avance au milieu
d'un des i;rands panneaux. La cheminée occu-
pant le milieu de la paroi de muraille opposée.
on ne disposait plus, si l'on voulait corser le
mobilier d'un bahut accessoire, que d'un
unique panneau. A droite et à gauche des
grands meubles, on adosserait à la muraille
les chaises. Des deux côtés de la cheminée,
deux banquettes et le restant des sièges pren-
draient place. Impossible de s'écarter de ce
programme.
'Voyons quel parti nos artistes ont tiré des
indicationsqu'ilfournit, et considéronsd'abord
le buffet.
Un buffet doit contenir la vaisselle, et la
vaisselle est chose lourde: on l'enfermera dans
le corps inférieur. Comme elle est également
encombrante, il faut que ce corps inférieur
soit spacieux et s'ouvre à deux battants. Pour
les couverts d'argent, les couteaux, deux
tiroirs ont été superposés à ce buffet, mais ces
tiroirs sont insuffisants : il en faut à droite et
à gauche; on en mettra. Toutefois, pour éviter
l'aspect disgracieux de cette combinaison trop
simpliste, on n'accompagnera le corps central,
le buffet, que d'un nombre restreint de tiroirs,
trois seulement, insérés dans la partie haute.
La partie basse, ouverte et divisée en deux par
une tablette, servira d'étagère et sera égavée de
céramiques.
Pour la lingerie et tout ce qui reste du ser-
vice, il faut également de la place. On en trou-
vera dans deux petites armoires à porte pleine,
juxtaposées aux tiroirs: mais là encore il faut
éviter toute lourdeur, et ces armoires repose-
ront, comme les tiroirs latéraux, sur le vide.
L'évidement obtenu permettra d'arrondir la
base sur laquelle s'assied le coquet édifice.
Nous voilà donc en présenced'un buffet dont
le plateau, calé par une armoire légère à sa
droite, par une autre armoire à sa gauche, est
dans les conditions voulues pour servir de
dressoir. 11 ne s'agit plus que de superposer au
meuble une vitrine qui contiendra les pièces
d'argenterie dignes d'être mises en vue. Or ces
pièces sont de dimensions imposantes, et la
profondeur du meuble est si faible ! On y remé-
diera en mettant la vitrine en saillie, et ces
saillies seront portées, comme les tiroirs du
corps inférieur, comme les petites armoires
latérales, par un ingénieux assemblage de sup-
ports, pareils à des branchages légers, sortis de
la charpente où s'emboite le meuble.
De cette alternance des pleins et des vides,
de ce parti-pris d'encorbellements soutenus par
des tiges légères harmonieusement raccordées
aux parties solides du meuble, découle un
pittoresque charmant qu'une décoration ingé-
nieuse autant que simple accentue. Le motif
est celui de la feuille d'eau, dont le gaufrage
ténu et les fines nervures, stylisées avec tact,
ont gardé sous le ciseau du sculpteur la ron-
deur molle de leur contour et la grâce impré-
cise de leur forme.
Ajoutez à cela l'heureux dessin des portes
pleines arrondies par le haut, leurs belles et
franches moulures, et ce bombement du pan-
neau central vers le haut qui détermine sur la
riche matière du noyer des jeux de lumière
imprévus, délicieusement variés. Joignez-y,
dans la partie supérieure desarmoires, la finesse
des ornements de bronze doré, couverts d'une
jolie patine d'or vert, qui égavent du relief déli-
cat de leur feuillage le nu des écoinçons ou qui
servent de poignée aux tiroirs.
Le petit buffet, plus calme de lignes que le
grand, n'est ni moins étudié, ni moins pra-
tique, ni moins satisfaisant pour les veux.
L'encadrement de la cheminée se caractérise
également, dans l'ensemble, par une svmétrie
plus parfaite, mais qui n'exclut en rien le pit-
toresque, et vous apprécierez certainement l'ha-
bileté qui a présidé à l'arrangement du fron-
ton, la courbe harmonieuse de son cintre,
et l'adroite disposition par laquelle on l'a rac-
cordé aux petites étagères latérales.
Les sièges se divisent en deux catégories,
chaises de salle à manger, banquettes de bil-
lard. Ces dernières, tant soit peu rigides dans
la forme, sont surmontées d'un élégant plateau
d'étagère, supporté, comme dans les buffets,
par des tiges raccordées avec soin à l'ossature
du meuble. Les chaises sont d'un mouvement
plus heureux; et ce mouvement n'existe pas
seulement dans les pieds, il se retrouve, malgré
la rigidité des nn)ntants. dans le dossier légère-
A propos iriiih' Di'coration J'iiitoricur
^9
iiKMU iiiricchi pour cpiuiscr la loriiK' Jii C(
Quant à la table, destince à servir tniii' a
ou de table à nianijer nu de billaid. elle
appelée latalemeiit à tenir plutnt du bil
Les architeetes n'nnt pas hésité a kii la
exclus! ve-
ment ee ca-
ractère. Ils
se sont con-
tentés d'ou-
vrager, en
les revêtant
aussi de
feuilles
d 'eau, les
lourds sup-
ports sur
lesquels elle
repose. No-
tons enfin,
avant de ter-
miner, les
1 a m bris
d'un heu-
reux mou-
vement, et
la frise, en
soies appli-
q u é e s et
rebrodées,
dontilssont
surmontés.
Cette frise
est, comme
l'étorte de
tenture, due
à M.Aubert.
On trou-
A'era le mo-
tit de ten-
ture un peu
sec : c'est
que la pho-
tographie n'a pu reproduire que les formes;
elle est incapable, hélas, de traduire la chaude
harmonie des couleurs. Les notes claires de la
fleur donnent des noirs, et les ors qui animent
le fond paraissent blancs.
Tel est l'ensemble de cette décoration d'in-
térieur, la première qui ait été vraiment réus-
sie dans un st\'le entièrement nouveau.
Le B.ihut.
iips. MM. Selniersheini et IMumet ont mis d'accord,
inLir a\ec un goui laie, dans leurs meubles, la
était liii,'ii|ue et la giace, le pittoresque, la solidité
lard. et le conturt. Seuls, les sièges, vu la rigidité
isseï- de lein' silhduette. prêteraient à la critique si
l'on ne sa-
\ait d'avan
ce que ban-
quettes et
chaises, ali-
gnées con-
tre la mu-
raille , ne
pou \' a i e n t
dans cette
salle étroite
dépasser en
saillie les
gros meu-
bles.
Aux ama-
teurs main-
te n a n t , de
suivre cet
e X e m p 1 e
et de s'enga-
ger dans la
voie tracée
par un des
leurs.
Ils n'ont
plus de rai-
son, désor-
mais, pour
nier que
l'art nou-
veau puisse
produire
des œuvres
originales.
Comman-
dez : vous
verrez tout
un clan d'architectes, épris de formes n(ju-
velles, vous en créer à l'envi dans le meu-
ble et substituer à ces monotones copies
d'anciens stvles, dont vous avez fait trop
longtemps vos délices, un style qui aura le
mérite enfin de la fraîcheur et de la nou-
veauté.
TmitliAULT-SlSSON.
ntUMET ET SELMERSHEIM
CHRONIQIT
L'Exposition Micha. — Vsf. Fomaine i:n guks klammi: m: Dai.pavrat.
Les Palais ni s Champs-Elysées. — Le Concoeus Roigevin.
Depuis huit jours, à la Rodinière, l'expo-
sition Muchu est ouverte. — Qui ça, Mucha?
Connais pas! — Bon peuple de Paris, tu man-
ques de mémoire.
Allons, rappelle
un peu tes sou-
venirs. N'as -tu
pas vu, naguère,
au coin des rues,
dans le tapis mul-
ticolore des af-
fiches, des si-
lhouettes longues
et souples te re-
tracer, sous le
travesti deLorcji-
:iaccio, dans la
toilette tapageuse
de la Dame aux
Camélias, sous la
robe byzantine
aux plis lourds
de Gismonda, les
traits de Sarah
Bernhardt ?
Et Lattitude
n'était pas seu-
lement élégante,
le geste caressant,
l'expression d'une
mélancolie alan-
guie, mais le pit-
toresque de ces
compositions t'a
frappé. Tu en as
trouvé l'arrange-
ment inédit ; une
pointe légère d'e-
xotisme le relevait
d'une piquante sa-
veur et tu t'es dit,
charmé : « Tiens
c'est neuf ! »
Tu as remarqué en même temps, que l'afliclie,
au milieu de ses bruyantes voisines, chamar-
rées de couleurs crues, détonnait par la pâleur
i-'ontaine en prcs JKtduhc.
de ses tons, par le charme inaccoutumé de ses
notes claires fondues en harmonies fraîches
et tendres. — Et ton (eil, bon peuple, fut
charmé.
Il fut si char-
mé, avoue-le, que
tu perdis tout es-
prit critique. Mis
en joie par ces
friandises, tu t'en
allas gui lleret,
bouche en cœur,
fredonnant un re-
frain d'opérette,
sans songer à te
dire qu'après tout
ces jolies choses
manquaient des
qualités essentiel-
les de l'affiche,
qu'à distance,
faute de vigueur
dansles tons, tout
se brouillait dans
un pele-méle de
lignes et dans un
chaos de couleurs
où les formes s'é-
V a n o u i s s a i e n t,
qu'enfin c'était de
l'estampe en cou-
leurs, une es-
tampe déplacée
au grand jour,
mais qui ferait
merveilles, pen-
due comme un
Kakémono japo-
nais dans t o n
vestibule ou sur
le clair palier de
ton étage.
Et maintenant,
ne viens plus me dire, bon peuple, que
tu ne connais pas Mucha. \'a-t-en revoir,
chez notre ami Bodinier, ses affiches ; tu
DALPAYRAT
Chr.
wiujue
)
I
les retrouveras accompa^ntJes de beaucoup ré\élc- ce Mucha que tu connaissais pourtant
d'autres, que tu goûteras peut-être davantage. tout comme moi. S'il en faut plus encore à ta
S'il ne te souvient plus de la couverture qu'il a curiosité, apprends que Mucha est un slave,
mise, à la Noël, au frontispice du numéro spé- qu'il est né, voilà quelque trente ou trente-
cial publié par V Illustration, rafraîchis là-bas cinq printemps, en Bohème, qu'on s'arrache à
tes souvenirs, examine longuement le groupe Paris, depuis qu'il s'v est fixé, toutes ses
étrange, saisissant dans sa grâce hiératique, œuvres, et que Sarah Bernhardt en raffole,
formé par la vieille année qui se meurt sous Souhaite-lui de rester toujours en posses-
l'œil attendri et sur les genoux rapprochés de la sion de la mcme vogue, et passons de chez
■■r .,■; v? •.
Projet d'ombrelle.
M. MAXGIX
rcuvcUe. Délecte-toi, comme il convient, de
ce régal. Apprécie également cette autre cou-
verture, si ingénieuse et si neuve en sa simpli-
cité, qu'il a faite pour la Revue des Jeunes Filles.
et qui représente une jeune personne de nos
jours portant la main, d'un geste réfléchi et
d'une itistinctive élégance, sur les sévères
ravons de sa bibliothèque.
Tu verras encore autre chose : des illustra-
tions en grand nombre, toutes pareilles par
l'habileté inouïe de la main, par la richesse
inventive qu'elles dénotent, — et tu me remer-
cieras, bon badaud, mon cher frère, de t'avoir
Bodinierdans l'atelier du céramiste Dalpavrat.
Comment trouves-tu cette fontaine qu'il a
modelée? n'est-elle pas bien française, bien
dix-huitième siècle surtout dans sa composition
et dans le groupement heureux de ses figures?
Mais tout cela, bon ami, n'est rien en regard
des colorations éclatantes que le caprice du feu
a semées en taches de pourpre ou de rubis,
en larmes de turquoise, en coulées de saphir
sur ses flancs. Félicite l'artiste, et passons.
T'a-t-ondit que le vieux palais de l'Industrie
p
Art c't Di'coratiou
se i.1cmolit, qu'on lui cnlcvi.' depuis ijuciqucs
jours, une à une, avec une dextérité qui lient
de l'art, les fermes métalliques de son toit.
Vas-y voir : le spectacle en vaut la peine, bon
peuple.
N'omets pas surtout, en revenant, de t'arrè-
ter à la vitrine des journaux. Tu y verras
reproduite, de face et de protil, la fa^•ade
principale du futur Palais des Beaux-Arts
qui va, d'ici trois ans, remplacer le défunt
Palais de l'Industrie. Tache d'en admirer, s'il
se peut, l'ordonnance; demande-toi ce que
donnera, une fois exécutée, cette vaste colon-
nade coupée par le milieu d'un triple portail
en saillie qui s'y raccorde mal: demande-toi
l'effet que produiront, sous cette colonnade,
avec les bâtis de fer ou de bois qui porteront
leurs vitres, les seize fenêtres dont on a percé
la muraille; demande-toi enfin si l'ensemble
n'a pas l'air d'avoir été formé de trois tranches
sectionnées dans des gâteaux différents, et dis-
moi, quand tu auras réfléchi, ce que tu penses.
Peut-être auras-tu l'idée que cette façade
longue, longue, longue, basse, basse, basse,
n'a d'autre raison d'être que de mettre en
valeur, par contraste, le petit palais son voisin.
Tu ne te tromperas pas : elle fera ressortir,
par la monotonie de ses lignes et par son dé-
faut d'unité, l'équilibre du petit édifice et le
mouvement harmonieux de sa façade. Elle
jouera le rôle ingrat de repoussoir. M. Girault
en sera-t-il désolé ? Hum! hum !
Que se passe-t-il à l'École des Beaux-Arts ?
Dans ce refuge sacro-saint des traditions aca-
démiques les plus pures, un concours de tapis
vient de s'ouvrir entre les élèves architectes.
Tu as bien entendu? bon badaud, — un con-
cours de tapis! A ces futurs prix de Rome, on
a demandé le dessin d'une moquette. Proli
pudor!
Et sais-tu ce qu'il s'est présenté de concur-
rents? plus de deux cents! — Décidément, mon
bon ami, tout s'en va. Et l'inquiétant, c'est qu'il
y avait des projets très remarquables! Ce n'est
pas ceux-là, d'ailleurs, que le jury a classés les
premiers. J'en ai vu de très bien, un entre
autres d'un nommé Butler, qui n't)nt même pas
été mentionnés. Cela me rassure.
Je n'en reviens pas, tout de même : — un
tapis!
Le Bad.^ud.
CONCOURS D'.WRIL
rsE LAS ri: RM-: dasticiiamuri-:
(^ue nos lecteurs ne s'étonnent pas, après
avoir vu. dans notre premier numéro, deux su-
jets de concours intitulés : l'un, concours de
janvier, l'autre concours de février, de voir ici
le concours d'avril. Il nous a paru préférable,
pour éviter toute confusion, de les désigner
dorénavant par le nom du mois dans lequel ils
seront remis et jugés.
Nous avons pris, comme sujet de notre troi-
sième concours, une lanterne d'antichambre ou
de vestibule, pouvant indifféremment s'adapter
au gaz ou à l'électricité.
Nous ne fixons pas de dimensions aux con-
currents. Ils devront se rappeler que cette lan-
terne, destinée à un vestibule de médiocre
grandeur ou à une antichambre dont la hauteur
moyenne de plafond est de trois mètres à trois
métrés vingt, ne saurait excéder cinquante cen-
timètres en hauteur. Il convient en effet de se
rappeler que la lanterne est toujours suspendue
au bout d'un support rigide de trente à qua-
rante centimètres de hauteur.
La matière employée sera le cuivre ou le fer
forgé, ou la tôle découpée. Il sera loisible
aux concurrents, pour donner à l'objet son
aspect définitif, de recourir à des matières
transparentes de leur choix, verres ou émaux.
Les dessins présentés devront être au tiers de
l'exécution, les détails à grandeur naturelle.
Ils seront accompagnés d'un devis explicatif,
indiLiuant la méthode à suivre pour arriver à
une fabrication aussi rationnelle et aussi peu
coûteuse que possible. On sera tenu de fixer
le prix prévu.
Adresser les envois, avant le 25 avril, à la
Librairie Centrale des Beaux-Arts, i?, rue La-
favetle. Les concurrents mentionneront leur
nom et leur adresse dans une lettre cachetée,
qui portera la devise inscrite sur l'envoi.
Les primes décernées seront de cent francs
pour le n° i, de cinquante francs pour le n° i.
NOS PLANCHES HORS TEXTE
Deux planches hors texte sont jointes à ce
numéro. L'une est le panneau de cuir ciselé dé-
crit dans l'article consacré à Victor Prouvé.
On a reproduit dans l'autre une délicate aqua-
relle, les Sircncx. du maître ingénieux et char-
mant qui s'appelle Boutet de Monvel.
Imp. de Vau^irarJ. G. de Malherbe <V ('■'
52. rue lie \'anirirard. l'ari?
ÉMM.K I.IÏVY. KclUear-gcrtint
Concours Rougevin.
Projet de M. Gutton.
Art et Décoration
9*
L.-O. ROTY
n ne connaît les
médailles deRoty?
Il n'y a pas lons^-
lemps, il est vrai,
que le public, le
i^rand public ano-
nyme, auquel, quoi
qu'on puisse dire,
doit toujours s'a-
dresser l'âme des
grands artistes, que le public de la foule et des di-
manches a eu les moyens de se familiariser avec
l'art dejla médaille. Qui pensait jadis à déterrer
ces petits cadres dans les coins reculés des Sa-
lons, aumilieude touslesplàtrasépileptiques de
jeunes ou de vieilles demoisellessùresde l'indul-
gence éternelle des jurys ? Pendant bien des an-
nées, cette magnifique renaissance de la médaille
contemporaine n'a eu pour témoin qu'un milieu
— sans doute très enthousiaste — mais aussi
très fermé. On ne connaissait guère générale-
ment, en fait de médailles, que les odieuses
rondelles de cuivre lisse qu'on distribuait aux
solennités artistiques, industrielles ou agricoles,
ou, hélas! que les tristes et banales pièces de
monnaie courante, avec leurs effigies mornes
et découpées, invariablement entourées de leur
éternel grénetis réglementaire et de leurs ins-
criptions typographiques sèches et plates. Ce
n'est que depuis six ou sept ans, grâce à la pro-
pagande incessante de leurs admirateurs, et
surtout grâce à l'exposition du Musée du
Luxembourg, que le public a pu se pénétrer du
charme de cet art étroit, semblait-il jusqu'alors,
et suranné, que l'on croyait avoir contraint de
tout dire et qui a été si entièrement renouvelé
qu'on n'en trouverait point de plus moderne,
de plus propre â exprimer clairement et vive-
ment la complexité extrême de nos aspirations
et de nos idées.
Qui donc aujourd'hui ne connait les exquises
merveilles de Roty, ces précieuses petites ta
blettes de métal si vivantes et si émouvantes,
qui parlent avec tant d'éloquence à nos senti-
ments les plus hauts et les plus désintéressés
les plus profonds et les plus intimes? Qui ne
connait cette médaille commémorative du
25» anniversaire de la fondation de la Répu-
blique « Patria non immemor », cette Patrie,
grave, sérieuse, triste, au grand œil creux et
réfléchi, toujours en deuil, mais dont le revers
réveille le frisson des grands espoirs avec son
coq qui chante dans l'aurore, sur la terre
inondée de rayons, éventrée par la charrue?
Qui ne connaît cette grande et immortelle
ligure de Jeanne, liée au poteau infâme, levant
au ciel, dans les flammes du bûcher, ses yeux
pleins de foi, qui semblent répéter les paroles
de l'exergue : « Ma mission était de Dieu? »
Qui ne connait toutes ces nobles et touchantes
allégories qui font vibrer si discrètement et si
Etude pour la Peinture.
profondément les fibres les plus sensibles de
nos cœurs : la. Alaternité pressam sur son sein,
dans un geste de tendresse si chaude et si ca-
ressante, le cher petit être qu'elle baise au front,
5
H
Art et Décoration
la Jeunesse offrant ses hommages au vieux d'observation rigoureuse, d'analvse métho-
Chijvveul, la. fiancée de la Méiiaille de Mariage dique, subtile et délicate qui' ont contri-
qui tend sa main pour recevoir l'anneau du
.'.■V,-.
m0
La Peinture.
fiancé, avec une dignité si modeste, si chaste,
un don si pur et si entier de son être? Et toutes
ces figures, d'une grâce infinie, ces types en- les caractères distinctifsqui justifient sa raison
bué à former celte magnifique éclosion
poétique, si séduisante ei si émouvante,
cette splendeur d'art et celle profondeur de
pensée.
Roty, pourtant, a conservé en lui un fort ins-
tinct pédagogique, l-'ilsd'instituteur, — il aime
à le dire — il rêve complaisammeni pour les
jours de l'epos, très éloignés encore heureuse-
ment, un enseignement avec lequel il for-
mera des élèves suivant ses principes, il faut
l'avoir entendu s'expliquer sur quelque parti-
cularité de son art pour comprendre à quel
point ce jugement est exact. Toutes les modifi-
cations profondes qu'il a apportées à la mé-
daille sont, en effet, nées d'un examen attentif,
d'un raisonnement réHéchi, d'une volonté
déterminée. Si l'on considère les différences
qui séparent la moindre de ses médailles de
celles de l'un de ses devanciers, on peut voir
quelles ti'anslbrmaiions radicales il a opérées.
11 semble que, tenant en main une de ces
médailles, et frappé de l'oubli dans lequel on
était tombé des conditions du svmbole et des
lois les plus élémentaires du décor, il se soit
proposé de renouveler son art sous tous ses
aspects en décomposant tous les éléments qui
le constituent pour leur appliquer les règles
d'une logique plus rigoureuse qui devait y
faire pénétrer l'art et la vie.
Il parait s'être d'abord demandé : « Qu'est-
ce qu'une médaille ? Quel est son rôle, sa
signification spéciale dans l'ensemble des arts,
d'être, à coté d'arts plus importants par leurs
dimensions et qui accaparent plus facilement
l'attention des sens par des moyens plus actifs
et plus immédiats? » Sa matière qui nous donne
l'illusion d'images ineffaçables et de souvenirs
chanteurs de jeunes femmes d'une beauté parti-
culière qui les fait toutes parentes, d'une gravité
simple, d'une élégance sérieuse et réservée,
ayant toutes, dans leur attitude calme et leurs
gestes rythmés, je ne sais quoi de noble, de
chaste, de fier et de virginal. Il s'en exhale
un parfum très frais de nature, uni a un
souvenir lointain et suave des plus beaux , '
ù -
exemples de l'antiquité. f^i
Ce charme opère si instantanément, avec (îl^'^
une telle puissance, qu'on a l'impression, '-'^
devant cet ensemble si riche et si varié, si
imprévu et si nouveau, d'être en contem-
plation devant l'œuvre d'un génie ardent '''^r'
et spontané, à l'imagination active et tou-
jours mouvante, produisant sous l'em-
pire de l'inspiration et de l'entrainemeni. qui se perpétueraient à jamais, sa petitesse et
On ne perçoit pas au premier abord toute la sa faculté de se multiplier à l'infini qui sem-
science, la réflexion, la logique, l'esprit blent la mettre à l'abri des temps, cette exi-
y^'i
'0
La Matcrnilé.
L O. Koty
}S
guité même qui, plaçant sous le regard ie
sujet tout entier dans ses détails comme dans
son ensemble, exige des formes impeccables,
^f<|i-%/?
?'%
'i
I..2 l'ic'r^t' protectrice de l'EiifLince.
un travail précieux et tini, et la rend com-
préhensible à travers les variations des sociétés,
toutes ces raisons dictaient son r(Me h la mé-
daille.
Aussi, la première pensée qui soit venue à
son esprit de songeur et de poète, c'est
que la médaille a cet avantage sur les autres
arts, qu'elle ne peut guère exister par elle-
même , qu'elle ne peut guère se passer
d'un but, d'une signification. C'est, en effet,
un art pratique et symbolique, un art d'en-
seignement et de sentiment. Elle a pour
mission la conservation des souvenirs les
plus sacrés, la consécration des plus gran-
des gloires, des plus hautes ou des plus tou-
chantes récompenses. Il faut donc que, dans
un étroit espace, avec des moyens très limi-
tés, elle résume
et synthétise
clairement et
fortement les
idées qu'elle est
chargée d'expri-
mer. Il faut donc
ne rien laisser
d'i nd i tfére nt
dans toutes les
parties qui la
composent.
Stimulé par
l'exemple de ses
prédécesseurs
plus immédiats, des premiers maîtres qui ont
eu conscience de la rénovation nécessaire de
cet art, Chapu et Degeorge, MM. Ponscarme
et Chaplain. Roty a donc analvsé tous les
éléments constitutifs de la médaille : la forme
et la matière, les emblèmes et la lettre, les figu-
res et le fond, accusant la signifi-
cation précise de chaque partie, le
rôle de la face et celui du revers,
s'attachant jusqu'à la rédaction
de ses légendes.
Tout d'abord, il a senti combien
le champ de la médaille était jus-
qu'alors limité. Restreint conven-
tionnellement, par habitude et
par indifférence, à la commémo-
ration des événements importants
de la vie publique ou à la consé-
cration des récompenses offi-
cielles, cet art ne pouvait-il se
prêter parfois à des manifestations
moins augustes; ne pouvait-il se
détourner, par instant, de la vie générale et
impersonnelle des peuples pour raconter les
événements mémorables de l'histoire des
hommes et suivre les individus à travers les
actes principaux de leur vie privée?
La réponse à cette question fut bientôt trou-
vée. Nous voyons l'art de la médaille gagner
peu à peu l'existence semi-officielle des corpora-
tions et des groupes, des sociétés académiques,
littéraires et scientifiques, des associations
industrielles, commerciales ou sportives. Les
unes le chargent de conserver la date de l'inau-
guration d'un chemin de fer, d'un canal, d'une
usine, les autres de rappeler leur passé en
célébrant le centenaire ou le cinquantenaire
d'une fondation; d'autres lui réclament des
formes de récompense ou des témoignages de
'^ÊMctSMi
V:.±,..\N LAKQR E P V I É S ''■'^
L'Etude.
gratitude pour des services rendus; d'autres
enfin tiennent à imprimer leur caractère sur
des jetons personnels. Et nous avons alors ces
y
Art et Décoration
admirables médailles ou plaquettes de la Créa-
tion des Chemins de fer de l'Est algérien, de la
Compagnie du canal de Sue\, des Chambres
de Commerce de Paris et de Lyon, de l'An-
cienne Mutuelle de Rouen; la plaquette de
récompense de l'Académie de Lyon; la pla-
quette commémorative du cinquantenaire de la
maison Christofle ; les jetons du Jockey-Club
qui renforcent les liens qui unissent les géné-
rations. Il couronnera une carrière de savant
ou d'artiste, honorera une vie de travaux ou
de probité et se mêlera désormais si étroite-
ment à tous les actes les plus familiers de la
vie, que parfois même on le verra se prêter
complaisamment au caprice d'un industriel
intelligent, qui l'applique à répandre la renom-
Étude de mains pour la Médaille de Mariage.
de Buenos-Ayres et de la Chambre de Com-
merce de Saint-Na\aire, etc., etc., qui gardent,
toutes, dans la solennité de leurs hommages
ou dans la gravité de leurs souvenirs, un certain
accent plus libre et plus familier.
De l'existence collective des sociétés et des
groupes, l'art de Roty pénètre bientôt plus
avant dans les manifestations intimes de la vie
des individus, il s'installe librement jusque
dans le cercle étroit du foyer. Il veut conser-
ver à la piété des enfants, des amis, des admi-
rateurs ou des disciples les traits des parents,
des amis ou des maîtres. Il veut que, grâce à
lui, soit à jamais fixée la date des événements
notables de la famille : naissances et baptêmes,
mariages, noces d'argent, noces d'or, consti-
tuant comme des sortes d'archives familiales
mée de ses produits, ou à la fantaisie de Mécènes
éclairés qui désirent conserver dans la mémoire
de leurs convives le souvenir éphémère d'une
heure passée autour d'une table richement
servie.
C'est à ce culte pieux de la famille et de
l'amitié que nous devons plusieurs des chefs-
d'iEuvre les plus illustres du maître; c'est par
sa propre famille qu'il a donné l'exemple, fixant
en traits inoubliables les images de ses parents,
de sa femme, de ses beaux-parents, de son
fils, de plusieurs de ses amis. A cette série
appartiennent les plaquettes anniversaires
des ménages Bigo-Danel, Aynard, Ch. Eug.
Simon, la Jeunesse portant ses hommages au
centenaire Chevrcul, la Médaille offerte à
Pasteur pour ses soixante-dix ans; médailles
L. O. T{pty
M
offertes à M. Gosselin, à M. Ad. Hirn, etc.; cette
ii\<\\.\\iQ Médaille de Mariage et cette touchante
iV/rt.'er«?7t^ frappée, à l'orii^ine, pour le baptême
de son second tils; et le beau menu d'une si
grande tournure, la Prcfcctiire de police, pour
un diner oft'ert par M. Lozé; et la plaquette de
Mariani avec sa nvni-
phe ranimant le jeune
Eros, d'une goutte de
vin de coca.
Ne pouvait-on crain-
dre, cependant, que
la médaille ne perdît
un peu de son pres-
tige à descendre de son
rôle exclusif d'organi-
satrice des apothéoses
dans lequel elle s'était
primitivement canton-
née, pour accepter de
se mettre au service
d'intérêts si étroits et
si particuliers ? N'y
avait-il pas lieu de se
demander en même
temps si cette forme
traditionnelle des
grandes consécrations
n'était point faite pour
donnera la commémo-
ration d'événements
souvent très intimes
un caractère de solen-
nité exagérée? Frap-
pé de ces considéra-
tions, Roty avait es-
sayé déjà par une cer-
taine liberté de com-
position, une certaine
fantaisie du décor,
d'atténuer la sévérité
de la médaille. Il rom-
pait les symétries tra-
ditionnelles des grou-
pes ou des figures, ou
bien disposait sa lettre
et ses emblèmes avec
un aspect plus imprévu et plus familier; mais
cette forme même de la circonférence qui est la
régularité parfaite, la symétrie idéale, a par
soi-même un caractère de majesté et de solen-
nité qui s'impose au sujet. C'est cette réflexion
qui porta Roty à chercher des formes plus
familières et à retrouver, on dirait presque à
Etude pour la \'iergc protectrice de l'Enfance
créer, la plaquette. C'est alors qu'apparaissent
ces petits rectangles allongés, en largeur ou en
hauteur, parfois même de forme presque carrée,
et cintrés, dans ce cas, à la partie supérieure,
qu'ont rendus célèbres les portraits de ses
parents et de ses beaux-parents, de Duplessis, de
Hirn, de Cîosselin et de
Pasteur, du cinquan-
tenaire de la Maison
Christofle, de l'Etude,
etc., etc.; ou bien cette
médaille de la Vierge,
de forme ellipsoïde ou
bien ces jetons de for-
me polygonale, qu'il
frappe pour le Joc-
key-Club de Buenos-
Ayres et pour la Cham-
bre de Commerce de
Saint-Nazaire.
La médaille prenait
ainsi une variété d'ex-
pression qui corres-
pondait à la variété
de ses nécessités nou-
velles.
Il fallait, en même
temps, accroître en-
core ces moyens d'ex-
pression, accusés déjà
par la forme, en don-
nant un rôle déter-
miné aux deux faces
de la médaille.
Avait-on oublié,
dans la décadence si
complète de cet art,
le rôle distinctif de
l'avers et du revers
et l'importance qu'a-
vaient su donner à
cette face postérieure
les grands artistes flo-
rentins de la Renais-
sance ou nos beaux
médailleurs français
du xvi" et du xvii^ siè-
cles et même de la fin du xviiie siècle? Depuis
le commencement du nôtre, le sujet s'expli-
quait comme il pouvait, sur la face, tandis que
sur le revers, entièrement sacrifié, s'étalait
plus ou moins gauchement et symétriquement
tout un vieux bazar d'emblèmes surannés. Le
« revers de la médaille » justifiait tristement
)«
Art et Décoration
le sens défavorable de la locution populaire. ou de parents, caractérisés avec précision par
Poussant toujours plus loin la logiquedc son leurs revers significatifs, qui portent, avec les
analyse rigoureuse, Roty ne veut pas laisser dates instructives de leur biographie, l'indica-
cette partie essentielle
muette ou effacée. Si
le revers doit rester
discrètement au se-
cond plan, laissant à
l'avers le soin d'ex-
poser le sujet dans sa
force, dans son unité
et dans sa simplicité, il
a. quant à lui, pour
devoir d'intervenir
pour développer ce
thème en insistant sur
le sujet, soit en le com-
mentant, soit en le
précisant sur un point
spécial.
Aussi Roty a-t-il pu
trouver des rivaux
dans le portrait; il n'a
point rencontré d'é-
gaux dans la compo-
sition des revers. C'est
là qu'il a donné libre
essor à toute cette
Portrait de Mademoiselle Taine.
tion concrète etprécise
de leur profession ou
de leurs goûts, de leurs
talents ou de leurs
vertus. Tantôt c'est la
Chirurgie qui réflé-
chit dans le silence de
l'étude au pied d'un
cadavre couché, sur le
revers du professeur
Gosselin; tantôt c'est
la Gravure, feuilletant
des estampes, pour ac-
compagner la figure de
M. Duplessis. La Gé-
nérosité vide sa corne
d'abondance en mé-
moire de Mme Bouci-
caut; la Jeunesse fran-
çaise vient porter, dans
sa fraîcheur et son in-
génuité, son hommage
respectueux et tou-
chant au doyen des
étudiants, à Chevreul,
imagination si originale, à la fois si poétique dont le visage tout ridé de centenaire s'épa-
et si précise, si suggestive et pourtant si con- nouit avec bonhomie et malice sur la face,
crête. Examinez tous ces revers, vous verrez Ici, la vaccine des moutons et des poules
avec quelle éloquence nouvelle, avec quel tact précise les travaux du professeur Bouley, pré-
parfait, avec quel esprit ou quel sentiment, sident de l'Académie des Sciences; là, la Pi-c-
quelle simplicité et quelle clarté, il reprend le fecture de police « regarde, écoute, veille »
sujet de la face en de merveilleux petits tableaux derrière l'aimable figure de M. Lozé, rem-
caracteristi-
ques, intéres-
sants, touchants
et parfois même
pathétiques, ou
simplement au
moyen d'emblè-
mes rajeunis qui
parlent un lan-
gage symboli-
que ingénieux et
limpide.
Voyez ses por-
traits; ils vont
transmettre à la
postérité, parces
images ineffaçables, répandues à profusion, réunis par
^^
Médaille eniniiiàinoratn'e
le la erèatiiin de rKiiseij^iieiiieiit seeandaire
des jeunes filles.
placée plus tard
par 1 ' é n o n c é
d'un menu d'em-
pereur de la dé-
cadence.
Là, pour la
plaquette com-
mémoratived'un
anniversaire de
mariage, où les
deux époux sont
accotés sur la
face, le revers
ingénieux pré-
sente soii deux
troncs de hêtres
es embrassements du lierre, soit
les traits de grands hommes, de savants ou un arbre généalogique qui, de ses deux bran-
d'artisies, ou simplement d'amateurs, d'amis ches noueuses et fortes, crée totue ime active
L. O. Roty
)9
végétation de nombreux et robustes ra-
meaux.
Pour le chemin de fer d'Alger à Constaniine,
c'est la Fortune qui répand ses trésors sur eeiie
nouvelle voie; poui' la maison pénitentiaire
d'Auberive, un tableau exquis d'intimité nous
montre dans im j^ai pavsage le travail des
l-'.tndc d'apj'cs tuiliiiw
jeunes tilles placées sous la pirotection de la
Loi, offrant, pour le personnel destiné à la
porter, comme un enseignement moralisateur.
Voici le Club .\lpin : sur la face, au-dessous de
la devise per ardiia, un alpiniste contemple
le but que devront atteindre sa persévérance et
son courage ; sur le revers, le Génie char-
mant des sommets, assis sur les neiges encore
vierges, tend au hardi et triomphant explora-
teur la fleur des montagnes, Fedelweiss sym-
bolique.
N'oici encore le revers si intelligent et si
expressif de la médaille commémoraiive de la
création de l'Enseignement secondaire des
jeunes tilles, qui caractérise si simplement ctsi
clairemein l'enseignement que la République
distribue, sur la idcc. aux \iei'ges, " futures
mères des hommes " : un livre ouvert dans une
corbeille de laine où sont piquées des aiguilles
à tricoter.
Par une délicate flatterie, il dissimule sous
im buisson de roses l'âge de Pasteur, et il
accompagne avec une ingéniosité charmante
celui de son jeune hls Maurice d'une branche
fleurie dont les premiers boutons commencent
à s'ouvrir.
Car il adore les fleurs. Au milieu de tous
ses emblèmes, cette langue hiéroglyphique
qu'il a entièrement rajeunie en remplaçant tous
les termes usés et surannés par des locutions
nouvelles, compréhensibles de tous, où vous
ne trouvez plus de glaives, de balances, de
ballots ficelés, de caducées, de roues à engre-
nage, de foudres, ni d'enclumes, etc., etc. ; mais
des épées, des téléphones, des lampes qui ont
un abat-jour, etc., etc., la fleur joue un rôle
très grand dans les médailles de Roty, soit en
palmes élégamment jetées en travers des car-
touches, soit en touffes de roses, en rameaux
de lauriers, en couronnes d'églantines, de pri-
mevères ou de coca pour le vin Marianii, soit
en violettes négligemment jetées portrait de
Mademoiselle Taine .
C'est que la médaille n'est point, comme on
pourrait croire, un art de sculpteur; c'est bien
plutôt un art de peintre. Ce sont des peintres
qui l'ont créée
en Toscane au
xv'siecle, d'après
des principespit-
toresques. Rotv
est un peintre et
il le reconnaît ;
aussi cette force
expressive qu'il
veut faire don-
ner à la signih-
cation des acces-
soires, il se sert
d'éléments pit-
toresques pour
l'obtenir. S'il
_ /
^1 '!
h-
H L'j.'^K IJL ■ L i_ '
La Préfecture de Police.
aime les fleurs, il adore aussi les paysages:
il met partout des arbres ; les grands pano-
ramas de montagnes ou de fleuves ne l'ef-
40
Art et Décoration
fraient point. Il se plait également à ce qu'on tofle, etc.,) ou ces beaux panoramas des Cham-
pourrait appeler les paysagesd'intérieur, àl'cm- bres de Commerce de Paris, de Rouen ou de
ploi de tout notre décor de mobilier moderne Lyon, ces paysages de montagnes ou de prai-
qui, sous sa main de grand artiste généralisa- ries boisées de VEtiide, du Club Alpin, ces
leur, perd son caractère particulier, son aspect architectures en perspective, etc., etc., que
qui date ; car il ne se sert plus, de même, de Roty relie ses figures à ses fonds, qui désor.
mais jouent aussi leur rôle harmonieux
dans cette orchestration de tous les élé-
ments constitutifs de la médaille.
Depuis le portrait de Naudin par
Ponscarme, les fonds commençaient
déjà à perdre cet aspect de chocolat
glacé sur lequel se découpaient les
ligures. Mais tous ces spectacles pitto-
Étttde pour la plaquette commémorative de Carnot.
trépieds ni de chaises curules, ni de tout ce
mobilier conventionnel de théâtre antique qui
donne à tous les ouvrages de l'époque anté-
rieure un air de douloureuse parenté, mais du
mobilier de notre temps, traité avec simpli-
cité et élégance, et présenté dans des illusions
de perspective d'une incroyable habileté.
C'est avec ces vues d'intérieurs (la Préfec-
ture de police, Chevreul, plaquette de Chris-
\.
~fl
V
l LHvn'ANiTE:- "^rH
f—- Zji^
Pasteur.
Plaquette ojferte à Pasteur
pour l'anniversaire de ses yo ans.
resques , cette vie ardente et active
dans son calme et dans sa sérénité
viennent animer la médaille, la rendent
instructive, attrayante, pleine de décou-
vertes pour le regard et pour la pensée.
Les progrès de la réduction à la ma-
chine et de la frappe ont évidemment
conduit Roty à prendre dans son travail
une liberté et une aisance que l'exécu-
tion directe du coin ne permettait pas jadis.
La médaille y a peut-être perdu certaines qua-
lités de simplicité synthétique et il y a peut-
être quelque danger, entre des mains moins
sûres et moins constamment préoccupées des
conditions de cet art, dans ces représentations
pittoresques qui peuvent le faire tomber dans
le maniérisme gracieux des petits effets, qu'il
ne. peut supporter par nature. Mais il taut
L O. Roty.
41
savoir profiter de tous les progrès en sachant
éviter d'être entraîné trop loin, et Roty s'est
prudemment gardé d'encourir ce reproche.
Il n'est donc pas un seul des éléments de
forme ou de décor qui entrent dans la com-
position de la médaille, dont Roty ne se
soit servi pour aug-
menter et renforcer
ses movens d'expres-
sion. Il n'est pas jus-
qu'à la lettre, au-
trefois abandonnée
par le graveur et
obtenue, on peut dire,
tvpographiquement,
qu'il n'ait employée
avec ingéniosité et in-
telligence dans un
sens décoratif ou ex-
pressif. Il est inutile
de rappeler l'aspect
solennel ou familier,
sévère ou fantaisiste
qu'elle prend dans
ses médailles de l'Est
.algérien, deM"''Bou-
cicaut, de l'Enseigne-
ment secondaire des
.Teunes Filles, où elle
empiète sur tous les
coins de libre, de
la Maternité où elle
s'étale en auréole,
fournissant par sa
forme même, son
accumulation, sa dis-
position symétrique
ou capricieuse , les
effets les plus origi-
naux et les plus im-
prévus.
Il n'est pas jus-
qu'aux draperies
auxquelles Roty
n'ait donné une
grâce exquise ou
une suprême éloquence. Constatant que
le nu ne pouvait être d'une application
facile dans la médaille, parce qu'il y parait
maigre, qu'il garnit insuffisamment les fonds,
il a senti que la draperie, devenue indis-
pensable, pourrait ajouter de la gravité, du
charme ou du pathétique. Au début, comme
dans la médaille de l'Est Algérien, elle hésite
encore; son caractère est encore incertain, mal
défini. Mais bientôt, depuis la Gravure jusqu'à
la Maternité, à la médaille de Mariage, au
projet de la médaille cunimcmorative de la
mort de Carnot, dont nous donnons un des-
sin ici, la draperie de Roty se reconnaît à pre-
■\
. . VyffM^.i£
Etude d'après nature.
mière vue, par son élégance fière, son aisance
et son naturel, et en particulier par son sens
expressif qui vient ajouter à la signification
des figures.
Nous ne disons rien de ses légendes qu'il
s'est appliqué à rendre concises, claires et sug-
gestives (plusieurs, en latin, ont été traduites
par des amis; les meilleures sont de lui), ni de
6
42
Art et Décoration
la matière, qu'il a icnu à avoir parfaite. I''our
les médailles frappées, il aime surtout l'ar-
gent ou le bronze argenté, car les patines.
Plaquette commcmiiratirc
du cinquauticiuc anniversaire de la maison C.liristiïfle.
naturelle ou artificielle, agissent lentement ou
difficilement sur les molécules du métal vio-
lemment tassé par le balancier. Quant aux
fontes, pour lesquelles il s'est montré très
exigeant, il les a revêtues de belles patines
brun clair, un peu olivâtre, qui rappellent
les tons riches et profonds des bi'onzes
japonais, ou d'un brun noii- et grave qui fait
penser aux belles épreuves de la Renaissance
italienne.
Pour achever de carac- ;
tériser son ctuvre, il fau- î
drait dire un mot de ses ;
figures. On n'a rien à ap- |;
prendre sur leur grâce,
leur élégance et leur no- i
blesse. Ce type chaste et
fier, doux et pensif qui se
rencontre dans tout son
œuvre, est inoubliable; il I
en a trouvé les éléments ]
tout près de lui, dans des -^
traits chers, qu'il a immor-
talisés en un de ses plus
beaux portraits.
Mais ce qui est intéres-
sant et instructif à cons-
tater chez ce penseur et ce
visionnaire qui occupe aujourd'hui une si
grande place dans notre art, c'est que ces
rigures qui réalisent les caractères les plus purs
à remplir cet idéal complet de forme,
d'expression et de vie, par le culte très fer-
vent et très étroit de la nature.
Tout le début de la car-
rière de Roty est, en effet,
curieux à étudier à ce point
de vue. Ses premières mé-
dailles dénotent une recher-
che passionnée de la vie et
même un souci très mar-
qué du mouvement — qui
disparait, d'ailleurs, bien-
tôt, pour faire place à des
gestes plus calmes, plus
rvthmés, plus conformes
au rôle de la médaille.
Dans son fond de coupe
Faune et Faitnesse. dans la
Médaille de F Est Algé-
rien, dans celle de VKxposi-
tiou d'électricité, et dans les
innombrables dessins si soi-
gnés, si scrupuleusement étudiés de cette
époque que l'on commence à arracher de ses
cartons, ses personnages s'agitent, s'embras-
sent, tournent, s'envolent avec un besoin de
vie et de mouvement qui disparaîtra bientôt
de son leuvre.
¥a\ même temps, leurs formes plus allongées
n'ont pas encore atteint la distinction suprême
de son tvpe consacré; ils gardent, dans cette
-NA.Ni-/ II- >.iùl
^?5:^-
de la beauté, sont arrivées progressivement
Revers de la plaquette ci-dessus.
préoccupation de la vie, la recherche des sen-
sations même de la chair, un certain accent
naturaliste qui étonne les yeux habitués exclu-
sivement aux productions des dernières années.
L. O. %ny.
4}
Mais c'est déjà l'époque 1885-1887 decesad- poète la conscience et la probité inaltérable
mirables portraits, si nerveux, si fermes et si d'un vrai artiste, l'étude continuelle, la volonté
vivants, qui s'affineront encore plus tard dans patiente et tenace, la réflexion assidue qui lont
\-
L'Observation. — Etude pour la inéiiaiUe du ^JllSCC Social.
des saillies à peine indiquées, par des plans les œuvres durables, il arrive par une progres-
d'uneextrémetînesse, avecdesprotilsnetsetdéli- sion rapide à créer une de ces œuvres rares qui
cats, une acuité de vie et de physionomie qu'on sont une des manifestations les plus impec-
ne peut dépasser. C'est à ce nn)ment que joi- cables de l'idée du Beau et atteii^nent en même
gnant à la vision intérieure d'un penseur et d'im temps le cœur des toules.
Léonce Bénédite.
Couronnement de peigne.
Les Industries d'art au Salon de la Libre Esthétique
o^
E Salon de la Libre
Esthétique concen-
tre chaque année, en
unesectionspéciale,
le mouvement des
Industries d'art. Et
non seulement les
artistes belges les
plus compréhensifs
ont à cœur d'v ex-
poser leurs créations, mais la France, l'An-
gleterre, l'Allemagne, tous les pays où sonne
le réveil des arts mineurs v sont représentés
par des œuvres de choix, hospitalièrement
reçues et groupées d'une manière pittoresque.
C'est la Libre Esthétique qui, la première,
croyons-nous, imagina d'exposer un ensemble
complet d'ameublement conçu selon une esthé-
tique rationnelle. M. Serrurier-Bovy, puis
M. Henry Van de Velde composèrent pour
elle, en ces dernières années, des appartements
meublés et décorés avec une entente particu-
lière des formes et de l'orne-
mentation qui frappa vivement
les visiteurs. Cette fois, c'est
M. Victor Horta, un architecte
de sérieuse valeur auquel M. Thié-
bault-Sisson consacrait récem-
ment, en cette même revue, une
étude détaillée, qui occupe la place
d'honneur de la section des In-
dustries d'art. Il expose une salle
à manger complète : cheminée,
buffet, lambris, portes, table, chai-
ses, lustre électrique, tapis, dont
l'ensemble, d'un coloris général
ambré, est d'un effet harmonieux
et chatoyant. M. Horta a pris
comme point de départ de la déco-
ration de cette salledesmotifs tirés
de la faune et de la flore congolai-
ses, enles synthétisant en quelques
types de pure ornementation.
Toute l'huisserieet le mobilier, de
forme imprévue et neuve, est exécutée en un su-
perbe bois du Congo, sorte d'acajou aux reflets
flavescents, auquel se marie harmonieusement
le cuivre des appliques d'éclairage insinuées aux
angles saillants du dressoir et de la cheminée.
Celle-ci, exécutée en bois et en marbre rouge,
a pour corollaire deux armoires vitrées d'un
aspect élégant et d'une incontestable utilité pra-
tique. La glace est enchâssée dans cet ensemble
et. grâce à ce dispositif ingénieux, n'apparait
plus comme un accessoire encombrant et inu-
tile. La courbe harmonieuse des lignes, l'élé-
gance des chapiteaux, la hardiesse et la nou-
veauté des profils donnent à cette partie de
l'ameublement un extrême intérêt. Le monte-
charge, placé à droite et à gauche de la verrière
de l'entrée, forme lui-même, avec le dessin du
vantail et sa poignée de cuivre, un motif de dé-
coration, le principe inflexible de M. Horta
étant de ne jamais rien dissimuler mais de tirer
parti de tout pour composer un ensemble dé-
coratif séduisant. Et certes y a-t-il plus que
jamais réussi.
Le mobilier est représenté, en outre, au
Salon de la. Libre Esthétique, par une armoire-
bibliothèque en poirier ciré et un paravent en
Verres soiijjles.
K. KOEPI'IXG.
citronnier, tous deux harmonieux de lignes et
d'un dessin très pur, dus à M. Charles Plumet,
qui a également donné aux jolies lithographies
zclandaises de M. Alexandre Charpentier des
Les Industries d'art au Salon de la Libre Esthétiqut
A)
SOjCitI
FONDEE
cadres d'une sobriété pleine de goût. Un meu-
ble d'atelier de M. Henri Van de Velde, un pa-
ravent lithographie de M. Paul Bonnard, des
tapis de MM. G. Lemmen,
Ad. Crespin et Félicien Rops,
un encadrement de glace en
ivoire et bois du Congo, par
M. Ch. Samuel, un miroir
en cuivre repoussé, modelé
par M. F. R. Carabin, com.
plètent la section del'ameu-
blement.
La céramique et la ver-
rerie ont une large part au
Salon. MM. W. de Morgan
et C'", de Londres, exposent
un choix de faïences déco-
rées et émaillées au grand
feu, d'une rare perfection
technique. Ils ont retrouvé
pour leurs panneaux déco-
ratifs, 'pour leurs vases et
leurs plats, le secret des harmonieuses colora-
tions orientales où domine le bleu indigo et le
cinabre. Le dessin manque d'originalité et ne
l'Liquctte commémorative.
Alexandre Charphn'tier
les poteries de M. A. \V. Finch, un artiste
belge qui se consacre exclusivement aux arts
du feu et qui revêt de riches émaux, soit par le
seul mélange des terres, soit
par la fusion des oxydes,
des pièces d'une forme im
peccable.
Un artiste danois, M. Her-
man Kaehler, poursuit avec
succès, dans ses céramiques
aux couleurs de caroubier
et d'aubergine, un but sem-
blable. Avec les seules res-
sources des oxydes en igni-
tion, auxquelles il ajoute
parfois l'imprévu d'une or-
nementation modelée : tètes
de vautours ou de cygnes,
salamandres, crapauds, il
compose des œuvres d'un ca-
ractère ornemental de puis-
sant attrait, d'une exécution
absolument remarquable.
Une joie pour les yeux, ces verres délicats
et charmants du professeur berlinois Karl
Pièces céramiques.
H. KOEHLER.
fait que pasticher tels décors de jadis, mais Kœpping, qui vitrifie la grâce d'une tulipe,
l'exécution est irréprochable. d'une corolle d'arum dont lestons exquis, les
Nous préférons à ces réminiscences d'autre- irisations, les coulées opalines déconcertent
fois les tentatives réalisées, par exemple, dans les visiteurs.
46
Art et Décoration
compositii)ns fini
Henri Gros se sert de la pâte de verre colo- on souhaiterait plus d'originalité, pour les can-
rée pour couler en des bas-reliet's délicieux des délabres de M. Hathbone, pour le panneau en
.■ment modelées : telle cette bois sculpté et le bas-relief destiné ;i une che-
minée de M. George Jack.
Dans le domaine plus immé-
diatement industriel, signa-
lons toutefois la collection
de clefs, de poignées de ti-
roirs, de manches de son-
nettes, etc. en cuivre et en
b r o n /. e d ans les q u e 1 1 e s
M. Hathbone a uni l'élégance
et le gotit à la simplicité.
Des gobelets en étain. d'une
décoration sobre,des médailles
hnenicni . exécutées consii-
ILienl l'apport de M. i'aul Du
Bois, l'un des artistes belges
combinent a\ ce le plus
translucides de
Polciics cinaillces et dccnrccs.
l'ciiu.s iiiiX hipf()Cûiu}.-'L\s. qui a la ligne pure
et le style de quelque morceau de sculpture
antique.
Les prestigieux émaux
M. Thesmar sont assez célèbres pour qu'il
nous suffise de dire qu'ils ont ici le succès
qu'ils méritent. D'autres
émaux, dus à M. Alexandre
Fisher de Londres, plai-
sent parla richesse et l'har-
monie de leur coloration.
Le seul reproche qu'on
puisse adresser à M. F"isher
et à la plupart des ar-
tistes anglais gagnés à la
cause des industries d'art,
c'est, nous l'avons cons-
taté déjà pour M. de Mor-
gan, qu'ils se cantonnent
dans la reproduction des
formes et des compositions
ornementales de jadis au
lieu de créer des modèles
nouveaux. L'admirable
mouvement instauré par
William Morris et ses
amis ne donne pas à cet
A. \V. FINCH.
l|Ul
pratique des objets usuels.
Un encrier en étain. im
bougeoir de piano, des bijoux de .\1. Fer"
nand Dubois, divers médaillons, un pied de
lampe en bronze, une boucle de ceinture,
une biiiche en or tma.squc fantasliquct de
M. Henry Nocq décèlent un souci d'innova-
tion qui appelle l'aticniion. ("iions encore les
Clin I ICI- Je l.itli
IvuJciW . •■■ '-'-'MLA/.
bijoux ciselés avec goût par .\L N'an Strvdonck.
égard ce qu'on en pouvait
attendre. L'influence des styles traditionnels
reste prépondérante. Tel est le cas, par exemple, les gvhs (encrier, pot à labaci modelés avec une
pour les objets en cuivre martelé exposés par la sûreté remarquable par M. Carabin, les élé-
GtiiUi of haiiiiicraft de E'ivm'mgha.m, ■àu:iqui:h gantes plaquettes en étain et en bronze de
48
Art et Décoration
M. Alexandre Charpentier, — celle, entre
autres, qu'il exécuta en commémoration de la
fondation de la Société symphonique de Bru-
xelles. Mais n'empiétons pas sur le domaine
de la sculpture proprement dite, aux confins
de laquelle nous nous arrêtons.
11 nous resterait bien des choses à signaler,
si nous ne craignions d'allonger indéfiniment
cet aperçu. Bornons-nous à citer, dans les arts
graphiques, les estampes décoratives de Gras-
set, déjà étudiées ici, les lithographies murales
de MM. Heywood Sumner et Louis Davis
pour la Fit:^roy Society, les affiches de
MM. Rhead, Hazenplug, Penfield, Bird, Ras-
senfosse, Crespin, F. Rops, en insistant sur
les débuts d'un Jeune artiste belge, M. Gisbert
Combaz, qui nous parait être dans la meilleure
voie. Ses broderies pour courriers de table, ses
planches d'illustration en couleurs, ses dessins
pour marques de fabrique, sa vignette déco-
rative pour la Maison d'Art unissent à l'intérêt
de la composition, dont les éléments sont
généralement empruntés à la flore, un senti-
ment décoratif nettement accentué et une
parfaite entente de l'arabesque ornementale. 11
prend place à côté de MM. Van Rysselberghe,
Lemmen, Donnay, Berchmans, Rassenfosse,
parmi les promoteurs d'un art décoratif ori-
ginal et neuf.
Nous retrouvons M. Combaz dans les
vitrines consacrées à la librairie d'art où
M. Lyon-Claesen expose, à côté de quelques
précieux spécimens de l'industrie du Livre en
Angleterre, de luxueuses éditions illustrées. Et
le très artiste relieur anglais Cobden-Sander-
son, l'ami et le voisin de feu ^\'illiam Morris,
fait valoir en ce compartiment spécial le goût
parfait et la technique irréprochable qui pré-
sident chez lui aux somptueux vêtements dont
il habille les beaux livres.
Dans une vitrine voisine, M. Pierre Roche,
l'artiste investigateur et toujours en éveil,
expose les premiers spécimens de ses reliures
« églomisées «, douces au -toucher sans aspé-
rités, et décorées an dedans, au dehors, comme
si le texte venait s'épanouir en couleur au tra-
vers de la couverture. Ce principe rationnel,
appliqué, pensons-nous, fait la première fois,
est l'opposé de celui qui consiste à orner le
cuir de ferrures ou d'ornements rapportés,
c'est-à-dire, de la décoration du dehors vers le
dedans. Il y a là une tentative qui appelle
l'attention, bien que l'exécution matérielle
laisse encore à désirer.
Telle est, en raccourci, cette section des
Industries d'art qui donne au présent Salon
de la Libre Esthétique une haute valeur et un
intérêt primordial. Octave Maus.
Venus au.\- hippocampes \pâtc de verre)
HENRI GROS.
Grande Portière en peluche.
Isaac.
t Décoration.
LES ÉTOFFES TEINTES D'ISAAC
o^op
i: public ignorait en-
core les t r a \- a u x
d'Isaac lorsqu'il y a
deux ou trois ans,
celui-ci exposa pour
la première t'ois ses
étoftes teintes ou dé-
colorées. Sans être
encore bien vieux, ses
essais remontaient déjà à plusieurs années, et
une décoration qui lui fut demandée pour une
exposition particulière devait le l'aire entrer
dans une voie neuve et presque inexplorée.
Charmé dès l'abord par la teinture et ses
procédés, il étudia ceux-ci, les approfon-
dit, les Ht se plier à des fantaisies toujours
nouvelles et souvent charmantes ; il les maî-
trisa entîn, les fit siens, et sut se créer une
personnalité sans conteste. Le résultat mérite
d'autant plus d'être signalé qu'il est plus rare:
mais encore a-t-il été obtenu grâce à un
labeur de tous les instants et à une énergie de
recherches toute particulière.
Les applications de ces procédés sont du
reste nombreuses; tentures, portières, tapis,
robes, éventails, rideaux et abat-jour ont été
décorés par Isaac; des matières diverses ont
aussi été employées : toiles grossières et
crêpes de Chine, étamines et mousselines de
soie, velours et peluches ont tour à tour reçu
des décorations sobres ou compliquées, en
rapport avec leur nature rude ou précieuse;
des intérieurs complets ont même été réalisés,
ou des étoffes différentes, teintes et ornemen-
tées dans une gamme uniforme, se diversifient
cependant par le jeu de la lumière même sur
la matière, s'y réfléchissant ou y pénétrant.
créant des tons vibrants ou sourds, véritables-
cama'ieux du plus riche et du plus heureux
effet.
Mais malheureusement aussi, il fallait
compter avec cette lumière, qui, par le jeu des
tons et de la matière, peut créer des effets
admirables, mais qui, ennemie de la couleur,,
ronge et anéantit celle-ci. Bien rares sont les
tons qui peuvent lui résister; et cependant la
certitude de durée est une des qualités
indispensables que l'on doit exiger d'une
décoration. Il ne saurait être question, en
ertet. de changer celle-ci à chaque instant,
et le perpétuel provisoire ne peut être admis.
11 a donc fallu
choisir ces tons, les
essayer et ne retenir
que ceux présentant
toutes garanties de
solidité et de fixité.
De là vient une ap-
parente pénurie de
colorations; car un
artiste moins cons-
ciencieux et plus dé
sireux de l'effet au-
rait pu ne pas se
préoccuper delà qua-
lité des couleurs ;
mais Isaac les a
scrupuleusement
étudiées, et tenant
compte de ses ob-
servations, repoussa
toutes celles qui ne
pouvaient lui assurer
une conservation
presque parfaite. Ce
n'est certes pas un
labeur inutile, d'au-
tant que les rouges,
les roses, les oran-
gés, les bleus pro-
fonds ou verdàtres,
les verts sont repré-
sentés dans cette
gamme et permettent
déjà de varier large-
ment les colorations d'oeuvres diverses.
Quant aux procédés, ils changent, pour ainsi
•dire, avec l'inspiration du moment, l'étoffe
choisie, l'effet désiré : teinture et reteinture,
réserves et décolorations y sont tour à tour
employées et viennent contribuer à l'effet final.
Nous allons du reste les passer rapidement
l\villLdU dcCOliltif.
o
/In et Dccoratiou
en revue, loui en ciudiam quelques-uns des Mais cet cmhousiasmeei celle joie de la lech-
motifs décoratifs exécutés par l'artiste. nique complète ne peuvent durer; bientôt l'ar-
Nous x'cnons de parler d'Isaac aux prises tiste se sera ressaisi, et retournant aux bons
Ftisc Cl! j.'i'
avec les procédés eux-mêmes; resterait à parler
d'Isaac décorateur. Mais peut-être ici nos cri-
tiques pourraient-elles passer pour exagérées,
si nous ne faisions une constatation et ne ren-
dions justice à l'artiste.
Préoccupé avant tout de la technique de son
art, ayant à lutter à chaque instant contre une
matière rebelle, l'artisan délaissa forcément le
motif en lui-même. On peut presque suivre
pas à pas les progrès de sa technique dans la
composition même des œuvres qui se sont
succédé. Parti de choses simples, naïvement
interprétées, bien écrites, deux ou trois valeurs
franchement posées, quelquefois des fonds
dégradés passant du bleu verdâtre au rouge
orangé, nous le voyons peu à pieu arriver à la
multiplicité des teintes, des demi-teintes, des
fondus, des repiqués ; maître de son procédé, il
veut, dans une même composition, en appliquer
lucJic nni^c.
principes décoratifs, à l'étude et à la simplifica-
tion de la nature en vue d'une interprétation
bien en rapport avec la destination de l'œuvre et
les matières employées, à la simplicité d'effet,
à la recherche de lignes pures et harmonieuses,
nous verrons, grâce à sa possession parfaite de
lui-même, son art s'élargir et tenir enfin ce que
ses travaux nous ordonnent d'espérer.
Etudions d'abord les décorations murales.
Ce sont les plus nombreuses de beaucoup
dans l'œuvre de l'artiste, et peut-être aussi les
plus complètes et les mieux réussies.
Nous prendrons comme exemple afin d'in-
diquer sommairement les procédés techniques
d'Isaac, deux frises différentes, comportant
cependant le marronnier comme élément déco-
ratif commun.
i'risc en fi'hichc hlctic.
toutes les finesses, fut-ce au détriment de l'effet. Dans chacune d'elles l'etfet est opposé; alors
Il arrive au naturisme, qui en décoration que dans la première, les feuilles se détachent
doit être repoussé avant tout. en clair sur un fond foncé, le contraire se pro-
Les Etoffes tL'inti's illsûc
U
duii dans la seconde et ce sont les feuilles qui
V sont plus chargées de couleur que le fond.
La première est exécutée dans une
d'un rouge très adouci, alors
que la seconde se Joue dans une
tonalité d'un bleu un peu ver-
dàtre.
Voyons maintenant com-
ment a procédé l'artiste. D'une
manière générale, ce sont des
réserves successives qui lui
permettent d'obtenir ses etiets ;
mais encore, qu'est-ce qu'une
réserve? C'est le moyen de pré-
server d'une façon quelconque
un tissu contre l'action, soit
d'une teinture, soit d'un déco-
lorant. Et en général, réservant
toujours son motif, Isaac part
ou d'une étoffe claire qu'il
teint successivement, les for-
mes réservées apparaissant en
clair sur un fond foncé, l'opé-
ration terminée ; ou d'une
étoffe foncée qu'il décolore en-
suite, et sur laquelle le fond dé-
coloré laisse apparaître les mo-
tifs dans le ton primitif du tissu.
Ceci nous ramène, somme
toute, à la contre-partie d'un
pochoir; car en effet dans ce der-
nier procédé, une feuille de pa-
pier, de carton, de métal même
est découpée, ajourée suivant le
dessin à reproduire, et la couleur est appliquée
dans les trous ainsi obtenus, ce qui reste de
P^DllWûll
fonds se trouvent donc seuls travaillés, les su-
jets décoratifs étant préservés. Mais encore fal-
lait-il trouver la matière même de ces sortes de
pochoirs; il ne fallait pas que la
teinture ou le décolorant puis-
sent se glisser dessous et ma-
culer les réserves. Aussi, après
de nombreux essais, l'artiste
tixa-t-il son choix sur une sorte
de papier buvard, qui absor-
bant le liquide, l'empêche de se
répandre et de gâter le dessin.
Dans sa frise rouge, suivons
donc le travail d'Isaac. Son
carton fait, il a pris une pe-
luche blanche, et, se proposant
une harmonie d'un rouge pâle,
a teint toute sa peluche en un
rouge très dilué qui lui donne
un rose passé. Ce sera le ton des
feuilles. Ensuite il a appliqué
surson étoft'eainsi préparée. des
feuilles de papierbuvard décou-
pées suivant son carton, tout en
évitant cependant de recouvrir
un certain nombre de petites
feuilles qui, recevant ainsi une
teinture supplémentaire, se-
ront plus foncées et formeront
un second plan. Il projette alors
une teinture t'aihle destinée
simplement à différencier les
petites feuilles non ré?ervées
des premières; il aurait pu
ainsi par des réserves successives se mé-
nager plusieurs tons; deux lui ont suffi pour
Dessus de Ut. — (Frjinnciit.l
laleuillepréservantles fonds. Isaac, lui, faitTin- ce motif. Recouvrant enfin tout le feuillage, il
verse; il découpe son motif lui-même, (supprime a projeté une teinture plus forte qui a donné
les tonds par conséquenti. l'applique sur son le fond rouge désiré. Les caches retirées, le
etofie et projette sa teinture ou son acide. Les dessin apparut, se détachant en une harmonie
r-
An et Dccorat'u
V!
de roses pâles sur un fond
roLij;e passé plus soutenu.
On voit par cet exemple
de quelle simplicité est le
procédé; reste à l'appliquer
suivant le cas et les ertets
à obtenir.
Dans sa frise rouge, le
motif devant rester clair,
l'artiste est parti d'une
étoffe claire pour arriver
ensuite par des teintures
successives à des foncés.
Dans sa frise bleue, au
contraire, le feuillage de-
vant se détacher en foncé
sur un fond clair, c'est l'in-
verse qui seproduitet, tout
en suivant exactement la
même marche, il arrive au
résultat diamétralement
opposé, en substituant un
décolorant à la teinture, et
àuneétoffeclaire,uneétof-
fe primitivement foncée.
Mêmes demi-teintes ob-
tenues, même simplicité.
Somme toute, ces deux
procédés représentent tou-
te la technique d'Isaac ;
nous les avons rapidement
énoncés, passant volon-
tairement sous silence
toutes les manipulations
chimiques purement in-
dustrielles que doivent su-
bir les étoffes ainsi prépa-
rées ; manipulations trop
spéciales, n'ayant pas d'in-
térêt immédiat pour nous
et ressortissant plus au
métier du teinturier qu'à
celui du décorateur.
Appliqués ensemble ou
séparéinent ces deux pro-
cédés nous ont donné nom-
bre de motifs intéressants,
parmi lesquels nous allons
en étudier quelques-uns.
Dans son panneau fleuri
de trois tiges de lis, au-des-
sus desquelles passent des
oiseaux, la manière appa-
raît dans sa plus entière
P^iinu\T.i dàcoi-atif.
simplicité; l'étoffe blanche
a reçu une seule teinture
d'un Jaune un peu bis for-
mant le fond, sur lequelles
végétations ont été réser-
vées. Aucune teinte secon-
daire; seule l'opposition
du ton du fond avec la
teinte primitive de l'étoffe,
qui vient former les fleurs:
l'effet n'en est que plus
agréable, franc, et seule la
forme un peu trop nature
et l'enchevêtrement des
feuilles pourraient être
critiques.
Par contre, beaucoup
pluscompliquéea étél'exé-
cution du panneau orné de
pavots et de roseaux dans
sa partie inférieure, alors
qu'une légère branche de
pommier vient courir sur
la partie haute. Plus com-
pliqué et aussi moins heu-
reux, l'aspect un peulourd
du bas nous faisant re-
gretter la simplicité et la
légèreté de tout à l'heure.
Conçu dans une teinte vert
jaunâtre un peu aigrelette
mais agréable cependant,
il séduit au point de vue
technique par la variété de
sa facture et le contraste
qui existe entre le motif
supérieur si léger et le
faire beaucoup plus accen-
tué des fleurs du bas. Son
exécution peut se résumer
en ceci : teinture faible, les
pavots et le pommier étant
seuls réservés, reteinture
forte pour les fonds, le
motif entier étant recou-
vert. P3nsuite, repiqué exé-
cuté au pinceau avec des
tons plus ou moins foncés
sertissant les pavots et les
roseaux, modelant les
fleurs et les massettes. Par
contre, lepommierduhaut
reste simplement si-
lhouetté par la réserve, ce
Les Etoffes teintes d'Isaac
S)
qui produit cette sensation de légèreté contras-
tant avec le reste. Ce panneau aurait été des
meilleurs avec un peu plus de recherches de
lignes décoratives et d'arrangement.
Revenant aux choses moins compliquées,
nous ne pouvons
qu'admirer un dessus
de lit rose, semé de
fleurs de chrysanthè-
me simplement en ré-
serve. Chaque fois
qu'il consent à rester
simple, l'artiste est
charmant ; du reste
la simplicité ne de-
vrait-elle pas être une
des grandes lois de
l'art décoratif?
Dans la frise ornée
de feuilles de platane,
des réserves et des tein-
tures successives ont
au contraire donné
plusieurs plans de
feuilles superposées;
mais l'exécution sobre
en fait une chose inté-
ressante.
Voici maintenant un
tapis de table. Sur la
partie qui doit être po-
sée à plat, un orne-
ment composé de
fleurs d'iris; la partie
retombant autour de
la table se trouve fleu-
rie de tiges de la mê-
me plante, accompa-
gnées de leurs feuilles;
critiquons un peu en
passant la rigidité de
celles-ci, mais louons,
au contraire, l'idée
Rohc eu rcloitrs.
nuscule, représente un échassier, les pattes
dans l'eau et entouré de roseaux en fleur. Exé-
cuté sur velours vert foncé, décoloré suivant
toute une gamme de demi-teintes, il est d'une
harmonie, d'une simplicité et, tout à la fois,
d'une minutie de fac-
ture, qui en font une
des choses les plus
réussies de l'artiste.
.1 e mettrai cependant
encore au-dessus un
panneau d'algues et
de poissons, qui est
une œuvre complète.
Dans une eau d'un
bleu profond et gris,
parmi les herbes et les
nénuphars, se jouent
des poissons agiles.
Ils montent des ténè-
bres vers la surface
plus lumineuse, là où
la teinte pâle de l'eau
vient se fondre avec
le rouge orangé d'un
ciel embrasé. Ce que
ne peut rendre la gra-
\ure, c'est la vibra-
tion de l'eau, l'espèce
de frémissement qui
la parcourt, alors que
vaguement s'esquis-
sciu les silhouettes
sombres des poissons
et des algues : c'est
encore la somptuosité
du bleu partant en bas
d'une teinte puissante,
allant s'éclaicissant
vers le haut, se fon-
dant ensuite en un
rose qui va se foncer
à son tour, et arriver
à un rouge orangé ma-
gnifique. Letoutd'une
exécution large et
tranquille.
très heureuse de la dis-
position. Ce tapis est
exécuté dans un des
plus beaux tons que
possède la teinture, et un des plus solides Les algues, du reste, semblent inspirer Isaac.
aussi, tout en étant des plus communs, le Elles lui ont fourni pour une grande portière
bleu de cuve, bleu puissant, velouté, profond une ornementation d'une fantaisie et d'un im-
et admirable. Les fleurs ont été réservées, et prévu vraiment admirables. L'exécution ne le
le tond légèrement décoloré est ramené à une cède en rien à la composition, et l'effet de cette
temi-teinte : eftet riche et fort heureux.' pièce, qu'il m'a été donné de voir en place, est
un autre panneau, charmant, quoique mi- de toute beauté.
)4
Art cî T>i\oraîion
Knt
c cil crcyc
Je i.ltnic.
Nous voudrions nous arrcter ici et ne pas
parler des derniers travaux de l'artiste. Mais
encore serait-ce un mauvais service à lui
rendre c]ue
de lui dissi-
muler notre
véritable
sentiment .
Nous cons-
tations plus
haut son
tj-nùt pourle
naturisme ,
qui lui fait
indiquer
jusqu'audé-
ch iquetage
des feuilles
mangées
par les in-
sectes, dans
SCS frises de
marronnier
par exem-
ple. Pour-
quoi ce goût le pousse-t-il à faire du paysage
aussi nature que possible sur ses panneaux
décoratifs ? Autant des <euvres comme la por-
tière ou rensemble des poissons nous plait à
regarder, autant le petit paysage que nous re-
produisons nous semble peu propre à remplir
le but que l'on s'est proposé. Mais si le choix
du sujet nous choque, encore nous faut-il
admirer le faire de ce panneau où l'habileté
technique est portée à son comble.
A présent donc que l'artiste est en
la possession parfaite de son pro-
cédé dont la recherche a pu l'écarter
un moment de la route, qu'il se com-
plaise en l'étude du inotif décoratif,
et bientôt de belles œuvres vien-
dront s'aj(juter à celles produites
déjà.
Par une pensée ingénieuse, Isaac
voulut renouveler par le décor même
la toilette féminine. Son effort n'est
pas encore assez long pour que les
résultats obtenus soient considé-
rables; mais ils peuvent cependant
nous intéresser. Déjà plusieurs robes de ma-
tières différentes ont été ornées : crêpe de
Chine, velours, etc. La première de ces ma-
tières est celle qui semble l'avoir séduit le plus
souvent; aussi bien, la beauté du tissu est-elle
propre à tenter l'artiste ; mais son peu de
consistance rendait l'application des méthodes
oi;dinaires de réserve bien peu pratique; il
fallait trouver mieux. C'est alors que revint
à l'esprit d'Isaac le souvenir d'un procédé
qu'exhibait à l'exposition de 1889, un industriel
javanais. C'est la réserve à la cire. J'ai du reste
retrouvé ce procédé employé par Dysselhof,
un autre artiste décorateur, à Amsterdam.
Vovonsen quoi consiste ce procédé javanais.
On fait fondre à un feu doux de la cire vierge
additionnée d'un peu de benzine ou d'essence
de térébenthine; puis on trace sur l'étoffe au
moven d'un pinceau et de cette cire fondue les
dessins à réserver lors de la teinture. La diffi-
culté réside tout entière en ceci : travailler avec
cette matière chaude qui se fige presque
immédiatement au bout du pinceau. Appli-
quée, la cire pénètre et traverse l'étoffe légère:
celle-ci est alors plongée dans un bain colorant.
La fantaisie de l'artiste trouve ici libre car-
rière : tons unis ou dégradés, clairs ou foncés,
lui sont permis. L'opération n'est plus qu'une
simple teinture ordinaire, et nulle préoccupa-
tion ne peut l'entraver.
Il suffit, cette opération terminée, d'un lavage
à la benzine pour dissoudre la cire et en faire
complètement disparaître les moindres traces.
Telle est la description sommaire de ce pro-
cédé que chacun peut employer et qui permet
de se livrer à des compositions charmantes.
Ici, toute difficulté technique disparaît; seule,
l'application de la cire subsiste, la teinture
rMincaii Dccdyjtif.
étant contiée à un industriel; le maniement
du pinceau, rendu un peu difficile par la solidi-
lication rapide, est seul à étudier, et quelques
essilis auront vite raison de cet inconvénient.
Lc's Etoffes teint L-s dlsaac
))
Nous donnons ici deux des robes compo-
sées et exécutées par Isaac; une en crêpe de
Chine et une en velours. Celle-ci l'emporte
certainement de beaucoup
comme composition. La
branche fleurie qui court
dans le bas et le semis de
fleurettes sont bien mieux
appropriés que l'ornemen-
tation un peu maigre de
l'autre robe qui est du reste
plus ancienne de composi-
tion et d'exécution.
Nous regrettons cepen-
dant qu'il n'ait pas à la t'ois
dirigé son etl'ort sur la com-
position de la robe, et ne se
soit pas plus préoccupé
du lien qui doit étroite-
ment unir l'ornementation
à la forme à décorer. Ce
serait cependant une chose
bien faite pour tenter un
artiste : créer pour une per-
sonne, d'après son allure et
sa taille, on pourrait presque
dire d'après son caractère
même, une harmonie de
lignes et de couleurs; alors
que l'usage applique indiffé-
remment à l'une ou à l'autre
un modèle presque unique,
sans aucune préoccupation
d'esthétique ni d'adaptation.
Il ne saurait être que fort
heureux de voir les artistes
s'occuper du costume fémi-
nin, régler en quelque sorte
les modes de leur temps. Et
il peut être ainsi très inté-
ressant de créer une robe,
un chapeau et de faire, par
là même, œuvre d'art. Mais
encore faut-il pour cela que
des idées artistiques d'ordre
supérieur président à la
composition.
A défaut de composition
générale, l'ornementation
j seule présente déjà grand
I intérêt, et Isaac l'a bien compris. Il n'a pas,
; du reste, limité à la robe seule ses tentatives.
Comme objets se rapportant encore à la
; femme, citons des sacs et des éventails.
l'a>:neaii dcjuraiif.
Parmi ceux-ci : un vol indécis de chauve-souris
sous la neige, décor à peine indiqué, en
bleu gris, d'un joli ton et d'une belle exécu-
tion sur crêpe de Chine.
( )n peut se rendre compte
par ce rapide exposé, des
applications multiples que
p.ut recevoir ce procédé
décoratif.
Malgré cela, il reste un
peu en dehors de l'idéal que
nous avons pu nous former
à ce sujet. Il n'est propre en
efïet, pour le moment pré-
sent tout au moins, qu'à
produire des pièces uniques,
dont le prix, par là même,
peut être élevé; or, l'art dé-
coratif ne devrait-il pas
tendre au contraire à créer,
au lieu de bibelots précieux
ou de pièces rares, des mo-
dèles courants accessibles à
tous, modifiant les stvles
anciens et en créant un plus
moderne el plus en rapport
avec notre époque, nos
mœurs et nos besoins.
Et certes, la diffusion
seule des modèles nouveaux
pourra produire cette évo-
lution réclamée par chacun
et à laquelle tant d'artistes
travaillent. Mais jusqu'ici,
le manque de direction com-
mune et le charme de la
difliculté à vaincre ont dis-
persé les efforts au lieu de
les rassembler et de les unir.
<-)n peut facilement conce-
voir l'attrait plus grand que
doit exercer sur l'artiste la
composition d'un objet sur
lequel il vient concentrer
tous ses efforts, toutes ses re-
cherches et toute sa science;
mais au point de vue moral,
n'est-il pas plus beau d'en
créer un autre répondant
aux besoins de son temps,
propre à satisfaire les aspirations artistiques
de ceux qui nous entourent, utile en un mot.
Sans aller pour cela jusqu'à l'art démocra-
tique dont beaucoup prétendent la réalisation
!6
Art et Décoration
et la conception même inadmissible, n'est-il courants se renouveler et hausser leur niveau
pas possible de penser au renouvellement de artistique.
nos intérieurs, de nos mobiliers, sans pour Mais pour cela, la collaboration efficace des
cela tomber dans le pastiche à bas prix d'arts industriels devient indispensable. Aux artistes
étrangers ou de styles anciens. alors de la provoquer; et peut-être est-ce là
N'est-ce pas plutôt le procédé qu'il faut Tutilitéque pourront avoir les tentativesisolées
choisir ou modifier; n'est-ce pas surtout les des novateurs.
Eveiitjil eu crcpc de Chine.
modèles ou les dessins qu'il faut simplifier,
ramener à leurs éléments mêmes, afin que les
prix soient à la portée de tous et ne fassent pas,
de ces productions, des œuvres restant à l'état
d'exception, sans utilisation pratique. En un
mot, cela ne revient-il pas à industrialiser les
procédés artistiques sans pour cela tomber
dans l'excès contraire ?
Non pas que nous répugnions à l'œuvre d'art
unique; mais nous voudrions voir les modèles
Nous étudierons ceux-ci ; parmi eux se trouve
Isaac. Déjà il a orné de nombreux intérieurs
et a produit quantité de pièces intéressantes;
il e'^t bon de rappeler ses tentatives et d'attirer
l'attention vers ce laborieux et ce modeste dont
le succès a couronné les efforts, et qui, non
content des résultats acquis, élève toujours
son idéal et s'applique à le réaliser.
M. -P. Vi:rni:iil.
Tapis de Table. [Iris.)
Concours Rougevin à l'Ecole des Beaux- Arts
r.V TAPIS POl'R LA GRAXDH CHAMBRI-: DK LA COl'R DE CASSATION
'enseignEiMEnt donné aux
architectes s'est élargi de-
puis quelques années.
Grâce à la sollicitude de
leurs maîtres, les élèves
ont appris à faire sur les
œuvres exécutées des
études d'analyse. Ils ont
dessiné dans nos Musées
les plus beaux motifs de
chaque époque, interprétant sur le vif la forme
et la couleur. En apprenant ainsi à saisir les
nuances de style, ils ont compris la part qui
revient dans la création d'une œuvre à l'inter-
prétation décorative des qualités de la matière
et à l'appropriation des formes, qui en est la
conséquence.
Au lieu de réduire l'architecture à l'applica-
tion de formules étroites, les maîtres se sont
efforcés de montrer aux élèves que les prin-
cipes de composition qui conviennent à l'or-
donnance d'un monument sont ceux qui
régissent toute composition décorative, et que
l'architecte, aujourd'hui comme jadis, doit
être aussi bien préparé à donner le dessin d'un
tapis, d'une reliure, d'un vitrail ou d'un meuble,
qu'à fournir les plans d'un édifice public ou
privé.
Seul, en effet, l'architecte peut, en raison des
études complexes qu'il est tenu de faire, con-
tribuer aux progrès des industries d'art qui font
partie de son domaine. Si ces industries avaient
cessé depuis un siècle de progresser, c'est c[ue
durant ce temps l'enseignement de l'architec-
ture s'était spécialisé, s'appliquant aux formes
abstraites plutôt qu'aux principes de composi-
tion et n'exerçant plus son influence salutaire
sur toutes les branches de l'art.
Pour ceux qui suivent de près les travaux
des élèves, les progrès étaient constants, et
chaque concours les rendait plus sensibles;
mais ces élèves qui paraissaient bien préparés,
étaient-ils désormais en état d'aborder dans un
esprit vraiment moderne une composition
s'appliquant à la technique particulière d'un
art, par exemple à celle de la tapisserie? L'ex-
périence méritait d'être tentée. A une époque
où tout le monde s'accorde à critiquer la
médiocrité des produits industriels, oii faute
de nn)dèlesles manufactures les mieux outillées
ne produisent guère d'amvres originales, où
l'archéologie substituée à l'art est encore un
obstacle à la production, il importait de savoir
si notre école d'architecture est vraiment ce
qu'elle doit être et si les artistes futurs justifie-
ront les espérances qu'on est en droit de con-
cevoir. L'expérience a été faite : elle est inté-
ressante à tous égards.
Piojci de M. liDMUND VIIRY
Le concours d'ornement dit concours Rou-
gevin s'y prêtait, et le sujet choisi par le pro-
fesseur de théorie a été un tapis du genre dit
Cl Savonnerie » (il pour la Grande Chambre
I. On sait que ce nom de «Savonnerie u provient de
l'ancienne manufacture de tapis établie jadis dans une
ancienne fabrique, quai de Billy, et transférée en 182G
à la manufacture des Gobclins.
5«
Art et Décoration
de la Cour de Cassation. Le programme, con-
seillait aux élèves « d'éviter les perspectives, les
« figures, les représentations de reliefs ou de
Projet de M. MIEIER
« creux, en un mot tout ce qui est contradic-
« toire avec la destination d'une étoffe sur
« laquelle on marche ».
Il recommandait comme étant les plus dura-
bles les tonalités de couleurs franches, et tout
en citant comme exemple les tapis d'Orient,
mosaïques aussi riches de dessin que de cou-
leur, il rappelait aux élèves qu'il s'agissait de
composer un tapis français et moderne, non
un pastiche des tapis orientaux.
Près de deux cents projets ont été exposés,
et jamais concours n'offrit plus grande variété
de compositions. Cette variété même rendait
le jugement difficile, car les projets n'étaient
point aisément comparables.
Dans une composition de ce genre, l'échelle
des ornements a une importance capitale,
puisqu'il s'agit d'harmoniser le tapis avec une
décoration déjà existante.
D'ailleurs le tapis, étant destiné au milieu
de la salle bordée de trois côtés par le prétoire,
avait sa partie la plus large à l'extrémité lon-
geant le bureau des présidents et sa partie la
plus étroite à l'extrémité opposée entre les
bureaux fixes des greffiers. Cette disposition
particulière pouvait donner lieu à une ordon-
nance intéressante, et il est regrettable que
dans les meilleurs projets il n'en ait pas tou-
jours été tenu compte.
Les compositions les plus simples sont tou-
jours celles qui ont le plus de chances de suc-
cès, parce qu'elles donnent la moindre prise à
la critique : celles de MAL Naville et Bassom-
pierre ont obtenu le premier et le second prix.
Tous deux avaient assujetti leur tapisà la forme
de la salle ; tous deux ont développé leurs
ornements de ton gris ou de ton jaune, emprun-
tés aux emblèmes et aux attributs de la Justice,
dans une bordure encadrant un fond bleu. Il
semble que la décoration de la Grande
Chambre où l'architecte, M. Coquart, a usé
très largement de l'or, ait déterminé le choix de
cette tonalité.
Les rinceaux gris et verts sur fond brun
s'adaptent bienà lacom position de M. Naville.
^.:,-^>5:'
Projet de M. ANDRÉ COLLIN
Dans le projet de M. Bassompierre, les lignes
rigides du cadre et les torchères s'inspirent
peut-être un peu trop du style en honneur à la
fin du siècle dernier.
Concours Tiougerin a l'Ecole
des 'Beaux-oArts
)9
De l'avis des tapissiers, la tonalité bleue du
fond est de celles qui doivent être évitées. Le
bleu et le violet sont, en tapisserie, des tons
instables qu'il faut employer en petites sur-
faces et en valeurs très soutenues.
Les projets récompensés en seconde ligne
prêtent sans doute sur plusieurs points à
diverses critiques, mais ils se distinguent par
des qualités de composition, de dessin et de
couleur qui seraient très appréciées dans l'exé-
cution d'un tapis. A cet égard, le projet de
M. Hulot et celui de M. Carré sont parmi les
meilleurs.
M. Hulot a très heureusement groupé dans
un trophée les emblèmes et attributs formant
devant le bureau des présidents la partie prin-
"i
Projet lie M. GUY
cipale de sa composition ; il l'a développée
latéralement, de part et d'autre des bureaux
des conseillers, dans une large bordure dont
les rinceaux gris et verts à fond rouge, enlaçant
un champ bleu, s'harmonisent bien avec le ton
orangé du fond. L'exécution du dessin au
pastel donne l'illusion des hautes laines à
I rojet de M. TALLAST
employer dans le tapis. La composition a
quelque rapport avec celle de M. Naville; elle
est d'une indication plus savante et eût cer-
tainement réuni un plus grand nombre de suf-
frages si la forme circulaire du motif principal
eût été mieux ajustée dans la forme rectangu-
laire donnée par le plan.
Le projet de M. Carré est d'une coloration
plus uniforme, mais très appropriée à l'effet
d'un tapis. La composition, ingénieuse, parait à
premier examen de forme indécise ; cela tient
au parti adopté par l'élève pour le tracé des
contours, qu'il a interprétés suivant des lignes
brisées afin de simuler le travail de la laine.
C'était peut-être une préoccupation inutile ;
car un dessin d'exécution ne pourrait comi-
porter que des contours très définis. Quoi
qu'il en soit, la composition est bien pondérée,
et si l'épéede la Justice, qui broche sur le fond
6o
Art et Décoration
parait jurande, les i>nicnicnts à tons rompus se
lient bien avec le lund jaune, isolés seulement
aux unifies de la bordure rectangulaire par un
tond bleu sombre.
L'une des compositions les plus gracieuses
est assurément celle de M. Gentil, e^ui a dis-
tribué comme les compartiments d'une reliure
ses entrelacs bleus de valeurs différentes sur
un fond bleu clair rehaussé de nielles d'or.
Malheureusement, ces nuances de bleu tendre
Projet de M. HENRI .MICHEL
seraient difhcilement exécutables en tapisserie.
D'autres projets récompensés par des mé-
dailles se distinguent moins par leur originalité
que par la simplicité de leur composition. Les
dessins de MM. Joseph Martin, Potter et Mor-
gan sont dans ce cas. La composition de
M. Deville est trop toutfue pour un tapis et les
détails trop finsdisparaitraientdansl'exécution.
Celle de M. Mosler a de grandes qualités : dans
une bordure rectangulaire de feuilles vertes
piquées de fleurs rouges sur fond brun, sont
ajustés, aux angles, des cartouches de ton jaune
limitant le fond bleu à rinceaux verts, au centre
duquel est un grand motif de ton jaune sur
fond rouge. Le dessin très précis serait, ainsi
que le constatait M. le chef d'atelier de la Ma-
nufacture des Gobelins, d'exécution facile,
mais les cartouches d'angle ne se lient pas bien
à la bordure, et à distance le projet n'a pas
l'harmonie de ceux de MM. Carré ou Huîot.
M. Quillet avait compris son tapis comme
une mosaïque dont la note dominante serait le
bleu. Quoique le dessin soit très habile et très
harmonieux, l'exécution donnerait une œuvre
froide et peut-être insuffisamment décorative.
La composition d'un tapis offrait deux
écueils : d'une part, les tons francs, les seuls
qu'il faille admettre, se prêtent moins aisément
que les tons rompus à une harmonie de cou-
leurs; d'autre part, la tapisserie de haute laine
s'exécute par rangées horizontales à raison de
trois rangées au centimètre pour quatre fils
verticaux, ce qui donne douze points par cen-
timètre carré. Il importe donc que le dessin ne
multiplie pas les finesses, car dans une rangée
chaque changement de ton est un changement
de laine, et il faut évidemment que la largeur
attribuée à une coloration soit au moins égale
à celle d'un point. M. l'Administrateur général
des Gobelins et M. le chef des ateliers de la
« Savonnerie », qui ont visité à plusieurs re-
prises l'Exposition avec le plus vif intérêt,
m'ont communiqué leurs observations sur le
choix des colorations et sur l'échelle des orne-
ments : elles sont de nature à faire comprendre
aux élèves les erreurs qu'ils devront éviter
dans toute composition d'un tapis de haute
laine.
Parmi les projets mentionnés, il en est plu-
sieurs qui se prêteraient parfaitement à l'étude
définitive et à la confection d'un tapis. Ceux
de MM. Tallant, Mûrier, Uhry, Garet; Guy,
Gutton, Roisin, André Collin, Michel et Du-
buisson méritent d'être signalés à cet égard
aussi bien que les premiers.
C'est dans des tonalités bleues que M. Mû-
rier a composé son tapis, enlevant ses rinceaux
en foncé sur le fond et reliant ainsi ses attri-
buts de ton d'or. Le bleu vert qu'il a choisi
est un ton de tapisserie, dont les valeurs diffé-
rentes en haute laine auraient bien l'aspect
velouté qu'il a cherché.
M. Dubuisson a très heureusement limité
son fond rouge par de larges rinceaux de tons
bleu et jaune, suffisamment clairs pour s'har-
moniser avec le fond, et dont les subdivisions,
assez fines pour grandir l'échelle des orne-
(Concours Roiii^-cr:n A J'EcoJe des Bcaux-z4rts
6
mcnts, seraient encore exécutables en points
de tapisserie. C'est nn bon projet, qui serait
aisément développé.
Le projet de M. Garet, absolument ditîercnt,
doit à l'emploi de trois tons : le gris bleu de la
bordure, le jaune orangé du fond et le brun
rouge des ornements qui brochent sur ce fond,
une harmonie colorée très puissante et parfai-
tement appropriée à l'effet d'un tapis.
C'est par des tons clairs, le jaune et le ver-
dàtre très adroitement combinés pour le fond
et les ornements, que M. Guy a su obtenir
l'effet agréable d'une étoffe veloutée accusant,
par le bleu foncé qui forme le fond de ces
cartouches, les divisions principales des com-
partiments.
M. Gutton et M. Roisin, exposés côte à côte,
ont des qualités fort ditférentes. M. Gutton,
dans un dessin extraordinairement habile, s'est
inspiré des tapis persans, divisant un fond bleu
soutenu par des ornements de tons francs,
jaune, rouge, vert, mais assez étroits pour
que l'harmonie colorée n'ait pas à soutfrtr de
l'intensité des tons. La ténuité des ornements
rendrait peut-être l'exécution difficile.
Dans le projet de M. Roisin, les ornements
sont plus grands, la composition plus simple,
mais aussi moins originale. Un motif central en
forme de losange se rattache par des cartouches
à la bordure rectangulaire, limitant avec la
bordure quatre triangles dont les fonds sont
garnis d'élégants feuillages de ton verdâtre.
Deux charmants projets, celui de M. Nyeth
et celui de M. André Collin, sont tous deux
composés d'ornements trop ténus, dont les
finesses se perdraient à l'exécution. Dans le
tapis de M. Nyeth, la couleur dominante est le
ton d'or, qui apparaît partout entre les rinceaux
délicats et les compartiments de tons rompus
qu'émaillent quelques touches de bleu clair
La bordure bleue à dessins blancs est la
partie la plus intéressante du projet de
M. Collin, qui donne peut-être trop de place à
ses tables de la Loi, de coloration très claire
et par cela même discordante.
Deux autres compositions, celle de M. Uhrv
et celle de M. Tallant, quoique trop compli-
quées, sont très ingénieuses et s'adaptent bien
aux formes de la salle. Autant le projet de
M. Tallant admet les tons crus, le rouge et le
vert foncés, accentués encore par de larges
sertis blancs, autant le projet de M. Uhry
s'attache à une égalité de valeur dans les bor-
dures et les fonds qui devient choquante par
excès d'uniformité. Ce sont cependant de
bonnes études, susceptibles d'être dévelijppées
pour l'exécution d'un tapis.
11 faudrait pouvoir citer presque tous les
projets : dans tous, en effet, on aurait à signaler
quelque joli morceau, intéressant par l'inven-
tion, le dessin ou la couleur.
Projet de M. CARKE
J'avais eu souvent l'occasion de dire que
les architectes étaient, mieux que tous autres
artistes, préparés par leurs études à renouveler
les arts décoratifs, en appropriant leur compo-
sition aux obligations d'un emplacement, en
déterminant les formes qui conviennent aux
qualités de chaque matière. Les travaux de
nos élèves semblent m'avoir donné raison.
Lucien Magne.
UN INTERIEUR MODERNE
Lavillade M.VandeVeldeà Uccle(BeIgique\
bien que se rapprochant de la conception des
villas anglaises modernes, témoigne cependant
hautement des recherches auxquelles se livre
cet artiste.
Il est certain que l'idéal de M. Van de Velde
en cette circonstance a été d'avoir une maison
aussi confortable et aussi gaie que possible.
Ce premier but est atteint; mais, peut-être, la
Nous reproduisons ici une vue de la salle à
manger de la villa d'Uccle.
L'impression première est toute d'harmonie
et de simplicité; cette dernière peut-être poussée
un peu loin. L'analyse plus complète nous
révèle ensuite des détails charmants : au centre,
un panneau composé de carreaux céramiques,
sur lesquels sont posés les plats; quatre nap-
perons couvrent ensuite le pourtourde la table.
sensation de gaieté, que recherchait l'artiste,
n'est-elle pas aussi complètement réalisée qu'il
pouvait l'espérer. Les tonalités claires sont dans
des gammes charmantes, un peu grises parfois,
mais laissent au visiteur une sensation de froi-
deur plutôt que de gaieté. De plus, l'ornemen-
tation des murailles devient très difficile avec
la coloration des papiers employés, et, seules,
les estampes japonaises peuvent, sans faiblir,
supporter ce voisinage. Mais ce sont là cri-
tiques de détails, et certes, l'habitation de
M. Van de Velde mérite d'attirer l'attention au
plus haut point.
laquelle est exécutée en bois très clair, du frêne
si j'ai bonne mémoire.
De même, les sièges du même bois sont
recouverts de paille ou de jonc, dont la
tonalité grisâtre s'harmonise de la plus heu-
reuse façon avec l'ensemble. C'est du reste
une des principales préoccupations de l'artiste,
de créer une harmonie dans chaque pièce dif-
férente d'une même demeure ; il y excelle, et
nous serions heureux de voir ces tentatives se
généraliser et ne pas rester des exceptions
éternellement.
M. P. V.
LE CONCOURS DE CASIER A MUSIQ_UE
Le comité de direction s'est réuni le jeudi
1 1 mars, à 5 heures, pour juger le concours
de casier à musique. A l'unanimité, il a jugé
qu'il n'y avait pas lieu de décerner de premier
prix. En général, les concurrents se sont réglés
beaucoup plus sur l'esthétique en usage dans
les maisons anglaises que sur les lois fonda-
mentales du meuble, qui doit être architecture
d'une simplicité suffisamment ornée. Le jury a
donc décidé d'attribuer à M. Victor Lhuer le
second prix, consistant en une somme de cin-
quante francs.
Le projet de M. Paul Bourguin n'a pour lui
que d'être construit. Il l'est, en effet, soli-
dement, mais nulle trace d'originalité ne s'y
révèle, et rien n'égale sa lourdeur, sinon sa
avant tout. Ils ont fait du placage, du collage,
non de la menuiserie.
Au point de vue décoratif, le mauvais goût
domine; on ajoute au meuble des ornements
qui ne font pas corps avec lui, des enjolive-
ments qui défigurent sa silhouette.
Deux projets seulement ont paru mériter au
jury d'être retenus. Celui de M. Victor Lhuer,
que nous reproduisons, est d'un aspect un peu
lourd, et bien qu'il soit de beaucoup le plus
étudié au point de vue de la menuiserie, il
laisse encore à désirer sur bien des points. La
traverse, entre autres, qui relie les deux mon-
tants latéraux, n'entre pas d'une manière
assez franche dans le montant postérieur,
et l'assemblage ainsi obtenu manque de
solidité.
Quant au reste, le meuble est de bon goût, et
pauvreté. A titre d'encouragement, le jury
décerne à son auteur une mention.
CONCOURS DE MAI
UX BANDEAU DE CHEMINÉE
Le sujet du concours de mai sera un bandeau
de cheminée pour petit salon. Les concurrents
pourront, à leur gré, le prévoir soit en brode-
rie, soit en tapisserie, soit en étoffe appliquée.
Ils seront tenus d'indiquer la matière choisie.
Les projets comporteront un dessin d'ensemble
et un détail à grandeur naturelle. Adresser le
tout, avant le 25 mai, aux bureaux de la iîevî<e.
Les primes décernées seront de jS, de 5o et
de 2 5 francs.
CHRONIQUE
UNE CONFÉRENCE DE M. EMILE MOLINIHR SUR LE MEUBLE
M. Emile MolinicT donnait, l'autre jour,
à VUnion des Arts décoratifs, une conférence
sur le meuble. Il eût pu se contenter, en retra-
çant l'histoire du meuble, d'en marquer d'un
trait précis toutes les phases. Mais un pro-
gramme aussi simple aurait paru fade à cet
observateur avisé, à cet esprit sagace et alerte.
Aussi s'est-il empressé de corser sa conférence
par la discussion de quelques idées générales.
On ne s'occupe aujourd'hui que d'art nou-
veau : il a mis sur le tapis l'art nouveau, et,
nettement abordé, une à une, toutes les ques-
tions que cette préoccupation unanime sou-
lève. Il a trouvé au premier rang la théorie que
quelques intransigeants ont prônée et d'après
laquelle, pour faire neuf, il faudrait de parti-
pris mépriser ce qui s'est fait autrefois.
Eh quoi! — riposte M. Molinicr — en un
temps où le travail mécanique tend de plus en
plus à se substituer au travail à la main, où la
besogne à l'intini se subdivise entre des ouvriers
qui refont toute leur vie la même pièce, où,
par conséquent, la notion complète du métier
se fait de plus en plus rare, interdirez-vous à
l'ébéniste, au menuisier de compléter, en exa-
minant les belles pièces de menuiserie et
d'ébénisterie du passé, l'éducation technique
qui lui manque? Les beaux et solides assem-
blages où nos artisans des temps jadis excel-
laient ne sont-ils pas pour lui la meilleure et
la plus sérieuse leçon?
Va-t-on changer, dans l'art nouveau, pour le
meuble, les lois de l'équilibre et de la stabilité?
Ne demandera-t-on pas, au contraire, à nos
fabricants de revenir aux saines traditions
oubliées dans une période de mercantilisme et
de camelote ? Le premier de tous les devoirs ne
sera-t-il pas pour eux de faire à la fois du solide
et du neuf au lieu de ces horribles placages et
de ces menuiseries à la colle dont l'industrie
anglaise nous inonde et dont elle introduit
chez nous l'habitude?
A vrai dire, si l'on revient, pour la fabrica-
tion, aux traditions anciennes d'habileté, de
métier consciencieux et honnête, la marchan-
dise reviendra plus cher. Le consommateur
sera-t-il disposé à la payer ce qu'elle vaut?
Encouragera-t-il, par des achats répétés, les
essais de nouveau stvle exécutés par les procé-
dés coûteux d'autrefois?
M. Molinier ne se fait pas illusion. 11 répond
par la négative. — Croyez-vous que l'aveu
l'embarrasse? Aucunement. C'est pour lui, au
contraire, l'occasion du paradoxe le plus spi-
rituel et le plus juste.
— Ne comptons pas sur le consommateur
ordinaire, s'écrie-t-il. Celui-là se moque bien
de l'art nouveau : il lui faut de l'utile avant
tout. Jamais il n'a donné le signal autrefois;
il ne le donnera pas davantage aujourd'hui.
Pour qui les Boulle, les Riesener et tant
d'autres ont-ils travaillé jadis? Pour qui se
sont-ils efforcés à faire autre chose que ce qui
s'était fait avant eux, à renchérir sur les trou-
vailles du voisin, à le dépasser en inventions
ingénieuses, originales tout ensemble et char-
mantes? — Pour le plus grand seigneur du
rovaume, pour le seul qui pût estimer à leur
prix ces merveilles et les payer ce qu'elles va-
laient, pour le roi.
Les rois ont disparu : qui les remplace main-
tenant? C'est l'État. Cet être collectif a toutes
les prérogatives du monarque : il a le devoir
aussi d'en assumer les charges.
Au nombre de ces charges figurait sous l'an-
cien régime l'obligation d'encourager par des
commandes, des achats, l'industrie nationale.
Or, l'État n'en a cure. Non seulement il ne s'in-
quiète pas du sort de nos industries d'art, mais
il les provoque lui-même au pastiche, en ornant
ses palais, non de mobiliers nouveaux, portant
la marque de l'époque, mais de meubles
anciens dont la place serait dans un musée.
Qu'on utilise pour les administrations pu-
bliques, les vieux stocks sans caractère et sans
style, passe encore! Mais n'est-il pas bizarre
que le palais du chef de l'État, l'Elysée, ne soit
meublé que de Louis XIY, de Louis X'V, de
Louis X'V! ou d'Empire. Ne serait-il pas plus
décent d'orner ou de décorer sa demeure sui-
vant le goût du jour, et l'État ne se devrait-il
pas à lui-même de remplacer à l'Elysée la dé-
froque glorieuse, mais surannée, de nos rois,
par un ensemble nouveau qu'il commanderait,
en v mettant le prix, aux meilleurs et aux plus
distingués de nos artistes?
Ces idées valaient la peine d'être retenues.
Le Badaud les a prises au vol. Il les sème,
après M. Molinier, en bonne terre. Il ne dé-
sespère pas, quelque paradoxales qu'elles
paraissent, de les voir germer, et, qui sait ? —
car tout arrive — porter fruit. Le Badaud.
rmp. de \'ausirard, G. de Malherbe & O', i52, rue de Vaugirard, Paris.
EMILE LliVY, Édticur-gèrant'
J
Art et Décoration
î^
LES SALONS DE 1897
QUELQUES PEINTURES DÉCORATIVES
A peinture décora-
tive, qui en notre
siècle a été si sou-
vent méconnue et
déformée, qui pen-
dant la période la
plus lamentable
de son histoire, à
la suite d'Ingres,
hélas! a donné lieu à tant d'œuvres hybrides, à
tant de plafonds non plafonnants, à tant de
tableaux érigés en fresques, a pris de nos jours
une éclatante revanche. Ramenée peu à peu
instinct ou logique profonde, retrouva les
secrets perdus, elle a repris conscience d'elle-
même, de ses moyens, de son but, de ce
qu'elle doit dire et faire pour convaincre l'es-
prit ou le cœur en charmant les yeux. Quels
que soient le thème adopté et le motif choisi,
histoire ou paysage, beauté plastique ou
symbole, il est certaines conditions qui s'im-
posent, certaines règles immuables, désor-
mais généralement comprises et respec-
tées, qu'une peinture décorative ne saurait
violer, sans perdre son nom et renier son
essence même. Il lui faut l'accord des tons, le
Ii'iftyque décoi\U:f. m. aman jlan
vers les voies anciennes qu'elle n'eût jamais dû rythme des lignes, la pondération balancée des
quuter, retrempée aux sources de la nature et surfaces, les grands partis pris, les fermes sil-
dii style, dirigée et conduite surtout par un houettes. Le réalismeleplus photographique et
enchanteur comme le noble et glorieux Puvis le plus exact, l'impressionnisme le plus subtil
de Chavannes, qui par divination, merveilleux n'y atteindront Jamais sans s'être stylisés.
9
66
Art et Décoration
C'est une musique qui peut varier à l'infini sa
chanson, gaie ou triste, tendre ou sévère, mais
est astreinte à une modalité à part, à une trans-
position nécessaire du spectacle de la vie.
Trois belles œuvres choisies dans les Salons
qui viennent de s'ouvrir, trois modèles origi-
naux, chacun en leur genre, de décoration
heureusement combinée et conduite, en diront
plus sur ce sujet que toutes nos paroles.
M. Jean-Paul Laurens nous a habitués aux
créations robustes et viriles. Pénétré de la
grande parole de Michelet, « l'histoire est une
résurrection», il a bien des foisévoqué sous nos
yeux et fait vivre l'àme des anciens hommes.
Même en des tableautins, il sut faire entrer
souvent l'austère majesté du passé. Mais com-
bien n'est-il pas plus à son aise et à sa place,
quand le cadre élargi, la tâche amplifiée per-
mettent à l'imagination tout son essor! C'est
ce que montre au plus haut point l'admirable
toile qui sera cette année la joie et l'honneur
du Salon des Champs-Elysées. Rattachée au
même ensemble que la Muraille, exposée en
1895, et destinée à décorer la même salle du
Capitole de Toulouse, elle ne rappelle la com-
position antérieure, déjà si puissamment con-
çue, que pour la surpasser en grandeur, en
simplicité et en style. On est toujours au
xin«siècle; mais l'envahisseur du sol a disparu,
contre lequel il fallait autrefois se défendre et
s'emmurer solidement. Comme dit la mélan-
colique complainte de langue d'oc, pittores-
quement inscrite en un coin du tableau, « si
l'ombre de Montfort passait dans les airs au-
dessus des champs qu'il ravagea, il n'y verrait
plus que laboureurs ibeyro pas que laoïiray-
resl dirigeant les grands bceufs tranquilles sous
les ravons du soleil la la rajo iiel souleh ».
Après la vision du danger et de l'appareil de
défense, c'est l'image de la paix revenue, du
bonheur retrouvé, du travail fécond et calme.
A perte de vue, sur la croupe des coteaux qui
par ondulations continues se succèdent, se
remplacent, dévalent vers les ravins ou se re-
dressent vers la ligne bleue d'horizon, s'en
vont les champs encore en friche ou déjà la-
bourés. Les bandes de terrain grises ou vertes
alternent avec les sillons creusés, aux mottes de
terre brune et grasse fraîchement remuée. Une
suite de petits saules bleuâtres et de hauts
peupliers indique le contour d'une vallée.
D'autres arbres pointent çà et là entre les col-
lines. Partout dans l'immense étendue, où
passe l'ombre des nuages flottants, s'épanche
une lumière égale et vive, et de nombreuses
charrues, que traînent des couples de bœufsau
pas grave, continuent patiemment la tâche
commencée. L'amour du sol natal a noble-
ment inspiré M. Jean-Paul Laurens en cette
page éloquente. Les plans sont soulignés, les
contours établis, la structure des êtres et des
choses interprétée et comprise, le dessin et la
couleur voulus dans une harmonie nettement
décorative, avec une audace, une énergie, une
décision soutenue d'un bout à l'autre qui met-
tent l'œuvre absolument hors de pair. Le Lau-
raguais est ici fixé sous un aspect d'éternité.
Sans avoir aussi haute ambition ni pareille
visée, AL Ménard, qui depuis des années
marche et progresse, élargissant toujours da-
vantage ses formules, amplifiant sa manière,
tendant de plus en plus à la vraie grandeur,
condense et résume cette fois en un beau décor
toutes les tentatives faites jusqu'ici et tous les
rêves antérieurs. C'est l'affirmation la plus
complète de ce qu'il aime, veut, désire et sent.
Après tant d'essais déjà heureux et de menues
toiles, baignées de colorations franches autant
que de mâle poésie, c'est l'œuvre définitive et
forte qu'on attendait de lui. Rien de plus
simple que le thème. Deux femmes nues au
premier plan, dans l'herbe épaisse et haute,
l'une assise et rêvant, l'autre debout, vue de
dos, les bras levés distraitement vers une
branche d'arbre chargée de fruits, regardant
au loin l'horizon. Derrière ces créatures ro-
bustes, les entourant comme un cadre appro-
prié à la plénitude de leurs formes, comme le
milieu même où elles se sont épanouies, s'ouvre
et s'élargit un merveilleux paysage d'automne,
où dans l'eau d'un lac éclaboussé de lumière
se reflètent les coteaux assombris et les derniers
feux rouges du couchant. L'ensemble a une
beauté d'accord, une sonorité d'accent qu'on ne
saurait assez louer, s'il n'y avait quelques im-
perfections à signaler dans les nus, quelques
réserves à faire sur leur solidité.
Esprit tout différent, talent plus tendre, plus
féminin et délicieusementinteilectuel, M. Aman-
Jean semble avoir voulu tenter également, cette
année, un décisif combat. Épris dès longtemps
du décor, interprète exquis et profond de la
beauté ou du charme des femmes de notre
temps, expert à sonder les âmes et à symboliser
l'idée, il a comme réuni et groupé en un même
cadre l'expression de ses divers amours. A la
fois un et multiple, le triptyque qu'il a conçu
dénote un sérieux effort et une volonté de plus
Salons
u-iiiluDDit (fjniu'Jiii decoiwiif).
M. RENE MESAKD
en plus attirée vers les grandes entreprises dé-
coratives. Charmant de forme et de pensée est
le rêve qu'il nous soumet. Au centre est assise
sur un banc de jardin, appuyée à des coussins
roses, une jeune femme de type caressant et
pur, en robe vert pâle relevée d'une mince cein-
ture de velours violet. Alanguie et rêveuse, elle
songe doucement. Derrière elle, une pièce d'eau
son rêve ou l'expression dédoublée de sa grâce.
La Beauté nue, qu'elle ne regarde ni ne voit,
caresse deux paons au plumage splendide et
diapré. La Poésie mystérieuse et réfléchie,
vêtue de longs voiles blancs, vers laquelle elle
est tournée, semble lui présenter et lui tendre
une pâle fleur d'anémone. On devine et soup-
çonne jusque dans l'arrangement des intentions
qu'entourent des caisses d'oranger clapote délicates, des trouvailles de sentiment ; et,
et se ride, tachée de lueurs mauves, et par malgré quelques faiblesses, quelque raideur
dessus les grands arbres du parc s'aperçoivent gênée, çà et là subsistante, rarement M. Aman-
des contours de nuages rosés. C'est un ado- Jean aura essayé de modeler ses figures et de
rable portrait, élargi, synthétisé. A droite et à faire chanter ses tons dans une gamme plus
gauche, à peine séparées d'elle par une baguette fortifiée de colorations harmonieuses et fines_
d'or, le long de laquelle descendent des guir- Telles sont les trois œuvres diversement
landes suspendues, sont ingénieusement figu- intéressantes et empreintes des qualités déco-
rées et incorporées en deux apparitions fémi- ratives les plus personnelles et les plus rares,
nines, les qualités que cette femme aime par qu'on est heureux de goûter paisiblement, en
dessus tout ou qu'elle unit elle-même en sa silence, loin de la cohue banale et du tradi-
personne. C'est comme le sujet matérialisé de tionnel coudoiement. Paul Leprieur.
Frise pour papier peint.
ORFEVRERIE ET BIJOUX
LES BIJOUX DE M. LALIQUE
l'.\ CADRE IVOIRE ET OR DE M. FALI/.E
UN COFFRET DE MM. GARXIER, GRASDHOMME, ET BRATEAU
^^
Toutes les grandes époques curent des senter, l'aurait interprété différemment; ce
formes de bijoux très caractéristiques; ces scarabée aurait pu être d'or, et les élytres
formes varièrent avec la destination du bijou et de topazes. Aujourd'hui, le scarabée serait
surtout l'em-
ploi des ma-
tières pré-
cieuses.
A cette
heure, nous
utilisons les
procédés nou-
veaux d'al-
liage, (le fonte
etdetaillcdus
à la science ;
l'artiste voit
de plus près
la nature, et
le pistil du lis
est à ses veux
aussi beau
que le lis en-
tier.
Il observe
la corolle de
la plus petite
fleur et recon-
naît qu'elle
est composée
d'une matière
admirable ,
demi -trans-
parente, par-
semée de dia-
m a n t s et
teinte des
couleurs les
plus vives.
Notre épo-
que se carac-
térise par Vanalj^se en orfèvrerie, comme en
psychologie.
également
d'or; mais les
élytres de to-
pazes seraient
frangés d'é-
meraudes, sa
tète de grenat
porterait des
antennesd'ar-
gent mat et
des yeux de
rubis. La for-
me générale
serait plus
précise, beau-
coup moins
héraldique;
l'œuvre serait
telle, qu'un
souffle de vie
la ferait com-
parable aux
plus beaux
scarabées des
régions tropi-
cales.
Et ce bijou
serait de M.
Lalique.Savi-
trine du salon
des Champs-
Elysées nous
permet de le
supposer.
Étudiez
cette superbe
Diadème aux fuchsijs. m.laiioui; fleur de pavot
qui deviendra diadème: ses quatre pétales sou-
ples sont d'or ajouré, et les interstices remplis par
Un exemple établira rapidement le chemin un émail translucide, opalin vers les bords et
parcouru par cet art de l'orfèvre. Choisissons plusjauneàlabase.DecettecoroUesortlatêtedu
le scarabée : pavot, faite d'un émail bleu poussiéreux qu'une
L'Égyptien le fit d'un seul ton, bien souvent crête de diamants maintient dans l'ombre.
en pâte de verre bleu lapis. Les étamines en grand nombre sont termi-
Le Mérovingien qui — un peu par ses nées par un point d'émail noir qui réveille
croyances, — n'eut pas l'occasion de le repré- cette harmonie rare.
Orjcrrcrie et Bijoux
69
On croirait que cette fleur va se rider au gré frisson de la vie ? Les feuilles, faites d'or vert
d'un souffle, tant chacune de ses parties semble ajouré et d'un émail translucide d'un vert plus
mobile et vivante.
La même impression se dégage d'un autre
Bracelet.
M. LALKjrE
diadème formé de deux branches pendantes
de fuchsia : les feuilks sont faites d'or vert et
Bonde.
M. LALKirE
d'émail bleuté translucide, le pisiil d'or fuselé
et les étamines à tête brune semblent des lus-
tres abrités sous la voûte nacrée de la corolle.
Et cette branche de gui n'a-t-clle pas le
Boucle.
M. LALICiUE
sombre, s'harmonisent comme dans la nature
et cela est fier et transparent comme une lame
de nacre.
Enchantés par ces trois chefs-d'œuvre, nous
Brjcelet.
M. LALIQ^UB
espérons saisir les moyens et la subtilité de
l'artiste; mais, hélas! cela est impossible, car
dans l'œuvre de M. Lalique tout est soumis à
la fantaisie, et cette fantaisie est la marque sûre
70
Art et Décoration
du chercheur, cic l'esprit iiKiuiei en face de la
nature, en un mol de l'artiste original.
Peut-on rêver une harmonie plus douce et
plus imprévue que celle de ce large bracelet
de vieil argent mat, légèrement gravé, parsemé
sur les ajours de chardons d'or dont le centre est
noir debron/.eet rehausse d'un semis d'opalines.
L'artiste, ensuite, a pensé que la corne était
une belle
matière; il a
donc parse-
mé un brace-
let de corne,
de margueri-
tes en vieil
argent et de
floraisons lé-
gères qui, en
s'appuvantà
lacharnière,
s'étalent sur
lasurtace lis-
se en cour-
bes termi-
nées par des
turquoises.
Puis, dans
un senti-
ment égale-
ment neuf,
et avec un
égal souci
de se varier,
il a exécuté
la parure
désignée
sous le nom
de « collier
de chien ».
Des per-
les, placées en bandes, réunissent quatre
plaquettes d'or ciselées représentant la fleur
du lis jusque dans ses moindres détails ; les
feuilles sont d'un émail vert clair, et cha-
cune de ces petites merveilles est enfermée
dans un rectangle de 3 centimètres stir 4!!!
Voulant aborder toutes les pièces de la
parure féminine, M. Lalique a exécuté deux
peignesd'ivoire de formesà peu prèssemblables.
Une figure de femme debout, sculptée dans
l'ivoire, les bras écartés du corps s'ache-
vant en ailes de papillon, et ces ailes en émaux
bruns parsemés de taches bleues; un émail
clair forme frange sur les bords. Telle est,
Cadre ivoire et or.
pour le premier peigne, la partie haute
triangulaire couronnant trois longues dents.
Dans le second, la hgurineest couverte d'une
armure, avec casque d'or; mais ici l'aile est
ajourée avec des transparences opalines.
Deux pendants de sautoir s'ajoutent àcet en-
semble déjà si riche. Je ne puis que les citer,
ainsi que six boucles de ceinture dont deux,
tout spé-
ciale m c n t
m é ]■ i t e n t
d être rcte-
iiLies.
D'abord ,
la boucle
rectangu-
laire un peu
c o n V e X e :
des chry-
santhèmes
d 'émail
blanc s'en-
lèvent sur
u n f o n d
d'or, et le
centre est
marqué par
un brillant;
une des
fleurs est
mobile et
attachée à
• l'autre ex-
trémité de
la ceinture.
Grâce à cet-
te innova-
tion, les
deux pla -
M. FALIZE ^
ques or
dinaires se réunissent en une seule.
Ensuite la plaque composée de trois yeux de
plume de paon, dont le centre est une agate
d'un rouge sombre rave de noir ; deux têtes
de coqs affrontés tiennent dans leurs becs une
barre, sur laquelle s'appuient les deux pointes
qui devront retenir la ceinture d'étotfe.
Et d'autres boucles, non moins réussies,
d'argent mat incrusté de cuivre, d'or et d'argent
patiné plus sombre que le velours noir : harmo-
nies toujours exactes, et rendues fixes par
l'emploi de matières impérissables.
Tel est l'art de M. Lalique, basé sur cette
qualité très rare, naïve en apparence et capi-
Orf errer ic et "Bijoux
7^
taie chez l'artiste
que la foule
passe indirté-
reute dans les
charmilles,
M . L a 1 i q u e
s'arrête auprès
d'un pavot que
l'Aurore a cou-
vert de pleurs
et le prend di-
rectementpour
modèle.
Un mot main-
tenant de deux
œuvres , par -
faites chacune
dans leur gen-
re et toutes
deux d'une
harmonie de
couleurs déli-
cieuse.
La première
est d'une admi-
rable tenue ;
'ctiidc de hi nature. Alors c'est un émail
M.
Grandhomme, enfermé
par M. Fa-
lizedans un ca-
dre d'ivoire
rehaussé d'un
semis régulier
de boutons d'or
et de feuilles et
de feuillages
d'aubépine.
Lasecondeest
un coffret d'i-
voire orné par
MM. Garnier
et Grandhom-
me de pan -
neaux en émail
et revêtu par
M. Brateau
d'une exquise
floraison de
bronzes dorés
qui en font une
inoubliable
trouvaille.
René Binet
.*j
Côté et faitie yoslcricurc Jn coffret.
Pjftic jnicrieure ducoffrct.
QUELQUES ARTISTES
M. JEAN DAMPT. — M"" ANTOINETTE VALLGREN.
o^
KPris des années déjà,
M. Dampt nousahahi-
tués aux surprises de
son talent sûr et avisé,
et, partout où il lui
convient de porter son
effort, à la maîtrise de
technique la plus di-
verse. Il a ramené par-
mi nous l'expérience
de métiers d'art ardus,
que l'on avait désappris depuis des siècles; et
ceux qui guettent curieusement les manifesta-
tions nouvelles de ses triomphes d'ouvrier, appli-
qué à assouplir la matière la plus rebelle, ne
seront certes pas déçus cette année, car jamais
peut-être son ex-
position n'a
comporté d'ieu-
vres si variées et
si accomplies.
On se souvient
du Portrait de
A/ii'^ror//ï, cette
précieusestaïue,
faite de bois di-
vers et d'ivoire,
que le Salon du
Champ-de-Mars
nous montrait,
il V a deux ans.
A la même don-
née technique
appartient le
Buste de M<^' la
Comtesse de
Béant, qui s'y
trouve cette an-
née. Les par-
tics nues, la tête
et les mains, sont
traitées en ivoire, le vêtement est sculpté
en bois de poirier; la main gauche porte la figu-
rine en or d'une femme occupée à sa toilette,
et le tout repose sur un socle d'amarante. Nous
reviendrons tout à l'heure sur l'emploi de ces
matières différentes et sur le parti que l'artiste
Buste de .1/'"= /.7 Cuiiitcsse de Bénnu
en a tiré ; mais l'œuvre ne comporte pas seule-
ment un intérêt de facture et un mérite de
détails. Ces richesses restent sobres et harmo-
nisées, et la figure s'impose avec un charme
simple et intime. Le secret de cette impression
réside dans les lignes calmes du buste, dans
l'ordonnance sévère de la robe, qui n'accuse
aucune mode éphémère, avec les manches à
peine amplifiées aux épaules, et l'échancrure
du col encadrée d'une étroite bordure de
mosaïque discrète, turquoise et or, et d'un fin
enroulement d'or portant des trèfles en cuivre
verdi et des incrustations d'opales minuscules
et de poussière de diamants. Mais cette
tranquillité recueillie est due surtout au geste
méditatif de la main qui soutient le visage
incliné, et que
l'artisie affec-
tionne si fort,
puisqu'on le
retrouve non
seulement dans
le portrait de
M'^'Worth, mais
encore dans le
buste en bronze
S Aman- Jean, et
dans le petit
buste en argent
de Dagnan-Bou-
vcret. Il est vrai
que nulle atti-
uide ne décèle-
rait mieux la
con ce nt ration
du modèle sur
lui - même , et
M. Dampt a
souci, — et nous
l'en louerons, —
de donner à ses
portraits, faits pour la quiétude intérieure,
cette gravité particulière de la réflexion.
Quant aux dil'ficultés de main-d'œuvre, elles
étaient certes considérables et d'ordres multi-
ples, dans un travail qui comporte une part de
sculpture sur bois, de sculpture éléphantine et
Çhu'Iqiu's Artistes
7}
d'orfèvrerie. Le travail de l'ivoire était particu-
lièrement pénible et délicat, si l'on songe que
l'artiste est parvenu à modeler le visage et les
mains de louches infiniment sensibles, comme
il eût fait le marbre, et que la tète et la main
droite sont sculptées d'un seul morceau, ce qui
obligeait à une tâche longue et malaisée pour
dégager le dessous de la figure et des doigts.
De cet effort opi-
niâtre, il ne l'esté
qu'une impres-
sion d'aisance
souple et d'heu-
reux accord : la
pâleur chaude
de l'ivoire se
trouve soutenue
par le ton du
poirier, de cou-
leur légèrement
rougeâtre , au-
quel le bois d'a-
marante fournit
une base plus
puissante, tan-
dis que sur ce
socle des pla-
ques de nacre
inscrustéesassu-
rent l'unité de
l'harmonie, en
rappelant la va-
leur de l'ivoire.
D'un tout au-
tre caractère est
le buste de Dii-
f^iiesclin enfant
taillé en pierre :
le Portrait Je
MadamclaCnm- ''"'" f^""c/n! enfant. - Buste
tessc de Réarn est une (euvre toute de
grâce et de préciosité distinguée; nous voici
maintenant en présence d'un morceau d'éner-
gie, et, par un certain côté, de rudesse voulue.
Sous son haubert de mailles et sa cotte à
ses armes, avec l'épée à pommeau massif où
son poing se referme, ce n'est pourtant pas un
enùnt qui essaye en jouant une armure : ce
front qui se bombe, déjà batailleur et volon-
taire, ce nez bizarre et bosselé, ces lèvres obs-
tinées qui s'abaissent dans une moue farouche,
mettent sur ce visage enfantin la vigueur têtue
et assurée du Breton ôt du conquérant. Et l'on
ne peut trop remarquer le discernement avec
lequel M. Dampt a choisi l'admirable matière
de cette pierre grise, qui prend sur les parties
lisses une patine douce et onctueuse, et se co-
lore de telle sorte qu'un sang vivace semble
monter au visage et teinter les lèvres, tandis
c]ue les rugosités du vêtement et de l'armure
s'accusent dans une note plus froide, qui met
en valeur les curiosités de détail. En vérité,
cette franchise
de métier et
d'observation, et
cette fermeté de
style , éveillent
immédiatement
en nous le sou-
venirdes vieilles
statues de che-
valiers qui se
dressentauxpor-
ches de nos ca-
thédralesou s'al-
longent sur les
tombeaux;le/)!/-
guescUn enfant
fait revivre tou-
tes les traditions
de nos vieux
maîtres.
Mais le sculp-
teur nerveux ou
éléi^ant ne doit
pas faire oublier
en M. Dampt
l'artiste ingé -
nicux, dont on
connaît le lit
exposé l'an der-
nier. L'ébéniste
se rappelle à
nous cette fois-ci
pierre.
par une Chai.^e d'enfant, toute charmante avec
ses lignes délicieusement assouplies du dossier
aux bras, et la simplicité raisonnée et contor-
table de sa construction. Au centre du dossier,
une tablette en mosaïque de bois porte le mot
AMA, traversé d'une branche de gui, avec des
incrustations de nacre pour simuler les baies
blanches ; et le sculpteur reprend ses droits
dans ce joli groupe de deux bébés, taillé dans
un seul bloc de cormier, qui domine les mon-
tants et les unit, sans pour cela surcharger les
tiges fragiles du meuble.
L'idée de cette consolation enfantine, qui
commente la devise inscrite plus bas, est tout à
10
/'
Art et T)ecoration
fait charmante, et l'on sait avec quelle ten-
dresse de main M. Danipt sait modeler des
têtes rieuses ou chagrines de poupons. L'adap-
tation de la sculpture au meuble est ici très
heureuse; peut-être, dans le lit de Tan dernier,
ne dégageait-elle pas assez les panneaux; cette
fois, le groupement des deux tètes laisse bien
distincts les sommets des deux montants, et la
structure intime du meuble ne s'en trouve pas
masquée.
De là vient
l'aspect de lu-
I cidité et d'ai-
sance raison-
née qui séduit
I des la pre-
ni i c r e vue
dans la con-
[ception de
de cette
chaise; et
I c'est assuré-
marqueterie, ou que l'on recouvre les sièges
de tapisserie, de cuir repoussé ou d'étoffe, les
Cli.iisc d'cnf^int
Dcl.lll Je I.l ('ll^liSC M. DAMPT
lignes essentielles n'en doivent pas
moins s'imposer selon un assemblage
que légitiment la destination et la résis-
tance nécessaire de l'objet, et être tracées
avec toute la grâce que l'artiste aura pu
leur communiquer. Ces doubles qua-
lités de joliesse et de précision font de
cette chaise d'enfant un des meilleurs
exemples de meubles que l'on ait pu
voir depuis plusieurs années.
Voilà bien, dans les trois œuvres
qu'expose M. Dampt au Champ -d."-
Mars,etque nous avons pu reproduire,
la complète diversité que j'annonçais;
et de quelque coté que se dirigent ses
recherches, on pourra apprécier la
haute conscience de ce noble artiste et
l'entente de plus en plus parfaite des
métiers qu'il entreprend.
ment par cette recherche de clarté élégante et de M"" Antoinette Vallgrcn a modelé en marbre
simplicitélogiquc quel'on doittenierde rénover ou en terre cuite des physionomies nerveuses
l'ameublement. Notre esprit, plus imprégné et vivaces; je songe surtout à un buste de
que jadis, par les exigences pratiques de l'exis- saint Jean-Baplistc enfant, et à un joli masque
tence, de la rigueur scientifique, a besoin de bambino dont elle a délicieusement rendu
d'être satisfait en même temps que nos yeux. la mine curieuse et éveillée, avec ce sentiment
Que l'on fasse appel, pour les détails de l'or- si juste d'observation dont Donatello et son
nenientation, à la sculpture sur bois ou à la école ont donné pour toujours le modèle.
Quelques Artistes
75
â ^i^r^'l
Miià
Mme Vallgren, depuis quelques années, s'est
surtout vouée à la reliure, et l'on a pu voir déjà
quelques-unes de ces couvertures en cuir re-
poussé et teinté par des procédés chimiques,
d'une conception tout à fait nouvelle et dont il
faut lui attribuer tout l'honeur.
Il n'y a pas à craindre que le relief vienne en-
suite s'écraser, comme cela pourrait se produire
pour un sim-
ple gaufrage;
la façon dont
le cuir est
garni, et
comme rem-
boui ré à Tin-
té rieur, ga-
rantit le mo-
delage contre
toute pres-
sion. Les co-
lora t i < ) n s
sont égal c-
ment inalté-
rables, parce
qu'elles ne
sont pas ap-
pliquées su-
perficielle-
ment, mais
que leur ac-
tion pénètre
dans la peau,
cequi permet
d'obtenir des
patines beau-
coup plus
fondues et
plus intimes
avec la ma-
tière même.
Les Salons
du Champ-de-Mars nous ont fait connaître les
reliures dont M""' Vallgren a revêtu Pécheur
d'Islande, avec unmotifdebronzeincrustédans
l'encoignure et figurant une vieille femme ac-
croupie sur des marches d'église, et Les Yeux
C/(i/r5, où de jeunes visages ouvrent leurs pru-
nelles parmi les volubilis; ou bien encore le fin
entrelac d'algues, dont se dégage u n paysage ma-
rin, pour les Souvenirs d'un Alatelot ; et la belle
composition conçue pour V Œuvre de Carriès,
' ■^' [■ il
Prnjel JiJ icliure pour Li \'ic Je Je
gren compose maintenant pour un volume de
poèmes, les Étapes de l'Oubli.
Nous donnonsen reproduction la reliure exé-
cutée pour la Vie de Noire-Seigneur Jésus-
Christ, de James Tissot, ou du moins la première
idée de cette reliure, car le projet définitif com-
piirte quelques modifications dans l'attitude de
l'enfant et de la Madone, et substitue en bor-
dure un décor
continu d e
branchesd'o-
1 i viers, par-
tout oij M""'
Vallgren
avait d'abord
esquissé di-
verses plantes
tirées des pa-
raboles évan-
géliques ; le
lis des
champset les
épis de fro-
ment semés
de fleurs en
étoile. Il sem
ble que l'on
doive un peu
regretter ces
changements
Mais ce qu'il
convient sur-
tout d'appré-
cier, c'est la
disposition
du sujet cen-
tral etdestétes
d'angesqui le
surmontent ,
c'estcefondsi
ingénieux de
troncs d'oliviers, dont M"'' 'Vallgren a si bien
dégagé le caractère noble et harmonieux, et qui
s'unissent dans leurs inflexions aux plis du vête-
ment de la Vierge. Avec un très faible relief,
Mme Vallgrenafaitune œuvre d'une unité sobre
etpénétrante,et qui obéit parfaitement à sa des-
tination. Car il ne faut pas oublier qu'un livre
se range sur les ravons d'une bibliothèque, et
que son habillement doit le protéger et non se
substituer à lui : de là des conditions néces-
saires de modération dans le relief, et de
VALLGREN
et inspirée par l'idée de la flamme donnant
naissance à la céramique. Et je puis moins que sobriété dans la composition et la couleur.
tout autre oublier la couverture que M™« Vall- Gust.we Soulier.
Les Industries d'Art au Salon
LE MEUBLE
L'organisntion de la section des objets d'art
aux Salons annuels n'est pas ce qu'un vain
peuple pense : une
simple innovation
administrative, in-
génieuse, ayant
pour but de leur
assurer un élément
nouveau d'attrac-
tion, un moyen de
concurrence mon-
daine; on doit y
voir le commence-
ment d'une idée,
autantsocialequ'in
dustrielle et artis-
tique, destinée, si
des circonstances
imprévues n'en en-
ravent point l'ap-
plication, à modi-
fier les conditions
actuelles de fonc-
tionnement des in-
dustries d'art, qui,
il faut bien le dire
franchement , ne
sont rien moins
que favorables à
l'éclosion d'œuvres
nouvelles, origi-
nales, supérieures
d'invention etd'exé-
cution, et de nature
à les vivifier active-
ment. Des petites
causes produisent
de grands effets;
n'a-t-on pas dit,
avec éloquence et
esprit, que le nez
de Cléopâtre a failli
changer la face du
monde ?
La poursuite et
l'invention des idées artistiques nécessitent
une passion, un désintéressement, une foi,
que seuls peuvent avoir des artistes que ne
hantent point exclusivement l'objectif de ga-
gner de l'argent, devenu aujourd'hui, par la
force des institutions et des mœurs, le mobile
général des chefs
d'industries d'art,
qui ne sont plus
guère que des admi-
nistrateurs finan-
ciers,et non. comme
autrefois, des gens
de métier, expéri-
mentés et hardis.
L'étude de la ge-
nèse des progrès
artistiques, techni-
ques même, accom-
plis depuis un quart
desiècledanstoutes
les branches de ces
industries, démon-
tre irréfutablement
que tous sont dus
à des artistes iso-
lés, qui, suivant le
mot suggestif de
Bernard Palissy,sc
sont « fait leur
éducation avec les
dents », ont pour-
suivi, avec une éner-
gie et une ténacité
irréductibles, et
presque loujoursau
prix de privations
et de souftVances,
la réalisation de ce
qu'ils avaient dans
l'imagination. En
céramique, par
exemple, d'où est
sortie la renais-
sance actuelle
avec laquelle au-
cune période his-
torique ne peut
certainement être
comparée pour tant d'efforts simultanés et
couronnés de succès en vue de la conquête de
formes décoratives nouvelles, de procédés tech-
niques nouveaux? Des petits ateliers, pour
Meuble vitrine eomposé par M. Belvillc pour ses reliures.
Les Industries dArt au Salon
77
ainsi dire familiaux, de Chaplet, de Dela-
herche, de Dammousse, de Carriès, de Bigot,
Panneau de bois sculpté, reliaussé de couleur,
par M. Heslaux.
de Lachenal, etc. Qui a fait de la verrerie
cette industrie artistique si originale, si pré-
cieuse, où une conception personnelle du
décor, un symbolisme poétique, se trouvent
réalisés féeriquement par la techniciue la plus
audacieuse, employant, avec toute la liberté
prodigieuse de l'empirisme et avec la méthode
sévère de la science, habilement combinées,
des incorporations inconnues de métaux, des
malaxages ignorés de matières, des façonnages
inédits, qui enferment dans le cristal les effets
les plus prestigieux de coloris, de tons, de
nuances, d'irrisations, de fulgurations et de
reflets? Les puissants manufacturiers du Nord
et de l'Est? Non; des verriers modestes, in-
connus, simplement passionnés pour leur mé-
tier, et amoureux d'art.
Quel est, en ce moment, le système de
concurrence universellement en faveur? Le
bon marché qui réduit la valeur de la main-
d'œuvre et la valeur de la conception à leur ex-
pression la plus simple, et fatalement en arrive
à ne plus laisser employer d'autres moyens
d'appréciation que le poids et la mesure de la
matière. Cette organisation nouvelle restaure
la tradition de l'œuvre unique, où la matière
n'est plus rien, où l'idée, ainsi que le travail
de l'artiste, est tout. Elle ressuscite aussi les
relations directes entre le producteur et le
consommateur, par lesquelles l'un et l'autre
apprennent à se connaître, à s'estimer et à
s'aimer, dans la communion intime et con-
stante des idées, des ambitions et des rêves
d'art, qui inspire et crée les œuvres originales
et met leurs auteurs au rang social auquel ils
ont droit. Quand je compare les mœurs d'au-
trefois à celles d'aujourd'hui, il me vient aus-
sitôt à la mémoire ce passage de la vie de Ben-
vcnuto Cellini : « Je m'occupai du jovau de
Encadrement de glace en bois sculpté
de M. Hestaux,
« la Duchesse. Quand je l'eus terminé, je le
(( lui présentai; elle me dit qu'elle estimait
(( autant mon travail que le diamant vendu
78
Art et T)écoration
« par Bernardaccio. Elle voulut que j'atta-
(( chasse de ma main le pendant sur sa poi-
« trine, ce que je tîs avec une grosse épingle
(( qu'elle me donna elle-même; lorsque je me
(( retirai, j'étais complètement dans les bonnes
« grâces de Son Excellence. »
Celte communication constante entre le pro-
ducteur et le consommateur, cette collabora-
tion, pour mieux dire, n'existe plus aujour-
d'hui entre l'artiste qui crée le meuble et les
la grâce et de l'originalité, sans oublier qu'il
sera soumis, en outre, à tout ce que comportent
d'agitation nos habitudes de vie errante. Or, si
l'on veut bien s'en souvenir, tout ce que les Sa-
lons annuels nous ont offert jusqu'ici, en ameu-
blement, à très peu d'exceptions, ne réunissait
guère ces qualités essentielles, et paraissait
bien plutôt en être le svstématique contre-pied.
Cette annéeau contraire, les spécimensqu'on
rencontre du meuble attestent un retour très
Danqiicllc d'aniicluimhie.
amateurs auxquels l'artiste le destine, — et les
créations nouvelles s'en ressentent.
Or, le meuble s'accommode beaucoup moins
que l'objet d'art (orfèvrerie, ferronnerie, grès,
faïence, porcelaine, etc.), de la fantaisie que
celui-ci admet très volontiers, si même il ne la
réclame. Par destination, il est usuel; et, en
conséquence, il exige des conditions spéciales
de logique et d'harmonie, dans la conception et
dans l'exécution. Il doit supporter ou contenir
ou protéger quelque chose d'utile ou de pré-
cieux, et en même temps contribuer à la dé-
coration d'un intérieur; ainsi, ses services
impliquent de la solidité et de l'élégance, de
M. BONVALLET
marqué aux traditions anciennes de logique
trop longtemps méconnues par les construc-
teurs de meubles modernes. Signalons en pre-
mièrelignequelquesmeubles extrêmement bien
compris, de MM. Plumet et Selmersheim, que
nous reproduirons dans le prochain numéro.
Signalons également, pour les belles qua-
lités de sa frise en application d'étoffes de cou-
leur, la banquette de M. Ronvallet, pour
l'ingéniosité de son décor en marqueterie,
pyrogravure et bois découpé, le cabinet de
M. Reynier, pour la simplicité élégante de sa
forme, la vitrine de M. Rciville; signalons
aussilesecrétaire en bois sculpté de M. Angst.
Les Industries d'oÂrt au Sait
VI
79
Ingcnumcnt, sans se mettre douloureuse-
ment martel en
teie pour in
venter quelque
orme architec-
turale nou -
velle, plus ou
moins bizarre,
son auteur en
a choisi une
parmi celles
sacrées non
sans raison ,
qui lui a paru
convenir le
Cabinet en m^trquctev'c, avec jf^IicLitions de bois découpé, m. reyn:er
mieux à son projet; et, sur du chêne, bien
choisi, d'une belle couleur naturelle, assemblé
en vanteaux de porte, en panneaux de tiroirs,
en montants, soubassements et corniches, avec
i;oùt, suivant les prescriptions du « Roubo »,
il a sculpté finement un décor très gracieux
qu'il intitule : « Chant du soir et Chant du
matin ». Ici, des alouettes montent dans le ciel
en chantant, des coqs claironnent le lever du
soleil; là, des oiseaux nocturnes saluent de
leurs cris le crépuscule, et, au bord d'un étang,
que les habi- des grenouilles coassent. C'est bien simple,
tudes ont con- bien naturel; ce n'est ni du Cauvet, ni du Bé-
rain; et c'est original et charmant. Que vou-
driez-vous déplus?
L'artiste véritable sait faire servir la matière
à l'expression précise de sa pensée, sans rien
lui enlever de ce qui en est la nature essen-
tielle, de ce qui en constitue les qualités
d'usage ou d'aspect ;3il l'adapte, il l'assouplit,
mais il la respecte. Et tout est béné-
fice pour lui : car ainsi elle devient
elle-même, suivant le caractère du
travail auquel il a dû se livrer, une
affirmation de sa personnalité, en
ce qu'elle contient d'ingéniosité,
d'énergie, de conscience ou d'ha-
bileté. Quand un artiste peint sur
une étoffe de soie un décor de
paravent, de tenture, comme il
en est montré beaucoup aux Sa-
lons, si les qualités intrinsèques de
la soie ne paraissent pas avoir été
utilisées dans le travail, on songe
immédiatement à un gaspillage
d'une matière précieuse ; mais ,
que ce même décor soit tissé ou
brodé, il en devient une oeuvre d'art
complète, qui plaît à la fois par les
mérites de l'idée par ceux de son
exécution. Les artistes du cuir, qui
font des reliures, des coffrets, des
buvards, etc., se donnent le plus sou-
vent un mal énorme pour que cette
matière n'apparaisse plus ce qu'elle
est, qu'elle donnel'illusion de l'étoffe,
de l'ivoire, du bois, etc. ; ils le pei-
gnent, le glacent, le vernissent, le
dorent, le compriment, le martèlent
péniblement. Combien sur un vrai
cuir, au naturel, une simple idée dé-
corative, dont l'expression a mis à
profit les qualités de la matière qui
en ont inspiré le choix, est, au
8o
Art et 'Dc'coraîioii
contraire chose exquise, et sourit délicieuse- En cela, ils font œuvre patriotique, oppor
ment aux yeux!! ^""2' urgente même, car quoi qu'en disent
Aussi, faut-il émettre franchement le re- les optimistes de carrière, nos industries artis-
gret de ne point trou
ver aux Salons plus
de travaux en exécu-
tion définitive, plus de
spécimens de tous les
types de formes d'art
décoratif: des soieries
lyonnaises, de la ru-
bannerie stéphanoise,
des broderies des Vos-
ges et de Franche-
Comté, des dentelles
du Puv, de Calais et
de Lvon, des tapis,
des tapisseries et des
tentures de Roubaix,
de Tourcoing, d'Au-
busson, des indiennes
de Rouen, des meu-
bles de Nantes, de
Toulouse et de Bor-
deaux. Des esquisses,
desmaquettes, desdes-
sins, en vue de ces in-
dustries, il y en a, et
en grand nombre, et
de fort originaux, pit-
toresques, charmants,
mais cela n'est point
assez vivant, assez sug-
gestif de sensations
pour le public. Seules,
les étoffesdontM. Plu-
met a garni le délicieux
boudoir dans lequel il
expose sesmeubles, re-
présentent au Champ
de Marsle travail de l'ar-
tiste mi s définitivement
en valeur par l'ex-
écution industrielle.
Et cesétoffes, comme
toutes celles de M. Au-
bert, sont charmantes.
Elles sont vraiment
de nature à inspirer
au public l'énergique
et décisif désir de
tiques ont besoin de
recevoir des idées nou-
velles; et, seuls peu-
vent donner une im-
pulsion vigoureuse en
ce sens, les artistes in-
dépendants, hardis et
convaincus, pleins de
foi et d'enthousiasme,
ceux qu'on voit à ces
salons, et ceux qui
y viendraient, avec
la joie d'être délivrés
de l'obscurité ou du
snobisme, si les condi-
tions d'admission et
le bon accueil dont y
sont assurées les pro-
ductions originales ,
loyales et sincères ,
étaient plus connues.
L'heure à vrai dire,
de ces grandes assises
de l'art décoratif n'est
pas encore venue,
parce que le mouve-
ment qui entraine,
grands ou petits, les
artistes et les manu-
facturiers versun nou-
vel idéal, n'a point pris
forme encore dans les
grandes industries.
Pour celles-ci, en effet,
une évolution comme
celle qui se prépare,
se complique de pré-
occupât ions d'un autre
ordre. Elle entraine de
lourdes dépenses, elle
engage d'énormescapi-
taux: il est donc natu-
rel qu'avant de virer
de bord on se recueille.
Quoi qu'il en soit,
l'attente ne sera pas
longue. Les ouvriers
de la première heure
Secrétaire en chêne sculpté. m- angst
mettre dans sa vie un peu plus d'art. Or, sont à l'œuvre. La voix pubHque s'est pronon-
c'est bien là le but, d'une haute portée sociale, cée pour eux; qu'on le ^''^^J'^'^^^^Y^chÔn
que poursuivent les organisateurs des Salons. suivre. N arils
LA SCULPTURE DECORATIVE
La production esthétique s'est tellement également les beauxessaisde Carriès et de Bar-
ccartée des voies naturelles depuis le commen- tholomé. Enfin, récolebelgecontemporainequi
cément de ce siècle, qu'il importe à présent de compte quelques sculpteurs éminents, cherche
distinguer sous une étiquette spéciale les pro- à son tour à pénétrer ses créations d'un large
ductions d'art qui répondent à une nécessité sentiment ornemental, et à ce point de vue
pratiquée! dont le seul rôle n'est pas de figurer nous pouvons signaler comme tout à fait inté-
commc bibelot ou objet de luxe dans un salon, ressauts les envois au Champ-de-Mars de ces
ime galerie particulière ou un musée. Toute deux admirables artistes qui ont nom Cons-
la sculpture jadis était décorative, et le statuaire, tantin Meunier et .lef Lambeaux. Voici du pre-
en principe, ne considérait son (euvre que mier lui bas-relief de petite dimension qui
comme un complément de la création architec- s'harmoniserait à mer\eille avec un encadre-
turale. Les effigies de dieux et de déesses, de ment de marbre; pour la simplicité de la mise
héros, d'em- en scène, la
pereurs, d'o-
ra t eu r s, de
gvnina sies,
que nous lais-
sèrent les
Grecs et les
Romains, or-
liaient les
temples, les
places publi-
ques,les théâ-
tres, les jar-
dins—conçus
également
par les archi-
tectes — et
bien souvent
l'on ne pou-
vait détruire
ou enlever
l'une d'elles,
vérité physio-
nomique des
types, et la
poésie natu-
relle du sujet,
ce morceau
est compara-
ble aux sculp-
tures les plus
expressives
du xnr-siècle.
Le site choisi
est, comme
toujours, un
sombre 'pay-
sage du Bo-
rinage où
circulent les
ouvriers des
mines et des
carrières. On
sansqueTharmoniegénérale ensouffrit. Quand ne se lasse pas d'admirer la profonde vérité
Phidias sculptait les frontons du Parthénon, il d'allure, de geste et de '< vie intérieure <> avec
subordonnait sa conception à celle d'Ictinus, laquelle Meunier nous montre cette humanité
Cl qui saiti son admirable groupe des Parques douloureuse et fière... On sait que l'artiste est
doit peut-être quelque chose de sa beauté, aux devenu le glorificateur du travail; il s'est par-
umiensions sévères imposées par la ligne d'ar- ticulièrement attendri sur l'héroïsme incons-
chitecture. Les imagiers du Moyen Age firent cient des mineurs; il a peint leur sol grouillant,
de même des statues pour les niches des égli- vivant, noir; il a vécu dans leurs villages
ses, des bas-reliefs, des tympans, des gar- calmes et gais ; il a contemplé le ciel tragique
gouilles, etc., toujours en relations de forme de la contrée où se déroulent d'efi'rayants
et desprit avec le monuinent auquel ces panaches de fumée et de flammes; il a pénétré
travaux étaient destinés. aux heures brutales des catastrophes, dans les
1 armi les modernes. Rude et Carpeaux ont lazarets volants où s'alignent les cadavres...
seuls compris le véritable caractère de la sculp- S'il a choisi spontanément le monde des houil-
ture; et dans ces derniers temps, nous avons eu leurs, c'est quecemond. lui donnait le spectacle
1 1
Bas-rclicf brunie " /es Mnieurs ".
CUNSIANIJN MEINIKR
8;
Art et Décoration
d'une vie intense, primordiale, presque vierge.
Et son génie delà beauté plastique lui a permis
ensuite de tixer dans la forme la plus nettement
réelle les modèles qu'a choisis son rêve. C'est
pourquoi aussi le bas-relief que nous reprodui-
sons aujourd'hui est un nouveau chef-d'œuvre
du puissant maître.
Jef Lambeaux est un créateur non moins
vigoureux que Meunier; mais sa parenté
artistique est plus facile à déterminer. Lam-
beaux est le successeur direct de Rubens et de
.Tordaens et il tient peut-être même plus du
second que du premier. Il expose, cette année,
au Champ-de-Mars un fragment en marbre
d'une grande
composition
décorative
les Passions
humaines ,
qu'il a exé-
cutée pour le
gouverne-
ment belge .
Quand on ap-
prit en Belgi-
que qu'un
ministre clé-
rical avait
osé comman-
der à .1 e f
Lambeaux
un bas-relief
d'un svmbo-
lisme aussi
dangereux.ce
fut dans la presse bien pensante un /o//^ général.
Au récent congrès ecclésiastique de xMalines,
le gouvernement fut accusé de trahison et de
« pornomanie ». Des légendes circulèrent et
l'on racontait que le sculpteur, s'inspirant des
artistes médiévaux, s'était laissé aller aux fan-
taisies les plus immorales. Or, personne n'avait
vu l'œuvre. L'artiste y travaillait avec grand
mystère dans un atelier perdu en pleine cam-
pagne, aux environs de Bruxelles. Enfin, quel-
ques amis furent admis à contempler la gigan-
tesque maquette de plâtre où la conception du
jeune niaitre avait pris corps. On chercha les
épisodes lubriques, on n'en trouva point. Mais
on fut invinciblement ému du spectacle de vie
réelle et profonde que présentait cette fresque
sculptée. L'ensemble forme véritablement ta-
bleau : la mort apparaît au centre de l'a^uvre ;
à ses pieds s'épanouissent les voluptés, les
l-'raprmcnt des Passions liunmnics. — 'J^'.U'Cu,
ivresses, tous les plaisirs charnels, personnifiés
par d'éclatantes créatures, pétrid's pour l'amour
et la joie ; au sommet de la composition, se
détache la figure amaigrie de Jésus expiant sur
la croix les passions mauvaises des hommes.
Le symbole est simple, comme on voit, et la
philosophie de .lef Lambeaux se passe de com-
mentaires.
On peut juger, d'après notre reproduction,
du souci de forme que l'artiste a apporté dans
son bas-relief. Ce groupe est d'une remar-
quable élégance de lignes. Le sculpteur a.
d'ailleurs, pris lui-même le morceau au point,
ne voulant point confier ce soin au praticien.
Il faudra en-
core cinq an-
nées à Jef
Lambeaux
pour réaliser
complète-
mentson œu-
vre. Ils sont
rares, à l'heu-
re présente,
les créateurs
qui s'absor-
bent pendant
douze années
dans le même
l'eve d'art...
Aussi d e-
vons-nous sa-
luer les Pas-
sions humai-
nes , avant
même que d'en avoir apprécié la valeur totale,
non seulement comme une œuvre de vigou-
reuse et saine beauté, mais comme un exem-
ple tout à fait précieux de foi et de conscience
artistiques.
La France est représentée au Champ-de-
Mars par des œuvres qui ne le cèdent en rien,
pour la hauteur de conception, la beauté plas-
tique et l'accent, aux envois des artistes belges.
Quelque sensation d'inachevé qu'il nous
laisse, le groupe en plâtre de M. Rodin,
Victor Hugo écoutant les voix de la mer, est
l'œuvre la plus puissante peut-être que la sculp-
ture contemporaine ait produite. Ce n'est
guère, hélas, qu'une ébauche; si le person-
nage principal, le poète, est un morceau accom-
pli et d'une suprême beauté d'attitude, le
génie qui se penche à son oreille n'est encore
qij'une indication; si la néréide debout se re-
M. JEF LAMBEAUX
La Sculpture Décorative
85
commande par un torse admirable et compa-
rable aux meilleurs morceaux de l'antique, il
reste à la compléter par des bras et à taire de
ses Jambes informes le soutien élégant et noble
qu'exige impérieusement ce beau corps.
Au point de vue de l'exécution définitive,
bien des inquiétudes subsistent également.
L'œuvre, commandée par l'Etat, et destinée au
jardin du Luxembourg, sera traduite en
marbre. Or, dans cette matière, elle est irréali-
garde, dans sa forme définitive de la pierre, le
même sentiment profond, la même noblesse
auguste que l'on a reconnus au modèle.
Passons aux Champs-Elysées. Nous y trou-
verons, dans la sculpture décorative, une série
de compositions du plus haut intérêt, le Coup
de collier de M. Debrie, le Poète de M. Fal-
guière, le bas-relief exécuté par M. Frémiet
pour le Muséum d'histoire naturelle, la statue
tombale du Cardinal Guibcrt, œuvre de
Le coup de collier, haut-relief, plâtre.
sable actuellement. Ni le bras du génie qui se
convulsé au-dessus de la tète du poète, ni le
bras du poète lui-même ne pourraient se sou-
tenir qu'au moyen d'étais de marbre, de l'effet
le plus regrettable et le plus lourd. L'artiste
aura-t-il le courage de remanier, comme il le
faudrait, son ensemble, avant de le remettre
aux mains des praticiens? Telle est la question
qui se pose.
L'Alexandre Dumas, que M. de Saint-Mar-
ceaux a couché, comme les gisants du Moyen
Age, sur sa dalle funéraire, est une conception
élégante et simple qui fera le plus grand hon-
neur à l'artiste. Enfin, le groupe central du
Monument aux morts de M. Bartholomé,
M. DEBRIE
M. Louis Noël, et de la plus magistrale ordon-
nance, le monument à Giij' de Montpassant,
de M. Raoul Verlet, le monument kILeconte
de Lisle, de M. Puech, le monument au comte
Lambrecht, de M. Breitel. Nous ne nous arrê-
terons aujourd'hui qu'aux trois premières.
Le haut-relief de M. Debrie représente un
attelage de quatre chevaux de trait dans l'effort
tendu d' « un coup de collier ». Des deux che-
vaux de tête, l'un au premier plan tire à pi in
collier dans un audacieux mouvement tour-
nant que suivent les deux timoniers, la crinière
éparse, les naseaux dilatés, l'arrière-train
engagé dans le fond du haut-relief où reste
perdu le lourd chariot, accessoire inutile et
84
Art et Décoration
dont la composition n'exigeait pas l'indication.
C'est une œuvre ardente et puissante, met-
tant devant nos yeux une de ces scènes de nature
qui nous ont si souvent arrêtés à la ville ou
à la campagne. Quoi de plus beau que la ten-
sion et l'effort du cheval de trait, qui font jouer
due: ce monument exécuté en bronze ferait
une admirable entrée au Marché aux chevaux
ou à la Maison d'Alfort.
Le Poète de M. Falguière est un groupe
équestre en bronze destiné à un square privé
de Paris C'est un Apollon chevauchant Pégase.
L'Age de Li pierre, liaut-rclief, plâtre.
M. I-REMÏFT
les muscles, accentuent les lignes et donnent à
la bete la plus déformée par le travail une
bcau'.é mcjincntancc nù le paroxvsme de la vie
est attcini.
L'auteur, M. Debrie, qui professe à l'École
des Arts Décoratifs un cours d'anatomie artis-
tique que tout apprenti sculpteur devrait
suivre, est un modeste et un timide qiie sa pro-
bité d'art et sa conscience ont retenu plusieurs
années devant cette œuvre qu'il ne considérait
jamais comme assez parfaite. Il y apporte
vingt ans d'étude passionnée du cheval.
Souhaitons qu'un si beau labeur et une si belle
œuvre reçoivent la récompense qui leur est
De ses genoux nerveux pressant les flani's du
cheval ailé qu'il pousse en avant, de sa main
gauche tenant une lyre, il suit de son regard
inspiré et de sa main droite étendue vers l'es-
pace, la tuvante image qui se dérobe el se
refuse à sa prise. C'est l'exquise figure de la
jeunesse et de la beauté, et en dehors de
cette recherche idéale, le sculpteur a apporté
dans l'étude de nature du cheval et du cava-
lier une souplesse, une unité et une entente du
mouvement qui en font une œuvre admirable.
H. Fii:ri;ns-Gevaert et Gaston Migeon.
Frise en afflic<itio:i de broderies.
M. BONVALLEl'
TAPISSERIES ET BRODERIES
la main
La tapisserie et la broderie « à
étaient complètement
tombe-es en défaveur
depuis une \ini;taine
d'années. Seules, les
vieilles filles au fond
des antiques cités pro-
vinciales, continuaient
à pratiquer le point de
marque sur canevas et
la broderie sur velours
ou soie. Et les jours de
féies, on échangeait dans
les familles, les écrans,
les chaises de peluches,
voire des tableaux en-
cadrés, dont la confec-
tion avait demandé une
année de travail inin-
terrompu à la cousine
ou à la tante sexagé-
naire... La tapisserie
otricielle, de son côté,
n'a rien produit de bien
remarquable dans ces
derniers temps. Nous
avons été admis à voir
aux Gobelins les quatre
panneaux commandés
pour la Comédie fran-
V'aise et dont les sujets
inspirés de notre réper-
toire dramatique, ont
été dessinés par MM.
Clairin, Humbert, etc. —
Nous avouons n'avoir
été touchés que médio-
crement par ces compositions, exécutées
pourtant avec la lenteur qui est tradition-
nelle dans la maison.
Panneau de Tapisserie.
On ne peut donc qu'applaudir aux efforts
des rares artistes qui cherchent à rénover la
tapisserie et la broderie. Au salon du Champ-
de-Mars nous remar-
quons entre autres les
travaux de M. Raiisttir.
Voici une composition
représentant trois jeu-
nes filles occupées à
cueillir les fleurs prin-
tanières aux branches
inclinées d'un arbuste.
Les deux figures du
premier plan sont d'un
dessin fort gracieux.
Les laines emplovées
par M. Ranson sont
malheureusement
échantillonnées avec
peu de soin. Quand l'ar-
tiste nuancera davan-
tage ses tons et dégrade-
ra légèrement certains
plans, ses œuvres de-
viendront absolument
parfaites. Mêmes ré-
serves pour la frise ou
dessus de porte repré-
sentant une jeune fa-
mille se livrant aux plai-
sirs champêtres.
Signalons de M'^" van
Mattemburgh un trip-
tyque tissé en soie, dont
chaque panneau s'en-
cadre de galons vieil or.
Au centre un motif
floral s'enlève, comme
dans les tableaux de
Duez, sur une mer calme, très bien rendue par
les fils verts. Des deux côtés, sur un fond iden-
tique se détachent des tètes d'enfants célestes et
M, J. FLANDKIX
£6
Alt et Décoration
les couleurs de cette jolie frise sont harmo-
nisées et tondues avec infiniment de goût.
Nous pouvons encore citer un panneau de
A/. F/aw^;-/». ta-
pisserie aux tein
tes sobres repré-
sentant une jeu-
ne fille assise
devant un gué-
ridon et buvant
lentement une
tasse de thé.
Le contraste
des gris éclairés
et des ombres
plates est un peu
violent: mais
l'ensemble du
tableau est néan-
moins d'une bel-
le allure.
M. Aristide
Maillol cherche
.des harmonies
plus fondues ; la
grande tapisse-
rie où il nous
montre des
jeunes filles
dans un verger
est un retour
vers les pro-
cédés tradition-
nels. Le des-
sin malheureusement manque d'élégance.
De M. Ronai, un joli motif de frise ;
l'artiste a choisi comme sujet la lisière d'un
Le Fvintcmps {'J jfisscnc).
bois éclairée par les lueurs du soleil couchant.
Trois laines seulement sont employées :
l'une de couleur rouge vif. l'autre d'un bleu vi-
brant, la troisiè-
me vert foncé.
Avec ces trois
tons adroite-
ment distribués,
M . R onai ob-
tient les plus cu-
rieux etl'ets.
Parmi Icsbro-
deurs, mention-
nons encore
M. de Feureqm
envoie un grand
motif floral, d'un
style fort élé-
gant, à l'usage
detapisdetable,
et M. Bonvallet
dont la frise, his-
toriée déplumes
de paon, mérite
un sérieux en-
couragement.
Terminons
par un éventail
en broderie,
pour lequel une
mention spé-
ciale s'impose.
M"^" Eliot en a
dessiné le motif
et nuancé les t )ns avec le goût le plus délicat
et le plus sûr.
H. FlÉRENS-GzVAERT.
M. RANOON
Eventail en broderie.
Ta;:isscrie.
Dessins et exécution de m. kanson
L'ART MODERNE
CONFERENCE DE M. GRASSET
Dans la série de conférences organisées par
l'Union des Arls décoratifs, M. Eugène Gras-
set a traité dernièrement de VArt nouveau. On
sait que dans la conférence précédente, sur le
Meuble, dont notre revue a rendu compte dans
son dernier numéro, M. Emile Molinier avait
déjà donné quelques aperçus de la question ;
et, ainsi, ces leçons se trouvent d'elles-mêmes
renouées l'une à l'autre, et il en ressort davan-
tage pour les auditeurs la valeur et la cohésion
d'un enseignement.
Par ses investigations personnelles dans des
domaines si divers de l'art ornemental, et par la
diflusion de sa doctrine à laquelle il forme de
nombreux élèves, M. Grass;t apparaît comme
l'un de ceux qui se sont le plus dévoués aux
progrès de la décoration. Il avait, certes, beau-
coup à dire sur un sujet qui lui tient si fort à
cœur, qu'il en a fait la raison d'être de sa vie
personnelle; et nous comprenons bien que l'on
lit songé à lui, pour entretenir le public
des préoccupations d'art où semblent tendre
tous les esprits éclairés et novateurs. Disons
tout de suite que sa conférence, nourrie d'idées
pratiques et renfermant les principes essentiels
d'une saine instruction, ne trompait point l'in-
térêt qu'on en pouvait attendre.
Il faut avouer que nous nous servons, pour
désigner nos aspirations, d'une locution assez
malheureuse, et que le terme d'Ai't nouveau,
lancé, voilà un an, par l'Hôtel de la rue de
Provence, ne saurait être adopté sans réserves
et sans commentaires. Le grand défaut de cette
expression est de paraître appuyer exclusive-
ment et atout prix sur la nécessité, pour l'art
décoratif, de rechercher sans cesse l'inédit ; elle
semble faire délibérément bon marché de tout
le passé et encourager à construire un art de
toutes pièces, qu'il soit bizarre ou saugrenu, au
mépris de toute tradition. Le mot d'art qui ex-
prime ce qu'il y a dans les œuvres humaines de
beauté résolue et durable,soutfreaussi, je crois,
de se voir accoler, entre toutes, cette épithète de
nouveauté, qui semble faire injure à la valeur
qu'on lui attribue et le classer parmi les chan-
geantes manifestations de la mode. Il ne faut
pas oublier que l'art, sans cesse renouvelé
dans ses formes, demeure du moins éternel
dans ses lois fondamentales; la préoccupation
dominante de nouveauté est souvent funeste,
et risque d'affoler les chercheurs les mieux
doués. La nouveauté vient d'elle-même, et
sans qu'on y songe, dans les œuvres sincère-
ment conçues en vue d'une destination déter-
88
Art et Décoration
mince et dans un esprit bien net des conve-
nances de répoquc. Il serait sans doute meil-
leur d'insister sur \vi propriété ex \a. personna-
lité de l'art qu'il s'agit pour nous tous de
réaliser et d'accueillir, et la nouveauté y trou-
verait son compte par surcroit. Mais bien
qu'imparfait, le mot existe, et c'est de lui que
l'on se servira sans doute encore pour activer
l'etîort des artistes.
M. Grasset a très bien établi, en effet, le péril
de l'industrie
courante, qui se
borne à recopier
des modèles an-
ciens; et le mal
est profond, car
il ne vient pas
seulement de la
demande des
clients, qui veu-
lent avoir sous
les yeux un
(( style » classé
et connu, mais
de l'incapacité
des ouvriers, ha-
bitués à repro-
duire toujoursla
même pièce, et
que tout chan-
gement dans
leur partie déso-
rienterait.
Toute initia-
tive dans les arts
de l'ameuble-
ment doit donc
s'effectuer, pour
le moment, en
dehors des cran- Rchmc en cuir inciic et tcnit.
des maisons in-
dustrielles; mais ceux qui cherchent dans cette
voie doivent se méfier de l'influence néfaste
qu'a eue l'école réaliste dans tous les domaines
de la décoration et de la trop grande habi-
leté de main-d'œuvre, qui pousse à imiter de
trop près la nature, quelle que soit la matière
travaillée. Il faut louer, à ce propos, M. Gras-
set d'avoir formulé si nettement les règles
primordiales de la décoration : « On oublie,
dit-il, que deux lois des plus importantes com-
mandent l'Art ornemental. La première, c'est
que la forme d'ensemble des objets ornés doit
être adaptée à l'usage de ces objets, et que
cette forme ne doit pas être altérée par
les ornements... La deuxième loi est que
la matière oppose une limite à la repré-
sentation exacte des objets naturels, et
que cette limite ne doit être franchie par
aucun tour de force De la combinai-
son étroite de ces deux principes, dérive
le style, c'est-à-dire l'appropriation spé-
ciale de l'imitation d'un objet donné à un
but défini et à une matière donnée. »
Cette connais-
sance des ma-
tières diverses,
des contraintes
que chacune
d'elles impose,
mais aussi des
effets spéciaux
que l'on en peut
tirer, ne peut se
trouver vrai-
ment que chez
les ouvriers
d'art qui ont la
pratique des
métiers ; aussi
M . Grasset es-
tinie-t-il avec
raison que leur
initiative pour-
rait être prépon-
dérante dans le
mouvement de
l'art décoratif,
et bien plus effi-
cace que les di-
rections dcsdes-
s i n a t e u r s en
chambre ou des
modeleurs, qui
n'ont guère ma-
nié que la terre et la cire, et fournissent
souvent des modèles impossibles à exécu-
ter dans la matière qu'ils avaient en vue.
Le fer forgé, le cuivre repoussé ou la sculp-
ture sur bois exigent des techniques diffé-
rentes, et l'on ne peut à son gré appli-
quer un projet à l'une ou l'autre de ces
matières.
Mais cette influence des ouvriers d'art n'est
malheureusement pas près de s'accomplir
encore. Il faudrait renoncer d'abord à cette
spécialisation à outrance, qui paralyse l'ingé-
niosité de l'artisan; pour qu'un objet gardât la
M. MEVNIER
L'An Moderne
89
saveur neuve et l'unité de son caractère, il
serait nécessaire qu'il n'eut pas à passer par
trop de mains avant d'être achevé. Puis, la
pratique du mé-
tier ne suffît pas,
et l'instruction
seule serait ca-
pable d'en diri-
ger les effets. Il
n'v a pas plus
d'un demi-siè-
cle, quel que dut
être le métier
d'art suivi, on
donnait aux ap-
prentis artisans
une éducation
dont la Géomé-
trie et r.A.rchi-
tecture for-
maient la base.
" llsacquéraient
ainsi, » dit M.
Cîrasset, « le
sentiment des
proportions, le
sens coustructif
ou agencement,
la variété dans
la disposition. »
Et, sans doute,
l'étude seule de
l'Architecture
nous fait sentir
le caractère lo-
gique de ses
propres modifi-
cations à travers
les siècles. Le
bon sens est
avant tout né-
cessaire pour
employer la ma-
tière dont on
dispose, et la Géométrie apprendra ensuite
comment réaliser les conditions indispen-
sables de toute construction : la durée et Véqiii-
îibre.
Toute cette partie pratique de la conférence
de M. Grasset est très vivement sentie et d'une
portée excellente. M. Grasset propose, pour
conclure, une meilleure direction dans l'en-
seignement des ouvriers d'art; une éducation
plus technique, comprenant, outre la Géomé-
Maiblc cta^cre.
trie. l'Architecture et l'Anatumie, les éléments
de la Botanique et de la Zoologie, l'étude des
objets de toutes sortes pouvant engendrer des
ornements, et
— nous en
avons vu l'im-
portance, — le
travail manuel
de toutes les
matières, qui
peut seul faire
trouver le style.
Et c'est aux So-
ciétés d'Art qu'il
appartiendrait
de fonder ces
Conservatoires
des Arts ma-
nuels.
Mais ce n'est
pas tout de sus-
citer des initia-
teurs éclairés et
expérimentés. Il
convient d'en-
visager la tache
qui se présente
à nous. M .
Grasset ne croit
pas possible de
faire dériver
notre style,
moderne de la
continuation
d'un style an-
cien, le style
Louis XVI, par
exemple, si élé-
gant et de si bon
aloi, d'un carac-
tère absolument
original et qui
appartient bien
à notre race ;
car l'expérience a montré qu'il était impossible
de s'en tenir à l'inspiration d'un style passé, et
que l'on en arrivait inévitablement à la pure
copie.
Il est bien certain que le retour aux
bergères, si douillettes et si confortables, du
siècle dernier semble le prouver.
Il s'agit donc de remplacer des formes an-
ciennes, très riches, très élégantes, mais dont
nous ne comprenons plus le sens, par des formes
I 2
M. DE FEUEE.
90
Art et Décoration
nouvelles répondant aux aspirations de notre par les ressources de notre invention plus
époque. nourrie qu'autrefois, et aussi par la beauté de
Il faut, par conséquent, consulter les la matière, que les perfectionnements techni-
^CSo;ni présents, se rendre compte de Yittilitc ques mettent à notre disposition; car l'objet
d'art comporte deux éléments de charme, le
décor et la matière. Il v a encore, à ce sujet,
une éducation de l'œil qui a besoin de se faire,
avant que le public reconnaisse toujours la
vraie valeur d'un objet et n'égare pas son choix
sur l'apparence frelatée d'un article de came-
lote.
M. Grasset estime que notre art décoratif
ne se conformera à sa raison d'être qu'en don-
nant une impression de richesse, même avec
les matériaux les moins coûteux, grâce au goût
entendu de la composition et à l'économie
réalisée dans l'exécution parles moyens méca-
niques.
Il détinit l'Art: ■.< la richesse de la forme,
ajoutée aux aspects purement utiles des
objets » ; et, par suite, il ne croit pas pos-
sible un art simple et populaire, comme
quelques-uns le demandent, cet " Art par le
Motif de dentelle.
M. coi:ty
Vase en grès, décore de feuilles en reliej. m. jeannesby
peuple et pour le peuple » que prônait William
Morris.
J'avoue que je ne suis pas ici d'accord avec
M. Grasset; et répondons tout de suite que nul
n'a jamais compris par art populaire une c\a%st
des objets et les orner au moyen d'éléments
tirés de la jmture, en les adaptant à la matière d'art inférieure comme pour les enterrements,
employée. un an de pauvre, maussade et dénudé. Sans
Il nous est possible de dépasser nos ancêtres doute, il y a des degrés dans le luxe, mais c'est
L'Art Moderne
9
pour tous que l'art décoratif semble devoir se
simplifier aujourd'hui, justement d'après ce
principe d'accommodation à l'époque, que
M. Grasset pose lui-même.
Ce n'est pas, me semble-t-il, le caractère
nous retrouvons nous-mêmes après la vie du
dehors ; et nos yeux et nos goûts ont besoin d'y
être doucement séduits et attachés, plutôt
Qu'émerveillés.
Cela ne veut pas dire qu'il faille renoncer
Carton de papier peint. ?
de richesse qui doit s'imposer de nos jours
dans rornementation, mais le caractère d'in-
timité. Nous ne vivons plus à une époque
de faste et d'apparat extérieur, mais dans
des temps difficiles et troublés. Nous n'ha-
bitons plus guère des palais, et il parait
assez inutile de reconstruire un Trianon ;
nos appartements sont les refuges où nous
M. GILLET
aux matériaux peu usités encore, aux bois
rares, aux applications précieuses ; mais la plus
belle matière devra, me semble-t-il, être si
exactement employée, que sa richesse même
ne puisse rien avoir d'exagéré et d'offusquant.
C'est l'harmonie qui doit tout d'abord frapper
le spectateur dans la disposition d'un ameuble-
ment, et l'on ne doit songer qu'ensuite à en
9^
y4n et Décoration
louer la richesse, car toute recherche d'har-
monie oblige les parties diverses à rester
sobres.
Sans doute, les appartements que les archi-
tectes mettent à notre disposition, avec leurs
dorures et leurs stucs appliqués sans souci
raisonné de décoration, ne semblent guère
exhorter à cette sobriété, et ne peuvent assu-
rément qu'encourager le choix de meubles dis-
parates et trop ornés chez ceux qui n'y sont
déjà que trop portés par les habitudes cou-
rantes
Aussi, doit-on féliciter M. Grasset d'avoir
relevé la part qui revenait à l'architecture dans
le mouvement décoratif moderne. Et non seu-
lement l'architecture est nécessaire pour incul-
quer à l'artisan la connaissance sûre et indis-
pensable des lois de tout agencement de formes,
de toute construction; mais c'est aussi l'archi-
tecte qui fournit le cadre où l'ingéniosité du
donc souhaiter avant tout, pour l'efficacité du
mouvement décoratif, de voir les jeunes archi-
Dessin de rideau.
M. COUT Y
décorateur aura ensuite à s'exercer, et avec
lequel il devra rester d'accord. Il nous faut
Modèle de décoration pour faïence, m. couty
tectes se bien pénétrer des exigences de notre
temps.
Je sais bien que cet art sans tapage sera en-
core très coûteux, et il en sera ainsi tant que
les exemples d'art ornemental que l'on nous
présente ne seront exécutés qu'à l'état de pièces
uniques.
Mais les nouvelles doctrines faisant leur
chemin, il n'est pas impossible de voir se
fonder la fabrique d'art qui pourra multiplier
des exemplaires, offrant une valeur artistique,
de façon à les faire entrer en concurrence avec
les modèles courants.
M. Grassst a, du moins, parfaitement raison,
en pensant qu'on ne saurait trop encourager,
pour le moment, tous les essais qui se mani-
festent. 11 est bien naturel que dans ce nouveau
retour à la nature, il y ait souvent encore de
la gaucherie ou une recherche trop apparente;
mais le sens de la décoration deviendra plus
clair et plus spontané, et le style se décou-
vrira de lui-même.
Gustave Souliiîr.
Premier prix (ensemble).
M BLANCHE LAfZAXXE
NOS CONCOURS
r.V VOILE POUR DOSSIER DE CAXAPE
Le Comitc de direction s'est réuni, le lundi
12 avril, à cinq heures, au siège de la revue,
pour juger le concours de mars : un voile
pour dossier
de canapé.
Sur l'en-
semble des
projets, le ju-
ry en a retenu
quatre , qui
ont été mis
aux voix. Les
votes expri-
més ont don-
né le pre-
mier prix à
M"^ Blanche
L a u z a n n e ,
de Paris, dont
nous repro-
duisons le
projet. D'a-
près les indi-
cations join-
tes à ce pro-
jet, le modèle
devrait être
exécuté en
applications
de fleurs blanches, avec un lil d'or cernant les
contours, sur un jeu de fond brodé.
Le second prix a été décerné à M. Casimir
Dobrzycki, de Paris, dont nous reproduisons
également le projet. M. Raymondis Raymond,
de Paris, reçoit un troisième prix. Une men-
tion honorable est accordée à M"" Ida Brinck-
mann, de Hambourg.
Premier fri.\- (détail).
CONCOURS DE JUIN
Porte-jlbimettes.
Un des objets les plus indispensables, dans
l'usage courant, est un porte-allumettes. Ne se-
rait-on pas heureux lorsqu'on rentre chez soi ou
qu'on se ré-
veille la nuit,
de trouver à
poste fixe un
porte - allu -
mettes sur le-
quel la main
se poserait
sans cher-
cher. Nous
donnons
donc, pour
sujet du con-
cours de mai,
un porte-al-
lumettes à
suspendre au
mur. Les
concurrents
devront le
supposer as-
sez grand,
pourvu d'un
trottoir bien
visible et
bien recon-
naissable au toucher. On peut le prévoir
soit en céramique décorée, soit en bois dé-
coupé, soit en bois pyrogravé et rehaussé de
couleur. Il pourrait même comporter une
tablette destinée à recevoir un bougeoir ou un
flambeau léger.
Trois prix seront décernés, un de jS, un de
5o et un de 25 francs. Adresser les envois,
a\antle 25 juin, i?,rue Lafavette.
(>e^^
Voile pour dossier de canapé (i" prix).
CASIMIR DOBRZYCKl
CHRONIQUE
LE SUCCES DE LA REVUE ART ET DECORATION
UNE CONFÉRENCE DE M. 1 ALIZE SUR LE BIJOU
— Eh bien, cher ami, cette revue, comment
va-t-elle?
— A merveille.
— C'est bientôt dit (( à merveille! », mais ce
n'est pas suffisamment explicite. Qu'on s'inté-
resse, dans un petit clan d'artistes et dans un
petit groupe de gens de goût, à votre tentative,
qu'on déclare ingénieuse votre revue, qu'on la
trouve sérieuse, très nourrie, admirablement
illustrée, ce n'est que justice. Mais vraiment,
a-t-elle un public, aura-t-elle jamais un public
de lecteurs suffisant pour la faire vivre sans
publicité dégradante, sans réclame outrageuse-
ment déshonnéte?
— N'est-ce que cela? Sachez donc que dès
maintenant nous avons notre vie assurée. Pas
un jour qui n'amène de nouveaux abonne-
ments, venus de partout, de Belgique, d'Alle-
magne, d'Italie, des pays Scandinaves, de
Russie. Dans deux ans, nous aurons dix mille
abonnés, sans compter la vente au numéro.
— Vous êtes fou !
— Très logique, au contraire, cher ami. Plus
je regarde autour de moi, et plus je vois, à des
symptômes éclatants, que le public entre avec
enthousiasme dans nos vues. De tous côtés,
sur cet art nouveau dont l'élaboration se mani-
feste par des œuvres de plus en plus nom-
breuses, étudiées, des conférences de vulgari-
sation s'organisent, hnitile de vous rappeler
la série si brillamment inaugurée, cet hiver, à
l'Union centrale des Arts décoratifs. Vous
savez à la fois la haute valeur des conférenciers,
le succès qu'ils ont obtenu. — Mais en pareil
endroit, me direz-vous, la chose est naturelle.
— D'accord ; mais le mouvement, vous ne
l'ignorez pas, ne s'est pas restreint à VUnion
Centrale. Les femmes s'y intéressent à présent
comme les hommes. Elles veulent savoir, elles
aussi, et l'initiation qui leur manque, elles l'ont
demandée à des érudits comme M. Eugène
Miintz, à des spécialistes et à des lutteurs
d'avant-garde comme notre confrère Champier
ou notre directeur Thiébault-Sisson.
i< Les savants, à leur tour, ont compris qu'un
artiste peut manifester son talent, son esprit
d'invention et son goût autrement qu'en
barbouillant de la toile ou en tapant, pour le
dégrossir, à grands coups de ciseau ou de mail-
let, sur un bloc de marbre; et, comme les
femmes du monde, les savants ont demandé à
s'instruire. La Société d'encouragement pour
l'industrie nationale, dont le comité est formé
mi-partie de hautes notabilités scientifiques et
de hautes notabilités industrielles, y est allée,
elle aussi, de sa série de conférences, et tout
récemment, j'ai entendu un de nos orfèvres les
plus distingués. M. Falize, conférencer chez
elle, sur le bijou. Qu'avez-vous à répondre a
cela, Saint Thomas? Croircz-vous au mouve-
ment, désormais? »
Telle est la conversation qui s'échangeait
Chronique
95
l'autre jour entre votre serviteur le Badaud et du bijoutier, mais l'initiative de la femme,
un de ses confrères en critique. L'interloeuteur l'esprit d'invention de l'artiste. Celui-ci doit
n'a pas répondu. maintenant reprendre la tradition des Holbein,
Quelques mots maintenant, doux lecteur, de des Rubens, des Van Dick; il doit dessiner lui-
cette conférence de même les bijoux,
M. Falize sur le bi- inventer, pour
jou. On n'y a point chaque femme un
fait d'archéologie. peu éprise d'art,
des ornements
d'une forme nou-
velle. C'est ainsi
seulement que s a
chèvera dans les
Ayant à comparer le
bijou d'autrefois et
le bijou d'aujour-
d'hui, on s'est con-
tenté de caractériser
celui d'autrefois par conditions indis-
une série d'exemples pensablesdebeau-
recueillis dans les té, de logique,
portraits de femmes d'harmonie, l'évo-
dont regorgent les
v-in
musées d'europe.
On a montré,en s'ai-
dant de projections,
la collaboration de
l'artiste et de la fem-
me dans le choix,
et l'emploi logique
du bijou, qui, non-
aj»i,'fo„Vf/j,«).M.Fix-MAssEAu seulemcnt doit être
d'une belle forme,
mais qui doit être aussi le complément, éclatant
ou discret, toujours nécessaire, du costume.
Ce qui distingue le passé du
présent dans le bijou, c'est que
les femmes d'autrefois, n'ayant
pas le besoin de variété et de
changement qui sévit sur nos
contemporaines, restaient tou-
jours fidèles, quand elles l'avaient
trouvé, à l'accommodement qui
convenait à leur taille et à leur
visage.
Aujourd'hui, en dehors des
diamants et des perles, la femme
n'a pas la parure d'or qui con-
vient à son costume de ville. Elle
répugne à porter les bijoux des
grand'mères et les choses démo-
dées qui dorment dans les écrins
de famille. Il lui faut des orne-
ments nouveaux, créés pour son costume d'à
présent, si différent des costumes anciens
dans le principe, et dont la note dominante est
d'être fait pour le mouvement, pour la marche
lutiondu goût ré-
clamée par un
changement radi-
cal dans nos
mœurs et dans
nos façons de
nous vêtir.
Le Bauaud. ■-
p .g _J^,J_ p'gjyj-Q Botigcnir (ctjin). m, fix-masseau
Statuaire, nous
prie de déclarer qu'il est l'auteur du modèle de
la fontaine exécutée en grès par M. Dalpayrat,
reproduite dans notre numéro de
février. Tous les éloges que nous
avions donnés à la conception lui
reviennent donc.
UN CONCOURS D'EVI':NTA1L
La section féminine de l'L nion
centrale des Arts décoratifs a dé-
cidé, sur la demande de la Cham-
bre syndicale de l'Eventail, d'ou-
vrir entre tous les artistes français
un concours de projets d'cvcn-
tails montés, c'est-à-dire l'ensem-
ble d'un éventail terminé, avec
l'espoir que de ce concours sortira
une idée nouvelle qui donnera un
plus grand essor à l'industrie si
française de l'éventail.
Les projets d'éventails montés devront être
présentés en dessins coloriés, grandeur d'exé-
cution.
Le but de ce concours étant la recherche
Il en résulte, dans le bijou, un complet chan- d'un éventail essentiellement nouveau, la plus
.gement de front. Il faut, non pas l'ingéniosité grande latitude est laissée aux artistes pour le
Reliure
M. DELVILLE
ç>6
Art et Décoration
choix de la forme, de la grandeur, de la matière
à employer, lani pour la monture que pour la
feuille, et du genre de décoration.
Néanmoins, l'éventail ne saurait être rigide
et devra toujours pouvoir se replier.
Tout éventail dessiné devra être représenté
sous ses deux aspects, ouvert et fermé.
Le jury de ce concours sera composé de :
1" Trois membres choisis dans la section
féminine de PUnion centrale des Arts déco-
ratifs ;
2» Trois membres choisis dans le conseil de
l'Union centrale des Arts décoratifs;
3" Trois membres choisis parmi les artistes
et les critiques d'art;
4" Trois membres choisis dans la Chambre
syndicale de l'Éventail.
Ce jury présidera à la réception des projets
et désignera ceux à récompenser.
Le premier sujet classé recevra une prime de
^0 0 francs.
Le second, de -joo francs.
Les projets classés n» 3, n'>4, n° 5 recevront
chacun une prime de i oo francs.
L'Exposition du concours aura lieu, du
3 1 mai au i 2 juin, dans le grand hall du journal
le Figaro, rue Drouot, 2(j.
1° Les artistes devront remettre leurs projets
à la bibliothèque de l'Union centrale des Arts
décoratifs, 3, place des "Vosges, du 24 au 28 mai
prochain, de 10 heures du matin à 5 heures du
soir. Ils les accompagneront d'un pli cacheté,
marqué de la devise ou du signe inscrit sur le
projet, et dans lequel ils auront mentionné
leurs nom et adresse.
20 Chaque concurrent ou concurrente pourra
exposer plusieurs projets, mais n'obtiendra
qu'un seul prix pour son meilleur projet; les
autres projets seront déclarés hors concours et
ne pourront donner lieu, le cas échéant, qu'à
une simple mention honorifique.
3" Les dessins primés resteront la propriété
de la section féminine de l'Union centrale,
mais les artistes conserveront le droit de repro-
duction industrielle, sauf pour le projet classé
n" I et ayant reçu la prime de 5oo francs. Le
droit de reproduction de ce projet appartiendra
à la Chambre syndicale de l'Éventail. Le droit
de reproduction de tous les autres projets, pri-
més ou non, pourra être vendu de gré à gré.
40 En cas d'infériorité manifeste des œuvres
présentées ou de l'inobservation par les con-
currents des conditions du concours, le jury
aura le droit de réduire en totalité ou en partie
le nombre des récompenses.
5» Les projets devront être retirés dans les
trois jours qui suivront l'exposition du con-
cours. Passé ce délai, l'administration ne
répondra plus de leur conservation.
Les concurrents pourront demander aux
membres de la Chambre syndicale de l'Even-
tail les renseignements qui leur seraient néces-
saires.
Une Exposition d' Affiches Illustrées
La Société impériale d'Encouragement des
Arts organise, en novembre 1897, une exposi-
tion internationale d'affiches illustrées.
Cette exposition est placée sous le patronage
de S. A. I. Madame la Princesse Eugénie
d'OLDENBOURG.
Le but de l'exposition, qui sera la première
de ce genre en Russie, est de présenter au
public une application de l'Art à l'industrie de
la publicité.
Elle ne comportera que ce qui a trait à l'af-
fiche artistique, c'est-à-dire des dessins et ma-
quettes d'affiches, des affiches en reproduction
lithographique, avec et avant lettres, des livres,
éditions, revues, etc., traitant de l'affiche d'art.
Pour les conditions générales et les rensei-
gnements supplémentaires, s'adresser au secré-
taire de rE.xposition, au siège de la Société,
38, Grande Morskaïa, Saint-Pétersbourg.
NOS PLANCHES HORS TEXTE
Nos gravures hors texte sont toutes deux les prieur, dans l'article qui figure en tète de cette
reproductions d'oeuvres figurant aux Salons de livraison. L'autre est une composition décora-
cette année : Pune est Le Lauraguais. cette tive de M. E. Grasset et fait partie de la série
page magistrale de M. .Tean-Paul Laurens, Les Estampes décoratives en coitlcursdoninoMS
longuement étudiée et appréciée par M. Le- avons déjà parlé dans notre premier numéro.
liup. de Vauglrsrd, G. de Malherbe & C«, lôi, roe de Vaugirard. Paris.
EMILE LÉVY, Édlleur-gérant
Le Poète.
^"ALGU1I■;RE.
Art et Décoration
**
L'ART DÉCORATIF AUX SALONS
ou EN EST LE NOUVEAU STYLE?
)\isqiie-l;i. vers
A tache est décidément
bien ingrate d'es-
sayer, en quoi que
ce soit, de faire neuf.
Voilà dix ans à peine
qu'un groupe d'artis-
tes hardis s'est porté,
malgré le discrédit
qui s'y était attaché
art décoratif, dix ans seule-
autre chose, — et déjà des juges trop pressés
la condamnent.
« Quel style avez-vousenfanté? lui disent-ils.
Depuis dix ans que vous nous annoncez l'art
nouveau, l'avez-vous seulement esquissé? Vous
n'avez produit que dans le bibelot des (éuvres
acceptables. Vos sculpteurs, vos orfèvres, vos
ciseleurs, vos émailleurs, vos potiers ont créé;
leur inspiration s'est renouvelée, leur techni-
i.iue s'est améliorée, mais dans la décoration
Le monument aux Morts; f terre. — (Partie centrale).
M. BARTHOLOME.
ment que, désabusée du pastiche, la petite intérieure s'est-il révélé une note neuve, s'est-il
bande des novateurs s'évertue à créer enfin réalisé un progrès, quel qu'il soit?
i5
98
Art Ci D:ccraîun
'< N'oLis dt.'crJicz qu'o:i n'i:iiitcra plus l'art
anclc;i : — à merveille. Dans les salles à man-
ger, le Henri II vous parait suranné : — je le
veux bien. \'ous proscrivez bien loin de nos
salons, vous écartez de nos chambres à coucher,
comme impropres à nos usaijes modernes, le
Louis XI\'. le Louis X\', le Louis X\'l et l'Km-
pire : — d'accord.
« Mais qu'avcz-vous à leur substituer qui les
vaille ?Constaie-i- on dans vos inventions la plus
quelconque, s'il était tenu sculcjncnt par des
hommes qui n'ont pas qualité, aux veux du
public, pour juger. Il en est autrement. Ces
jugements sans appel sont rendus par des
érudits dont le nom seul est une autorité. D'où
vient le parti pris qui s'v accuse? Pourquoi,
sans entrer en rien dans le détail, déclarent-ils
en bloc, mal venus, tous les essais de mobilier
exposés au Salon?
Un procédé de discussion si sommaire a-t-il
Vjse décuratif; maître.
superficielle cohérence et trouvc-t-on, non pas
même un style, mais un embryon de style dans
vos meubles? Ici, c'est de l'art anglais qu'on
s'inspire, et là du moyen âge. Toute la nou-
veauté tient ailleurs dans une cheminée exécu-
tée, non plus en bois ou en marbre, mais en
grès. Si c'est là tout ce que vous avez à m'of-
Irir, tant pis pour l'art nouveau. Je ne vois pas
la nécessité de pasticher l'art ancien, mais je
préfère, tout bien pesé, ce pastiche à vos essais
impersonnels et sans grâce. »
Voilà le langage qu'on tient tous les jours. 11
n'y aurait pas lieu d'y attacher une iaiportance
M. INJALEERT.
sa raison d'être, et qui convaincrat-il ? On ne
rend pas d'arrêt, en justice, sans l'appuver sur
un exposé des motifs. De même, en critique, il
importe, pour qu'une condamnation soit vala-
ble, de se fonder sur l'examen préalable des
objets. Il ne suffit pas de dire qu'on n'en goûte
ni l'aspect général ni le principe : il est indis-
pensable de se livrer à une étude approfondie du
détail, à une critique serrée de l'ensemble. Cette
critique et cette étude font défaut dans les tra-
vaux dont je parle. C'en est assez pour rendre
suspecte l'opinion qui s'y manifeste avec une
netteté si tranchante.
UÀrt décoratif aux Salons
99
Est-ce à dire que je trouve irréprochables
tous les ameublements exposés au Champ-de-
Mars? Non certes : aucun d'eux, dans son
ensemble, n'est parlait. On verra plus loin les
critiques, motivées celle-là, e^ précises, que
notre collaborateur M. Esquié leur adresse. Je
ne songe point à les adoucir : je renchérirais
même volontiers sur les reproches qu'il adresse
aux artistes en cause. Mais le critique n'a pas
pour unique devoir de relever les défauts. Il
lui appartient aussi de mettre en évidence les
grand rôle y est joué, en effet, bien plus par
l'objet d'art, dont on peut toujours se passer,
que par la chose indispensable, — le meuble, —
essentielle dans la création d'un style neuf.
Mais cette constatation ne comporte pas pour
moi la conclusion féroce qu'on en tire, et de ce
qu'on ne trouve au Salon que très peu de
meubles, et des meubles d'inspirations très
diverses, je ne vois nullement qu'il v ait lieu
de mettre en doute l'aptitude de nos contem-
porains à créer. L'objet d'art étant facile-
Paiincaii dàcorjttf.
trouvailles et de signaler tout ce qu'il peut y
avoir d'heureusement conçu, d'élégant et de
pratique dans un meuble où il aura relevé
quelques fautes, soit contre la logique, soit
contre la technique du métier. Ce faisant, le
rôle qu'il remplira sera utile : — il ne sera
utile qu'à ce prix. Dans une période d'enfante-
ment comme celle-ci, l'excès de sévérité court
le risque d'aboutir aux mêmes résultats que le
panégyrique à outrance. Il supprime l'élan : il
paralyse ou il annule l'effort.
Ceci posé, j'accorderai sans peine qu'aux
salons l'art, de demain est surtout représenté
par le céramiste, l'orfèvre, l'émailleur. Le
M. ROGER.
ment transportable, il est tout naturel qu'on
en expose davantage. Il est rare au contraire
que l'artiste, quand il a travaillé, sur com-
mande, à un type nouveau de mobilier, ait la
chance de le faire voir au public L'amateur
se dessaisit sans peine, pour un temps, d'un
grès, d'un émail ou d'un bronze : il ne se
dégarnira pas d'un meuble d'usage. On ne
voit donc aux expositions annuelles qu'une
partie des meubles exécutés dans l'année. La
pauvreté d'inventions est donc moins grande
qu'on ne le dit.
L'écart n'en existe pas moins, je l'avoue,
et je suis ravi qu'il existe. Mon opinion
lOO
Art et Décoration
est fondée sur quelques raisons. Les voici :
Nos stvlc? anciens se sont créés sans effort
et succédé sans inter-
ruption apparente,
parce qu'ils ne sont,
a V regarder d'un peu
près, que les modifi-
cations successives
Sun même style,
étranger d'origine.
Le mobilier de la
Renaissance fran-
çaise n'est français
que de nom : il nous
est venu tout fait
d'Italieet, jusqu'àl'a-
vcnement du Louis
XVI, nous nous som-
mes bornés à le mo-
difier de règne en
Vase.
M. GALLE.
règne pour l'adapter de plus en plus étroite-
ment à nos mœurs, à nos idées, à nos
goûts.
Inspiré de l'antique, le Louis XVI n'en
dérive pas moins du Louis XV. L'architec-
ture du meuble y est changée, mais un même
besoin d'élégance, une conception pareille
de la grâce le distinguent et, s'il se refuse à
la décoration parasite qui surchargeait nos
mobiliers rococo, s'il redresse ses lignes,
s'il rectifie avec un soupçon de rigidité
ses aplombs, il emprunte quand même aux
stvles antérieurs plus d'un détail encore de
son ornementation. La guirlande, par exem-
ple, dont il a fait usage avec tant de bon-
heur, lui vient du Louis XIII. Il s'est con-
tenté de rafraîchir, en l'allégeant, le motif.
Quant au stvle de l'Empire, qu'est-ce autre
chose, dites-moi, que le Louis XVI refroidi,
alourdi, dépouillé de sa grâce et restreint,
par la préoccupation exclusive de l'antique,
à une majesté pompeuse, massive et maus-
sade.
Latransition entretous ces styles s'est donc
faite, en quelque sorte, toute seule. Nos ébé-
nistes ont passé de l'un à l'autre sans effort.
Les matières employées restant les mêmes,
il leur suffisait, le plus souvent, d'un effori
d'imagination très léger. Sur le vœu d'une
reine, d'une princesse, ou d'une grisette as-
sociée à la royauté par caprice, on se met-
tait au travail, on appelait à son secours
l'architecte, le sculpteur en bois, le ciseleur,
et, dix-huit mois au plus après la commande.
l'œuvre nouvelle éclatait. C'était l'aurore d'un
style neuf. En dix ans, la nation avait pris le
pli, tout entière.
Les temps sont changés quelque peu. La
monarchie a disparu. C!omme un rouleau sur
le macadam, le niveau égalitaire s'est pro-
mené, uniformisant tout, sur la France. Il l'a
embourgeoisée tout d'abord, démocratisée
ensuite. Le mobilier doit se démocratiser
comme le reste : il sera utilitaire avant tout.
Au temps jadis, on se laissait vivre : au
temps présent, on vit double. .\ notre activité
décuplée, un nervosisme exalté correspond. Il
nous faut tout, sur l'heure, sous la main. Nous
avons le téléphone à domicile, nous y
avons le théàtrophone également; nous y
serons bientôt en relations par l'électricité,
comme dans l'Amérique du Nord, avec le
poste de pompiers, de commissionnaires, de
voitures et de télégraphe le plus proche; nous
y aurons à demeure une machine à écrire. Nos
tables de travail n'auront droit à l'élégance,
désormais, que toute satisfaction donnée à
lieliiii c.
M. MEIMI K.
l'utile, et l'utile tiendra la grande place. Nous
voudrons à portée du doigt tout le clavier par
L'Art décoratif aux Salons
lOI
k-qucl nous communiquerons avec l'extérieur,
et le meuble se ressentira dans sa forme de toutes
ces additions, et cette forme sera égalitairc forcé-
ment. Financier, médecin, avocat, homme de
lettres ou industriel, nous recourrons tous aux
mêmes movens rapides de communication et
nous concentre-
rons autour de
nous ces moyens.
Le meuble riche
neditïéreraguère
du moins cher
que par la ma
tière employée.
Identiques d'à
gencement, l'un
et l'autre seront
identiques aussi
dansleurs lignes,
identiques aussi
dans le aécor en
ce sens qu'ils se
passeront de dé-
cor. Sur la table-
bureaudeTavenir
les supertluités
charmantes d'au-
trefois seraient
un véritable non-
sens et je ne la
vois pas ornée,
comme au siècle
passé, d'une gar-
niture de bronze
ciseléeparunmo-
derneGouthière.
Etpartout.dans
l'appartement,
même complexi-
té d'un côté, mê-
me simplification
utilitaire de l'au-
tre. L'homme n'a
pas été le seul, en
ce temps-ci à se Reliure en cuir incisé.
créer des besoins nouveaux : la femme, dans la
même voie, l'a suivi. Comparez, je vous prie,
le trousseau, non pas d'une élégante, mais d'une
simple petite bourgeoise de nos jours avec le
trousseau de sa grand'mère; à la garde-robe
de l'une opposez celle de l'autre, et en regard
du bagage intellectuel et moral de celle-ci, dou-
loureusement étriqué, placez l'éducation libé-
rale que nous donnons, dans cette fin de siècle.
à nos tilles : — vous comprendre sans
peine qu'il v ait lieu, pour la femme d'à
présent, de prévoir dans la chambre à cou-
cher ou dans le cabinet de toilette tout un
monde de complications dont la femme du
temps de Louis-Philippe eût frémi.
Pour parer à
ces besoins nou-
veaux, créera- 1-
on des formes
nouvelles? A
coup sur. Dans
quel sentiment
seront-elles con-
çues? je l'ignore,
mais j'ai peine à
croire qu'on ne
s'inspirera pas
dans une certaine
mesure, comme
l'ont fait les An-
glais dans leurs
encadrements de
cheminées, des
ingénieusescom-
binaisons japo-
naises. Dans l'a-
meublement de
M M . Selmers-
heim et Plumet,
que nous avons
récemment re-
produit, 1" i n -
tluence en était
sensib le : elle
avait abouti à un
résultat des plus
satisfaisants, si
j'en juge moins
d'après mon sen-
timent personnel
que d'après celui
de nos lecteurs.
Lin desprincipes,
par suite, sur
lesquels on se réglera sans nul doute, sera
celui de la dissymétrie, seul capable de ré-
pondre, par la multiplicité des combinai-
sons qu'il engendre, à la multiplicité de nos
besoins. Mais cette dissymétrie sera tempérée
par un goût beaucoup plus épuré que celui des
Japonais, par un souci plus marqué de l'équi-
libre des masses et par ce don de sobriété qui
est inné dans une race pondérée, amoureuse
>I. MEUNIER.
lo;
cÀrt et Décoration
de logique, éprise de clarté conime la nôtre.
>^:-
>u ,>
wMê \
^/
^^^'
1'
■ ' "^~ w
M. GALLE.
Dans le stvle du meuble nouveau, la matière
été précédé de l'introduciion dans l'usage cou-
rant de matières nouvelles. Voyez, à la fin du
siècle dernier, la révolution causée dans l'in-
dustrie du meuble par la vulgarisation de l'aca-
jou. Plus encore que l'anticomanie, la matière
nouvelle a hâté la transformation du LouisXVI.
On n'avait emplové jusque-là, dans l'industrie
du meuble, que les bois de nos forets d'Eu-
rope. Or, nos bois sont à fibres courtes; on les
ornemente et on les sculpte sans peine; je di-
rais volontiers qu'ils appellent de toute néces-
sité la sculpture. L'acajou au contraire, comme
la plupart des bois exotiques, bois dont la fibre
est longue, et la matière très dense, ne se prête
qu'à une ornementation modérée; il exclut par
là même la sculpture. Qu'en est-il résulté? On
a remplacé la sculpture dans la matière même
du meuble par des sculptures exécutées dans
une matière étrangère, et l'acajou s'est revêtu
de bronzes d'applique dont l'usage s'est d'au-
tant mieux répandu que le ton chaud du bois
s'y prétait.
On ne me contestera pas cet exemple; — on
ne contestera pas non plus qu'au temps où
nous vivons, sous la formidable poussée qui
pousse l'Europe vieillie à sortir d'elle-même
pour se jeter sur les pays neufs, l'Afrique. l'In-
do-Chine, l'Australie, les Indes néerlandaises,
l'ébénisterie ne s'enrichisse tous les jours de
matières insoupçonnées, et très belles. De
Panneau accoratif.
JUA.i.vY KECl'LUS.
jouera nécessairement un grand rôle. Tout toutes parts des bois inconnus nous arrivent,
changement radical dans les styles a toujours qui vont lutter d'ici peu, par le nombre et par
L'Art décoratif aux Salons
ÎO)
la qualité, avec nos bois d'Europe. A prix ci;al,
la nouveauté de leurs tons, la richesse et la va-
riété de leurs aspects les feront cei-taincment
préférer. Pour peu que la nu)de s'en mêle et
qu'on en adopte l'usage, leur contexture impo-
sera une technique, des profils et des méthodes
de travail qui sert>nt autres. Du jour où l'on
aura déterminé cette technique, inventé ces
profils, mis tout le monde à même de se régler
sur ces méthodes de travail le stvle nouveau
sera créé, pour
le meuble.
Mais, nous
n'en s o m m e s
pas là. Les ma-
tières nouvelles
que nous avons
commencé à re-
cevoir, du Con-
go surtout, nous
les expérimen-
tons peu it peu.
Nous y mettons
quelque hésita-
tion, il est vrai,
car l'inconnu
que nous v sen-
tons caché nous
tourmente. Le
vent, d'ailleurs,
n'a tourné en-
core qu'à moitié
à l'emploi des
bois exotiques,
et ce qu'on nous
a mis sous les
yeux en fait de
nouveauté ne re-
présente qu'une
infimepartie des
richesses que le
continent noir
nous tient en réserve. Il faut donc encore pa-
tienter, il faut attendre, avant de multiplier les
essais de décoration intérieure, que nous
connaissions à fond toutes les ressources des
bois qui constitueront la matière du mobilier
nouveau.
D'autres raisons, non moins bonnes, suffi-
raient pour nous conseiller la patience. La dé-
coration intérieure ne comporte pas que le
■ meuble, et les créateurs du style nouveau de-
vront se préoccuper de renouveler, en mémo
temps que ce dernier, le cadre où ce dernier
PanncJiu décoratif.
sera placé. On renonce de plus en plus, pour
les salles à manger, au papier, aux imitations
de tapisserie, aux imitations de cuir de Cor-
doue en carton. Le règne de l'odietix simili
est passé. On revient à la décoration peinte,
aux panneaux et aux frises en faïence décorée
ou en grès.
De ces deux matières céramiques, c'est le
grès qu'on tend à employer de plus en plus. Oii
est dans le vrai. Les elfets auxqticls il se prête
sniii plus larges,
[Mus francs, plus
l'obustes. Les
usages auxquels
il s'adapte sont
aussi plus va-
riés. Nous avons
NU, au Champ-
de-Mars, des es-
sais de cheminée
en grès. Des cri-
tiques ont trou-
Né l'idée biscor-
nue. Ils n'ont
pas dit p o u r -
quoi. Ils a u-
raient été bien
jn peine. La sé-
\érité de leur
jugement s'ex-
pliquerait s'ils
avaientcondam-
né seulement les
modèles, médio-
crement heu-
reux de concep-
tion, et d'une lo-
gique douteuse:
— ils ont con-
damné sans rai-
son la matière.
Au même titre
que la pierre, et bien plus légitimement que le
bois, le grès a une destination toute trouvée
comme encadrement de foyer. Le bois appelle
la flamme ; c'est une perpétuelle menace d'incen-
die : le grès, au contraire, l'isole. 11 sera donc
employé logiquement. Au point de vue déco-
ratif, on n'aura pas plus de raisons de l'écar-
ter. Il revêtira, au gré du potier, les colora-
tions les plus ternes ou les plus chatoyantes,
et le moule lui donnera à volonté toutes les
formes. Je le verrais avec plaisir détrôner,
tout au rnoins dans la salle à manger ou dans
M. BOTKINH.
I04
oArt et Décoration
le cabinet de travail, l'odieux assemblage de
couleurs par lequel les trois quarts de nos
cheminées, toutes en marbre, déshonorent
nos appartements. Il y créerait par la belle
chaleur de ses tons, par des formes suscep-
tibles à l'infini de se varier, un centre d'inté-
rêt qui remplacerait avantageusement les mo-
tifs dont nos yeux seront longtemps encore
affligés.
L'industrie du grés, par malheur, est encore
dans l'enfance de l'art. Nos fabricants n'ont
visé jusqu'ici qu'un bibelot : ils commencent
à peine à se douter du grand rôle que cette
admirable matière est appelée à jouer dans l'ar.
chitecture de l'avenir. Quelques rares céra-
mistes se sont essayés, depuis peu, à créer
les types variés et pratiques auxquels le grès
peut se plier dans la décoration architectu-
rale. Il nous reste à voir s'engager dans le
même sens tous les artistes e]ui se sont voués
à l'étude des émaux de grand feu. Des résultats
obtenus dépendra, dans une forte mesure, la
réussite des essais de nouveau style.
J'ajouterai que dans cette réussite entreront
aussi, pour leur part, et pour une part nota-
ble, les perfectionnements du travail mécani-
que du bois. Si nombreux qu'ils soient dès
maintenant, ils sont loin d'être définitifs. Une
invention récente permet à la machine d'exé-
cuter à elle seule des travaux déjà très com-
pliqués de sculpture. Quels résultats pratiques
cette invention récente donnera-t-elle? Encore
une question à résoudre.
L'introduction des bois exotiques dans
l'usage courant aura son contre-coup dans la
marqueterie. La renouvellera-t-elle? II y a
tout lieu de le croire. On a vu, par les remar-
quables travaux de M. Emile Galle, dans quel
sens le renouvellement est possible. .\I. Che-
vrel a fait, de son coté, des combinaisons de
mosaïque de bois et d'incrustation de métal
qui ont donné des résultats excellents. Le
parti qu'on en peut tirer n'est pas mince.
Attendons-nous aussi de ce coté à des révéla-
tions très prochaines, et très neuves.
Mais encore une fois, pour tout cela, nous
sommes dans la période d'essai. II faut à nos
chercheurs le temps d'expérimenter, de syn-
thétiser, de rendre définitives leurs recherches.
Quand elles auront revêtu ce caractère, le stvle
demandé surgira. Nos artistes le créeront sans
effort, parce qu'ils trouveront réunis dans leurs
mains tous les éléments nécessaires pour faire
neuf.
D'ici là, ne pressons point les choses. Lais-
sons les idées se mûrir et les inventions venir
à point. L'éducation du public n'est pas faite :
elle n'est qu'en bonne voie; achevons-la. Les
artistes qui se sont confinés dans le bibelot
nous y aideront. Les modèles achevés qu'ils
nous montrent, modèles dont l'inspiration est
si personnelle, si fraîche, si dégagée de toute
imitation d'art ancien, nous dégagent insen-
siblement, nous aussi, des impressions gardées
malgré nous de l'art classique. En nous appre-
nant à regarder directement la nature, sans
qu'aucun souvenir entre elle et nous s'inter-
pose, sans intermédiaire aucun que notre œil,
ils éveillent en nous, pour tout ce qui touche
à l'art, des sensations et des idées moins
banales.
Des émotions nouvelles nous pénètrent, des
appétits ignorés nous gagnent. En même
temps que le réveil des âmes, le réveil des
industries artistiques a sonné.
Thiébault-Sisson
Le monument d'Alexandre Dumas JUs.
M. DE SAIXT-M ARCEAUX.
Les Essais de Mobilier et de Décoration Intérieure
Une des preuves de l'importance du niouve- aussi, ne s'agit-il ici que de fragments, mais
ment que cette revue a pris à tâche de suivre, de fragments qui nous font juger nettement
c'est l'intervention de l'architecte. Lui aussi de la tendance à laquelle l'artiste obéit et de
s'en mêle et, pour intéresser le public à ses la qualité personnelle de l'effort.
Cheminée et lambris de salle à ineinger.
travaux, il recourt au moyen le plus pratique,
à l'exposition de modèles en nature.
On comprend toute la difficulté d'exposer
une œuvre architecturale en nature. En
M. LEON EKNOLVILLE.
Dans cesconditions, les sections d'architec-
ture et d'objets d'art en arrivent peu à peu à
se confondre. Du moment que, dans les ensem-
bles exposés, le rôle prépondérant est joué
général, les dimensions même s'y opposent; par l'exécution, il n'y a plus de raison de séparer
14
o6
Art et T>écoration
ces deux catégories. Elles sont, en effet, d'au-
tant plus étroitement liées l'une à l'autre que
le meuble a sa place toute marquée dans les
décorations d'intérieur conçues par l'archi-
tecteset exécutées sous sa direction.
C'est au Champ de Mars que se trouvent
réunis les essais de
cette nature. — En-
trons au Champ de
Mars.
En pénétrant dans
la première salle qui
leur est réservée, nous
remarquons d'abord.
à droite, une décora-
tion de salle à manger
de M. L. Benouville,
dont une cheminée en
pierre dure forme le
motif central.
L'architecte s'y est
appliqué à employer
simultanément la pier-
re, le bois, le marbre,
les faïences, les gla-
ces,etc., et à faire avec
tous ces éléments ce
qui était loin d'être
facile! un tout homo-
gène, ingénieux et pra-
tique . L'inspiration
découle visiblement
de l'étude de l'art du
moyenàge modernisé.
Nous voyons que la
préoccupation du bon
emploi des matériaux
est constante; la pier-
re dure est moulurée
sobrement, l'aération
des lambris etlemode
à emplover pour les
fixer ont donné prétexte à des motifs décoratifs
très heureux. Une petite étagère destinée à re-
cevoir du grès relie agréablementlesdeuxcôtés
de lambris, en en continuant la tonalité, et des
fragments de glaces adroitement placés élargis-
sent cette partie d'une façon originale. Il y a là
une disposiiion de couronnement de cheminée
intime, dont on peut tirer bon parti. Obser-
vons, cependant, que si les montants des lam-
bris ont besoin d'être fixés dans le haut d'une
manière apparente, il serait non moins mile
de les retenir dans la partie inférieure.
Éc'\in.
A notre droite encore, nous trouvons un
grand vitrail de M. Carot, représentant un
paysage aux tonalités franches et gaies. C'est
bien le genre qui conviendrait pour nos habi-
tations modernes. Ici, l'inspiration de la nature
est directe, et l'artiste a fait œuvre tout à fait
personnelle : la mise
en plomb accentue le
dessin et le souligne
aux bons endroits. Si
nous avons une légère
critique à faire, elle a
trait plutôt au dessin
de la partie supérieure,
qui est un peu confus.
L'artiste, ne doit pas
.perdre de vue que le
grand mérite de la dé-
coration réside dans
la clarté. Si nous exa-
minons l'exécution de
ce vitrail, nous remar-
querons la préoccupa-
tion d'éviter la pein-
ture, qui diminue l'é-
clat de la lumière, et le
choix de verres, de
structure spéciale, co-
lorés dans la masse.
Signalons avant de
quitter M. Carot, deux
autres vitraux de lui,
d'après les mêmes
principes , représen-
tant : l'un une femme
au bord de la mer ;
l'autre des poissons ro-
ses stylisés sur fond
vert d'eau très clair, et
dont l'effet est char-
mant.
M. Ciuimard nous
montre un intérieur dont une bibliothèque est
le motif,'principal. Quoique l'ornementation
soit stylisée d'après les principes du moyen
âge, on ; ne peut nier une grande recherche
personnelle et pour laquelle la fantaisie des
formes est poussée à l'excès. Une série de
pièces dans ce genre risquerait de donner le
cauchemar.
Avec M. Gardelle, nous remarquons des
formes plus simples et plus raisonnables, mais
peut-être un peu lourdes. Pourquoi, d'ailleurs,
près des étagères, ces tiges en cuivre d'un entre-
M. C. PLUMET.
Les Es^iiiis de Décoration. Intérieure
107
tien difficile et dont l'utilité ne peut être que très moyen âge interprctc d'après les principes de
problématique? Les pentures de cuivre des VioUet-Ie-Duc pour les détails. L"effet ccpen-
Chaise.
M. T. SELMERSHtIM.
portes nous semblent aussi trop développées
pour un ef-
fort, en som-
me, d'aussi
petite im-
portance.
MM. Plu
met et Sel-
mer s h e i m
exposent,
en deux ca-
dres sépa-
rés, les meu-
bles d'un
boudoir et
d'un cabi-
net de tra-
vail. Si j'a-
nalvse l'im-
pression
produite,
j'y trouve
un mélange
deLouisXV
Cliijjonnicyc.
dant est agréable et les motifs
M. T. SELMHRSIIEIM.
;racieux.f Nous
regrette-
rons cepen-
dant , pour
les meubles
du boudoir
(chaises ou
autres), les
saillies aus-
si inutiles
que i^énan-
tcs et aux-
quelles les
vêtements
ne manquc-
1- a i e n t p a s
de s'accio-
cher à tous
les instants.
Mais à part
cette criti-
que, il \' a
lieudelouer
Table.
M. I. StLMEESHEIM.
pour le gracieux des courbes, de japo-
nais pour les dispositions d'ensemble, et de
ces artistes
pour l'effort qu'ils ont fait, non sans succès.
Signalons en passant la belle exécution de
io8
Art et 'Décoration
l'autel gothique de M. Goiu et dont remplace-
ment a dû déterminer le style.
Une note décorative très intéressante est
donnée avec la banquette, formant armoire, de
M. Lambert; l'étude en est fine et recherchée,
et quoique l'artiste ait été impressionné vive-
ment par l'art
japonais, il y
a une recher-
che person-
nelle de déco-
ration qui lui
fait le plus
grand hon-
neur. Les or-
nements dé-
coupés et do-
rés, ainsi que
la frise à jour
supérieure
sont particu-
lièrement à
citer . Qu'il
nous soit ce-
pendant per-
mis de dire,
que nous ne
croyons pas
qu'au mo-
ment où l'art
de la sculp-
ture a atteint,
au point de
vue de l'exé
cution , une
perfection
aussi grande
que celle que
nous voyons
aujourd'hui ,
il soit désira-
ble de voir
réduire son
rôle à ce i;enrc dans l'art à venir; si l'archi-
tecte doit tenir compte de tous les progrès de
l'industrie, il ne peut négliger l'évolution qui
se produit soit en peinture, soit en sculpture.
Pour terminer notre examen du Champ de
mars, signalons enfin une voûte en faïence à
reflets métalliques d'une disposition ingénieuse
par M. Pierre Roche, et un vitrail pour salon
exécuté par M. Gaudin d'après les cartons de
M. Grasset. L'éloge des cartons du peintre
Crassct n'est plus à faire, et celui-ci est digne
Bibliothèque.
de ceux que nous connaissions. La coloration
en est claire et bien appropriée; quant à l'exé-
cution elle nous a paru tout à fait à la hauteur
de la conception. Elle fait à M. Gaudin grand
honneur. Le même artiste expose un vitrail
religieux de belle allure destiné à l'église
de Monte-
reau, et dont
M. L.-O.
M e r s o n a
fourni les
cartons. Le
verrier de-
vait nécessai-
rement s'y
interdire les
beaux eftets
lumineux re-
cherchés
dans son vi-
traildesalon.
11 n'en a pas
moins fait
une œuvre
qui a du style
et qui répon-
dra à mer-
veille aux exi-
gences spé-
ciales de son
r(Mc.
AuxChamps-
E 1 y s é e s ,
c'est sous
forme de géo-
métrauxetdc
perspectives
que les archi-
t e ctes ex-
posent leurs
travaux, et
cela de la
façon la plus
attrayante. Quoique nous nous soyons
promis de ne parler ici que d'œuvres en
nature, nous ne pouvons nous empêcher de
signaler la remarquable galerie japonaise con-
struite par M. Marcel et représentée par des
dessins d'une exécution parfaite.
En résumé, si les tentatives paiticulières n'a-
bondent pas, le talent est denrée courante, et si
les réussites absolues font défaut, il ne manque
pas de rencontres heureuses. 11 y a tout à
espérer pour l'avenir. Pierre Esquié
M. C. PLUMET.
LES ARTS DU FEU
'il est, parmi les métiers
artistiques, des métiers
ingrats ce sont bien cer-
tainement ceux qu'on a
dénommés très] ustement,
les arts du feu : celui qui
les veut pratiquer, céra-
miste, émailleur ou verrier doit s'attendre à
mille déboires; il doit d'avance, bien entendu,
renoncer non seulement à l'espoir de faire
fortune, mais encore ne point trop escompter
la réussite.
L'artiste est à la merci d'un élément qu'il ne
peut conduire que dans une certaine mesure; il
faut donc que, par avance, il mette, autant que
possible, tous les atouts dans son jeu : il doit
non seulement être persévérant, courageux et
entêté, mais encore ne laisser rien au hasard de
ce qui, dans l'exécution de son œuvre, dépend
de sa volonté ou de son talent. Tout doit être
calculé d'avance; il y a bien assez de risques à
courir une fois que le feu entre en scène et vous
rend ou une merveille ou souvent, hélas!
quelque chose d'informe et d'innomable. Peut-
être est-ce cet attrait de l'inconnu qui attire
tant d'artistes bien doués vers la pratique de
ces arts difficiles; peut-être aussi est-ce à ces
difficultés mêmes qu'on doit aujourd'hui la
qualité des œuvres. Les difficultés mêmes de
la pratique de ces métiers en écartent ceux
quine sont point convaincus et j'avoue que
dans notre évolution des arts décoratifs, si je
ne suis pas sans inquiétude d'une manière géné-
rale, je suis plus rassuré en contemplant les
travaux que nous montrent céramistes, émail-
leurs et verriers. C'est que les uns et les autres
sont tenus de savoir le métier qu'ils veulent
pratiquer sous peine d'échouer au port. Dans
mainte autre branche de l'art, l'à peu près est
admissible : ici il est bien difficile de s'en con-
tenter. Aussi peut-on dire que si les salons de
cette année ne marquent pas un progrès évi-
dent au point de vue des arts du feu, l'ensemble
est des plus honorables et fait bien augurer de
1 avenir. Il y a sans doute bien des lacunes,
bien des procédés anciennement employés et
qui pourraient être remis en honneur pour
créer des objets de style moderne et qui sont
abandonnés, je ne sais pas trop pourquoi ; mais
ce n'est là qu'un détail et étant donné que nos
artistes connaissent plutôt trop l'ancien dont
les réminiscences les gênent dans bien des cas,
il y a gros à parier que les procédés dont nous
ne trouvons pas d'échantillons aujourd'hui
Vase.
M. ROBALBHEN.
seront repris bientôt pour le plus grand bien
de notre art contemporain.
La céramique, depuis quelques années, a, du
moins dans certaines branches, fait des progrès
incontestables : le grès, surtout, a été de la
part d'artistes possédant à fond tous les secrets
du métier, l'objet de recherches très fruc-
tueuses qui ont ouvert pour ainsi dire une
voie nouvelle à l'art de terre. Le succès a été
1 10
Art et Décoration
grand, si bien que des artistes délicats, nulle-
ment potiers par vocation, séduits par les colo-
rations ainsi obtenus, se sont parfois essayés en
cet art dithcile et il en est qui ont produit, tel
M. Michel Cazin, des œuvres tout à fait char-
mantes. La vitrine qu'il expose cette année con-
tient, outre un
vase en forme
de section de
tronc d'arbre .
inspiré visible-
ment par l'an de
l'Extrême-
Orient, des va-
ses d'une colo-
ration heureuse
et qui font bien
augurer de la
réussite de ses
recherches. U y
a fort longtemps
déjàque les sculp-
teurs se sont
rapprochés des
céramistes; Car-
rièsa ouvert une
voie que beau-
coup de ses con-
frères semblent
vouloir suivre :
Pierre Roche, à
dire vrai, sem-
bleétreattirépar
une foule de
branches deTart
décoratif; mais,
si personnelle-
ment je ne sau-
rais m'extasier
devant ses re-
liures églomi-
séesf?) il est évi-
dent que ses
grès, son espèce
de surtout de
table représentant quatre femmes nues. Sa
Vénus d'or, sa coupole en faïence à reflets métal-
liques représentent des recherches curieuses ;
je n'aime pas beaucoup ses plats à fond vert ou
jaunâtre, qui ont plutôt l'air de pièces mal
venues que d'œuvres voulues; j'imagine qu'il
faudrait même beaucoup de littérature pour les
faire passer pour autre chose que des essais,
mais je les prends comme tels et à ce point de
y..se.
vue, ils sont encore intéressants. Un autre
sculpteur, Fix Masseau, grâce à la collabora-
tion de Bigot, a obtenu des masques en grès
qui sont d'un effet charmant; ce sont des
sculptures très gracieuses qui rachètent un peu
tout ce qu'il v a de coniourné et de fantas-
tique dans ses
étains et dans
ses vases. Com-
ment, quand on
est capable de
taire des choses
aussi simples ,
a-t-onl'idéed'al-
1er fouiller les
bas-fonds de la
littérature pour
en tirer des com-
positions qui ne
sont recomman-
dables, ni par
l'idée, ni par la
forme?
La littérature
- et souvent en
l'espèce, il s'agit
delà plus médio-
cre— fait décidé-
ment beaucoup
de ravages dans
l'art moderne :
on veut toujours
faire exprimer à
la forme quel-
que sentiment
compliqué, sans
s'inquiéter si
cette forme est
belle, ni même
si elle n'enfreint
pas certaines rè-
gles qui n'appar-
tiennent à au-
cune esthétique
particulière,
mais tout simplement imposées par la na-
ture. Croit-on, si des hallucinations litté-
raires ne hantaient pas le cerveau de M. Aris-
tide Mailhol, qu'il eût peuplé une vitrine
de plaques ou de figurines de poterie, sans
dessin ni style, où se rencontrent des réminis-
cences d'un peu de tout. Si c'est de la sorte que
certains artistes entendent l'art décoratif, ils
feraient bien mieux de faire autre chose. Car
M. RODALBHES.
Les Arts du Feu
1 1 1
cela, il fauî avoir le courage de le dire, vise qu'il faut beaucoup de désintéressement pour
trop à scandaliser le bourgeois, sans protît aborder. Je ne leur ferai pas l'injure de leur
pour l'art : le talent et l'originalité ne résident déclarer qu'ils ont atteint la perfection. J'ima-
pas uniquement dans l'étrangeté et dans l'in-
compréhensib!
gine qu'ils sont trop artistes pour être toujours
contents d'eux-mêmes ; mais les résultats qu'ils
ont obtenus en peu d'années, sont, en somme,
très remarquables. Après ce franc éloge me
sera-t-il permis de leur adresser quelques cri-
tiques? Je trouve, en général, leurs tons un
peu sourds; pas assez de notes claires ; il faut
se rappeler que beaucoup de ces grès font, aux
lumières, des effets assez peu décoratifs: et puis
aussi, chez quelques-uns, on rencontre des
traces de japonisme inquiétantes. Je m'explique:
il est évident que dans ces recherches, l'art de
l'Extrême-Orient a exercé parfois une influence
salutaire; mais, il faudrait maintenant, rede-
\cnir. autant que possible, original et ne pas
adopter aveuglément tous les errements d'un
art qui n'est pas sans avoir son petit côté,
(^uand on m'aura montré un vase en grès qui
a l'air d'être en bois, j'admirerai peut-être la
virtuosité de l'artiste, son habileté technique,
Vase
M. ROBALBHEN.
Mais passons. Heureusement qu'à côté de
ces productions, qu'il faut ouvertement décou-
rager si on veut que notre art décoratif pro-
gresse, j'en vois de plus consolantes : les grès
de Bigot ne m'enchantent pas tous; j'en trou\e
la décoration un peu pàlote et anémique; je
n'approuve ni sa fontaine en forme de crapaud,
conception plutôt peu agréable à avoir chez
soi, ni sa cheminée ornée de hgures de femmes,
exécutée en collaboration avec M. Guillemonat ;
mais ses vases sont bons de forme et, d'ailleurs,
on est en face d'œuvres dont on peut contester
le style, affaire de goût et d'opinion, mais qui
sont nées viables, qui sont sorties des mains
d un homme qui sait son métier, ce qui est
toujours respectable. Jeanneney avec ses vases
aux tons d'écorce, Lachenal avec ses grès et
ses faïences, Dalpayrat et Mm" Lesbros, Des-
mant et surtout Delaherche. méritent tous des mais je me dirai que j'aimerai autant que le
éloges ; ce sont tous à des degrés différents, des vase fût véritablement créé dans la matière
gens de grand talent, des artistes qui se sont qu'il pastiche si bien. La terre est-elle donc
mis vaillamment à résoudre des problèmes une matière vile qu'il la faille déguiser?
Vase.
il. RubALbHfcN.
112
/irt et T)ecoration
Et puisque je parle de matières qui sont au
service des céramistes, pourpuoi ne pas déplo-
rer l'oubli dans lequel tombent et la faïence et
la porcelaine?
L'une et l'autre apparaissent timidement
Pl.it cil faïence.
M. SAIST-LHRCHE.
chez Dammoussc, chez Chaplet, chez Lerchc
dont il faut signaler un plat à fond vert clair,
décoré d'un serpent un peu trop Palissy, mais
dont le ton est charmant. Je ne comprends pas
cet ostracisme, car sans retomber dans les mo-
tifs de décoration usités par les anciens maîtres,
faïence et porcelaine peuvent permettre à des
artistes de créer des objets de style moderne
d'un beau décor ou de forme délicate.
J'ai hâte de voir renaître cette industrie
artistique. Car enfin, certains bons esprits trou-
veront peut-être que je suis trop dur, mais
parmi toutes ces pièces de céramique, je ne
vois que des objets d'étagère ou de vitrine.
Comment se fait-il qu'aucun de ces artistes
n'aient eu l'idée de nous présenter les modèles
d'un service de table? Il y a là matière à des
essais curieux, dirigés dans le sens du véritable
art décoratif, qui consiste à imprimer un carac-
tère artistique à tout objet usuel, si vil soit son
usage. C'est le but à atteindre; et on me semble
bien souvent l'oublier.
Je n'ai point la prétention de n'omettre au-
cun nom parmi les céramistes; beaucoup
d'œuvres, sans doute, m'ont échappé : j'en de-
mande pardon aux artistes et au lecteur. Mais
je ne voudrais point quitter la poterie sans dire
un mot de l'exposition de Massier. Et puisque
l'occasion s'en présente, pourquoi neformule-
rai-je pas franchement mon opinion : La
céramique à reflets métalliques ne me satisfait
pas. Je crains que dans cette voie on n'ait
plus grand' chose à trouver. En appliquant les
reflets sur des émaux foncés, je ne crois pas,
pour ma part, qu'on soit entré dans une très
bonne voie : les reflets sont peu lisibles, peu
intenses. Les Orientaux ont été bien plus
habiles en emplovant les reflets avec des fonds
d'email blanc relevés parfois d'une touche de
bleu. Et sans reprendre ni leur style, ni abso-
lument leurs procédés, il v a là une indication
bonne a retenir pour la fabrication d'objets de
conception moderne. C'est là un des cas ou
l'art ancien peut fournir pour la rénovation de
notre art moderne un utile appui, fortifié par
une longue expérience. Nos émailleurs n'ont
point négligé ces enseignements et le résultats
atteints par eux et dont ils peuvent être bien
justement fiers, démontrent une fois de plus
que pour créer des œuvres véritablement ori-
ginales et caractéristiques, point n'est besoin de
faire complètement table rase du passé.
Meyer et Taxile Doat sont ceux qui s'écar-
tent le moins des traditions limousines; le
premier surtout a remis chez nous en hon-
neur les procédés des émailleurs de la Re-
Piaque cmaillce.
.M. GEORGES JEAN.
naissance; Ta.xile Doat se maintient dans
ces traditions avec ses camaïeux sur fond
noir ou sur fond brun très chaud. Ces émaux
sont habiles, mais parfois les blancs ont un
aspect un peu froid. Me risquerai-je, moi
simple profane, à faire une petite observa-
C/3
ai
w
o
<
o
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C
■a
Q
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Lc's Arts du Feu
T I
)
lion technique : cette troideur de certains hueront pas peu à relever cette brandie si fran-
émaux en t^risailie exécute's aujourd'hui, et çaisedesarts mineurs. J'aime moins, je l'avoue,
d'ailleurs d'un dessin souvent bien plus correct le grand émail de Georges-Jean; mais c'est
que les émaux de la Renaissance, ne provient- affaire de goût, et je me plais à reconnaître
elle pas bien souvent des matières employées? qu'une pièce de cette dimension exécutée sur
Les émaux, paillon, pré-
sente des dif-
ficultés tech-
n i q u e s q u e
l'artiste a très
habilement
surmontées ;
au surplus, il
taudrait voir
cette œuvre
mise en place,
au manteau
d'une chemi-
née, pour en
juger équita-
hlement.
Lucien
Hirtz, tout en
s u i vaut, en
partie du
moins, les er-
rements des
anciensémail-
leurs, a e u
de véritables
t rouvailles.
Sa Naïade et
la Noyée ,
pour étrange
que soit le su-
jet, a des co-
lorations ver-
tes et bleues
d'une délica-
tesseadorable
que vient é-
clairer à demi
le ton de la
tels que les li-
vre le com-
merce , sont
bien impar-
faits et il y au-
rait grand
p r o h t pour
nos artistes à
composer
eux-mêmes
leur palette,
tout comme
leurs devan-
ciers, ou du
moins à per-
fectionner les
produits dont
ils font usage.
Je sais bien
que c'est un
grand embar-
ras, mais la
chose est trop
importante
pour qu'on la
néglige.
Garnier et
Grand hom-
me peuvent
aussi être
considérés
comme des
élèves directs
des Limou-
sins, et je
ne pense pas
que cette assi-
milation leur puisse êtredésagréable. Etàdire plaque de cuivre. Si je préfère infiniment ce
vrai, j'imagine que l'un et l'autre eussent tenu petit tableau au masque d'homme sur lequel
à Limoges, un des premiers rangs. Puis, je se promènent des coléoptères, il n'en faut pas
leur sais un gré infini de ne point être atteints moins reconnaître que cette pièce montre une
de la maladie du moment : ils ne craignent très grande habileté dans l'emploi simultanédes
point la couleur et néanmoins, leurs émaux émaux de différents tons, quelques-uns aussi
sont tous très harmonieux. Les portraits de éclatants que des pierres précieuses. De petits
M. Roty et d'une petite fille qu'expose Grand- vases, une sorte de coupe ou de cendrier sont
homme, la riche série de plaques en couleurs là pour attester que l'artiste, le jour où il voudra
qu expose Garnier, réconcilieront beaucoup de reprendre la tradition de la vaisselle émaillée,
gens avec l'art difficile de l'émail et ne contri- pourra produire de petits chefs-d'œuvre.
i5
La Naiadc et la Noyée.
l'Interprétation d'un dessin de Lévy-Dliurmer.)
M. HIRTZ.
114
Art et T>ccoration
La technique de rémail cloisonné semble
passionner Etienne Tourrette qui nous donne
une jumelle, des panneaux décoratifs, des
vases, des bijoux sur lesquels se détachent
Une jumelle (Email cloisonné). m. e. tourkette.
fermement des tiges de fleurs, s'enlevant sur
un fond de fondant, très légèrement teinté par
place. La coloration générale est douce et c'est
une heureuse idée que de faire concourir les
fonds d'or, à peine voilés, à l'éclat de l'œuvre
tout entière. La réussite est parfaite et je sou-
haiterais vivement que ce procédé fût plus
souvent employé pour la bijouterie, au moins
pour les bijoux faits sur commande, les seuls
au surplus pour lesquels, pour le moment du
moins, il soit question d'art.
J'ai eu déjà plus d'une fois l'occasion de
faire l'éloge de Thesmar et de ses émaux trans-
parents, merveilles de goût et d'exécution
qu'aucun artiste n'a pu surpasser ; j'aurais l'air
de me répéter en adressant de longs compli-
ments à un travailleur aussi acharné que
modeste. Je signalerai seulement, en passant,
ses applications d'émaux cloisonnés sur la por-
celaine, et au risque de paraître poursuivre
une idée fixe, je redirai, une fois de plus, qu'on
peut regretter qu'il ne puisse continuer ses
essais sur une plus vaste échelle ; qui sait si la
continuation de ses recherches ne transfor-
merait pas largement le rôle décoratif de la por-
celaine,en faveur de laquelle il faut bien plaider
aujourd'hui puisqu'on n'y parait plus songer?
L'artdu verrier nous ramène à des artistes qui,
depuis longtemps déjà, ont un renom mérité.
Léveillé, qui expose un grand vase gravé, frotté
d'or, d'une riche coloration ; Gallé, dont la vi-
trine contient une série de vases, les uns gravés,
les autres unis, aux tons vigoureux ou mou-
rants, empruntant leur coloration soit aux
plantes, soit aux gemmes, à coté desquelles
ils sont dignes de prendre place. La matière
est toujours admirable, mais quelques formes
sont un peu incertaines ; et, comme toujours,
les plus belles pièces sont celles dont le galbe
est le plus simple. Tyffany, cette année, me
plait parce que ses vases conservent l'apparence
du verre ; les colorations sont heureuses, les
mélanges harmonieux, les irisations très
riches ; mais les formes, quand ce ne sont pas
de pures imitations d'objets anciens, pour-
raient donner lieu à plus d'une critique. Karl
Kœpping semble s'être voué à la fabrication
du vase-fîeur, ce qui n'est pas très nouveau,
le simple terme de calice pour désigner la ca-
vité d'un verre, éveillant déjà l'idée d'un végé-
tal. J'imagine que ces œuvres iront rejoindre,
un jour ou l'autre, dans les vitrines des mu-
sées, tous ces produits des verreries de Murano
— pas ceux du xv° siècle, dus à des artistes plus
robustes — dont on admire surtout la légèreté
et la fragilité.
Portc-rvnqtict énuiii. i- i- imw.:.
L'art du vitrail, pour une infinité de raisons,
ne figure jamais aux expositions annuelles que
dans des proportions très restreintes. D'ail-
leurs, cela se conçoit de reste : un vitrail est
généralement exécuté pour un emplacement
déterminé, et il serait assez malaisé d'en juger
Zc'5 Arts du Feu
1 1
S
dans un autre milieu. Il y en a cependant un
certain nombre aux Salons de cette année : je
signalerai d'abord, et sans aucun enthou-
siasme, le paravent en verre de Laumonnerie,
qui me parait manquer absolument de vigueur
dans les tons ; et puis, la nécessité de l'emploi
du verre dans un meuble de ce genre ne me
semble pas démontrée. Parmi les vrais vitraux.
dient les œuvres du passé, c'est moins en admi-
rateurs qu'en historiens de la civilisation. Les
véritables œuvres d'art ont toujours été très
rares. Notre siècle ne fera pas plus exception
qu'un autre : il ne paraîtra peut-être pas,
à distance, plus médiocre qu'un autre non
plus; mais il est une remarque que feront
certainement nos descendants : c'est que nos
,#
%
■? ^
Panneaux pour meuble (Email cloisonné).
il faut mentionner ceux de Gaudin, d'après
L. 0. Merson, et surtout la Symphonie d'après
Grasset, vitrail très clair et d'un joli dessin,
tout à fait un vitrail d'appartement. En dehors
de ceux-là, je ne vois rien qui trahisse des ten-
dances bien nouvelles, ou bien, ce qui est plus
grave, qui indique une intelligence bien nette
de ce que doit être le vitrail.
Je ne voudrais pas quitter le lecteur, qui
doit trouver certainement cet article un peu
prolixe, sans remercier les rédacteurs d'Art
et Décoration d'avoir donné l'hospitalité à ces
lignes. Les archéologues ont, je le sais, mau-
vaise réputation parmi les artistes; on leur
prête trop volontiers la qualité de laudator
temporis acti, et on oublie trop que s'ils étu-
M. E. TOUERETTE.
artistes ne sont pas assez artisans et que
nos artisans veulent trop être des artistes.
L'évolution de nos arts mineurs aura peut-
être pour résultat de faire sortir de pair des
hommes qui, dans leur genre, seront les égaux
des peintres ou des sculpteurs; mais si elle
continue dans le même sens, elle ne me parait
pas destinée à produire une fois de plus cette
union intime entre toutes les parties de l'art
qui caractérise certaines époques qui ont
possédé un style. C'est grâce à ces tendances
générales, que nos salons nous font voir
beaucoup de fort jolis bibelots, mais, en
résumé, un très petit nombre d'objets usuels
ennoblis par un décor artistique.
Emile Molinier.
ALEXANDRE CHARPENTIER
M. Alexandre Charpentier prodigue son art
subtil et étudié à tout ce qui est susceptible de
relief: lesmétauxet le grès le sollicitent à la t'ois,
et l'on connaît aussi ces plaquettes de papier et
Bouton de porte.
M. A. CHARPENTIER.
de carton qu'il frappe comme du cuir, et les
lithographies estampées qui en sont dérivées. Ses
étains et ses bronzes sont peut-être la partie
de son œuvre oij l'ingéniosité souple de son ta-
lent a trouvé jusqu'ici son meilleur emploi.
On appréciera dans ce numéro les plaquettes
de bronze destinées à des serrures, rehaussées
de figures jouant aux échecs ou aux dominos,
dont le mouvement allongé s'or-
donne bien avec les dimensions de
l'objet qu'il s'agissait de décorer. Les
boutons de portes où s'enlève une
tète de chanteuse ou de joueuse de
harpe sont aussi d'un modelé délicat
et d'une jolie trouvaille d'expres-
sion. M. Charpentier a recouvert
le métal de belles patines, l'une
chaude et vermeille, l'autre grave
et sombre; et il a obtenu pour
les boutons de porte de curieuses
irisations, qui se figent dans les
creux comme un dépôt salin.
Il semble pourtant que la destination de ces
plaques et de ces médaillons ne s'affirme pas
assez, et que la forme même devrait garder
l'empreinte de la serrure ou de la poignée.
Mais un morceau d'une plus grande enver-
gure nous sollicite : M. Charpentier nous pré-
sente un grand bas-relief, les Boulangers, que
M. Emile Muller a exécuté en briques de grès
flammé; et c'est là, à coup sûr, l'œuvre de
sculpture la plus considérable de cette année.
Pour la réalisation de son idée, M. Charpentier
a eu nettement en vue l'admirable Frise des
Archers, que les fouilles de Suse ont mise au
jour, et l'on ne saurait trop le féliciter de remettre
le premier en honneur, pour les grandes sur-
faces monumentales, celte décoration de briques
émaillées. Car on ne peut assurément rappro-
cher de cette tentative les malencontreux essais
de fa'iences colorées appliqués par Forain au
Café Riche. Une œuvre décorative, surtout
lorsqu'il s'agit de décoration architecturale, ne
peut s'accommoder de la notation, si juste
qu'elle soit dans son abréviation préméditée,
de la veulerie de nos poses et des tares
de notre physique anémié ou rachitique.
Les peintures égvptiennes, comme les terres
cuites du palais d'Artaxerxès, nous mon-
trent les actions humaines transposées selon
la dignité d'un rite, et accomplies, pour ainsi
dire, par des attitudes liturgiques. Regardez
les Archers du Louvre : ils marchent l'un
derrière l'autre, identiques, comme s'ils avaient
été reproduits au moyen de poncifs. Il est bien
entendu que cette parité complète de posture
doit être, aujourd'hui, abandonnée aux sol-
dats des images d'Epinal; mais, il importe
de découvrir ce que devra être l'hiératisme
\ >
Plaque de scrnirc.
M. A. CHARPESTIHR.
moderne. Je crois que M. Charpentier y a
réussi, et qu'il a bien compris qu'il fallait
simplifier et ordonner les mouvements, et que
la tension des muscles devait rester calme et
sans effort excessif; par suite, il faut éliminer
ce qu'il y a d'accidentel dans les gestes, et
même de trop individuel dansles physionomies.
Alex an de Ch arrp entier
11
7
Il ne faut pas saisir, dans reffervesccnce de
l'atelier ou de l'usine, l'exactitude réaliste du
métier qui s'accomplit sous ses formes succes-
sives et multiples. L'artiste, pour faire œuvre
décorative, doit en dégager le trait essentiel,
les moments capitaux, pour ainsi dire, et les
attitudes nécessaires.
Les Boulangers de M. Charpentier sont vrai-
ment les ouvriers du labeur antique et éternel,
indispensable à l'entretien delà vie, et leur ca-
ractère particulier s'efface devant la grandeur
du travail. Cette scène éloquente et pacifique se
joue dans une belle tenue de colorations, dont
l'ardeur est habilement maîtrisée ; les roux et
les verts se fondent dans le champ, servis
par d'heureux coups de feu : et la composition
s'encadre d'un revêtement gris-bleu, dont le
lustre reste suffisamment neutre.
La grande difficulté consistait à laissera l'en-
semble son caractère bien marqué, et à ne
rien enlever à l'œuvre, par l'exécution de la
partie décorative, de son aspect mural. Le
relief de briques émaillées reste bien, en effet,
de la bâtisse; la solidité même des figures,
lortement construites, et la disposition du
sujet, avec le décor sobrement indiqué sur le
fond, sans rien de grêle ni d'évidé, contribuent
à en établir fermement le dessin. M. Char-
pentier a même été plus loin dans le sens delà
semble tout naturellement s'imposer : c'est
celui des plombs de vitrail, qu'un verrier
habile sait disposer de façon à laisser d'une
seule pièce les parties intéressantes, ou à les
■^sc.
Boulon de porte.
M. A.. CHARPENTIER.
assembler suivant des lignes plus conformes à
leur structure naturelle.
Mais je sais que M. Charpentier n'entend
pas lui-même avoir dit son dernier mot dès
maçonnerie, et son mur est complètement son premier essai, et qu'il veut poursuivre
édifié en briques rectangulaires. Evidemment, d'autres projets d'ornementation en céra-
un précédent peut être invoqué, et c'est ainsi mique éniaillée, sinon en grès; car le grès
que sont ajustées les briques de là Frise des reste une matière coûteuse, et l'artiste
.-bx/îers et de celle des L/on5 ; mais le motif ne songe maintenant à des applications d'un
usage plus courant. Il sera temps
d'en dire davantage lorsque nous
pourrons mettre sous les yeux de
nos lecteurs des modèles nou-
veaux. Dès maintenant, voilà une
œuvre véritablement conçue avec
le sens de la décoration, et dont
l'importance ne peut échapper :
on se prend à désirer pour elle
un autre asile qu'une salle de
Musée, pour laquelle elle n'a
point été faite. Il serait à sou-
haiter aussi que l'on piit assister
souvent à une semblable initiative :
c'est en tout cas un exemple qui
'/
/
Plaque de serrure.
M. A. CHARPENTIER.
se répète pas ici de la même façon; nous demeure, et il est bien certain que la voie
sommes en présence d'une scène d'ensemble, étant ouverte de ce côté-là, nous verrons bien-
et il est désagréable de voir les joints rayer tôt d'autres efforts se maniiester de partout
impitoyablement le visage ou l'épaule des per- dans le même sens,
sonnages. Un système de découpage me Gustave Soulier.
Bordure.
PAPIERS PEINTS
M. BASTARD.
Nous voulons parler de ceux qui sont expo-
sés aux deux Salons et d'abord au Champ de
Mars.
Que doit être une tenture? — C'est bien
difficile à dire puisque cela dépend du i;oùtde
celui qui la fait po-
ser sur ses murs
pour rendre l'as-
pect de ceux-ci
agréable. Car c'en
est là la vraie défi-
nition : Un papier
ou une étoffe des-
tinés à produire
un effet agréable
quand ils seront
appliqués sur les
parois des habita-
tions.
L'effet est-il tou-
jours agréable ? —
Il me souvient que
non ! Je vois tou-
jours, entre autres,
un satané rosier
grimpant qui me
rendit jadis l'exis-
tence bien désa-
gréable ; j'avais tou-
jours peur de m'é-
corcher à ses
odieuses branches
couvertes d'épines énormes, et malgré cent
études fixées aux murs, le rouge hurlant de
ses fleurs sur fond beurre frais m'assassinait
encore.
Voilà donc un cas précis; un papier qui n'a
pas été posé exprès pour l'habitant de la pièce.
Et n'est-ce pas le cas le plus fréquent?
Le propriétaire, en effet, en fait de dessin con-
sulte surtout le prix du rouleau; or, chose
Tapis.
remarquable, à part les papiers unis, on peut
prétendre que, comme pour les habits, plus les
papiers sont chers et moins ils sont canailles.
Il ne s'agit pourtant là le plus souvent que
de couleur; or il est à supposer que, quand un
papier est franche-
ment raté, on le
met à un prix mo-
dique, et ainsi s'ex-
plique le goût du
propriétaire.
Cette questionde
couleur prime tout.
Ainsi le plus atroce
dessin peut être re-
lativement sauvé
par la couleur; car
en théorie tous les
dessins sont bons,
et ceux qui répétés
donnent de mau-
vaises barresen tra-
vers ou en diago-
nale, peuvent être
modifiés par le pla-
cement arbitraire
des couleurs ternes
ou vives, par la ré-
partition des foncés
et des clairs. Ce
qui est le plus diffi-
cile à masquer, ce
sont les grands mouvements continus et dé-
pouillés, ainsi que de mauvaises formes isolées
mal dessinées ou trop marquantes.
Ainsi, le raccord de M. Schlumberger pré-
sente, tel qu'il est, des barres obliques. Eh bien!
il suffirait de foncer un peu une seule de ses
orchidées pour empêcher cet effet. — Pourquoi
des orchidées, cher Monsieur? Parce que
c'est la mode, peut-être ?_Elles sont fort joli-
M . JOERAND.
Tapiers Peints
119
ent
ment dessinées, bien arrangées et d'un exccl
style, mais j'ai-
merais mieux
quelque autre
plante moins
exotique. L'en-
semble n'en est
pas moins des
plus distingués.
D'ailleurs, on
peut faire de
charmantes ten-
tures sans la
moindre plante,
rien qu'en dis-
posant joliment
des formes quel-
conques; car il
est bien inutile
de se casser la
tète, en cher-
chant de l'im-
possible, au lieu
d'être simple et
naturel. Il ne
faut pas en eri'et
se figurer que
les gens qui en-
trent dans une
pièce n'y vien-
nent que pour
examiner les pa-
piers ou les étof-
fes qui recou-
vrent les murs.
C'est cette ma- ^
Orchidées (Dessin pour etiilïe d.
rotte, commune ■'
aux fabricants et aux artistes^ qui a fait produire
pliciié ; remplis de recherche inutile et de
pompe ridicule.
Parmi les des-
sins exposés il y
en a peu qui mé-
ritent ce repro-
ehc; ils sont en
général simples,
et plutôt trop
que pas assez.
Mais il est une
critique qu'on
peut adresser à
presque toutes
ces composi-
tions, c'est de
ne consister
qu'en un petit
échantillon de
leur sur fa c e
utile; car en
montrer un joli
petit morceau
ne signifie abso-
1 u m e n t ri e n
pour l'ensem-
ble, qui peut
être détestable!
C'est ainsi
qu'il est diffi-
cile de juger du
mérite des in-
ventions de M.
Gillet au point
de vue du bon
effetd'ensemble.
Les morceaux
Suie).
M. SCHIA'.MBhRGLR.
exposés sont fins, bien arrangés, d'une cou-
M. EASTARD.
Frise de tenture.
tant de dessins manquant de naïveté, de sim- leuragréable. Peut-être les deux motifs d'algue
120
C/^/t et Décoration
sont-ils un peu trop comme des pages d'herbier, sont trop claires. Il est donc facile de le réta-
ct V a-t-il trop d'espèces diflerentes réunies et blir à souhait.
Modèles de tenture.
d'une exécution un peu maigre. Du'Jméme, un
M. GILLET.
On ne fait que trop souvent des effets heur-
.M. HhAli'N.
Frise de p:ificr.
raccord de rhododendrons un peu lourd, bien té-s et durs qui tirent l'ieil et détruisent \a. pla-
de couleur, mais dur d'effet parce que les fleurs «/^e de la sur face, tandis que nous préférons ins-
Papiers Peints
I 2 1
tinctivemem les aspects doux et fondus , c'est
à-dire les tentures où les valeurs locales sont
peu éloignées
les unes des au-
tres. Cela ne
veut nullement
dire clair, il s'en
faut. Aujour-
d'hui, on a la
sotte manie du
clairà outrance,
sans réfléchir
qu'avec nos cos-
tumes en char-
bon nousfaisons
là-dessus le plus
effroyable effet !
Pour en reve-
nir à M. Gillet,
le dessin n" aSg
est d'une bonne
tonalité; je si-
gnale le défaut
de bandes hori-
zon t a le s trop
apparentes.
Quant au mo-
dèle où se trou-
vent des lis à
tiges trop cour-
tes, l'effet est
aussi un piu trop
celui d'un her-
bier , par suite
, ,,. . . Modèle de tenture.
de I introduction
de fragments de plantes de différentes espèces.
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1 ,fy-^
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^Mà^
dessin exact, c'est-à-dire peu interprété
L'envoi de M. Gillct est en somme très in-
téressant et la
couleur en est
agréable, ce qui
est un g r a n d
point ^I 1.
Si un petit
morceau de ten-
ture ne rensei-
gne en rien sur
l'effet final, un
dessin à petite
échelle n'en dit
pas beaucoup
plus à ce sujet,
car les compo-
sitions réduites
font presque
toujours bon
effet et les modè-
les de M. Cler-
mont, Ni^^ 214 et
2 1 5 , qui sont
réduits à la moi-
tié, se trouvent
dans ce cas. Le
motif à arti-
chauts est d'une
bonne couleur,
harmonieuse et
chaude, d'un
dessin intéres-
sant et un peu
tourmenté. Les
distance, forme-
M. BASTARD.
feuilles en clair, vues à
Frise de papier.
Les mélanges sont en général mauvais;
une seule nature suffit, surtout avec un
M. HEATON.
(i)"Nous apprenons que le Musée de'^ .\rts décoratifs
vientd'acquerir deux aes modèles de tentures exposes
par M. Gillet.
16
1 22
cÂrt et 'Décoration
raient des losanges un peu froids de lignes.
L'autre tenture est bien aussi de couleur, dans
une gamme froide, avec les tiges des lis trop
massives et une trop grande tendance au dessin
en contre-partie exacte.
En effet, le rectangle du raccord donné ne
coûte pas plus
cher à imprimer
varié en entier
que symétrique
de dessin , et
donne incontes-
tablement un
effet plus riche.
De toutes les
tentures exécu-
tées exposées
par M. Aubert,
celle que je pré-
fère est le N" i63.
Lauriers roses,
encore que les
tiges soient un
peu visibles et
donnent quel-
que sécheresse
à la composi-
tion. Les brode-
ries du boudoir,
N" I 5 3, sont
d'un goût très
élégant, avec
encore des tiges
peut-être un peu
trop apparentes.
Je redoute aussi
la fragilité de ce
remarquable tra-
vail et, si j'é-
tais une jolie
femme son
prix! Mais qu'importe! Il vaut mieux faire de
belles choses très chères que de l'Art pauvre de
parti-pris, et je suis heureux de constater de
telles tentatives.
Les projets de M. Bas tard, N°^ i66 et 167,
bien que d'un coloris quelque peu dur, sec et
froid, défaut qu'on peut facilement corriger
en changeant la gamme des tons, sont des plus
intéressants à signaler à cause de l'emploi des
formes animales.
On comprend qu'à la rigueur, on bannisse
des tentures, les architectures, les perspectives
et aussi les imitations brutales et choquantes
Ml'dL IL de itltlll:
des araignées, des crabes, des crocodiles, des
crapauds e: autres animaux dont se régale
l'œil des .Japonais. Mais il est curieux de cons-
tater que, par un caprice bizarre, les fabricants
modernes, habitués à chercher la petite béte,
ont absolument proscrit les animaux, de leurs
tentures. On n'y
tolère que les
chimères plus
ou moins classi-
ques!!
Quand un
dessin de papier
peint est bien
homogène, joli
de couleur, har-
monieux dans
son ensemble,
je vous demande
un peu ce que
peut bien y faire
le sujet ? — Si le
sujet déplaît au
client, c'est qu'il
est mal exécuté
et mal composé ;
car même en
prenant comme
thème tous les
monstres de la
création, il est
p a r fai tement
possible d'en
faire des tentu-
res qui ne cho-
quent personne.
Le tout est de
ne pas en faire
de copies en
troiipe-l'œil,
" '""" ' comme on a eu
jusqu'à présent la stupide manie de le faire de
tous les objets qu'on a pris comme motifs.
Qui, d'ailleurs, se préoccupe des sujets? —
Des fabricants plus ou moins timbrés. Quant
au public, il les subit agréablement ou indiffé-
remment, sans s'en marteler la tête comme
MM. les fabricants.
Le dessin des Souris blauchcs de M. Bas-
tard est charmant de composition. Il suffirait,
pour le rendre parfait, de moins dirterencier
les clairs et les foncés et d'employer des cou-
leurs moins distantes entre elles. La bordure
y est parfaitement appropriée, bien que la
Papiers Peints
123
ligne des épis au bas manque un peudesinuo- présentant le défaut d'être modelés Jaii.s l'oi-
sité. Je louerai tout autant les modèles tirés semble^ ce qui est une erreur manifeste en
tant que tenture murale. Mettre
une partie des motifs dans l'ombre
et une partie dans la lumière, est
le plus détestable système qu'il
soit possible de suivre. On doit,
au contraire, absolument sup-
poser tous les motifs sur le même
plan et aussi peu modelés que
possible, sans cela on troue les
murailles de creux et de saillies
hors de saison. Jamais un homme,
du got^it même le plus élémen-
taire, ne choisira un tel ornement
pour ses murs et, à son aspect,
le supposera volontiers destiné
aux populations canaques.
Quant à ceux qui font du
trompe-l'œil et qui modèlent les
objets comme pour imiter des
ornements en staff, ils feraient
mieux d'entrer dans la sculpture
où ils pourraient se donner des
bosses à discrétion.
Je veux dire quelques mots
d'une fort originale exposition
qu'on peut voir dans la Salle d'ar-
chitecture au Champ de Mars,
T.^i'if. M- joRiîAND. et dont une partie seulement ren-
tre, à proprement parler, dans
de l'escargot, très ingénieusement agencés. Que le cadre de cet article. C'est celle de M. Hcaton
M. Bastard persévère dans cette voie intéres-
sante, il ne peut manquer d'y réussir et je le
remercie personnellement de son initiative.
J'aime à croire qu'elle sera suivie par d'autres
dessinateurs.
D'ailleurs, au point de vue du goût et de la
convenance du sujet, l'artiste sera aussi près
que possible de la vérité en se demandant s'il
aimerait à avoir les murs de sa chambre ten-
dus de ses propres compositions. On ne peut
guère lui en demander plus !
Au salon des Champs-Elysées, nous n'avons
vu que peu de projets de papiers peints ou
étoffes, et parmi ces dernières un spécimen qui
ne relève guère de cet article, un tapis, de
M. Jorrand, formé de fleurs de nénuphars dans
des ondes noires et bleues. Bonne composition,
un peu grosse et heurtée d'effet, mais que je
préfère de beaucoup à ses chardons.
J'ai aperçu quelques projets de papier peint.
M. HEATON.
Papier de tenture.
où se trouvent des frises de papier gautré.
124
Art et Décoration
bronzé et rehaussé à la main, ciu plus bel effet. a exécutés à Neuchâtel (Suisse] pour le
Musée de cette ville. Des pilastres et des
archivoltes, encadrés de cuivre fondu ou
repoussé, témoignent d'un talent souple
et exercé. Les lions qui garnissent les
sommets des pilastres sont d'un modelé un
peu empâté et ne se relient pas bien au
reste du travail, qui est très précis. Ces
lions n'ont pas été modelés par M. Hea
ton; il est l'auteur des cloisonnés et des
repoussés.
On peut à juste titre être étonné de cette
multiplicité de matières mises en œuvre,
si l'on y ajoute les céramiques et reliefs qui
garnissent les impontantes surfaces des
voûtes décorées ainsi, qui complètent cet
ensemble.
Kn elïet, rien n'est plus remarquable;
mais il y a à cela une explication, et une
explication bien moderne : M. Heaton
est, paraît-il, son propre dessinateur, son
propre modeleur, son propre émailleur,
son propre repousseur et surtout son
propre mécanicien ! Voilà l'explication de
ces faces diverses d'un talent auquel les
matières importent peu grâce à l'appui
de ce merveilleux ouvrier futur : la
machine !
.le suis heureux de profiter de cet exem-
ple concluant pour répéter en finissant :
L'Art nouveau existera surtout quand
les machines , jusqu'ici uniquement em-
Détail de la decotaiion de l escalier du Mitsje de Xeiifclt.ilcl
en cloisonné Heaton.
Composition de M. P. Robert
Le procédé est nouveau, car les reliefs ne si
mulent aucunement la sculpture,
mais seulement les traits et ner
vures des ornements, ce qui les
laisse bien dans un même plan
avec la légèreté d'une peinture et
le nerf d'une ciselure. La petite
frise me parait particulièrement
réussie et l'ornement d'un beau
caractère. 11 y a aussi un fond de
tenture auquel Je reproche d'être
un peu trop en rosaces. Mais je
relève ici le procédé très nouveau
et fécond en applications variées.
M. Heaton expose des décora-
tions murales encore bien plus
extraordinaires, car elles se com-
posent d'émail cloisonné, matière
jusqu'ici réservée aux objets
de petite dimension ; l'émail
ici employé est de l'invention
de l'exposant. Des photographies montrent ployées par les ingénieurs, le seront aussi
l'importance des travaux de ce genre qu'il par les artistes. E Grasset.
Modèle de tenture.
M GILLET.
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iMÉ*fâ£L:^iirf...j/i;^;
7'apisscrîc
M, VAN MATTI-MLIVUGH.
NOS CONCOURS
f/iV£' LANTERNE D'ANTICHAMBRE
Le jury, réuni le i3 mai, a décerne
i<"' prix à M. Francis Madeleine, et le 2
Projet de M. !■'. .U.idclcnic. (i" piix.)
M. G. Riom. Il a retenu, pour être publiés
dans la Revue, les projets de MM. Paul
Guignebault et Louis Blanc, Spero, Nicolas
Stœckel et L. Clermont. Les membres du
jury ont été d'avis qu'il y avait lieu de
taire connaître aux concurrents les criti-
ques qu'avait suggérées l'examen des pro-
jets.
adopté par chacun des concurrents pour y
donner satisfaction.
En général, la préoccupation du détail nuit
à la composition. Les concurrents n'attachent
pas assez d'importance à l'obligation qui s'im-
pose de trouver d'abord la forme générale,
l'enveloppe résultant de la destination de
l'objet et des qualités de la matière employée.
Quant aux conditions particulières, le pro-
gramme ne les avait peut-être pas suftisam-
Projet de M. F. Madeleine. (1" prix.)
Les unes sont générales et applicables à tous ment précisées : l'éclairage au gaz et l'éclairage
les concours; les autres résultent des condi- à l'électricité ont pour la disposition des appâ-
tions particulières du programme et du parti reils des nécessités différentes : la flamme du
26
Art et Décoration
gaz qui brûle de bas en haut au contact de l'air
est évidemment très différente de la lumière
électrique due à l'incandescence, dans le vide,
de charbons d'une extrême ténuité. Si le gaz
nécessite, pour une combustion régulière, des
appareils verticaux, l'électricité admet, comme
source lumineuse, des ampoules de verre rcn-
suivant qu'on adopte l'un ou l'autre système
MM. Madeleine et Riom ont bien interprété
le programme en admettant que l'appareil
pourrait servir à deux fins, la partie centrale
constituant une véritable lanterne à gaz tandis
que la lumière électrique serait répartie, au-
dessous do la lanterne, dans quatre foyers for-
.^
:j
-fr'
"^
Projet de M. G. Riom. (2' prix.)
versées que traverse le courant électrique et
qui peuvent être placées immédiatement sous
le plafond, la lumière étant renvoyée par des
réflecteurs convenablement disposés. Le gaz
doit brijlerau contraire assez loin du plafond,
pour ne point risquer d'endommager les pein-
tures.
L'alimentation des appareils, soit par des
tubes s'il s'agit du gaz, soit par des fils s'il
s'agit d'un courant électrique, peut contribuer
à la disposition caractéristique de la lanterne,
niant un celai rage complémentaire. M. Francis
Madeleine a étudié avec beaucoup de soin la
construction de sa lanterne, répartissant dans
l'une des tiges le conduit du gaz, dans l'autre
les fils électriques. Le corps de la lanterne est
constitué par des feuilles de cuivre jaune; des
flammes martelées forment, pour l'appareil à
gaz du centre, une cheminée d'aération; la
partie haute constitue un véritable fumivore.
Les foyers lumineux sont disséminés derrière
une enveloppe de verre montée dans l'armature
Nos Concours
127
de cuivre et retenue par des crochets; la partie
inférieure s'ouvre à ciiarnière pour faciliter
l'entretien des foyers.
C'est une étude d'exécution très conscien-
l'iojct dd MM. Giitgncb-inlt et Lljnc.
cieuse et tout à fait digne d'éloge. La forme
générale, qui se rapproche de celle d'un flacon
ou d'une aiguière, pourrait seule donner prise
à lacritique. M. Madeleine estimeà ?oo francs
la dépense d'exécution.
M. Riom a préféré le fer l'orgé au cuivre, et
il en a fait une charmante application. Les
feuilles découpées et estampées qui garnissent
les armatures de la lanterne sont d'un joli
dessin, et l'auteur du projet a étudié avec beau-
coup de soin l'arrangement de la douille réu-
nissant les tubes pour l'arrivée du gaz, ainsi
que les crochets portant les fils, en vue de la
solution la plus économique. Des pétales en
verre américain accompagneraient les ampoules
et formeraient d'élégants réflecteurs.
Si nous avions pu décerner un 3® prix, nous
l'aurions attribué volontiers à la composition
de MM. Guignebault et Blanc : les auteurs ont
très adroitement interprété la fleur du pavot,
dont le bouton en verre côtelé, terminé par une
calotte de fer ajouré, renfermerait le foyer
lumineux,
Le projet est d'ailleurs bien plus une com-
position décorative qu'une étude d'exécution,
et ne pouvait pour ce motif entrer en lutte
avec les deux projets primés.
La composition de M. Spero est très simple,
et serait d'un agréable effet à la condi-
tion de considérer le dessin comme étant fait
à moitié et non au tiers de l'exécution ; sinon,
la rangée de fleurs d'églantier en tôle repoussée
qui borde le réflecteur serait beaucoup trop
large. La lanterne serait éclairée au gaz ; les
tiges qui soutiennent le globe se termineraient
par deux fleurs pouvant donner un supplé-
ment d'éclairage par l'électricité. Les tiges
n'existant que dans un sens, l'appareil d'éclai-
rage ne serait pas suffisamment équilibré.
Les autres projets sont intéressants, mais
accusent une réelle inexpérience.
M. Stœckel, en garnissant d'ornements
métalliques la partie basse de sa lanterne,
mettrait obstacle au passage de la lumière.
Projet de M. Clermont.
Le projet de M. Clermont est un des mieux
étudiés au point de vue de la construc-
tion, mais la forme générale n'est pas bien
trouvée.
128
Art et Décoration
En résumé, le concours est intéressant; mais bonne que si elle convient absolument à sa
si l'on excepte les deux projets primés, les
Projet de M. Stœckcl.
études seraient généralement insuffisantes
pour rcxccution, et les concurrents ne se ren-
dent pas assez compte des difficultés d'une
composition de ce genre. Une forrre n'est
CONCOURS
Papier
On néglige trop depuis longtemps, presque
depuis l'époque de Louis XV, les Papiers de
garde des livres ; ces beaux papiers d'autrefois,
dorés, gaufrés, coloriés, qui donnent tant de
richesse et de mystère aux vieux livres qui en
sont encore ornés.
l.a r^evue Aft et Décoration a pensé qu'avec
son premier volume, elle ne pouvait moins
faire que d'encourager la restauration de cet art
charmant, et elle met au concours un dessin
pour ce papier destiné spécialement à la Revue.
Il est certain qu'en notre siècle d' " Art
simple, » la dorure et le gaufrage sont hors de
prix, ce qu'il est permis de déplorer ; aussi, nous
contenterons-nous d'un ton lithographie.
De plus, le dessin ou raccord est en général
très petit, o"'o5 sur o'no25, ou o'no4 sur o'^oq,
sans que ces mesures aient rien d'absolu, car
c'est plutôt une indication destinée à empêcher
de s'embarquer dans de grands dessins. Malgré
cela il faudra éviter de faire trop fin de détail.
Il sera nécessaire de répéter ce motif sur un
Projet de Mil. Guignebault et Blanc.
destination ; elle n'est exécutable que si elle
s'accorde avec les propriétés delà matière.
Lucien Magne.
DE JUILLET
de Garde
espace d'au moins la moitié du format de la
Revue. Cette répétition peut se faire, en repor-
tant le dessin à côté et au-dessous de lui-même
ce qui est le raccord droit \ ou au-dessous de
lui-même et à côté par moitié et non sur la
même horizontale, comme un mur de briques
qu'on mettrait de champ, ce qui est le raccord
en sautoir. La répétition peut se faire encore
comme le mur de briques resté horizontal, ce
qui est \c raccord par moitié.
Enfin, on peut adopter le semis.
En outre, le dessin comportera dcit.y mono-
gramiiies simples et lisibles, mêlés aux orne-
ments; l'un formé de A D et l'autre de E L.
Toute autre latitude est laissée aux concur-
rents qui peuvent faire leur dessin en clair sur
foncé ou en foncé sur clair à leur choix.
Trois prix seront décernés : le !<='' de i5o fr.,
le 2» de jS fr., le 3' de 25 fr.
Adresser les envois avant le 5 juillet à la
Li-brairie Centrale des Beaux-Ans, i!3, rue
Lafayette, Paris.
Imp. de VaugirarJ. G. de Sliilherhc & Cic. |52. rue Je VauKirurJ, Paris.
ÉMll.i; l.liXY, lUileur-gérant'
Art et Décoration
Un Dernier Mot sur les Salons
L'ETAIN — LE CUIR
LA faïence
L est diflicile d'cpuiser
en un jour une ma-
tière aussi dense que
celle de nos Salons
annuels d'art déco-
ratif. Trop de formes
d'art s'y cultivent et
des talents trop va-
riés s'y essayent pour
qu'il ne soit pas in-
dispensable d'y reve-
nir, même après les études séparées où nos
collaborateurs se sont plu à mettre en relief
l'effort personnel et à déterminer la valeur
d'ensemble des travaux exécutés par des artistes
spéciaux dans chaque genre.
A mesure qu'on prend plus de 'recul, on
juge ces manifestations de plus haut. L'ana-
Ivse à laquelle on a soumis au début toutes
les pièces marquées d'une note d'art fait
place à un instinctif besoin de synthèse : on
résume ses idées, on les pèse, on les fond
dans une appréciation motivée. Il est rare que
cette revision n'entraine pas quelque utile
réflexion, et qu'il ne s'en dégage pas peu ou
prou d'observations générales. C'est ce que je
vais essayer de faire pour l'étain, le cuir et la
faïence.
L'étain est une matière à la mode et, comme
il arrive toutes les fois qu'une matière est à la
mode, on en abuse. Le succès des jolis plats
de Desbois, des pichets de Charpentier, de
quelques-uns des modèles de Baftier, a lancé
nos sculpteurs dans une voie où l'exagération
côtoie le mauvais goût. Nous avons vu des
surtouts de table en étain, des bustes en étain;
nous verrons sous peu des statues coulées
dans le même métal. Déjà des industriels, trop
habiles à profiter d'un engouement passager,
se préoccupent de trouver des patines qui
donnent le change à notre œil et qui sup-
pléent, par des colorations mensongères, à la
monotonie des effets que la matière, employée
à l'état naturel, peut fournir. L'étain, en effet.
s'encrasse vite, et l'oxydation, loin d'ajouter à
son charme, lui enlève rapidement tout attrait.
Il se plombe, et les jolis effets de lumière aux-
quels il se prétait au début s'évanouissent.
De là vient que nos ancêtres, gens pratiques,
ne se sont jamais avisés de l'employer qu'à
l'usage de gobelets ou d'assiettes, de pots, de
plats ou de fontaines, tous objets qu'on net-
toie sans cesse et dont le poli, par conséquent,
ne s'altère pas. Ils se seraient bien gardés de
s'en servir, comme nous le faisons aujour-
d'hui, dans une multitude de cas où le
bronze est seul indiqué. Matière éminemment
malléable, l'étain s'accommode à merveille
des plus faibles reliefs. Où le bronze aurait
besoin, vingt fois, d'être repris et travaillé par
une main habile au ciselet, l'étain donne du
premier coup le résultat. Le modèle garde à la
fonte ses finesses, sans réclamer de l'artiste
Bouteille.
M. GALLE.
autre chose qu'un imperceptible travail de
finissage. L'étain perd de ses avantages à me-
sure que le relief s'accentue. Il ne donne ni
l'impression de solidité que laisse le bronze,
ni les lumineuses souplesses de l'argent : mou
21
i6;
Art et Décoration
et terne, savonneux et lourd, il n"a droit ni
à l'attention des orfèvres, ni à celle des sculp-
Mudèlc de tenture (.1).
M. CLtKMUNT.
teurs amis de la ronde-bosse. Il n'en est point
pour cela méprisable, et sur son domaine
limité, il y a place, comme du temps des Briot.
non seulement pour l'œuvre d'art, mais bien
pour le chef-d'œuvre.
Il serait difficile en effet, de désigner par
un autre terme les purs bijoux dont Desbois
nous a offert aux Salons précédents le régal,
dans son plat de la Vague, par exemple, et
ceux dont nous sommes redevables, cette
année, dans une série de gobelets, à Brateau.
Maintes fois déjà, depuis que le Champ de
Mars s'est ouvert à l'art décoratif, nous avions
goûté ce talent délicat, pondéré, à la fois si in
génieux et si pur ; nous n'avions pourtant rien
vu de lui, avant ses gobelets, qui dénotât d'une
manière absolue la maîtrise. Dans toutes ses
inventions, si le travail se faisait admirer sans
réserve, la personnalité restait toujours un
peu hésitante. On ne passe pas impunément
toute une vie, toute une moitié au moins de sa
vie, à rééditer pour des tanatiques d'art ancien
les modèles que nos maîtres de la Renais-
sance ont créés.
(i) Voir iJ.igo 121.
Plus de génc, cette fois, plus d'eflort, plus
de souvenir intempestif du passé. Dans ces go-
belets ovoïdes ou coniques dont les panses
ont pris pour décor, tour à tour, la vigne évo-
catrice du vin, l'orge et le houblon dont le
mariage est l'indispensable prélude de la bière,
le pommier dont la fleur est l'emblème obli-
gatoire du cidre, l'olivier dont le fruit don-
nera l'huile, une aisance inconnue se manifeste,
un tact exquis a fait sentir à l'artiste l'exacte
proportion dans laquelle le motif et la forme
se convenaient. Ici, de franches saillies atté-
nuées par le gras et le fondu de la facture, la
des reliefs légers, faits de modulations insen-
sibles, et toujours, entre l'ornement et la
surface à orner, une heureuse et douce har-
monie. Je ne vois à relever, dans l'ensemble,
qu'un imperceptible détail dont la présence
me choque : la division du gobelet à cidre en
panneaux dont l'encadrement se relève en mou-
lures et se complique, par, places, de char-
nières destinées, dans la pensée de l'artiste, à
rappeler nos armoires normandes. Complica-
Gahelet à hijhiii- de fiDiniiiei (etdinj. m. LUAitAU.
tion inutile et fâcheuse; puérilité, sinon mau-
vais goût.
Mais n'attachons pas à une erreur, en somme
Un Dernier Mot sur les Salons
16
}
aussi mince, plus d'importance qu'il ne faut. de passer à un autre sujet, d'observer l'ana-
EUe n'enlèvera rien de sa spontanéité à l'éloge logie frappante qui existe, pour la mode de
BcDiqitctte d'antichambre (Voir page 108).
M. LAMBERT.
que tout homme de goût, dans son for inté- composition et d'interprétation de la nature,
rieur, a porté sur ces produits d'un art raffiné. entre ces gobelets et ceux du trésor d'argen-
Je n'insiste donc pas. Je me contenterai, avant terie trouvé, il y a deux ans, à Bosco-Réale
164
cArt et Décoration
dans les ruines d'une villa pompéienne. Le
retour à la simplicité que nous saluons avec
une joie sans mélans;e chez Brateau, et qui est
pour nous l'indice le plus sûr de son atfran-
cliissement, ne lui a-t-il pas été dicté par les
pièces exquises que des orfèvres grecs ont mo-
delées, voilà dix-huit cents ans, pour un riche
Romain contemporain de Tibère ou de Néron?
à une renaissance des industries artistiques du
cuir. Je crains bien que cette renaissance, à
laquelle nous avons tous applaudi, n'ait eu la
durée d'un feu de paille. A vrai dire, elle s'est
bornée à la reliure, et c'est peu.
Par cela même qu'elle est artistique, une
reliure est un travail d'exception, accessible
seulement au petit nombre. La production en
Paravent.
Je serais bien surpris si l'inspiration du gobe-
let à l'olive et celle du gobelet à la vigne ne
venaient en droite ligne du Louvre, où ces
merveilles d'art antique ont pris place, et je
féliciterais volontiers M. Brateau d'avoir pris
cette le(;on des anciens. Jamais il n'a existé
d'art plus libre et en même temps plus réglé,
plus fantaisiste et en même temps plus choisi.
La recette la plus sure pour faire neuf est en-
core de prendre exemple sur eux.
On avait pu croire, il y a quelques années,
M. CHANTEAU.
est donc forcément limitée. On relie d'ailleurs
de moins en moins. Plus le goût de la lecture
se répand, plus on achète de livres, moins on
s'inquiète de les faire habiller solidement. Les
ouvriers expérimentés se font rares. Ils se font
d'autant plus rares qu'entre la reliure et les
autres métiers où l'on travaille le cuir, il
n'existe plus aujourd'hui le plus léger point de
contact. La reliure, dès qu'elle est faite avec
soin, devient un art: où voyez-vous, dans la
maroquinerie, dans la gainerie d'à présent,
quoi que ce soit qui évoque l'idée d'art ?
Il en était jadis autrement.
Un Dernier zMot sur les Salons
,6,
Quand on examine, à Clunv ou dans les plaines du Farwest, la dépouille des bœufs, des
belles collections d'amateurs, les trousses, les vaches, des moutons arrive sur nos marchés,
chaque année, par centaines de milliers de dou-
zaines. Pourquoi n'en pas profiter pour remet-
tre en honneur la matière et l'appliquer aux
mêmes usages décoratifs qu'autrefois?
Sans doute, il n'y a plus de raison, de nos
jours, pour ressusciter les tentures de cuir
à sujets dont on se servait couramment au
xiv"^ siècle, et que les tapisseries flamandes
détrônèrent; mais qui nous empêche de renon-
cer, pour la fabrication de l'article de luxe, aux
cuirs de Cordoue en carton et de les remplacer
par un cuir naturel ouvré ? Il ne serait nulle-
ment nécessaire de tendre en entier de ce cuir
les murs d'une antichambre, d'un fumoir ou
d'une salle à manger ; il suffirait, pour obtenir
retfet désiré, d'exécuter des panneaux de di-
mensions moyennes, qui s'encadreraient dans
des moulures de bois.
•le ne serais pas moins heureux de voir
revivre les tapis de pied en cuir. Au lieu des
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{ \^
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Garde de livic (modelée à la main), m. saint-asdeé.
coffrets, les étuis, les boites à livres, à hos-
ties, aux Saintes-Huiles, que d'humbles arti-
sans, au xv'^ ou au xvi'= siècle, décorèrent de
si précieux cuirs gaufrés, on ne pense pas
sans tristesse aux horribles travaux en cuir
brut qui constituent l'unique ressource des
maroquiniers et des gainiers d'aujourd'hui.
Pour les ouvrages de luxe comme pour ceux
de pacotille, même matière dénuée d'orne-
ment. Elle est plus choisie dans les uns, elle
s'encadre dans des montures plus riches, — et
c'est tout.
Il me semble pourtant que jamais le mo-
ment n'a été plus propice pour essayer de faire
renaître quelques-unes de ces industries artis-
tiques jadis si florissantes, et d'un effet si ori-
Gobelet à l'olive (ctaiii).
M. BKATEAU.
moquettes à la mode qui emmagasinent si
bénévolement la poussière pour nous la resti-
ginal et si franc. Le cuir est à vil prix. Des tuer, assaisonnée de microbes, au moindre
pampas de la République Argentine et des de nos pas, je trouverais agréable et logique de
i66
Art et Décoration
marcher sur un tapis de cuir facile
à nettoyer, à balayer, à laver.
Ces tapis, au xiv>^' siècle, étaient
d'un usage constant dans les
habitations princières et royales;
on les décorait de motifs de
feuillages, encadrant l'écusson
du maître. Ce serait une indus-
trie productive à recréer.
Les procédés de décoration ne
manqueraient pas. Le fer chaud
dont on se servait au MoyenAge
pour imprimer les silhouettes
d'hommes et de bétes ou les rin-
ceaux de feuillages, serait avan-
tageusement remplacé par la py-
rogravure dont on est arrivé à
tirer, pour le cuir aussi bien que
pour le bois, des eifcts particu-
lièrement larges. Pour l'article à
bon marché, l'estampage donne-
rait des résultats pratiques, peu
coûteux et d'une très belle tenue
Quant à la maroquinerie, elle
gagnerait infiniment à revenir
aux anciennes traditions du cuir
repoussé. Le succès obtenu au
Champ de Mars par les spéci-
mens de boites et de coffrets que
Mino Waldeck-Rousseau a revê-
tus d'une décoration de ce genre,
ne me laisse aucun doute à ce
sujet. Il suffirait qu'un magasin
parisien un peu achalandé mit
en vente quelques jolies pièces
du même ordre, pour éveiller la
curiosité générale. En huit jours,
l'article serait lancé.
Nous n'avons malheureuse-
ment pas revu, cette année, l'équi-
valent des beaux panneaux de
cuir martelé, repoussé et teinté,
exposés les années précédentes
par Lepère et par Victor Prouvé.
Ces essais avaient ravi le public;
ils n'ont pas ému le fabricant, et
les artistes mêmes qui les avaient
entrepris paraissent y avoir re-
noncé.
Seul, Saint-André continue,
avec la même conscience, la
même persévérance, la même
perfection de main-d'œuvre, les
études auxquelles il s'est livré
à entretenir,
<^
.-^
depuis trois ans pour ouvrir au travail du cuir
des voies nouvelles et pratiques.
Tout en exécutanttoujours.pour
des gardes de livres, quelques-
uns de ces motifs délicats en cuir
de couleur, modelés à la main,
par lesquels il a débuté, mais qui
ne sont, comme tout ce qui
concerne la reliure, que des tra-
vaux d'exception, il a étendu sa
fabrication, cette année, à tout
ce qui peut servir à la décora-
tion. Sa série de bibliophores et
de panneauxen cuir incisé, mar-
telé, nous montre des modèles
d'une conception large et franche,
que l'industrie utiliserait à mer-
veille, lia ouvert, pour propager
ses idées, un atelier d'élèves.
Souhaitons-lui, dans son ensei-
gnement, tout le succès que sa
courageuse initiative mérite.
A noter aussi, pour la perfec-
tion du travail, le buvard et les
deux coffrets de Meunier. Cet
artiste a compris, lui aussi,
qu'outre la reliure, où il est passé
maître, un vaste champ d'acti-
vité peut s'ouvrir à ceux qui
connaissent le cuir et qui savent
(::■? ,,1 l'ouvrer. Peut-être ses ouvrages,
f(^ exécutés presque tous en peau de
mM bœuf, d'une très grande épais-
f- : ;3 seur, gagneraient-ils à être exé-
WÉ cutés en peaux plus légères. Ils
■ ■ V perdraient cet aspect un peu
i dur qui caractérise toujours le
travail sur peau de bœ*uf et qui
■ rappelle parfois la sculpture sur
fi * buis. Il lui suffirait de changer
sa matière pour obtenir des effets
qui auraient toute la souplesse
désirable.
En dehors des travaux que
nous venons d'énumérer, nous
n'avons vu, cette année, aux
Salons, aucun essai de cuir ou-
vré applicable à des usages cou-
rants. Il faut aller rue de Pro-
vence, à VArt nouveau, pour en
voir. Dans un ameublement de
jalle à manger, que vient de
faire exécuter M. Bing, on
trouve des chaises dont le siège
Encadvcment de panneau
décoratif- >'■ bigavx.
Un Dernier zMot sur les Salons
,6-
et le dossier, revêtus de cuir de vache, ont été
décores par M™'- Thaulow d'un motif large-
ment conçu de nénuphars, emprunté, si mes
Gobelet à la yi^ne {ct.iinj.
M. LRAÎL.VU.
souvenirs ne me trompent pas, à Ranson. Les
contours, fortement stylisés, sont dessinés en
creux par la pyrogravure. L'effet, rehaussé de
couleur, est charmant.
Il serait à désirer que ce procédé si peu coû-
teux et si simple entrât dans la pratique. Il est
pénible de se dire que la plupart des cuirs
employés par nos fabricants de meubles, pour
leurs sièges, nous viennent tout faits de l'étran-
ger; il est plus pénible encore de s'avouer que
nulle part on ne travaille le cuir, industrielle-
ment, comme en Allemagne et que, même
parmi les objets d'art exposés sous des noms
français au Salon, il s'en voit qui ont été
labriqués outre Rhin. Ce ne sont pas les
meilleurs, et la raison qui en a fait adresser
la commande à des ateliers allemands ne
(jn n'a pas sufhsamment insisté, dans le
compte rendu des Salons, sur le bel ensemble
de pièces céramiques exposé aux Champs-
Elysées par M. Charles Robalbhen. Ce sont
des faïences au grand feu, des vases de formes
très simples, comme on en peut juger par les
reproductions insérées dans notre dernier
numéro et par celle qui accompagne cet
article. La décoration, très simple également,
est d'une note absolument neuve. L'artiste
semble avoir été préoccupé, avant tout, d'enle-
ver à la faïence cet aspect trop brillant qui
nous choque dans la plupart des ouvrages
exécutés depuis dix ans, même par nos meil-
leurs céramistes. Sur des fonds légèrement
granulés, de manière à empêcher la lumière
de se concentrer sur un point, ce qui arrive
dans les surfaces trop lisses, M. Robalbhen
a posé des décors exclusivement végétaux,
feuilles et fleurs, soigneusement adaptés à la
forme du vase, feuilles élancées de roseaux
pour les formes allongées, fleurs épanouies et
largement exécutées pour les formes ventrues.
WAI-DECK-EOUSSEAU.
Cojfrct au Zodiaque.
Les émaux employés sont très mats. La décora-
saurait être qu'une raison de bon marché Le tion est, le plus souvent, ton sur ton. Les effets
fait n'en est pas moins regrettable. Nous le obtenus sont exquis. On ne saurait trop en
signalons sans trop espérer qu'il ne se renou- signaler l'aspect savoureux, la fraîcheur, la
vellera pas. sobre et harmonieuse richesse. Nous avions
i68
cArt et 'Décoration
vu de M. Robalbhcn, l'an dernier, une demi-
douzaine de plats qui dénotaient déjà un goût
sûr et des recherches vraiment personnelles,
mais qui ne faisaient en rien présager le déci-
sif envoi de cette année. C'est une mas^istrale
et brillante réussite.
Il serait injuste d'omettre, parmi les céra-
miques, les plats en faïence de M. Viat qui,
pour être traités dans la même note que ceux
dont je parle plus haut, n'en méritent pas
moins d'attirer l'attention. Mêmes qualités
que chez M. Robalbhen ; le décor en est sim-
ple comme la composition; la couleur en est
savoureuse, l'aspect gras. La richesse en est
réconfortante et douce à notre œil.
J'aurais tenu à pouvoir ajouter quelques
mots sur les peintures et sculptures décora-
tives, au.tquelles nous n'avons pu, jusqu'ici,
consacrer qu'un espace trop mesuré. Les
chefs-d'œuvre n'y sont pas en majorité, mais
les œuvres bien conçues et charmantes y
abondent. On y reviendra dans le prochain
numéro.
Thiéual'lt-Sisson.
ORFEVRERIE ET BIJOUX
L'objet d'art, tel que nous l'entendons, est
d'une création tout intime: le potier modèle,
colore et cuit lui-même ses grès; l'émailleur
ne quitte pas un seul instant son œuvre qui
s'achève dans la fournaise, et le relieur pyro-
grave, patine et colore lui-même ses cuirs.
C'est l'intimité absolue ; l'objet achevé est bien
le reflet de la volonté, des craintes ou des
doutes de l'artiste. A la somme des soucis que
notre société si mouvante rend encore plus
vifs, un autre est venu s'ajouter, comme à
plaisir: celui d'être original.
On pense à tort que l'originalité est l'effet
d'une grande imagination, qui fait de grands
efforts, et à tout prix on cherche à se créer une
personnalité. On n'est pas soi-même dans la
recherche, comment le serait-on dans le
résultat?
Cette remarque faite, entrons dans le détail
des objets d'art exposés aux Salons, et com-
mençons par le plus ancien, celui des Champs-
Elysées.
Un bronze nerveux, à patine dorée, nous y
Vase.
M. GALLE.
attire: c'est un Bonaparte en Egypte. Le jeune
conquérant, sec, rongé par la Hèvre, est rière- <
ment campé dans un riche costume, sur un M
Un 'Dernier cMot sur les Salons
69
cheval couvert de broderies d'Orient et d'un
tapis de selle d'une incomparable beauté. Le
cheval a consciencedu triomphe dcson maiirc;
il trépigne gaiement sur les lauriers dont la
route est jonchée. Bonaparte salue, le chapeau
geux et sans amour son œil est celui des
condottieri du .\v° siècle... sa vie fut une
longue fièvre. »
L'observateur, à la vue de la Victoire c^ui
hurle sous le revers de l'habit, saurait cpelle
Bonapaite entrant au Caire (statuette brunie).
M. GEBOME.
dans la main droite. A
geste hautains, on sent qu'il prend possession
de ses vaincus. C'est la conquête définitive qui
s'opère.
Un phrénologue dirait, en voyant le buste
placé à côté :
« Cet homme était doué d'une mémoire pro-
digieuse, d'une âpreté et d'une ambition au
delà de ce qu'on peut rêver, il était organisa-
teur, volontaire, envahissant, égoïste, coura-
fut la fonction de cet homme étrange, et aper-
cevant, dans l'ombre du torse, un aigle prêt à
s'élancer, il dirait : « Ce fut Bonaparte. »
Ce buste est moins un portrait qu'une syn-
thèse.
Nous devons à M. Gérôme ces deux
œuvres.
Tout auprès, un petit groupe, Odette et
Charles VI, où M. Théodore Rivière afïirme
définitivement sa maîtrise. Il y fait un emploi
22
1
70
Art et 'Décoration
très judicieux du bronze, du marbre et de
l'ivoire. Voyez comme le bronze convient bien
à la tête dure de Charles VI, et l'ivoire au doux
visage d'Odette.
Plus loin une intéressante composition de
Boucle bronze.
M. V. PROUVE.
M. Allouard, la Péclic. Sur un vase de
bronze noir, est assise une Japonaise, à la coif-
fure touffue, agrémentée d'épingles à tête de
corail. Au bout de sa ligne, est accroché un
poisson sculpté sur la panse du vase.
La Bninchilde de M. Belloc est animée d'un
bel élan de fougue guerrière; la statuette du
C^ar Nicolas II, de M. Geoffroy de Ruillé,
est d'une allure très heureuse. Le Dom Péri-
gnon de M. Chavaillaud, VArchitccte du
XV' siècle de M. Cordonnier, VAi-mand Sil-
vestre de M. Rivière sont autant d'œuvres cu-
rieuses et d'une finesse d'observation qui est
charmante. Quelle extase dans la physionomie
du prieur qui vient d'inventer le vin de Cham-
pagne! Quelle concentration dans celle du
vieux moine qui combine en silence des
doubleaux et des formerets! Comme on sent
la joie de vivre, la santé, l'humour, la gaieté
dans le petit morceau de bronze où revit
la plantureuse silhouette de notre brillant
conteur.
J'allais oublier la petite statuette si carac-
téristique du peintre Weerts, exécutée par
M. Bernstamm, et le petit Poème de Pierre de
M. Derré, qui induit à la rêverie, tant la lu-
mière est distribuée avec art sur « l'imagier »
et les feuilles frisées qui l'entourent.
C'est encore le sens de la vie qui fait le
charme de la Vache de M. Just Becquet, de la
Poule aux œufs d'or de M. Frémiet, du Cj^no-
céphale de M. Paillet, ou du Combat de che-
vaux de M. Gaulard. Le C/;a^ de M. Carvin
est sans pitié pour les pauvres moineaux terri-
fiés à la vue du monstre .
Sous son enveloppe rugueuse, percevez-
vous l'intelligence de l'éléphant qui aide son
cornac à grimper sur sa tête? M. Valton, qui
est l'auteur de ce morceau, n'est pas un artiste
banal.
Voici les vitrines de M. Engrand. La plus
grande contient quelques pièces remarqua-
bles. Son Tigre étouffant un singe est surtout
d'une justesse expressive très rare.
La seconde vitrine ne contient que le coffret
à bijoux, les Trésors. La cassette est de forme
elliptique. Sur ses parois", quatre figures, à
peine saillantes, étalées sur les quatre griffes
qui soutiennent le coffret; sur le couvercle,
un peu sec peut-être, une figure de la Fortune
étendue ; près d'elle, sa roue ailée ; à ses pieds,
disséminées, des pièces d'or. Dans sa course
vagabonde, la déesse est venue tomber là; elle
est morte pour tous, et son dernier asile est ce
coffret. Telle a dû être l'idée de l'artiste; elle
est charmante, avec un brin de philosophie.
De M. Blondat, un encrier de bronze d'une
belle patine, que complète une souple figure
de femme, la Pensée.
M. Moreau-Vauthier nous montre une Jar-
dinière, soutenue par deux figures finement
modelées; M. Lelièvre, un vide-poche, le
Renard et les Raisins, vraiment original dans
le bon sens du mot.
Parmi les étains de MM. Ledru, Pavnot,
Ciiuye argent. m. phureux.
Bordeaux et Methey, quelques jolies pièces
bien conçues dans les formes exigées par la
matière.
Notons les belles reliures de MM. Saint-
André et Petrus Ruban, deux artistes très per-
Un 'Dernier zMot sur les Salons
1/1
Ceinture cuir et .iti;cnt.
sonnels ; encourageons surtout de toutes nos
forces les beaux essais de cuir repoussé, appli-
cables à toutes sortes d'usages, auxquels s'est
livré le premier.
Un travail de fer forgé de M. Pagis, le seul
peut-être du Salon, attirera l'attention des
spécialistes par les qualités de premier ordre
qu'il renferme.
Du fer, nous passons à un métal plus pré-
cieux: l'or. En dehors de M. Lalique, l'orfè
vrcrie a des représentants qui ne sont pas sans
valeur: M. Guevton, par exemple, avec un
Parut oii la nature, prise pour guide, a fourni
un modèle de coupe assez original, mais repo-
sant sur un pied d'une conception illogique;
M. Guerchet, qui enchâsse des cristaux poly-
chromes dans des formes ajourées d'orfè-
vrerie et dont le petit vase décoré de nénu-
phars est d'un réel intérêt; M. Fouquet.
qui expose dans sa vitrine une très belle
chaîne, formée de perles, alternant avec des
DetJil de tcntur
M. B.ISTARD.
grains d'or ciselés ; entin, M. Paul Richard.
A cette catégorie, rattachons les verres
gravés de .M. Harant, bien formés et riches en
couleur, et terminons par les tapisseries très
distinguées de MM. Bellery-Desfontaines et
%
M. ^■lCTOR l'ROl-VK.
Bunny, par l'éventail de
M. Duvelleroy, et par les
panneaux décoratifs, ingé-
nieusement composés, en-
cadrés avec goût, de MM.
Brémond et Bigaux. Men-
tionnons enfin les jolis pa-
ravents de M"" Dvbowska
et de M. Baillet, sans oublier
l'intéressant eftort de M. André Boutard, dont
la monture mériterait d'encadrer autre chose
que les médiocres vitraux de M. Laumon-
nerie.
Au Champ de Mars, l'ensemble est plus
riche et dénote plus de hardiesse dans la re-
cherche. C'est une abondance d'impressions,
de sensations, dont l'artiste quelquefois n'a
qu'à demi conscience ; tout cela s'agite, se
presse et s'exprime difficilement en une suite
continue. Le moment de la synthèse n'est pas
encore venu.
Semblables au savant, qui de l'observation
des maladies les plus diverses déduit les pré-
ceptes de la bonne santé, certains artistes, attirés
aujourd'hui par l'étrangeté, reviendront à des
formes plus rationnelles, et lentement ils éta-
bliront une esthétique nouvelle.
Les reliures mystiques de M. Belville, d'une
simplicité voulue, accusent peut-être un peu
moins de richesse qu'on ne serait tenté de le
croire; cependant, la reliure du" Cantique des
Créatures » marque une connaissance parfaite
des matières employées. Ceci pourrait aussi
s'appliquer à M. Marius Michel, dont la vitrine
contient de beaux spécimens de reliures
riches.
M. Mathey, avec une toute petite chose,
quelques feuilles de gui ciselées dans un mor-
ceau de cuir, nous laisse entrevoir ce que peut
un véritable artiste.
M. Meunier a déjà fait ses preuves : il
nous faut signaler, en même temps que la
variété de ses envois, la perfection de leur
exécution.
La vitrine de M'"'' Waldeck-Rousseau se rat-
tache en plusieurs points au travail du cuir :
172
An et Décoration
on y remarque, entre autres morceaux assez
tins, une reliure formée de feuilles de maron-
niers, une autre, pour le Livre de la Fortune
de Jean Cousin, qui est
d'une curieuse harmo-
nie rouge et verte, et un
coffret en forme de
petite chasse, où les si
gnes du zodiaque sont
gravés sur un cuir cha-
mois.
Notons le paravent
un peu japonais de
M. Chameau, celui de
M. Caruchet, et ceux de
M. Francis Jourdain,
d'une originalité char-
mante. La Nuit de Fête,
par exemple, est le
résultat d'une observation très fine : sur un
beau ciel bleu profond, se détachent quelques
lanternes vénitiennes, d'une jolie lumière oran-
gée.
Les Soleils de M. Grellet, et Y Adam et Eve
de M"s van Mattemburgh, comptent parmi
les meilleures oeuvres exécutées en tapisserie.
Le panneau de M. Reculon est une œuvre
décorative d'un sentiment des plus délicats. Le
jeu de cartes de M. Des Cachons n'a qu'un
défaut, à mon sens : celui d'être très peu
lisible.
Notons encore les jolis meubles de coin de
M. Hérold, la boite à gants très artistique de
M"° Jacquinot etlepetit coffret de M. Paulian.
Bitu^.c i I uii:
Enfin, quelques cires, bronzes ou pièces d'or-
fèvrerie. De M. Aube, un Souvenir des fêles
desii. j et <y octobre /A\y-, destinéà être exécuté
en vermeil et cristal de
roche; la glace de M""
Egoroff, le cartel en
échinide de .\I. Jouant.
De M. Nocq, une vi-
trine remplie d'art. Im-
possible de nous arrê-
ter au détail des pièces
si ingénieusement va-
riées et d'une inspira-
tion si moderne, qui
font de sa modeste vi-
trine, au Champ de
Mars, une reposante et
fraîche oasis. Bornons-
M. V. l'Uul VI..
nous a relever le carac-
tère tout particulier de nouveauté qu'il a su
donner au travail de l'argent, de l'ivoire ou de
l'or en le relevant d'incrustations de pierres
précieuses qui chatoyent, sur les surfaces lisses,
comme des gouttes de lumière colorée.
De M. Peureux, une coupe faite de ressouve-
nirs pompéiens ; de M. Prouvé, enfin, une sé-
rie superbe de bronzes où nous n'aurions qu'à
louer, si nous netrouvions inadmissible, à cause
de leur poids, l'idée de diadèmes en bronze.
Quant à la poignée de porte, autour de laquelle
s'enlace une figure de femme en bronze vert,
elle peut compter parmi les créations les plus
parfaites de l'artiste.
René Binet
Masque (cmaU).
y
Grille en ïnctal dure.
A, VUVbbï.
L'Arbre dans le Dessin d'Ornement Anglais
En 175?, William Hogarth, qu'on peut à
juste titre considérer comme le créateur de
'lécole moder-
ne de peinture
anglaise, est
l'auteur d'un
livre intitulé
Analyse de la
Beauté. De cet
ouvrage, on ne
se rappelle
guère aujour-
d'hui qu'une
seule chose,
c'est que cer-
taine ligne
courbe est « la
ligne de beau-
té. » Il peut
paraître tout
d'abord fantai-
siste de remon-
ter à cette ligne
pour trouver
l'explication
du mouvement
actuel accusé
par le dessin
d'ornement
anglais;c'estlà,
pourtant, une
théorie pleine
d'attirance.
Cette ligne mollement ondulée, qui dessine
le contour de la forme nue, Hogarth la re-
gardait comme vivante, consciente, animée.
A côté de celle-ci, toutes les autres lignes qui se
rattachent à une base géométrique semblent
Papier peint " La Fotét ",
n'être que le produit de la mécanique. Elle,
au contraire, provient directement de la
nature et se
i '^^V refuse au con-
trôle des ma-
thématiques.
Faut -il re-
garder comme
exagérée l'idée
qui nous porte
à retrouver un
rapport entre
cette ligne et le
dessin d'orne-
ment actuelle-
ment en vogue
dans la Gran-
de - Bretagne?
On peut citer
un millier
d'exemples à
l'appui de cette
théorie; or,
toute théorie
qui repose sur
des preuves
tangibles doit
être admise
comme ayant
la valeur d'un
axiome.
Dire que les
grandes écoles
de la Grèce ou celles du Moyen Age basaient
leurs sujets d'ornement conventionnel sur des
carcasses géométriques, est aussi une idée qui
a de l'attrait, alors même qu'elle n'est point fon-
cièrement vraie. L'art de l'antiquité classique e-
174
QÂrt et Décoration
celui de la Renaissance italienne, au même titre £;raphe avec ses rayons X, se voile aux yeux de
querartquinedatcqued'hicr,proviennenttous tous sous les dehors de la carnation, de même
les trois d'enroulements et de volutes qu'on aussi la ligne onduleuse, serpentine n'est visible
peut mesurer scientifiquement. De même aussi, que pour l'œil exercé. Elle s'y trouve pour-
cette seule théorie, que la symétrie
des végétaux se réclame de la sou-
plesse élancée de la forme humaine.
L'arbre, qui parait si raide, s'est
amolli.
Jusqu'à ce jour, à quelque ligne
qu'on s'arrêtât pour servir de carcasse
géométrique à un dessin, on la gar-
nissait le plus souvent de tieurs ou
d'accessoires de pure fantaisie. En
Angleterre, au contraire du Midi
ensoleillé, les fleurs ne sont que des
hùtes de passage pendant la courte
saison estivale, tandis que toujours
l'arbre demeure. Soit consciemment,
soit effet du hasard, le dessinateur de
l'école moderne, qui est en général
Frise.
AI; 1 mit SliVER.
dans l'art gothique, une bonne part de l'orne- un disciple de ^^'agner, un doux réformateur
mentation se réclame de la géométrie ; à
d'autres époques encore, la construction rap-
pelle par ses lignes l'influence du règne végé-
tal — les branches, le feuillage, le tronc élancé
de géantes fougères, les entournements bizarres
d'une herbe au bord de la route.
Actuellement, les ornemanistes de l'école
nouvelle prennent la ligne inspirée à Hogarth
par le contour charnel, et la revêtent de fleurs
et de feuilles. Peut-être ne savent-ils pas que
c'est Hogarth qui les inspire. , - v^i,._
Ils l'empruntent, il est vrai. !*:!'(. -i-'/Ste^R*
tout
Ja
politique, et dont l'esthétique se révolte à la
seule idée du convenu — ce qui parait être
une anomalie chez un peuple aussi res-
pectueux du passé — le dessinateur an-
glais, dis-je, éprouve de nos jours une fai-
blesse marquée pour la ligne erratiquement
ondoyante et serpentiforme. Chaque artiste
a sa serpentine, qui lui est propre; c'est
sa formule, selon son caractère en rac-
courci, son message au monde.
po
Klieya
sa provenance, c'est tou)ours
Janiêmeligneonduleuse, celle Poncif. arihi-r s» -
de la personnalité, de la croissance humaine, « L'artiste, a dit M. Zola, voit les nations
qui lesmaitrise.Cettelignefantasque, coquette, à travers un tempérament. « Si le faiseur
impertinente ou suave, àleur gré, ils ontsoinde d'images, de statues, de livres, de poèmes, est
ne la point faire trop saillir dans leurs sujets. De libre à ce point dans ses allures, pourquoi le
même que le squelette, si ce n'est pour le photo- faiseur de dessins ne le serait-il point? Kn
L'Arbre dans le Dessin d'Ornement An^^lais
7S
Angleterre, quelques-uns d'entre eux ont eu
cette audace et le mouvement actuel en est
résulté.
Dante Gabriel Rossetti, poète, peintre et
mystique, eut l'initiative du mouvement. Il
était continué par ^^ .
William Morris, ' -_t»A^_ i>^-..».<l
un Anglais typi-
que celui-là, fidè-
lement attaché à
son idéal qui était
le Moyen Age, dé-
voué Jusqu'à la
cagoterie dans
son respect pour
l'autorité du pré-
cédent, hardi en
ses théories socia-
listes. Tout d'a-
bord, le mouve-
ment se dessina
avec un caractère
entièrement go-
thique, ce qui
pour un Anglais
d'éducation insu-
laire est une for-
me d'art essen-
tiellement britan
nique. Puis, à me-
sure que s'éleva
une génération
nouvelle, ceux qui
arrivèrent àsavoir
la vérité pour
avoir étudié l'art
à Paris, ou pour
avoir fait plus am-
plement connais-
sanceavec l'Italie,
et qui purent se
rendrebien comp-
te de ce fait que les |_^
races latines sont
les maîtres et les
plus grands artistes du monde, ceux-là s'en re-
vinrent dans leur pays sans témoigner une bien
grande épouvante de la découverte ; ils se mi-
rent à l'ouvrage, s'efforçant d'être de loyaux
imitateurs; mais ils ne tardèrent pas à être pris
d'inquiétude. Ils s'évertuèrent de leur mieux
à rester cosmopolites ; à ne pas être de simples
pasticheurs de la France, où la légende de
l'art est encore vivante ; ni de l'Italie, où elle se
l^^ll^^
Poncif d'après C. Hjrrisoii Tun'uscnd.
conserve à l'état de fossile chez les habitants ;'en
un mot à être eux-mêmes, c'est-à-dire Anglais,
tout en s'assimilant l'ensemble des connais-
sances artistiques répandues sur le continent.
Ils avaient à cœur de démontrer qu'en An-
, glcicrre la Prin-
^..-^.. ,Ao cesse, après tout,
n'était qu'endor-
mie, et ils espé-
raient la réveiller
d'un baiser. Une
rivalité entre la
France et l'Angle-
terre s'ensuivit ;
telle la jalousie de
deux sœurs éga-
lement belles de-
vant l'amour. Il
lui tardait, à cette
dernière, démon-
trer à quel point,
elle aussi, avait le
culte de la beauté,
et, comme elle
avait pour le ver-
dict de Paris le
même respect que
les Grecs avaient
pour leurs déesses,
elle lit semblant
de ne tenir nul
compte de ce que
disait Paris. Au-
jourd'hui que Pa-
ris se montre un
peu curieux à
l'égard de l'art
britannique, l'An-
glais est charmé
au-delà de toute
expression. Au
fond de son cœur,
il estime à plus
haut prix l'appro-
bation de Paris
que celle de toutes les autres nations; et ce
compliment, qui lui vient de la ville toujours
fidèle envers l'art, le touche plus'profondément
que ses préjugés séculaires ne lui permettent
de l'admettre. Si Paris pouvait un seul, ins-
tant comprendre la haute estime que' l'Anglais
d'éducation ressent pour elle, le sort des na-
tions serait changé.
Mais, c'est une banalité que de dire la vérité.
AKTHUK SILVER.
.76
Art et Dccoration
cl, en tant qu'Anglais, peut-êire vaut-il mieux Paris, 1492; Jehan Lecoq, Troyes, i5oo;
atfecter l'insouciance quant au verdict de la Jehan Petit, Paris; Simon de Collines, Paris,
i5o2; Peter Treveris, Lon-
dres, I 514.
Aujourd'hui, en Angleterre,
l'arbre domine entièrement l'é-
cole du dessin d'ornement. Muni
d'un serpent qui s'enroule à
même le tronc, il offre un sym-
bole théologique, de même qu'un
oranger, qui porte ensemble ses
fleurs et ses fruits, offre l'em-
blème de l'épanouissement
de l'art séculaire et ses résul-
tats.
Mais l'arbre de la marque d'im-
primeur, droit, infléchi, est de-
venu, lui aussi, soupleet sinueux.
On n'insiste plus sur la vertica-
lité de ses lignes. Son tronc jadis
rigide se coule, obéissant à la
ligne. Son feuillage s'est sim-
plifié, est devenu rare ; une
douzaine de feuilles remplacent
les milliers de la nature. Ses ra-
cines sont souvent exposées et
apparaissent comme les tresses
hérissées de serpents de la
Méduse. Ces racines, qu'on
trouve dans Vex-libris dessiné
et gravé sur bois par M.
Charles Ricketts, révèlent de
mystères. Leurs courbes se rou-
Papier feint '■ Le Clicue, le J'ièiie et le Lierre
exécuté par MAI. Jeffrey et C.
nation que nous admirons le plus. Nous
n'avons pas pour objet, en cet écrit, d'appré-
cier la valeur artistique du dessin d'ornement
de l'école anglaise; notre seul but est de discu-
ter l'emploi de l'arbre dans les dessins régu-
liers.
Pour ce qui est de la décoration, c'est surtout
le bouquet de fleurs ou la branche chargée de
fruits qui a inspiré l'artiste; l'arbre, si élastique,
si plein de détails, si énigmatique en son ana-
tomic, l'a fort peu souvent captivé. Il est vrai
de dire qu'en Assyrie, un certain convenu était
de mise; aussi les arbres de Ninive ne rappel-
lent-ils pas plus la réalité que le chèvre-feuille
grec ne ressemble à la fleur de ce nom.
L'arbre figure dans la décoration byzantine
et romane, de même que dans les soies faites
en Sicile à une époque aussi rapprochée que le
XIV8 siècle. On en voit également dans les mar-
ques d'imprimeurs qui existent sur les pages
de titre des livres gothiques. On peut citer les
suivants parmi un plus grand nombre: Coutan,
nouveaux
lent
Mutif de tenture,
et s'entortillent :
AKTHl'R SIMIU.
souvent, elles enser-
rent une tête de mort dans leurs replis. Mais
L'(zArhrc clans le dessin J' Ornement oAno-lais
ijj
rigides ou plastiques, quelles que soient les créé un arbre nouveau, inconnu à la botanique,
formes qu'elles affectent, elles servent à décorer comme on peut s'en rendre compte en exami-
un espace déterminé, qtae ce soit une frise, un nant le relief en plâtre de M. George Framp-
Papier pour escalkr (figue et olive).
panneau, ou comme unité répété d'un dessin
régulier.
Un grand nombre d'arbres, toutefois, conser-
vent encore la
ligne verticale
du tronc, et n'ont
point subi l'in-
fluence du ser-
pent de l'Eden
ou de la ligne de
Hogarth.
Parfois, com-
me dans le des-
sin géométri-
que de la
plante curieuse
que les Anglais
appellent « ho-
nesty » — végétal de trop petite taille pour
être qualifié arbuste et encore moins arbre, —
les cosses à graines sont disposées comme des
tcuilles à des plans variés, et ainsi se trouve
Fijgmeni d'un bas-telief
en plâtre coloré.
HEYWOOD SUMMER.
ton, que nous donnons ici. Dans la 'grille mé-
tallique, œuvre de M. G. F. A. Voysey, nous
avons un autre exemple de l'arbre droit ; de
m ê m c aussi
dans l'esquisse
d'une frise, par
M. Walter Gra-
ne. Dans le très
ingénieux des-
sin géométrique
de feu M. Ar-
thur Silver, une
disposition fort
heureuse, suggé
rée, je crois,
par M. G. Har-
rison Town-
send, permet à
l'ornement de s'étendre en hauteur, de ma-
nière à garnir le mur entièrement, quelle que
soit son élévation. Dans d'autres exemples
de frises ainsi que dans des dessins régu-
23
GhURGE FRAMPTUN. A K. A.
■78
Art et T)écoration
k
liers à sujets ^répétés, dus au même artiste,
l'arbre est utilisé
avec une grande
adresse.
La Century
Gzf/W, une associât ion
d'artistes et d'architec-
tes, jeunes pour la plupart,
fut la première à encourager
l'esprit nouveau dans les des-
sins anglais. Il y a une quin-
zaine d'années, MM. Macmur-
do, Selwyn Image et H.- P.
Hornc, exécutèrent une char-
mante « music room », —
chambre où l'on fait de la
musique — qui nous a fourni
les esquisses que nous don-
nons des décorations murales.
Dans le modèle de papier
peint dû à M. H. Wilson, l'ar-
bre, avec la courbe sinueuse des
lignes, est traité d'une heu-
reuse façon. Une disposition
habile permet d'employer le
papier peint « Figue et Olive »,
de M. Heywood Summer, pour
le mur d'un escalier et toute
autre surface plane. En un
autre modèle du même artiste,
" La Vigne », cette plante est
traitée suivant une manière
qui rappelle l'arbre d'Assyrie.
Un autre modèle parmi les pa-
piers fournis par MM. Jeffrey,
I' Le Chêne, le Frêne et le
Lierre », otfre l'exemple d'un
dessin entièrement fait de for-
mes arborescentes; « La Fo-
rêt » et « Le Rosier » nous en
d'autres combinai-
sons.
Un critique anglais
a dit : « Pour être
dessinateur , il faut
d'abord savoir com-
ment ne pas dessiner. »
Ainsi l'arbre, com-
plexe et infiniment
exigeant, peut s'expri-
mer par des moyens
tellement simples, que
Un arbre
(jragmcnt d'une frise).
fournissent ain
J'enture pour la " Century Guild
ait le succès de bien des dessins géomé-
triques , et cette
simplicité ne se
voit nulle part
d'une façon plus
évidente que dans l'ar-
bre, comme le font au-
urd'hui les Anglais. Sa
première manifestation re-
monte à l'Arbre de Vie, du
Paradis terrestre; sa der-
nière se trouve dans un pa-
pier peint ou un cliché. Le
serpent s'est perdu à travers
les âges, mais on a gardé de
notre vieil allié son mouve-
ment flexueux et ondulé, et
ce mouvement sert à cette
heure comme motit décora-
tif dans les dessins.
L'arbre, en ce moment,
est la vraie marque dis-
tinctive, la signature avec
paraphe. Sur les couvertu-
res des revues d'art, sur
les bouhls et la marquete-
rie, dans le métal repoussé,
dans la gravure, les dessins
géométriques, la tapisserie,
partout l'arbre s'épanouit.
Disséquer le nouveau venu,
'étudier froidement et scien-
tifiquement serait absurde.
Ce n'est, d'ailleurs, que sa
spontanéité qui charme.
Les illustrations qu'ici
même nous donnons éta-
blissent de quelle manière
la fantaisie britannique
C'est la mode pour le mo-
ment, et son emblème
se reconnaîtra tou-
jours comme apparte-
nant au style de l'épo-
que qui sépare les
deux jubilés de la
reine Victoria.
Les roses de Vénus
et les lis de la Vierge
ne nous délectent plus;
c'est (( l'arbre du bien
et du mal, » la source
WALTER Cr.ASE.
cet arbn
la formule n'en est qu'un pur artifice Savoir première du péché dans le Gan-Eden. qui
comment il ne faut pas dessiner, tel est le secret prédomine à nouveau aujourd'hui en tant que
L'A rive dans le Dessin d'Ornement Anglais
179
motif dans le dessin d'ornement contemporain.
Il faut être juste et ne pas oublier que l'arbre
msMf m
4
pr>-Q
1%:
..v>3
disposés en coquettes rangées, ou espacés
symétriquement sur le fond du dessin. De
cette façon, l'arbre s'offrait aux yeux de l'en-
fant comme une allégorie de la vie de famille
à son origine — avec le serpent — et, pour
éviter toute équivoque, on mettait, soit au-des-
£us, soit au-dessous de l'arbre, une maison-
nette en briques rouges, garnie de cheminées,
d'où la fumée s'échappait en sens contraire,
par amour pour la symétrie.
Lorsque nos dessinateurs modernes adop-
tèrent cet emblème, ils l'étiquetent Yggdrasil,
nom de l'arbre sacré dans la mythologie des
Norses Scandinaves. Ainsi donc, dès son intro-
duction, l'emblème se présente à nous sous
une forme qui témoigne, de la part de ceux
qui s'en servent, une parfaite connaissance de
sa valeur symbolique; c'est bien l'Arbre de
la Science, éternel en sa durée, mais qui a
besoin d'une nourriture quotidienne et dont
la croissance ne cesse jamais. Envisagé à ce
point de vue, l'Arbre est non seulement un
symbole du premier jardin, mais de la science
elle-même; en ce cas, il est des mieux appro-
priés à exprimer un retour vers la sagesse ro-
mantique et mystique, à la manière bonne-
ment païenne de la libre nature, conversion
Etoffe nnfniiiec
M. AKTHUR SILVER.
figure assez couramment comme motif déco-
ratif sur la faïence blanche et bleue de Delft,
qui devint populaire comme accessoire à
l'ameublement de style anglo-flamand. C'est
ainsi qu'un grand nombre d'arbres isolés et
raides se montrant sur les plats et les assiettes
que les artistes, il y a quelques années, affection-
naient pour les accrocher à leurs murs, on a
été naturellement amené à utiliser cet emblème
comme ornement.
Souvent l'arbre se voit sur ces vieux canevas
que les bonnes ménagères d'autrefois confiaient
aux doigts de leurs jeunes filles, pour leur
apprendre la broderie. Ici le végétal se pré-
sente à nos yeux comme un véritable Arbre de
Vie, entortillé de son serpent et flanqué du
Père Adam et delà Mère Eve, qui, chacun de
son coté, montent la garde en manière de sup- pc L^l, ^_ij, 1:^ (^ ^J:^ cQ m VS/hlTE
ports héraldiques. Sous cet aspect, l'arbre " -^
tournissait aux jeunes demoiselles le plus
ancien exemple connu de la vie familiale, si
chère au sentiment anglais. Ce groupe, qui se
plaçait d'ordinaire au milieu du canevas, était
souvent accompagné de petits arbres bizarres
Dessiné et gravé sur bois, par charles ricketts.
que les impressionnistes et l'école du plein air
regardaient, d'ailleurs, comme amplement suf-
fisante. Gleeson White.
Fragment de la décoration du Thcittre Xational de Prague.
M. MIKOILASCH ALESCU.
L'Art décoratif en Autriche-Hongrie
LES TCHEQUES
'Autriche-Hongrie est
un vaste conglomérat
de nationalités rivales
sinon adversaires, de
pays diversement si-
non contradictoire-
ment caractérisés, de
cultures historiques et
même religieuses non
seulement différentes,
mais çà et là incom-
patibles et dont on a malaisément fait le
tour. Un étranger peut vivre quatre ans à
Vienne, s'intéresser à toutes les manifesta-
tions de l'art publiques et ne savoir en somme
que fort peu de choses de l'état actuel des
Beaux-Arts dans toute l'étendue de l'Empire,
et surtout des Arts-Décoratifs, notoirement les
industriels qui ne doivent généralement rien
qu'à l'initiative privée et n'ont guère jusqu'ici
forcé les portes des expositions.
A première vue deux grands groupes se des-
sinent : la forte majorité slave émiettée en poli-
tique par d'habiles groupements et alliages,
mais faisant à elle seule tous les frais d'origi-
nalité de la culture artistique du pays, et la
minorité allemande-hongroise qui, séparée des
éléments slaves, se trouve réduite à rien et
plus ou moins soumise aux fluctuations du
goût cosmopolite et aux mots d'ordre partis
de Londres, Paris et Munich, encore qu'elle ne
leur obéisse qu'avec la plus vive répugnance
et l'instinct conservateur le plus jaloux. Aussi
tandis qu'il existe une école de peinture polo-
naise, il n'en existe pas de viennoise ou de
hongroise; à Vienne et à Budapest tout se fait
par tentatives isolées que personne n'encou-
rage, que souvent même personne n'aperçoit
ou au contraire par protection de l'Etat et sous
des dehors trop officiels pour être originaux.
En Bohème, en Moravie l'instinct décoratif est
tel et si complètement le lot du peuple, que
sur touslespointsdu territoiretchèco-slovaque,
c'est, depuis quelques années, une floraison
d'efforts artistiques, dont l'apparition à Paris
d'un Mucha par exemple n'est qu'un minime
et superficiel indice. Prague offre une ving-
taine de jeunes talents du même ordre, sans
compter les artistes qui touchent plus profon-
dément au sentiment populaire et plongent
plus avant dans la fibre patriotique de la
nation entière, ceux qu'il faut le plus étudier
puisqu'ils apportent le plus de nouveau local
à l'art universel, au lieu que d'apporter l'art du
dehors à leur pays: ils exporteront un jour ou
l'autre, leurs rivaux au contraire importent.
Nous voudrions essayer de faire le tour de
la monarchie austro-hongroise en signalant
aussi bien les efforts isolés que les tendances
officielles et les œuvres qui en résultent, les
L'ciArt décoratif en dÀutrichc-Honorie
i8t
efBorescences d'art produites par toute une menues pâtisseries et les œuts de Pâques,
nation que celles gernie'es du cœur d'un seul Les enfants des moindres hameaux aux
individu ou largement arrosées des faveurs de approches de Pâques enluminent de motifs
l'Ktat : la restauration ou reconstruction de
cathédrales, telles que celles de Funfkirchen et
de Cassovie en Hongrie, de l'église du couron-
nement à Buda-
pest, delacathé-
sais à Vienne
d'illustration
décorative de
M. Leffler, de
mosaïquesdeM.
Veith, de bro-
deries de M"«
M a n k i e \v i c z ,
ou que à Prague,
les naïfs jeux de
cartes de Mikou-
lasch Alesch.
gent les moindres pièces
identiques, aux couleurs naturelles ou à la cire
colorée, les aaifs cuits; les femmes en char-
de leur accoutre-
ment, et les bro-
^ deries decesder-
nières sont aussi
remarquables
par l'harmonie
bizarre des cou-
leurs que par la
perfectiondutra-
vail. Une fête
populaire dans
un hameau de
Moravie est un
spectaclecomme
aucun théâtre ,
sauf bien enten-
du le théâtre na-
tional de Pra-
gue , dans les
opéras de Sme-
tana par exem-
ple, n'en peut
figurer de plus
joli, et plus le ha-
meau est reculé
plus les moin-
dres détails de
l'ensemble se-
ront en harmo-
nie et en inti-
mité les uns avec
les autres, depuis
les tabliers bro
dés des danseu-
ses jusqu'aux
murailles enlu-
minées des chaumines, jusqu'aux clayonnages
artistement tressés des courtils. Un peintre slo-
vaque de réel mérite s'est fait une spécialité de ces
sa propre main; et les mêmes ornements qui scènes où les tristes paysages verts sont comme
courent depuis des siècles, toujours mêmes de fleuris des courtes jupes rouges, des manches
style, toujours autres de détail, sur les mu- et des coiffes blanches brodées des femmes et
railles blanchies, les armoires et les bahuts, des superbes manteaux à dalmatique des
sont encore ceux que depuis le même temps hommes; il a nom Jo:[ka Uprka et quoique
immémorial les femmes prodiguent sur tout provincial a une bien autre valeur que Hans
ce que leurs mains ont à toucher dans le Schwaiger et Riimpler, si connus à Vienne
ménage, le linge de table et de corps, la literie, et à Prague et qui ont raconté les mêmes
les vêtements, les services, les couverts et scènes,
même la nourriture : les gâteaux, certaines II va sans dire qu'un peuple aussi foncière-
Le Bohême
doit passer pre-
mière. Ce n'est
pas son glorieux
passé qui lui en
donne ici le
droit, mais com-
me nous venons
de le dire, uni-
quement le fait ^^^^^^''^
qu'elle marche à ^
la tête du mou-
vement. Pas de
peuple qui ait
plus que le
Tchèque l'in-
stinct décoratif. Dans les campagnes le
paysan décore tout, sa maison, ses meu-
bles, ouvragés déjà l'une et les autres, de
Titre de livre.
M. MIKOULASCH ALESCH.
:82
Art et Décoration
ment, aussi instinctivement artiste ne peut pas
cesser de l'être dès qu'il entre en contact avec
l'art universel; souvent les campagnards deve-
nuscitadins, etpassant de l'école buissonnièreà
l'école des Beaux-Arts de Prague, se laisseront
d'abord complètement dérouter et s'imagi-
neront que tout l'art consiste à marcher sur
les traces de M. Brozik... Mais en général ils
se retrouveront eux-mêmes à la première
occasion. Il en est d'autres même qui ne
cessent jamais de rester entièrement et pure-
ment tchèques et ce sont eux qu'il faut étu-
dier comme transition nécessaire entre l'art
décoratif national et l'art décoratif uni-
versel.
Le type actuel, c'est Mikoulascli Alesch, un
têtu, un obstiné tchèque qui, de peur de perdre
quelque chose de la saveur du terroir et de
adoration dont il est l'objet de la part du
peuple de Bohême, refuse d'apprendre une
seule langue étrangère, de mettre les pieds à
une exposition. C'est une sorte de Waher
Crâne ou de Grasset instinctif, incorrect
parfois, mais plein de candeur, de verve et
de sentiment; c'est une sorte de poète na-
tional qui applique sa poésie à la décoration
des menus objets de la vie ordinaire : calen-
driers, éphémcrides, jeux de cartes, illustrations
Illustration pour les " Chants populaires tchèques '
M. JOSEF MANESCH,
L'cArt décoratif en cAutriche-Hongric
i8j
épiques ou satiriques, caricatures, sgrapjiites,
ensembles décoratifs, meubles, il a essayé de
tout, s'est éparpillé au jour le jour; il est par-
tout au foyer tchèque, à la campagne ou à la
ville; certaines de ses satires sont les chansons
de Béranger de la population, tandis que ses
décorations du théâtre national de Prague
atteignent au stvle le plus élevé; et l'on dit de
lui le bonhomme Alesch comme on disait le
bonhomme La Fontaine. Ses moindres croquis
ont une vie intense et un accent tellement par-
ticulier d'observation juste, qu'on ne peut s'em-
frappante. Le paravent ci-joint en donne
quelque échantillon.
Un type non moins national, mais de culture
générale plus élevée, avait été zeJosef Manesch,
beaucoup antérieur à Alesch et qui fut le fon-
dateur du mouvement artistique tchèque.
Romantique passionné et peintre vigoureux, il
n'en fut pas moins un artiste tout à fait supé-
rieur pour son temps. On lui doit des vitraux
remarquables et le cadran de l'horloge de
l'Hôtel de Ville de Prague où les travaux des
douze mois et les douze signes du zodiaque
Paravent .
pécher de leur pardonner certains écarts de
crayon. La naïveté, l'accent local et le patrio-
tisme du décorateur de livres se révèlent dans
la feuille de titre d'un autre des ouvrages con-
sacrés à l'exposition de Prague de iSgS, paru
chez Otto, et dans la série des couvertures de
livres tchèques pour l'éditeur Vilimek. Le
décorateur a un accent héroïque tout autre et
fortement médiéval dont le tympan, reproduit
en tête de cet article, faisant partie de la déco-
ration du théâtre national, peut donner une
idée. Couvrant de sgraphites les façades, Alesch
a surtout recours aux interminables galeries des
héros de la Bohême qu'il représente au trait
d'une façon à la fois rude, sommaire et sty-
lisée; les frises et les garnitures sont générale-
ment basées sur un héraldisme assez voisin de
celui de l'Allemagne, mais cependant particu-
larisé dans un sens tchèque d'une façon assez
M. MIKOULACH ALESCH.
entourent l'écusson de la ville, le tout serti
d'ornements slaves. Il faut se hâter de repro-
duire ce beau travail, car il se détériore d'année
en année sous un climat et dans une atmos-
phère auxquels aucune œuvre d'art peinte ne
saurait résister. Et si l'on considère les illus-
trations d'un caractère slave à la fois barbare
et cependant si réfléjhidont vers iSS/ Manesch
revêtait une édition des chants populaires de
la Bohême dont M. Louis Léger a donné la
traduction, on estbienforcé de saluer en lui un
précurseur. C'est de lui directement que la sau-
vagerie héroïque du bonhomme Alesch s'ins-
pirera. Au reste, tout ce qui se fait d'art en
Bohême lui doit quelque chose ; il a fondé une
société qui, à sa mort, prit son nom, et qui
accomplit par ses seules ressources des œuvres
artistiques nationales, telles que la publica-
tion d'une anthologie des œuvres d'AIesch
i84
Art et Décoration
ou que la jeune revue Volné Smcry où contemporaine, MM.
s'essayent tous les jeunes talents de la Bohême xacek, Priessler, etc.
Ceux-là ont
U'. K. MascU, Klii-
es yeux très ouverts
du coté de ce qui se passe à Munich
où Franz Stuck s'impose de plus
en plus, et à Paris. Voici déjà quel-
ques années que, de cette dernière
capitale, M. Hyiiaïs leur a rapporté
la bonne parole de clarté et les élé-
gantes formules de Paul Baudry,
dont à \'ienne un autre slave, Haiis
C(T«()n, devait se souvenir à coté de
Makart, dont on n'a pas assez re-
marqué que l'art n'est encore qu'un
alourdissement du dessin et de la
couleur de Baudry. Le grand ri-
deau du théâtre national de Hvnaïs
est une couvre qui porte bien sa
date, et dont l'encadrement d'en-
tants, tenant les armoiries des prin-
cipales villes de Bohème, est peut-
être encore plus heureux que la com-
position même. Ces dernières an-
nées, cet artiste a exécuté quelques
portraits hors ligne (surtout celui
du prince Lobkowitz) et qui révè-
lent un Hynaïs tout autre que celui
qu'on connaît généralement à Pa-
ris. Mais ce n'est pas ici le lieu
pour en parler comme il convient.
Hynaïs, une seule fois, fît œuvre
d'artiste national avec cette affiche
pour l'exposition de Prague de
895, tout entière composée d'élé-
ments locaux et dont la déplorable
reproduction, dans l'une des der-
nières livraisons des Maîtres de
r Ji:^^
Illimti-Jtidn paur les " Chants populaires tclidqiics '
M. JOSEF MANESCH.
L'Art décoratif en Aiitriche-T^ong^rie
i8
l'affiche, est considérce par ceux qui ont vu
les premiers originaux — car déjà à Prague il a
été abusé du tirage, ■ — comme une véritable
trahison. A côté de Hynaïs, un idéologue
d'un dessin très serré, M. Max Pinicr,
est le représentant de tendances quelque
que le plus imprévu, et sait avec la plus
minime fleurette donner à tout un espace l'air
bien rempli. Presque rien et c'est charmant.
Dans une ville comme Prague, il est diffi-
cile à l'architecture de s'écarter déjà des tra-
ditions du passé et des silhouettes aiguës et
peu germanisées. Il apprendra à ses élèves, à historiées de rigueur pour conserver a une
côté d'un excellent dessin, à penser davantage telle ville son aspect caractéristique. Prague
qu'à peindre, et cependant il a au plus haut est donc toujours la ville aux cent tours; et ce-
degré le sentiment décoratif. Si l'on pouvait pendant là comme ailleurs les démolitions vont
faire abstraction delà couleur, certaines de ses leur train. Sans parler pour le moment de la
compositions seraient des modèles du plus restauration et de l'achèvement de Saint-Vit,
grand style. Le terrain est donc tout à fait mûr une œuvre aussi considérable que l'achève-
cn Bohème pour
la combinaison
des influences de
PuvisdeChavan-
nes et de Grasset
avec les traditions
nationales. A dé-
faut des grands
maîtres français,
Walter Crâne lui
a été révélé, il v a
deux ans, par une
exposition de son
œuvre original à
peu près au com-
plet; mais beau-
coup d'entre les
jeunes tchèques
ne l'avaient pas
attendue pour tenter, selon leur sentiment,
des recherches décoratives intéressantes, et
Lj Xativitc.
ment de la cathé-
drale non pas de
Cologne, mais au
moins d'Ulm, ni
de la restauration
de la Tour aux
poudres, ce qui
se reconstruit ne
diffère en général
pas sensiblement,
et c'est bien dom-
mage, de ce qui
se fait à Vienne et
dont nous parle-
rons dans notre
article sur l'Autri-
che proprement
dite. On n'en peut
certes pas dire
autant de la sculpture, et je crois qu'après
Paris et Bruxelles, il n'y a pas de ville
M. STANMSLAS SUCHAKDA.
d'autant plus qu'ils étaient favorisés par des où la sculpture monumentale ait fait mieux
éditeurs d'une rare intelligence et d'un bon qu'à Prague. Le nouveau pont Palacky — • la
goût, auquel leurs voisins de Vienne et Leipzig tradition des ponts peuplés de statues est
sont tout à fait réfractaires : MM. Topic, Vili- de rigueur à Prague et dans toute la Bohême,
mek, Otto, etc. M. Emile Oliva produisait depuis l'édification du fameux pont Charles
pour la maison Topic des affiches aussi har- qui fut pendant longtemps le plus beau de
dies et aussi bien réussies que les meilleures l'Europe — flanqué de ses quatre groupes co-
anglaises ou américaines, enfin inventait une lossaux de statues représentant les légendes
centaine de reliures à très bon marché, mais fondamentales de l'histoire tchèque, fait grand
si charmantes, que quelques-unes gisant sur honneur au sculpteur Myslbeck, un statuaire
ma table un soir où le statuaire Van der qui laisse bien loin derrière lui tout ce que l'Au-
Stappen, de passage à Vienne, vint me voir, son triche-Hongrie avait vu jusqu'à ce jour, même
premier mot fut, en les apercevant, de s'écrier : le défunt Tilgner, son rival et ami, dont nous
« Le mouvement gagne 1 le mouvement gagne, retrouverons partout la trace à Vienne. On
cela me fait plaisir ! »... Rien de plus simple que doit à M. Myslbeck, à Vienne aussi bien qu'a
ces reliures : un objet menu approprié au Prague, une foule d'autres statues; mais point
titre, une fleurette, ou tous les deux, jetés sur d'aussi colossales et d'une telle splendeur, sauf
un fond monochrome avec cet instinct japo- toutefois le monument funéraire du prince de
nais qui place le motif en quelque angle, juste Schwarzemherg, cardinal archevêque de Pra-
au point le mieux en situation, en même temps gue, dont certains sculpteurs étrangers ont
24
i86
Art et Décoration
avoue que c'était l'une des plus grandes œuvres slave aussi bien aux tentatives anglaises et frau-
de notre temps. Mais dans le domaine de la çaises de style nouveau qu'aux traditions mé-
sculpture comme dans celui de la peinture, il dicvales reprises avec succès, ces dernières an-
faut faire une place à part à l'œuvre d'artistes nées, par l'Allemagne et la Suisse des Bœcklin,
non moins estimables qu'un Myslbeck ou un des Sandreuter, des Thoma, des Stuck et des
Hynaïs, mais qui, à l'exemple des Manesch et Sattler. Nous nous sommes attachés à ne pas
Alesch se réfugient avec opiniâtreté dans les bourrer de noms propres hirsutes ces lignes,
données locales et cherchent non point à in- mais nous devons à la vérité d'ajouter qu'il
troduire l'art en Bohême, mais la Bohême dans s'en pourrait bien citer, sans ramasser aucune
l'art. M. Stanislas Siicharda en est un bel médiocrité, une centaine à grouper autour de
exemple. Certainement, rien de plus grande- ceux qui ont fait le sujet de cet article. C'est
ment composé, de plus poétiquement humain beaucoup pour un petit peuple d'à peine trois
que sa transposition à la tchèque de la Nativité millions d'habitants, en comptant la Moravie
et le territoire slo-
vaque, et sans
compter les Alle-
mands qui mar-
chent avec ceux de
Munich et surtout
de Dresde, bien
plus même qu'avec
les Autrichiens de
Vienne. Et encore
une fois, nous ne
trouverons pas
dans toute la mo-
narchie (même en
Pologne qui vient
immédiatement à
la suite de la Bo-
hême pour l'inté-
rêt artistique), une
populationdecette
vitalité.
Mais n'en est-il
ou même le ^lamt-
Esprit est simulé
par un de ces petits
oiseaux de bois,
aux ailes et à la
queue entaillées
en éventail, com-
me il s'en vend à
toutes les foires
du pays Bohême,
où saint Joseph
est un ménétrier
— tous les tchè-
ques le sont — à
ropanka,etdontla
première pensée
est de jouer à l'en-
fant la plus belle
mélodie de ce ré-
pertoire, où l'on
trouverait le germe
des œuvres gran-
diosesdeSmetana,
Dvojak et Fibich. Le berceau même est un de
ces meubles que les paysans fabriquent de-
puis un temps immémorial et dont je parlais
en commençant. Ici l'on surprend réellement
sur le fait l'art populaire en sa transmutation
Cadran de l'horloge de l'Hôtel de Ville
de Prague,
M. JOSEF MANESCH.
pas toujours ainsi:
dans une confédération d'éléments non homo-
gènes, n'a-t-on pas toujours vu l'art, la littérature
et la musique se porter, comme en compensa-
tion, du côté des sacrifiés? La lutte de tous les
jours pour l'affirmation d'une nationalité
en art universel... La maquette pour la scène engendre toutes les vaillances de pensée.
contraire, la mort de l'enfant, malgré la beauté
du manteau slovaque, nous paraît moins bien
jaillie spontanément du cœur de l'artiste; pour-
quoi faire, de l'idée de donner un pendant à la
première, une nécessité?
toutes les hardiesses de forme, aussi bien en
art qu'en débats parlementaires. Les peuples
heureux n'ont pas d'histoire, je ne sais s'ils
ont de l'art vivant; en Autriche-Hongrie on
pourrait croire que non, vu que l'art y fleurit
Comme on le voit par ce coup d'œil sur en raison directe de leurs plaintes; l'activité
l'art décoratif tchèque, il s'agit d'un réveil de chercheuse dans tous les domaines y parait
nationalité apprêtant des éléments locaux tout le propre des mauvaises têtes \ l'art officiel au
nouveaux à l'inspiration humaine de partout, contraire se retranche dans les formules an-
et pouvant amener la naissance d'une école ciennes.
toute spéciale qui mêlerait le goût ornemental . Willi.\m Ritter.
La Plante et ses Applications Ornementales
¥¥
Il appartient bien à cette Revue de se réjouir
de toutes les aides qu'elle peut rencontrer dans
la tâche d'enseignement et de propagande
qu'elle a entreprise en faveur d'un art raisonné
et pratique ,
capable de
s'insinuer à
toutes les
places de no-
tre foyer.
Aussi ne de-
vons - nous
pas manquer
de signaler le
beau recueil
dont la publi-
cation, com-
mencée il y a
un an par fas-
cicules, vient
d'être termi-
née, et dont le
titre dit bien
déjà toute
l'importance:
La Plante et
ses Applica -
litms orne -
m en ta l e s .
L'ouvrage a
été entrepris
sous la direc-
tiondeM. Eu-
gène Grasset,
et par ses élè-
ves. On con-
naît déjà le
principe de
décorationde
M. Grasset,
ce retour à
Le Chardon (ctudc).
ici le lieu de dire que la composition de ces
plantes est due à MM. Verneuil, Schlumber-
ger, Bourgeot, M"*^^^ Marc Mangin, Milesi et
Poidevin, et à M'i'^' Anna Martin, Hervegh et
Marcelle
Gaudin , en
décernant à
chacun la
part d'éloges
qui lui re-
vient dans cet
imposant en-
semble de
soixante -
douze plan-
ches colo-
riées, qui res-
tera pour les
industriels et
pourceuxqui
s'intéressent
aux arts ap-
pliqués u n
utile recueil
d'exemples et
de modèles.
Je regrette de
ne pouvoir
dire ici au-
tant que je le
V o u d r a i s,
combien il
faut féliciter
aussi l'édi-
teur, qui est
le nôtre, M.
Emile Lévy,
d'en avoir as-
suré la publi-
cation avec
un soin irré-
l'étude directe de la nature pour y trouver prochable, en sorte que le tirage garde fidèle-
une compréhension nouvelle des motifs orne- ment l'accord de tons cherché dans l'aquarelle
mentaux; une telle œuvre est le fruit naturel originale.
des travaux quotidiens de l'atelier, que le C'est un problème bien intéressant, en effet,
maître dirige et stimule avec une ardeur si que celui du rôle de l'élément floral dans la
convaincue et si communicative. Et puisque décoration; et à part quelques cas où la com-
les auteurs se dissimulent modestement sous binaison seule de lignes et de courbes harmo-
le patronage de leur maiirc, je crois que c'est nieuses peut suffire, la série d'exemples laissés
i88
Art et Décoration
par tous les artistes en tout temps indique soucieux de renouveler les ressources de
assez que le décorateur en revient toujours à la décoration, et M. Grasset a bien raison
l'obsession de la plante. 11 ne pourrait guère d'en faire la première partie de sa doctrine,
en être autrement, et chaque lois que nous Dans l'ouvrage qui donne matière à ces
cherchons le dessin d'un motif d'ornement, réflexions, chaque plante appliquée à l'or-
nement est d'a-
nousnesaurions
assimiler que
les inflexions
que nous a ap-
prises le specta-
cle de la nature.
Bien plus, c'est
dans la nature
même que nous
avons trouvé les
lois de toute
construction et
le principe de
tout agencement
de formes, et
nos imagina-
tionslesplusfan-
taisistes se rè-
glent sans cesse
sur les mouve-
mentssivariéset
si imprévus des
branches et des
feuilles, ou sur
l'assemblage des
pétales d'une
fleur. Il serait
donc assez vain
de chercher à
déguiser notre
inspiration, et
de vouloir la dé-
pouiller de tous
les éléments na-
turels qui l'ont
La Capucine [applications].
bord scrupuleu-
sement étudiée
en une planche
spéciale, sous
tous les aspects
d'où l'allure dé-
corative de la
plante elle-
même et le style
propre à sa dis-
position natu-
relle peuvent se
dégager. Mais il
ne faudrait pas
se contenter de
ce travail, et
contraindre le
métier à rendre
l'observation
immédiate de la
nature. Ce ne
serait pas là de
la décoration ,
où il ne s'agit
pas en général de
peinture ou de
modelage, mais
de matières
spéciales ayant
leur technique
particulière et
entraînant des
exigences de
contours et de
suscitée; sans compter qu'un système de déco- structure. Et en dehors même de la question
ration qui voudrait constamment s'abstraire de de technique, tout art décoratif commande
lanatureetdéconcerternoshabitudes devision, encore le sens de la règle et de l'ordonnance,
en offrant à nos yeux des silhouettes et des ara- une sorte de géométrisation et de stylisation
besques où nous ne saurions rien reconnaître du sujet choisi. L'étude attentive sur nature
de connu, risquerait fort, je le crains, de fati- permettra à l'artiste d'interpréter la plante sans
guer vite nos regards et d'exaspérer nos nerfs. en faire disparaître le caractère propre et les
Mais il importe cependant de ne pas répéter mouvements habituels : il en découvrira, au
éternellement sous des aspects identiques les contraire, le principe, et sera ainsi capable
éléments qui ont été une fois trouvés, et de ne d'en tirer un parti plus direct à la fois et plus
pas rééditer à travers les siècles la feuille ornemental. Car s'il ne faut pas s'aban-
d'acanthe, le trèfle, la fleur de lis ou la donner à la copie de la nature, il ne faut pas
fleur de lotus. Pour cela, l'étude personnelle non plus tirer de la fleur un pur schéma qui
de la nature est indispensable à l'artiste n'en garde que les lois essentielles d'agen-
La Plante et ses Applications Ornementales
189
cernent, en sorte qu'on ne sache distinguer si l'art ornemental une coloration plus vive et
un motif provient de la rose ou du dahlia. moinsmonotone;onen peut voirlàde trèsagréa-
J'ai déjà eu
l'occasion de
dire ici même
combien im-
porte fort Jus-
tement pour
M. Grasset
l'appropria-
tion du décor
à la matière
travaillée. Ses
leçons n'ont
pasétévaincs:
les planches
de ce recueil
abondent en
ingénieuses
trouvailles.
L'iris, le né-
nuphar, le cy-
clamen, d'au-
tres plantes
encore, des
plus humble;
et des moins
L'j Mugiitl (applications).
bles exem-
ples. Cette
franchise de
couleurs, qui
convient en
particulier à
la céramique,
ne saurait
pourtant s'ap-
pliquer aussi
bien aux étof-
fes et aux pa-
piers de ten-
tures, qui
doivent être
assez intéres-
sants de tein-
tesetdedessin
pour meu-
bler par eux-
mêmes nos
i nté rieurs ,
mais qui sont
destinés aussi
à faire un fond
usitéesjusqu'icipourrornementation ont donné discret aux tableaux et aux gravures que l'on y
naissance à des motifs tout à fait heureux, d'une suspendra, et qui par suite ne doivent point en
application fort entendue et extrêmement va- atténuer la valeur par leurpropre violence. Or,
riée, si l'on songe que l'on trouve dans cet ou- il y a peut-être, dans certains des modèles de
vrage des modèles de papiers peints, d'étoffes, tentures qui nous sont proposés, une trop
de céramique, de ferronnerie, de bois sculpté, grande puissance de couleur,
de tapisserie, de cuir repoussé, de dentelles, La réduction en noir de trois planches pourra
de vitraux et de sculpture architecturale en déjà permettre d'apprécier tout ce que ce bel et
pierre. utile ouvrage a nécessité de travail et de recher-
M. Grasset a raison de vouloir ramener dans ches.
Gustave Soulier.
NOTRE CONCOURS D'AOUT
UN VITRAIL DAPPARTEMENT
Un art trop peu pratiqué par les modernes moufle, sans aucune adjonction d'émaux,
est celui duVitrail. Nous y reviendrons sou- Pourceconcours,lewo///dedécorseraindiqué
vent dans nos programmes de concours. Rien etconsisteradansremploidu/ic7i'0f,avecou sans
n est plus charmant que les reflets poétiques autres ornements, mais en excluant la figure,
versés par une verrière dans nos appartements. Cette verrière destinée aune fenêtre ordi-
et c'est une fenêtre de ce genre que nous pro- naire de chambre à coucher sera aquarellée à
posons aux concurrents. Les Panneaux de l'échelle du dixième. Il sera en outre donné un
vitraux seront simplement montés à charnières morceau du carton, grandeur d'exécution et
par-dessus les grandes vitres dont on garnit les présentant le motif le plus important de la
châssis, de manière à pouvoir laisser pénétrer composition,
la lumière ordinaire si on le désire. Il sera accordé trois prix : le i^rde 100 fr., le
Ces panneaux seront composés de verres 2'-> de 5o fr.,le 3= de 25 fr. Les projets devront
colorés dans leur épaisseur, réunis par des être envoyés le 3 i août au plus tarda la Librai-
plombs et redessinés en grisaille cuite au rie Centrale des Beaux-Arts, 1 3, rue Lafayette.
Concours pour un Bandeau de Cheminée
Qu'est-ce qu'un bandeau de cheminée?
— C'est une bande d'étoffe de 20 à ?o centi-
mètres de largeur, le plus souvent clouée au
bord d'une planche recouverte elle-même
d'un tissu identique. La planche se pose sur la
tablette de la cheminée et, dépassant celle-ci^
affecte ordinairement des contours plus ou
moins ondulés, que suit naturellement le ban-
deau proprement dit, garni au bas d'une
frange ou, aussi, découpé en lambrequin.
Ilest facile de comprendre que ces bandeaux
n'ont d'autre but que de cacher le marbre de
et la décadence du mobilier n'a pu que s'en
accélérer.
Ces considérations mises à part, il a néan-
moins paru intéressant à la direction de la
revue de donner en programme de concours
un objet qui, bien que peu logique dans son
principe, répond nettement à une fantaisie de
notre temps.
Nous remercions les concurrents du grand
nombre d'intéressants dessins envoyés, et
leur témoignons notre regret de ne pouvoir
en récompenser un plus grand nombre.
Projet de M " Bhtnche
Lausanne (;" prix) (détail).
la clieminée, dont la frise
est souvent très artistement tra
vaillée. On est en droit de se de-
mander d'oij provient cette horreur du marbre
apparent; c'est sans doute de ce goût des fan-
freluches mis à la mode par les tapissiers qui,
s'ils le pouvaient, garniraient d'étoffe jusqu'au
dessous des tables.
Lorsqu'un architecte a étudié un intérieur,
qu'il en a combiné les lignes et les ornements,
il est indubitable qu'on détruit son œuvre par
cette chiffonnade universelle. D'ailleurs, on
prohibe aussi pour la même raison la vue du
bois des meubles, autant que cela peut se faire,
Le jury a cru
devoir distinguer particu-
lièrement le projet de Ai"^ Blanche
Lausanne et lui a attribué le premier prix pour
l'aspect distingué et sobre de sa composition,
tenant surtout au coloris et à une bonne en-
tente des valeurs. On peut critiquer cependant
bon nombre de mouvements inharmonique-
ment désordonnés, tels que celui de la feuille
trop verticale au centre du détail en grand, un
découpage d'un dessin un peu indécis et mou
Concours pour un 'Bandeau de Cliewinéé
191
et la valeur des feuilles trop claire. Le centre peu grands d'échelle et ont pour efi'et de ré-
méme du bandeau devrait avoir un motif mieux duire à rien ces quatre petits bonshommes
étudie". trop semblables eux-mêmes entre eux. Les
Je suis obligé de constater que tous les jurys ornements latéraux sont tracés, malgré bien
Projet de M. Leduc {2' prix).
du monde se laisseront toujours volontiers se- le défaut d'unité de départ de ces rinceaux;
duire par une bonne entente du coloris. De ils ont aussi le tort de ne pas bien se relier au
bons dessins perdent toutes leurs qualités motif central. La couleur en général est bonne,
faute d'être harmonieux et fins de couleur. Du mais celle des flammes forme un hors-d'œuvre
gros coloris dur et brutal, on en trouve tant un peu trop à part du reste de la composition,
qu'on en veut; mais les nuances harmonieuse- qui est très bien exécutée.
Projet de M. Gaston Alibert (3° prix).
ment discrètes sont charmeuses et irrésistibles. Le projet de M. Gaston Alibert qui a obtenu
M. Leduc, auteur du deuxième prix, nous le troisième prix, est d'un très joli arrangement,
donne un bandeau un peu grand pour <• un II eût mérité un rang bien supérieur sans le
Petit Salon » comme le demandait le pro- fâcheux médaillon central formé par un cercle
gramme. Sa cheminée d'un mètre soixante de qui se marque trop durement sur l'ensemble,
largeur diminuerait singulièrement le « Petit Les ornements, sur les côtés, sont très bien
Salon >■. Nous pourrions nous contenter d'un disposés; il suffisait d'en former aussi le motif
mètre vingt en grand maximum et supprimer
ainsi sans grand regret toute sa partie centrale.
Les soleils, sur lesquels les petites ombres
sont assises, sans doute pour se rafraîchir de
l'ardeur du feu rouge et or, me paraissent un
Projet de M. Victor Lliiicr (r mention).
du milieu pour avoir une très bonne compo-
sition, au lieu d'y mettre une figure peu en
harmonie avec le but poursuivi, et d'un des-
sin plutôt inférieur à celui des ornements.
On peut remarquer que, très souvent, d'excel-
■ 92
Art et Décoration
lents dessins sont gâtés par Tintroduction de fi- ne convenait pas bien au sujet, et selon nous,
gures aussi médiocres qu'intempestives. Nous mieux valait, dans un cas de ce genre, le sup-
ne saurions trop engager les concurrents futurs primer; mais M. Emile Boutin est un de
à les laisser de côté le plus possible, à moins ceux qui peuvent nous donner bien mieux.
Projet de M. Linile Uviitin. (Dtt.Til) O" nicntujn).
qu'elles ne constituent le programme du pro-
blème à résoudre.
Autre chose. Est-ce bien de la tapisserie que
ces tons clairs et frais, ces roses, ces violets
pâles, ces bleus faïence et ces blancs? — A
coup sûr, cette harmonie exécutée en laine se-
rait bien fugitive. M. Gaston Alibert est un
dessinateur habile que nous retrouverons cer-
tainement au premier rang.
C'est parce que ce bandeau de cheminée
rappelle plutôt par sa couleur la faïence que
l'étoffe que le projet ae M. Boutin n'obtient
que la i'''- mention.
La composition en est excellente, bien qu'un
peu serrée, et la petite bordure de fleurs de face
lui donne quelque froideur, qu'accentue encore
lecoloris. Sansdouteiiu'cxcciiiL'eL-n appliLation
Le concours de M. Victor Lhuer n'a obtenu
que la 2« mention, parce que le contour géné-
ral du lambrequin a paru à la commission
mou et banal. C'est d'autant plus regrettable,
que la composition est très convenable et habi-
lement exécutée. De plus, la couleur a été en
général réprouvée; ce fond mauve, avec ces
feuillages verts et contours jaune clair, ne pro-
duit pas une heureuse harmonie.
Je le répète encore, la couleur agit sur le
sentiment avec une grande force; la composi-
tion et le dessin charment surtout l'intelligence !
La y mention est obtenue par M. Gabriel
Thibault, pour un dessin qui ne produit que
peu d'effet. Le travail du fond donne de l'unité
à la composition et comble des vides qui, sans
cela, seraient bien pauvres de formes. Les
Projet de M Victor Limer. {2' mention).
de soie et broderie, la composition gagnerait
immensément; mais aussi quel travail ! Toutes
les fleurs seraient fatalement en broderie blan-
che sur soie gris-clair, ce qui entraîne la brode-
rie des bordures. Ici encore le motif de milieu
indications de pierreries, serties dans des bâtes
rectangulaires, n'ont pas rencontré d'approba-
tion, et la couleur est un peu trop sommaire.
Dans son ensemble le concours est très en-
courageant. E. Grasset
Imp. de VaugirarJ, G. Je Malherbe & Cie, i52. rue de Vaupirard, Paris.
EMILE LÉVY, Éditeur-gérant
PAPIER DE GARDE
Projet de M. Joanny Coqiiillat
II" prix)
Art et Décoration
¥^ç
Quelques Mots sur l'Exposition de Céramique
>' éprouve quelque em-
barras à parler encore
de céramique au lende-
main des salons dans
lesquels cet art était très
honorablement repré-
senté. Mais l'intention
qui a guidé ceux qui ont
organisé' cette exposi-
tion est trop louable pour que la manifestation
qu'ils ont provoquée soit passée sous silence.
Frappés sans doute de l'épanouissement de
la céramique moderne, qui, à de nombreux
points de vue est en progrès, frappés surtout
de la supériorité des résultats obtenus, grâce
à de longues et courageuses tentatives, cou-
ronnées d'un succès plus certain que maint
effort tenté de notre temps pour régénérer
d'autres branches de l'art décoratif, ils n'ont
pas craint de provoquer une manifestation
nouvelle tout proche de cette exposition de
1900 pour laquelle on nous promet des mer-
veilles. Cette exposition, un peu improvisée,
ne pouvait être complète; en fair, elle ne l'est
ni au point de vue rétrospectif, ni au point de
vue moderne, le seul dont je veuille dire
quelques mots ici. Mais telle qu'elle est ce-
pendant, elle est fort intéressante, contient
plus d'un enseignement et prête à plus d'une
remarque.
Qu'on ne s'attende point à trouver ici un
compte rendu de cette exposition sur la-
quelle il faudrait écrire de longues pages;
je voudrais seulement signaler quelques
œuvres qui m'ont paru caractéristiques, si-
non de l'exposition même, du moins de
notre époque. J'en omettrai d'importantes,
j'en suis sûr, et j'en demande pardon d'avance
à tous ceux que J'oublierai. Ils peuvent me
pardonner, car aucune de mes omissions
n'est de parti pris. Mais, que voulez-vous?
Je suis bien obligé de parler de ceux qui
font du nouveau, aux dépens de ceux; qui nous
chantent un air déjà trop connu.
Deux établissements avant un caractère offi-
ciel, d'âge et de renommée fort différents, ont
exposé au Champ-de-Mars : Sèvres et Co-
penhague. Les porcelaines dures de Copenha-
gue furent, à l'exposition de 1889, une sorte de
révélation; tout le monde voulut posséder
quelque échantillon de ces charmants bibelots
au décor bleu, gris ou violacé appliqué d'une
façon magistrale sur une admirable matière.
Paysages ou animaux, personnages ou simples
plantes, délicatement tracés sur l'adorable
I'jsl' porcelaine [Copenliat^nc).
M Ml>1^TENSES,
gemme, inscrits au fond de quelque plat ou
d'une assiette, ou épousant la forme harmo-
I
Art et Décoration
nicuse de quoique vase, tout cela, depuis i88().
Vase porcelaine {Copenhague).
M- LlSllERG.
est devenu, en quelque sorte, classique; et la
porcelaine de Copenhague sera une des belles
pages de l'histoire céramique du xix» siècle. On
oublie trop, en face de ces objets d'étagère, les
créations plus pratiques, les services de table
qui, eux aussi, sont tout à fait des œuvres re-
commandablcs. Il est évident que dans cet en-
semble d'une harmonie parfaite, il y a une trou-
vaille, un accord complet que je serais désolé
de voir troubler par de soi-disants perfection-
nements que je prévois, que je vois poindre
déjà à l'horizon. Je sais bien que des esprits
chagrins diront que la manufacture de Copen-
hague joue toujours le même air; qu'elle ne
sort ni du gris, ni du bleu, ni du violet. Tant
mieux, l'air est joli, pourquoi en chercher un
autre qui nous bouleverserait toute cette har-
monie; car, dès lors, la technique, lachimie im-
placable entrerait en scène et nous gâterait
toute cette vision artistique, d'une finesse
extrême, d'une incomparable saveur pour les
délicats, .\cceptons Copenhague comme
d'autres aiment la porcelaine de Saxe
mais, pour Dieu, qu'on ne me change
ni les beaux vases où serpentent de dé-
licats feuillages, ni les petits poissons si
reluisants, qu'on les dirait sortant de
l'eau. « Ne forçons point notre talent... »;
tout l'art réside dans ce vieil axiome.
La courtoisie me forçait à parler de
Copenhague: les artistes français ne trou-
veront point mauvais que je dise mainte-
nant, avant de parler d'eux, quelques mots
de notre Manufacture nationale, à la-
quelle, en somme, — on l'oublie trop sou-
vent— ils doivent beaucoup, au point de
vue technique surtout, .le n'ai point l'in-
tention, d'ailleurs, de m'étendre longue-
ment sur l'Exposition de Sèvres. J'ima-
gine que ses vitrines, en 1900, nous
montreront des efforts bien autrement
significatifs. Comme toute manufacture
nationale, en France, Sèvres se trouve
dans une position difficile; il a un passé
et surtout une réputation écrasante. Mais,
si on remet les choses au point, si on par-
court le Musée de la Manufacture, dans
lequel se trouve un très grand nombre d'é-
chantillons des œuvres produites dans
notre siècle, on peut s'assurer, facilement
combien, au fond, la Manufacture s'est
tenue au courant de la mode de tel ou tel
moment ; ce n'est pas que. par instant, cett
Bol de grand feu sur courerte {Serres), m. laîserub.
■constatation soit, au point de vue artistique, très
Quelques Mots sur l'Exposition Je Céramique
1
consolante; mais cela prouve au moins que la doit être assez content du résultat. Non seu-
Manufacture n'a pas été aussi arriérée qu'on le lement la Manufacture expose des œuvres qui
dit parfois. Pour tout ce qui
est technique, elle a presque
toujours été à la tête du
mouvement céramique, et
ce n'est pas sa faute, si le ni-
veau de l'art industriel a par-
fois baissé de plusieurs de-
grés. II n'en est pas moins
vrai que la Manufacture a
rendu, dans ce siècle, de
signalés services à l'art
céramique, et qu'on doit
beaucoup aux savantes et pa-
tientes, autant qu'obscures
recherches, de ses labora-
toires. On l'oublie trop sou-
vent, même parmi les céra-
mistes de profession, qui
devraient être les derniers
à manifester une pareille
ingratitude.
Cet hommage rendu aux
incontestables services,
je le répète, qu'a rendus
la Manufacture de Sèvres,
Farcclanie (Cnfcnliai^iie).
rentrent dans ses tradi-
tions anciennes, mais encore
de très nombreux essais,
tels que ses pièces de por-
celaine dure, à couverte cal-
caire, à décor au grand feu
de couvertes juxtaposées;
des porcelaines tendres dé-
corées d'émaux cloisonnés
par M. Thesmar, ou d'émaux
cernés d'or par M. Four-
nier; des grès ou des pâtes de
verre. Je ne puis appré-
cier, en ces noies rapides,
ni les formes, ni le décor,
auxquels — la perfection
n'étant point de ce monde, —
on trouverait peut être quel-
ques reproches à faire, no-
tamment pour les pièces à
décor givré, qui peuvent
constituer, au point de vue
chimique, une conquête,
mais qui donnent à une ad-
mirable matière, l'aspect du
je serai plus librepourdiremon avis sur l'expo- zinc verni. Tout ce que je tiens à constater ici
sition actuelle. Elle témoigne de beaucoup c'est qu
d'efforts, c'est incontes-
table, efforts qu'on peut
juger diversement, sui-
vant l'idée qu'on se fait
de ce que doit être la
Manufacture. Si ce doit
être un endroit où l'on ne
créera que des produits
parfaits — eties produits
du xviii" siècle, pour
leur époque , avaient
cette qualité — je ne crois
pas que, présentement,
ce résultat soit atteint;
si, au contraire, on com-
prend la Manufacture
Nationale — et c'est l'o-
pinion qui semble do-
miner aujourd'hui —
comme un laboratoire
où doivent se créer des
Plat porcelaine {Cofeiiluii:;uc). m. saini-lssing
Li Manufacture de Sèvres n est point
stationnaire ; elle bou-
ge, elle marche et j'ima-
gine qu'elle est encore
destinée à rendre de très
grands services à la
céramique. Mesera-t-il
permis de formuler une
très humble requête :
depuis quelque temps
on s'est très heureuse-
ment remis à la fabrica-
tion d'un certain nom-
bre d'adorables biscuits,
dont les modèles, datant
du xviii" siècle, avaient
été trop longtemps
laissés dans l'ombre ;
pourquoi, par la même
occasion, ne repren-
drait-on pas, pour la fa-
brication courante des
procédés de décoration nouveaux, s'essayer des pièces de porcelaine, quelques modèles delà
découvertes récentes, ou être remises en pra- même époque qui remplaceraient, avec avan-
lique, des conquêtes déjà anciennes de la chi- tage, certaines notables horreurs qui datent, des
mie, j'imagine que le juge le plus prévenu règnes de Louis XVIII ou de Louis-Philippe?
An et Décoration
Il n'est pas dcfcndii de l'aire du nouveau, loin
Porcelaine {Copenhairue).
de là; mais il n'est pas défendu
non plus, de refaire quelques
porcelaines qui rappellent le
temps de la Pompadour ou
de M™o Du Barry. C'était le
bon temps, pour la porcelaine
de Sèvres, du moins.
Puisque je dis un mot de la
porcelaine, je ne voudrais pas
la quitter, sans signaler les
travaux de M. Peyrusson, de
Limoges, et ses essais de
décoration de porcelaine dure
au feu de four; les échantil-
lons qu'il expose, faits dans la
fabrique Boisbertrand et
Theillon, à Limoges, ne sont
pas tous très concluants : un
certain nombre de couleurs
obtenues sont très lourdes
assez variée et il y a'ih. une tentative. une']évo-
lution dans la fabrication delà porcelaine, qui
portera, sans doute, un jour, ses fruits, malgré
l'augmentation, légère d'ailleurs, du prix de
revient des produits, ainsi fabriqués, sur les
prix ordinaires.
On retrouve ici beaucoup d'artistes que l'on
a déjà eu l'occasion de nommer au Champ de
Mars : depuis ^L Lerche, qui, décidément,
abuse un peu du serpent dans la décoration et
a transformé la couleuvre de Palissy en un boa,
qu'accompagnent un tas de monstruosités qui
font beaucoup de tort à quelques tonalités heu-
reuses; jusqu'aux émailleurs, en passant par les
verriers et les artistes en grès, et les inévitables
tabricantsde reflets métalliques. A proposdeces
derniers, je me bornerai à faire une remarque
que j'ai déjà faite, je crois, c'est qu'on ne sait
plus du tout ce qu'ils fabriquent, ni au juste
quel effet ils veulent produire : c'est un chaos
de reflets qui s'éclairent mal sur despièces dont
la forme est mal choisie; ou bien, ils appliquent
sur toute la surface de la pièce des teintes mor-
dorées ou violacées, qui enlèvent absolument
au monument, son caractère céramique : imiter
du bronze à la perfection, cela me parait un
résultat qui n'est pas autrement souhaitable.
Comme dans toutes nos expositions, ici
c'est le grès qui, surtout, a attiré les recher-
ches des céramistes ; et je le répète encore,
ces recherches me paraissent avoir été dans
une très large mesure couronnées de succès :
Delaherche , Lachenal , Rigot , Dalpeyrat,
Cachc-fOt porcelaine, décoration en courertes colorées juxtaposées (Sèvres)
PRDJET DE m"" llUtiL'REAU EXF.CITIUN PAR M. JAR[1E1..
de tons; mais, néanmoins, la palette est déjà Muller, Milet, d'autres encore, exposent une
Oifclqucs Mots sur r Exposition Je Ccrainiqiu
S
t'oule de vases, de
mcnts céramiques, d
sculptures ou de revèic-
anslesqucls il va beaucoup
par des lions de grès, me semblent d'un goût
dc-testable et je souhaite vivement qu'ils ne
fassent pas école : parce que le style empire,
d'abdrd, qui n'est que la caricature du style
Louis XVI, constitue un fort mauvais modèle,
un mauvais pastiche de l'antiquité classique, à
laquelle il serait plus simple de recourir direc-
tement; puis, parce que la céramique, malgré
tout son mérite, ne me parait pas destinée, par
nature, à occuper cette place dans le mobilier.
Ici encore nous retrouvons une cheminée en
grès, très simple d'ailleurs, dont les montants et
le linteau sont décorés au moven de deux
tiges végétales; elle a évidemment demandé
moins d'efforts que la cheminée exposée par
M. Bigot, mais elle est cependant plus pra-
tique. Pratique aussi, un modèle déporte-para-
pluie en grès, décoré de feuillages et de baies
de gui. Voilà des œuvres, sans grosses préten-
tions artistiques, à la création desquelles on
ne peut qu'applaudir. Constatons enfin, une
l LTSt' coitlettrs ttc ^ranct feu suf tuttrc'} it
(Sévi'eS) M. LASSKRRE.
à prendre et à apprendre. Bien que la matière
employée soit la même, grâce à cette réunion
nombreuse de spécimens, on perçoit mieux le
style et lestendances de chacun, qu'onnepeutle
faire au Salon. Tel artiste préfère des tons vigou-
reux et profonds, tel autre aimera mieux les
nuances claires et fines, rappelant l'écorce de
certains arbres, les nuances bleutées et comme
givrées. Bref, le stvle de chacun se reconnaît, et
c'est de bon augure. Déplus en plus, du reste, le
grès tient à prendre place dans l'architecture :
chez Bigot, ce ne sont que plaques de revête-
ment ou frises lavées de bleu, de vert ou de
gris, ou bien encore des cheminées décorées de
hauts-reliefs. J'aime moins cette dernière mani-
festation de l'art du grès, que je trouve exa-
gérée, et d'une architecture qui s'accordera
assez mal avec une décoration intérieure rai-
sonnable. Je n'aime point non plus les meu-
bles exposés par M. Muller; cette banquette fois de plus, que l'application du grès à la
ou ce fauteuil de style néo-empire, supportés sculpture, au groupe, à la figure, au buste,
\'asc cnstiil maiD'c. coiii'crtc brune et rose. >i. léveillh.
ô
Art et Décoration
tend à devenir trcsgcncrale : beaucoup de céra-
mistes en exposent. Ne nous en plaignons pas.
car, en dehors de quelques œuvres, par trop
svmbolistcs et franchement médiocres, qu'il
est regrettable de
voir reproduire, le
grès tend à répandre
des œuvres de sculp-
ture très charman-
tes, auxquelles des
tons roussis, bleuâ-
tres ou verdàircs ,
donnent un charme
de plus.
Peu de choses à si-
gnaler dans la faïence
proprement dite, et
n'était que certains
plats ou vases de
grès exposés par
Dam mousse rappel-
lent par leurs bran-
chages, leurs tiges de
fleurs éclatantes, les
gaietés qu'on aime-
rait à voir traduites
en faïence, on pour-
rait croire que le cé-
ramiste moderne a
oublié complète-
ment un genre de
décoration dont il
tira, autrefois, de
beaux effets, et qui
lui permettra de
créer des merveilles,
le jour où il voudra
le remettre en hon-
neur. Je sais bien
qu'à l'Exposition fi-
gurent un certain
nombre d'ccuvres en
faïence : mais pour
Coruct couleurs de
(Sèvres).
Galle, Reyen lui ont fait faire des progrès
énormes ; et je ne doute point que ces (ouvres ne
soient, au siècle prochain, estimées au même
degré que les œuvres d'un passé, déjà bien
lointain. Ce sont de
véritables merveilles
qu'ils nous mon-
trent, et leurs cris-
taux à plusieurs cou-
ches, ou simplement
teintés dans la masse,
sont des morceaux
tout à fait délicats,
quilaissent, loinder-
rière eux, les misères
de la verrerie véni-
tienne du xvie et du
xvn'' siècle, ou les
pauvretés décorati-
ves, créées en Bohê-
me, .le ne vois guère
que les gemmes et
les verreries anti-
ques, puis les somp-
i u o s i t é s de l'art
arabe et de l'art vé-
nitien de la prime
Renaissance, qui
puissent être compa-
rées aux produits de
la verrerie moderne.
Rien n'y manque, ni
les difficultés sans
nombre vaincues, ni
le goût dans le décor
de cette belle ma-
tière. A force d'avoir
vu, depuis quelques
années, ces produits
parfaits, on les ou-
blie trop, on les passe
volontiers sous si-
lence, comme s'ils
i-iiiui fcti sur couverte
M. GEBLEUX.
parfaites que soient quelques-unes d'entre
elles, il n'y a rien là, qui ne soit connu depuis
longtemps : et la faïence, traitée d'une façon
absolument nouvelle et moderne, est encore à
naître chez nous.
Si la céramique est l'un des arts qui mon-
trent un progrès incontestable, sur ce qu'on
faisait chez nous, il y a quelque vingt-cinq
ans, la verrerie a subi, également, des trans-
formations, qu'à une époque, relativement
récente, on n'aurait pas soupçonnées. Leveillé,
n'étaient pas, en réalité, un des plus beaux
fleurons des arts appliqués de cette fin du
xix° siècle. Il y a là une grande injustice, car,
pour obtenir les beaux résultats qu'il nous est
donné aujourd'hui de contempler, l'eflbrt a été
considérable; et c'est vraiment mal, de ne point
adresser d'éloges à toute une branche si intéres-
sante de l'art, sous le prétexte qu'elle va bien.
Cela me fait toujours penser à ces charités
dévoyées qui, de notre temps, s'appliquent
plutôt au soulagement momentané de monstres
Quc'hjiics Mots sur l'Exposition Je (\'rannqm
/
nés non viables, qu'au relèvement d'êtres sains
qui pourraient rendre, à la société, de véritables
Porte-parapluies en grès.
EMILE MVLLER.
services. Sans doute, les branches de l'indus-
trie artistique qui ne sont pas encore au
point, méritent toute notre
sollicitude, mais ce n'est pas
une raison, pour marchander
les encouraj^ements à celles
qui, après maints efforts, ont
atteint le but, le relèvement
de la fabrication et son entrée
dans une voie tout à fait nou-
velle, propre à faire honneur
à notre époque. C'est, pour
ma part, avec un grand inté-
rêt que je me suis arrêté de-
vant les vitrines de Leveillé
où scintillent les vases de
cristal, gravés à plusieurs
couches, les cristaux fumés
ou gravés, ou ces vases, ou
les paillettes d'or, noyées dans
la masse, se marient à des
tons roses, qui font penser
aux nuages teintés par une fraîche aurore ou
un beau coucher du soleil. Les formes, pour
être simples, sont généralement bonnes. Et
ces mêmes éloges, je les adresserai à Reyen,
dans la vitrine duquel nous trouvons des vases
et des coupes, où des plantes s'enlèvent en
teintes foncées, sur des fonds teintés de bleu et
de brun, d'une exquise harmonie. Dans cette
vitrine, on voit des pièces montées en bronze,
.le regrette de n'en pas voir davantage; il est
évident que ces morceaux précieux appellent
l'art de l'orfèvre, et les traditions de l'art fran-
çais sont loin de répugner à ce mariage, pro-
fitable aux uns et aux autres. Qu'on se rap-
pelle ce que les artistes du xvnr siècle, par le
même procédé, ont su faire de ces vases de
porcelaine de Chine, bien souvent d'une fai-
blesse notoire au point de vue décoratif. Notre
époque peut produire, dans un autre style,
bien entendu, des merveilles tout à fait compa-
rables aux céladons, montés par un Caffiéri
ou un Gouthière.
J'ai eu l'occasion de dire, ailleurs, tout le bien
que je pense des émailleurs modernes, qui,
selon moi, n'ont rien à envier aux émailleurs
anciens, qui sont l'une des gloires de l'art
français. Des mêmes procédés, de la même
technique, ils ont tiré des effets différents;
tant mieux, car cela prouve que cet art, ané-
mique chez nous, dès le commencement du
wiiiî siècle, était susceptible d'une évolution
complète et de recommencer une seconde vie,
non moins brillante que la première. Nous
n'en avons, à l'Exposition de céramique, qu'un
Clieminée en ^rès.
EMILE MVLLER.
nombre d'échantillons fort restreint, ce qui
est regrettable, puisque l'Exposition, de par
son titre, comprenait tous les arts du feu. Mais
8
Art et Décoration
des échantillons, tels que ceux 411'exposcni
Grandhomme avec sa Merife an coussin
vert, d'après Solari, montrent à quel point
nos émaillcurs mo-
dernes sont maîtres de
la technique; Georges-
.iean, avec son Saint
Georges, d'après Vit-
tore Carpaccio, ses
vases à fond sombre
ou à fond blanc, sur
lequel s'enlèvent des
feuillages ou des
fleurs, aux couleurs
vives , cernés d'un
trait d'or imitant
le travail du cloison-
nage, montre encore
une grande maîtrise,
un sens très vif de la
décoration émaillée,
l'alliance des tons
chauds du métal et
des émaux aux teintes
chatoyantes . Quand
un art compte de tels
artistes, pour ne nom-
mer que ceux-là, puis-
que ceux-là, seuls, ont
exposé, on ne peut
vraiment dire qu'il est
bien malade.
Thesmar n'a point
exposé, et [ele regrette,
parce qu'il représente
à un degré tout à fait
Wisc ciiuiux cloisonnes sur paie tendre, m. Lt koseï.
éminent, non seulement l'art de l'émaillerie du
xix» siècle, mais aussi l'alliance de l'émail avec
la céramique. Ses applications d'émaux cloi-
sonnés, sur la porcelaine tendre, n'ont pas dit
encore leur dernier mot ; et de la pièce, sortie
de ses mains, qui figure dans l'Exposition offi-
cielle de la Manufacture de Sevrés, il faut rap-
procher les objets exposés par M. Le Roscy.
où, à coté de verres à deux couches, gravés, de
la plus exquise technique, se trouvent aussi
LUI certain nombre de
porcelaines tendres ,
rehaussées de cloisons
d'or, sertissant des
images ou des plantes,
aux tons brillants et
délicats à la fois.
Le même artiste nous
montre d'autres pièces
de porcelaine, de style
Louis XVI, d'un goût
parfait, que quelques-
uns' blâmeront, sans
doute, parce qu'elles
évoquent le souvenir
d'un passé artistique
écrasant, mais que je
saluerai pourtant au
passage, comme un
point de comparaison
entre une époque
où l'art français sut
acquérir une gloire
incomparable et un
avenir, qui n'est peut-
être pas aussi noir
qu'on le croit généra-
lement, si du moins
l'artiste français veut
se borner à faire de
l'art, et non pas de l'in-
dustrie. Dans l'art, s'il
s'en veut donner la
peine, il ne trouvera point, pour l'instant, tout
au moins, de rivaux; dans l'industrie, pour
des causes que tout le inonde devine et qu'il
serait trop long d'exposer ici, il est écrasé
d'avance. C'est un sort auquel il faut, des
maintenant, se résigner.
EmH.E MoLINIIiU.
Stiiiris porcelaine {Serres).
M C.ARllEl.
Dans une vaste plaine, mollement ondulée,
où quelques bouquets de bois survivent seuls
de l'immense forêt qui, du temps des Romains,
couvrait, de ses ombrages sacrés, le sol de la
Hollande, se groupent, des deux côtés d'une
modeste rivière, les coquettes maisons du petit
village d'Hilversum.
Il y a vingt ans à peine, ce village n'était
qu'une retraite ignorée, perdue dans la lande
du <( Gooi ». Entièrement séparé du monde
civilisé, il restait inconnu aux gens des grandes
villes. Mais, depuis la construction du chemin
de fer de l'Est, qui va d'Amsterdam à Utrecht,
et l'établissement du canal jGooische Voort ,
qui mène directement d'Amsterdam à Hilver-
sum, la localité a changé d'aspect. Une fois
retirés des affaires, les boutiquiers d'Amster-
dam y sont venus installer confortablement
leurs pénates. Autour du novau désolé de
l'ancienne bourgade, où une vieille église dresse
sa façade insignifiante sur le « Brink », des
quartiers nouveaux se sont formés, coupés de
vastes avenues qui toutes rayonnent du centre,
et que bordent de luxueuses villas, construites
dans tous les styles.
Entourées de jardins, de petits parcs, dont les
tutaies, fort heureusement pour les yeux, en-
sevelissent, sous le manteau éternellement frais
de leur feuillée, les arrangements prétentieux
autant qu'artificiels des bourgeois, ces villas,
groupées en désordre, donnent, au village, un
aspect délicieusement propret. Le calme absolu
qui y règne en fait un lieu de repos vraiment
unique, que les marchands de salaisons n'ap-
précient pas seuls, et qui plait aux artistes
comme aux poètes.
Dans le voisinage, les beaux sites abondent
et des routes admirablement entretenues, bor-
dées de quatre rangs d'arbres, y conduisent.
Ex-lihris.
Les bicyclistes n'v foisonnent pas comme dans
la banlieue de Paris et le paysage garde, encore
intactes, sa noblesse et sa majesté.
Un des plus jolis coins d'alentour est celui
lO
Art et Décoration
N
de la t'orct de Spaandcrswond. On y va par
la route haute de Narden, bordée, elle aussi,
de villas que protègent, non des murailles,
mais des grilles, et parmi lesquelles une,
surtout, se distingue par la vue absolument
unique dont
elle jouit sur
la vallée du
chemin de
fer, et sur la
landedeLaar-
den.
« Iris -Vil -
la » , d " a i 1 -
leurs, n'est
pas une habi-
tation comme
les autres.
Nulle part
vous n'avez
vu jardin ni
basse-cour
entretenu s
avec un soin
plus parfaite!
remplis d'es-
pèces plus ra-
res . Basse -
cour et jar-
din, en effet,
constituent,
pour le pein-
tre Van Hoy-
tema, qui ha-
bite, avec sa
charmante
femme, la vil-
la,comme un
musée \ \ ■
vant dans le-
quel il recrute
chaque jour,
des modèles,
cmplumcsou
lleuris, pour
les belles pages décoratives qu'il compose.
Devant la maison, le jardin est rempli d'ar-
bustes de toutes sortes, de plantes grimpantes
dont les enroulements délicats, les tiges robus-
tes ou grêles, aux lignes sinueuses, dessinent
des arabesques fantaisistes oii l'artiste, le plus
souvent, prend l'idée, soit d'un cncadremeni,
soit d'un motif de détail.
Derrière la maison, dans de grandes cages.
D
NIA
ET
:WERI
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[0)'ALPHONS,©iEPENBROCI<L.°»
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EN POSTKANTOREN •
OITCiAVE VAN :
CyA-VAN Go^G^H •
EEN ALCE/AEENWEEK6LAD
Couvcrtuic foiiy L\ ro'uc Iicl\iunijjjnc iic ■' Je Kiunick
d'une propreté méticuleuse, dans de petits
parcs entourés de treillages, dans des volières
spacieuses, ou même en liberté, gazouille, ca-
queté et s'agite, tout un monde de volatiles et
d'oiseaux, qui vivent dans les meilleurs termes
entre eux et
avec la mai-
ircssede mai-
son, chargée
de leur en-
tretien. Les
poules, les
oies, les ca-
nardssont les
commensaux
habituels de
l'artiste. La
pie, la cor-
neille, les fai-
s a n s sont
plus indépen-
dants, mais
non moins
lamiliers. Un
petit coq fa-
rouche, aux
allures de
pionrevèche,
régente, avec
humeurtoute
la bande. Une
voit son auto-
rité contestée
que par un
\' ieux caca-
toès vêtu de
blanc, et par
deux petits
perroquets,
au plumage
ébourifféd'un
beau vert.
Danslecoin
le plus om-
bragé, le plus
sombre, deux hiboux, perchés côte à côte, sur
une branche, assistent pensifs aux ébats de ces
bruvants et sonores personnages. Comme des
moines retirés du monde, ils s'engouffrent mé-
lancoliques, silencieux, dans leur froc brun
foncé, tacheté de noir et leur paupière s'abaisse,
ennuyée, sur leur gros œil rond et vitreux.
Tels sont lesmodèles du peintre. Quand ils
iTC lui suffisent pas, il s'en va au jardin zoolo-
Théo Van 'Hoytcma
1 1
gique de la ville étudier les espèces qui lui vation minutieuse, Van Hoytema se soit tait,
manquent. Il v croque vivement le profil des dans l'illustration du livre, et dans lacomposi-
t;raves marabouts, il v enlève, d'un trait ner- tion décorative, une grande place, parmi les
veux, la silhouette des formidables rapaces, artistes hollandais de ce temps-ci.
aux ailes démesurées, au bec crochu et tran- C'est par le livre qu'il a commencé. Apres
chant, aux serres accérées. s'être inspiré d'abord des Anglais, de Waltcr
D'autre fois, c'est en pleins champs qu'il Crâne, entre autres, et de Randolphe Calde-
:•.
p.
^s!
FiRMA FPxANS BUFFA ^ ZONEN^
KALVEKSTRAAT A/^STEKDAA\
ITENTOOfMSTELLING
VAMTEE[<vENiNGCN
DOOPs Th.VANHOVTtMA- 17 N0V=-I7DEC 1896
1
Afjichc fouy une cxpasitinii de dessins
opère, observant, dans leur vol, le hanneton, la
libellule légère, la sauterelle, épiant, dans leurs
corps à corps furieux, les insectes, à moins
qu'il ne se blottisse, en forêt, dans quelque
coin paisible et retiré d'oi^i, retenant son
souffle, il assiste aux gambades des lièvres,
aux conciliabules tumultueux des lapins.
Dans la lande, ce sont d'autres amis qu'il va
voir, tiges frêles et volumineux champignons,
alouettes jascuses, merles gais, les fleurs, les
mousses, les gazons. Tout ce qui respire, tout
ce qui vit est, pour lui, matière à étude.
On ne s'étonnera pas, qu'avec cette ardeur,
au travail, cette conscience, ce goût d'obser-
cott, après avoir demandé aux Japonais le
secret de leur art si original et si libre, il s'est
fait, de bonne heure, en modifiant, suivant son
sentiment personnel, les éléments empruntés à
droite et à gauche, une manière profondément
personnelle, et dont la nature seule, interpré-
tée avec une indépendance absolue, traduite
avec un humour tout spécial, fait les frais.
Il obtint ses premiers succès en illustrant
des légendes enfantines, parmi lesquelles le
Vilain petit Canard d'Andersen. Il y avait mis
des qualités de dessin et de sentiment si
curieuses et si raffinées, qu'on en rafl"ola du
coup. On ne raffola pas moins du Bonheur
Ji<i>iiicm' Je Ifibiinx
TA MIT
Bonheur de hiboux "
LE JOUR
14
Art et Décoration
de Hiboux, Cl Comment les oiseaux eurent Ruffa, un des critiques néerlandais les plus
un roihn valut, dans le public, comme dans le spirituels:
monde artistique, des sympathies précieuses, « M. Van" Hoytema me fait penser parfois à
dont l'élan ne s'est jamais, depuis, ralenti. un gnome, parfois à une vieille demoiselle.
C'est qu'il n'a pas cessé, depuis, de produire. Les fleurs et les oiseaux, les rameaux 'et les
et dans une note toujours aussi fantaisiste, feuilles, les papillons et les scarabées, il les
mais non dépourvue de stvle. Il s'est essayé, voit, comme les veux étranges des nains |_doi-
A/ASXEf^DA/A.
Cviircituic de Cat.TloL'IlC.
d'ailleurs, dans tous les genres, et. dans tous
les genres, il s'est montré supérieur : ses litho-
graphies, ses eaux-fortes, ses pastels, ses aqua-
relles et ses peintures à l'd'uf jouissent d'une
réputation méritée ; une faveur croissante les
accueille, quand il les expose, chaque année,
dans les petit s salons qui se sont ouverts sur tous
les points de la Hollande. Voici comment le
caractérisait, l'an dernier, à l'époque où une
exposition d'ensemble de ses œuvres venait de
s'organiser à Amsterdam, dans la galerie
vent les voir, dans le détail le plus compliqué
de leur structure, il perçoit jusqu'aux modu-
lations, les plus insensibles, des couleurs dont
lésa revêtus, avec profusion, la nature.
" Au pied des arbres géants, leschampignons
lui paraissent des coussins d'un rouge vif, d'un
blanc éclatant, d'un vert sombre, et les pla-
ques impercti'ptibles de mousse qui piquent de
leur velours les écorces, lui font l'effet de fo-
rêts vierges où des multitudes d'insectes s'agi-
ten't et dorment, vivent et meurent, aussi nom-
i6
Art et Dccoraîion
brcux, aussi pressés que les hommes dans ces
rourmilièrcs qui s'appellent les grandes villes.
.< Je m'imai^ine. parfois aussi, voir en lui
une vieille lille, au cieur ingénu, au cœur d'or,
dont la vie s'est écoulée solitaire, loin du
monde, et qui se console de n'avoir pu créer
une famille, en aimant les enfants des autres.
Elle improvise pour eux
des histoires féeriques,
des contes merveilleux.
L'afl'ection qu'elle leur
prodigue est si grande,
qu'elle déborde sur les
animaux. Ses poules,
en caquetant, viennent
picorer dans sa main.
Quand elle sort, les ca-
nards la suivent, car ils
savent qu'elle a des miet-
tes de pain prêtes pour
eux. Les hiboux qui ne
peuvent supporter les
clartés du jour lui font
peine, et sa pitié s'étend
même sur eux. Elle ad-
mire le plumage des
paons, elle retient son
souffle, en passant, pour
ne pas faire peur au
lézard qui se chauffe
sur un mur, au soleil,
— et tous ces êtres
qu'elleaime,ellea tenté,
pour mieux les com-
prendre, de les dessiner
d'après nature, un à un.
Rentrée chez elle, elle
les dessine encore de mé-
moire et,cettefois,enles
reproduisant, elletranspose. A l'imitation litté- de deux cacatoès, et, pour unir entre eux ces
raie, elle ajoute un je ne sais quoi, fait de son deux pôles dans le cadre rectangulaire du bris-
cœur et de son imagination tout ensemble, etle toi, c'est un semis de chrysanthèmes dont les
résultat de ce travail instinctif est un charme.» longs pétales tubulaires font assaut de courbes
On ne peut mieux définir, il me semble, tout savantes, avec latourtedeplumescitronarborée,
ce qui fait à Van Hoytema une personnalité si en guise de cimier, par les oiseaux des Iles. Ail-
Ex-Ubris.
C'est une spécialité moins bruyante, moins
distinguée en apparence que bien d'autres,
mais elle se relève, chez Van Hoytema, d'un
art si exquis et si fin, qu'elle vaut amplement
toutes ces autres, et le révc, qu'elle réalise,
est unique.
Un simple coup d'œil sur les pages que nous
reproduisons, vous per-
mettra aisément d'en
juger.
Voyez les deux hors-
texte que nous repro-
duisons d'après son
Bonheur de Hiboux ;
la composition n'en est-
elle pas délicieuse, et ne
trouvez-vous pas une
intense poésie dans ce
paysage lugubre, si bien
fait pour s'accommoder
avec le caractère misan-
thropique du hibou,
comme dans ce paysage
matinal, radieux et clair,
en harmonie parfaite
avec l'éclatante parure
qu'un paon à plumes
blanches déploie, et qui
fait fuir, effaré, l'oiseau
de nuit? Et quel joli
sens décoratif dans tout
cela! Quelle richesse,
aussi, de couleur! Avec
quelle habileté l'artiste a
ménagé les oppositions
du blanc et du noir!
Ailleurs, dans une
carte d'invitation, c'est
le vis-à-vis somptueux
sympathique et si fiera. C'est à force d'aimer
la Nature qu'il l'a vue, d'une façon, à la fois, si
poétique et si vraie, si minutieusement étudiée
et si large. Il observe, il écoute, et la Nature,
émue de ce respect, lui raconte, comme dans
un murmure, une multitude de légendes qu'il
transcrit, pour la plus grande joie de ces petits
enfants que sont les hommes.
leurs encore, un faisan et un paon, affrontés,
se toisent du regard avant d'en venir aux coups
de bec. Dans tout cela, aucune préoccupa-
tion de symétrie, d'équilibre des masses ; c'est
le domaine de la fantaisie, mais d'une fantaisie
toujours artistique, toujours spirituelle, jamais
échevelée.
BULLIÎIÎ.
UN MAITRE AFFICHISTE
STEINLEN
lNs un livre extrêmement
curieux, où se trouvent
dcH nies, avec une parfaite
justesse, les lois psycho-
logiques du symbolisme,
philosophe italien
Guillaume F e r r e r o ,
élève de Lombroso, a
le bien singulière décou-
en ce qui concerne la ré-
clame illustrée. Puisque aucun
art n'est plus réellement vi-
vant et plus moderne que
celui de l'affiche, je ne veux
point, en vous présentant
un des maîtres du genre,
laisser passer l'occasion de
répandre cette théorie origi-
nale, assurément peu connue
en France.
A l'époque où la race
humaine parlait un langage
universel, la piclographic
— ou représentation des
idées par l'image — était la
seule écriture connue. (Jn
eut ensuite l'idéogramme
(une pictographie perfec-
tionnée), puis l'écriture
alphabétique. Mais celle-ci
ne réussissant qu'à bien
évoquer des idées abstraites,
la pictographie ne devait
point disparaître de nos ci-
vilisations. Depuis quelques
années même, elle remporte
ses plus éclatants succès,
car la réclame, « ce mer
veilleux levier des foules »
que notre siècle créa pour
ainsi dire de toutes pièces,
a réveillé, dans le peuple, le
goût de l'image. Les jour-
naux, revues, livres et ma-
gazines illustrés, qui, de nos
jours, envahissent les maisons par millions,
nous révèlent avec évidence cette résurrection
de l'écriture pictographique. C'est que l'illus-
tration/ii/f vo/V les choses, montre des figures
nettes, très vives, sans que le cerveau soit
contraint à un travail pénible, car il suffit de
regarder, de diriger l'œil, pour recevoir immé-
diatement la sensation. L'écriture de nos pères
préhistoriques, la pictographie transformée en
» publicité par l'image », est donc restée pour
la foule, le plus accessible des symboles intel-
lectuels!
J'avoue qu'avant de lire l'ouvrage de M. Fer-
rero, je ne me doutais guère, qu'entre un
Afjiclic foiiy le luit stérilisé.
idéogramme égyptien et un placard illustré, il
n'y avait aucune différence essentielle. La
philosophie complique bien les choses. Assu-
3
iB
Art et Décoration
rémeni, la pensée n'a point de ces détours, en tites « botti<.eIlicnnes » de Grasset, les scènes
contemplant les ailichcs collées à tous les populaires de Steinlen, les Sarah b\-zaniines
coins de Paris; mais notre plaisir artistique et ou tlorentines de Mucha, les portraits ironi-
méme notre prolit matériel ne sont pas moins quement expressifs de Toulouse-Lautrec, les
appréciables pour cela. Devant les hautes pa- satires sociales d'Ibels, nous levons les yeux,
lissades qui s'élèvent au milieu de Paris pour amusés par ces reflets fidèles et vivants de
nous cacher quelque mvstéricux travail de l'existence moderne, et ravis par la chatovante
'-%)■
.} • --^r
>\^,
.*
35eêmt
Coiivci turc d'un album Je chansom:.
démolition ou de reconstruction, nous ne
songeons plus, par exemple, à nous plaindre,
ni de l'encombrement inaccoutumé des fiacres,
ni même de la lenteur des travaux... L'inau-
guration du nouvel Opéra-Comique peut bien
être retardée encore de quelques années; per-
sonne n'en prendra souci. La place Boïeldieu
est convertie en une exposition permanente,
où l'on ne se lasse pas d'admirer les composi-
tions de nos maîtres affichistes. De la cimaise
aux frises de ce salon en plein vent, s'étalent
des œuvres charmantes, dans lesquelles
semblent se réfugier toute l'originalité de l'art
contemporain. Et ainsi, dans cent endroits
de Paris, partout où nous rencontrons les
fringan'.es Montmartroises de Chéret, les pe-
symphonic de couleurs qui éclaire la grisaille
monotone de nos murs.
Non seulement le placard illustré fournira
plus tard des documents précieux pour l'his-
toire des mceurs et des indus'ries parisiennes,
mais il plaidera mieux en faveur de nos goûts
esthétiques que toute la peinture de notre
temps. L'affiche française, en particulier, est
incontestablement une des créations les plus
gracieuses de l'art xix" siècle; ellesupporte vic-
torieusement toutes les comparaisous que l'on
voudrait établir avec les lithographies de ce
genre publiées à l'étranger. Un artiste fran-
çais eut même le mérite de donner,le premier,
à l'estampe murale un caractère artistique; et
l'on sait combien de talents originaux se sont
Un Maître Affichiste
19
révélés depuis Chéret, dans cette branche si à nous renseigner sur la psychologie de ses
vivace de l'art détoratif. Entre tous les aftî- personnages. Ainsi faisait Jean Steen, ce Mo-
chistes qui jouissent de la vogue du public, Hère de la peinture ; ainsi fit Daumier, ce mer-
Steinlen se dis-
lement par la
vigueur et la jus-
tesse de son des-
sin, la sobriété
puissante de son
coloris, l'allure
largement orne-
mentale de ses
compositions
— toutes quali-
tés qui ne révè-
lent en somme
qu'une très
grande habileté
technique, —
mais encore par
la beauté socio-
logique de son
art. Il n'est pas
uniquement le
peintre d'une so-
ciété détermi-
picbeiO)
LAME
Afjiclie colossale " La Kue '
née; dans les tvpes populaires qu'il a choisis,
il a découvert ces traits généraux, ces nuances
psvchiques qui identifient entre eux tous les
hommes. Il a noté les causes et les effets de la
passion, qui sont identiques dans toutes les
classes sociales. Comédiste sincère et ingé-
nieux, il n'a pas seulement rassemblé en
veilleux notateur des ridicules modernes. Issu
d'une telle lignée, M. Steinlen mérite donc
une place spéciale parmi les créateurs d'au-
jourd'hui; c'est pourquoi nous avons tenu à
le présenter aux lecteurs de cette revue, avant
d'autres lithographes plus célèbres peut-être,
mais dont le talent n'a point à nos yeux une
signification à la fois aussi pré-
cise et aussi générale.
M. Steinlen est né à Lausanne
en novembre iSSq. « Enfant,
j'adorais les bêtes, a-t-il raconté
naguère. Je gaspillais d'entières
matinées à écouter les ramiers
qui font glou-glou dans les fu-
taies. Je rapportais au logis des
lézards, des couleuvres, des
chouettes, et ma préoccupation
favorite fut l'élevage en grand
des chenilles. Entre temps, j'en-
combrais de caricatures toutes les
groupes pittoresques ses modèles de prédilec- marges de mes livres. Durant trois ans, je pre-
tion; il leur a distribué à chacun un rôle dans parai mon baccalauréat; mais en 1879, je rom-
les petits drames de sa façon. Et par la vérité pis avec les saines traditions et m'en fus à
expressive des phvsionomies, il a même réussi Mulhouse, chez un oncle calé. J'y restai près
Etude de chat.
20
Art et 'Décoration
de deux ans. à dessinailler, et c'est vers la fin tout de suite un grand succès. Puis vinrent d'a-
de i88i que j'arrivai à Paris avec 24 francs musantes fantaisies, rEnfant et la Tartine, le
dans ma poche I... » Petit clmtetlebout de cigare J'Horrible fin d'un
Ceux qui prétendent que l'iiomme, dès saten- ;Lio/woH)-oz/i,'t', d'une jolie notecaricaturale, mais
dre enfance, possède le germe de ses qualités et qui ne révélaient encore rien d'essentiel sur le
de ses défauts futurs, trouveraient dans cette dé- talent du jeune dessinateur. Enfin M. Steinlen
claration très naïve de M. Steinlen une preuve fit la connaissance du chansonnier Bruant,
frappante à l'appui de leur théorie. Deux traits Grâce à cette rencontre, l'artiste allait conqué-
morauxcarac-
térisent,en ef
fet , l'indivi -
dualité de
l'artiste: un
amour illimi-
té d'indépen-
dance et une
tendresse ins-
tinctive pour
les bêtes, une
decestendres-
ses maladives
comme le
grand Scho-
penhauer en
éprouvait, et
qui semble dé-
cidément une
des marques
disti ncti ves
desgrands ob-
servateurs .
Or, voyez la
résultante lo-
gique de ce
double ins-
tinct : M .
Steinlen est
tout d'abord
un animalier
remarquable;
secondement,
son désir ef-
Affiche pour le "Coupable" de François Coppàe.
rir définitive-
ment son ori-
ginalité. C'est
au Chat noir
égalementque
M. Steinlenfit
la connaissan-
ce de Bruant.
La collabora-
tion du poète
populaire et
du jeune des-
sinateur allait
être féconde.
Tous deux, au
cours de leurs
i n s t r u c i i ves
prome nades
dans les coins
les plus popu-
leux de Paris,
recueilli ren t
une foule de
d o c u m e n t s
inédits, d'un
pittoresque
achevé. Les il-
lustrations du
Mirliton , le
journal de
Bruant, nous
fournissent en
effet les pre-
mières indica-
fréné de liberté le mène tout droit, en arrivant à
Paris, dans les milieux d'artistes originaux, voire
même un peu bohèmes. A Montmartre, immé-
diatement il entre en contact avec les popula-
tions excentriques, et voilà que lentement,
lions sérieuses sur la personnalité de M. Stein-
len. Dès ce moment, l'ancien dessinateur du
C/;a/»o/r devient le portraitiste fidèle et attentif
des humbles artisans et des déclassés; il ne
transcrit pas seulement des scènes épisodiques.
presque fatalement, il devient le peintre du bas il construit de véritables romans, fait vivre au-
pavé parisien, comme Bruant en est le poète. tour de ses personnages typiques la foule
Présenté parWillette, M Steinlen débuta au innombrable des malheureux et des « hors la
Chat noir en i883, la même année que Caran loi », enfin trouve pour sa galerie naturaliste,
d'Ache, Henri Pille et Henri Rivière. Ses cro- le décor exact, intimement approprié aux êtres
quisd'animaux:chiens, rats, pies, coqsetchats, mis en scène. Le talent que M. Antoine dé-
publiés par le journal de R. Salis, obtinrent ployait au Théâtre-Libre, M. Steinlen le rêvé-
Un Maître Affichiste
21
lait à son tour dans l'ordonnance de ses
compositions, et. à partir de cette époque,
que ce soit dans les illustrations du G:l Blas
oudanscelles du Chamiard,\c XùXciuAu. dessi-
nateur, dirigé enfin dans sa voie naturelle, se
développe avec une entière liberté.
Ce n'est point sans intention que j'ai rappelé
le nom de M. Antoine. L'œuvre de M. Stein-
len compte parmi les manifestations les plus
caractéristiques
de la récente
^1 poussée » na-
turaliste. Sans
les Soirées de
Médan, nous
n'aurions eu ni
.\I. Jules Jouy,
ni Bruant, ni
Steinlen, ni
Ibels, ni Tou-
louse - Lautrec,
ni M. Ancey.
Une correspon-
dance très
étroite, et assez
facile à discer-
ner, existe entre
ces artistes, ces
chansonniers et
ces auteurs dra-
matiques, éga-
lement sollicités
parla transcrip-
tion directe et
brutale de la
vie. Mais ce qui
place Steinlen
au-dessus de la
plupart de ses
émules, c'est
que, tout en restant fidèle au principe inspira-
teur de l'art réaliste, il a, si je puis dire, éclairé
ses modèles à l'intérieur ; il leur a prêté une
àme, les a idéalisés à sa manière ; et c'est pour-
quoi ils s'animent de la superbe et durable vie
de l'art.
Totalement dépourvu d'éducation clas-
sique, mais guidé par un instinct puissant et
conservant avec une sûreté infaillible la vision
de ses modèles, Steinlen trouva tout de suite
\a forme qui convenait à sa création. Ses ani-
maux d'abord, puis ses rôdeurs, ses camelots,
ses escarpes, ses ivrognes, ses habitués famé-
liques du banc gratuit, ses « gigolettes », ses
Etude de Coqs (lithographie).
trottin's, ses marmots barbouillés et crasseux,
toute cette « figuration » bizarre et interlope
des boulevards extérieurs, est présentée par
lui, avec une vivacité et une justesse de traits
extraordinaires. Dans ses illustrations du Gil
Blas, il ne se sert que de deux teintes: le noir
et le rouge, ce qui ne l'empêche pas d'obtenir
des effets très \ariés, particulièrement dans
ses pavsages. Qu'il montre les routes silen-
cieuses de la
banlieue, les
« fortifs » s'éloi-
gnant en zigzag
jusqu'aux hori-
zons brumeux,
les talus jaunis-
sants des fau-
bourgs où se
dispersent les
chétifs arbustes,
les murailles
noirâtres des
quartiers indus-
triels, toujours
il trouve dans
son interpréta-
tion, sinon la
note exacte, du
moins des
nuances sugges-
tives qui évo-
quent la réalité
entière. Souvent
le soleil cou-
chant illumine
de sa pourpre
opulente ces dé-
cors de misère
et de rude la-
beur. C'est alors
un éclaboussement joyeux de lumière rouge ;
les toits rutilent, les cheminées se tondent
dans le ciel cuivré, toute la tristesse du site
soutTreteux s'évanouit dans la splendeur glo-
rieuse de l'astre au déclin...
Néanmoins, les illustrations du Gil Blas qui
nous informent si amplement [sur la portée
sociologique de l'œuvre de Steinlen, ne don-
nent qu'une idée incomplète de la puissante
exécution de l'artiste. Le dessinateur et le
peintre se révèle tout entier dans les affiches
et les placards décoratifs, en même temps du
restequele psychologue, le dramatiste et« l'ami
des bêtes », dont nous parlions plus haut. Il
Art et Décoration
suffirait, au besoin, pour connaître Steinlen à
fond, de n'étudier que l'œuvre de l'affichiste.
Est-il bien nécessaire de vous détailler encore
ces compositions si connues et admirées de-
puis longtemps, le Lait pur stérilisé où l'on
voit un bébé rouge, resplendissant de santé, vider
goulûment un bol de lait, tandis que trois chats,
frémissants de gourmandise, suivent avec une
attention extraor
dinaire le moin-
dre de ses mouve
ments ; Mot lui et
Doria, scène réa-
liste à deux per-
sonnages — un
pale VOYOU de-
mandant du feu à
un gentleman im-
passible • — qui se
déroule à l'heure
del'absinthcsous
la lumière trou-
ble des réverbè-
res ;C05'5efj30Z(/e5
ait perchoir, une
admirable litho-
graphie murale,
chef-d'œuvre d'es-
prit et d'observa-
tion, car Jamais
aucun pein re n'a
réussi à donner
aux animaux de
basse-cour, une
« physionomie •<
aussi juste. Si
Hondecœter re-
venait en ce mon-
de, il serait jaloux
des poules de
Steinlen.
La dernière affiche de l'artiste a été compo-
sée pour le roman de M. Coppée : Le Cou-
pable.\]n vagabond, le front barré d'un sourcil
volontaire et dur, les yeux haineux, la bouche
mauvaise, est assis au bord d'une route soli-
taire; dans le lointain, la ville noire et fu-
meuse où le jeune bandit sans doute vient de
commettre son crime. L'œuvre est des plus em-
poignantes. Mais la grande estampe murale La
Rue, exécutée récemment pour l'éditeur Ver-
neau, la dépasse encore comme exécution et
comme caractère. L'œuvre entier de Steinlen y
reparait, résumé en une synthèse superbe. Le
En attendant', (lithrigraphie'.
trottin, le camelot, l'artisan du pavé, le « vieux
marcheur » sont fixés désormais en des traits
immuables. La Rue est une composition sans
analogue et sans précédent; aucune production
graphique ne défendra mieux devant l'avenir
l'artdémocratiquedecesvingtdernières années.
Il me reste, en terminant cet article, à expri-
mer un regret. Certes, le talent de M. Steinlen
a trouvé une ap-
plication excel-
lente dans l'affi-
che. Mais ces
' fresques de pa-
pier » sont vite
enlevées de nos
yeux, et les chcfs-
d'téuvre de Stein-
len doivent fata-
lement disparaî-
tre au bout d'un
court laps de
temps, sous d'au-
\'-'h. très placardssou-
vent sans intérêt.
Pourquoi un débi-
tant, un hôtelier,
un restaurateur
avisé, ne com-
manderait-il pas
à Steinlen la dé-
coration de son
établissement ?
Cela nous chan-
gerait un peu
des Gambrinus
chevauchant des
oudres, et des
gnomes char-
gés d'immenses
bocks, que l'on
voit dans nos
brasseries germanisées. On se représente aisé-
ment la frise vivante et pittoresque qu'exécu-
terait le jeune maître; en plein Paris, sans se
déranger, on verrait défiler autour de soi les
spécimens les plus curieux et les plus amu-
sants de notre population. L'étranger, en cinq
minutes, serait renseigné sur l'ethnographie
parisienne; et le « musée Steinlen», faisant
vis-à-vis au « musée Forain», donnerait au bou-
levard, qui en a bien besoin, le cachet d'origi-
nalité et d'art que, seul, peut lui donner le
peintre de La Rue.
H. Fiérens-Gevaert.
ILSEE, PRINCESSE DE TRIPOLI
'apparition d'un beau li-
vre, préparé et présenté
avec un véritable souci
d'art, est chose rare
parmi nous, et son or-
nementation nécessite,
chez le décorateur qui
s'y dévoue, de trop sé-
rieuses qualités et de
trup abundantes ressources d'imagination,
pour que cette Revue ne lui accorde pas un vif
intérêt. Le volume que vient de publier le li-
braire de rEdition d'Art, M. H . Piazza, est par-
ticulièrement digne que l'on s'attarde à en tour-
ner les pages. Autour d'un conte de M. Ro-
bert de Fiers, Usée, Princesse de Tripoli,
M. Mucha a composé une nombreuse suite de
dessins aquarelles, encadrant le texte, où appa-
raît sous une face nouvelle le talent original
dont il avait déjà fait preuve. Nous pouvons
même dire qu'il y trouve matière à plus de
variété et à plus de développements, et M. Mu-
cha s'est dès maintenant assuré une place au
premier rang de nos décorateurs.
On ne peut que se réjouir de voir ainsi défi-
nitivement consacrée la réputation que
M. Mucha s'est acquise en quelques années à
peine ; car cette fois, le succès ne s'est pas
trompé d'adresse. Notre attention a été, pour
la première fois attirée vers cet artiste par
l'affiche qui annonçait les représentations de
Gismonda; avec un dessin ferme et correct,
l'artiste y faisait preuve, dans les souvenirs
bvzantins habilement transfigurés, d'une éru-
dition sans encombre, et aussi d'un goût sur
d'arrangement et d'un sentiment très personnel
de la décoration, qui frappa tout de suite les
regards. Il est à croire que M. Mucha restera
encore longtemps, pour une notable partie du
public, uu peintre d'affiches; mais je ne vois
rien là qui soit fait pour le désobliger. Dans
ses limites restreintes et en comptant avec les
eft'ets assez généraux auxquels contraignent
les nécessités de la vision en plein air, l'affiche
donne matière à un art véritable, qui a ses lois
et ses procédés spéciaux et nous voyons assez
d'ébauches incohérentes pour nous assurer
que tout le monde n'est pas qualifié pour y
réussir.
D'ailleurs, la série d'affiches qui suivit celle
de Gismonda mérite bien, en effet, de gagner
à M. Mucha une renommée particulière.
M""^ Sarah Bernhardt ne s'y est pas trompée,
et c'est à ce talent qu'elle a confié le soin de
narrer tous ses succès en des compositions
murales où sa propre silhouette se campe et
s'agrémente de façons diverses, selon le cos-
tume de ses rôles. Le format allongé reste tou-
jours le même, si bien que ces affiches acquiè-
rent pour les amateurs l'intérêt d'une véritable
24
Art et Décoration
« suite » de planches en couleurs, successive- son épanouissement complet, devait nécessai-
ment enricliie des illustrations de la Dame aux rcmcnt aboutir à rembellissenient d'un livre
Camélias, de LoreUyaccio et de la Samaritaine. entier, capable de donner cours à la libre ima-
A coté de cette importante série, parurent gination d'un ornemaniste. Car c'est là, sans
encore des affichies de petites expositions, des aucun doute, que réside l'application la plus
couvertures de revues ou des estampes décora- riche et la plus diverse du dessin décoiatif:
il faut bien son •
ger au véritable
souffle d'inspi-
ration qu'il est
indispensablede
posséder, pour
ne pas succom-
ber en route. Il
s'agit, en effet,
de suivre un
récit page à pa-
ge : et non pas
seulement de le
transcrire en
images visibles,
mais d'improvi-
ser, pour ainsi
dire, dans les
marges, une tra-
me continue
d'accompagne-
ment, un inta-
rissable tissu de
broderies qui
commentent les
péripéties du
texte avec un
accent person-
nel, qui en dé-
gagent des sor-
tes de signes
imasinatifs et
tives, où s affir-
mait le même
art, fait d'une
recherche ser-
rée de dessin et
d'une ingé-
nieuse inven-
tion d'attitudes
et de motifs
ornementaux.
La manière de
M. Mucha sem-
blait toujours se
reconnaître et se
définir particu-
lièrement dans
l'interprétation
des chevelures ,
qu'il fait se dé-
rouler en min-
ces filets, pareil-
les à des fumées
d'encens, ou qui
frisent en plu-
mes de coq, ou
s'éparpillent
comme des pé-
tales de chry-
santhèmes. 11
n'en fallait pas
'']!see ", encadrement de pase.
davantage pour
démontrer que M. Mucha possédait un style symboliques, des thèmes
bien à lui, conscient et voulu, et pour faire comme mélodiques. Il importe aussi de varier
aussitôt surgir des imitateurs, ce qui n'a pas sans cesse l'accommodation du sujet, la
tardé. nature dos ornements et le cours même de
Une exposition récente à la Bodinière, où l'imagination; ce serait ici un défaut irrémis-
M. Mucha groupait déjà ses premières œuvres, sible que la monotonie et l'indififérence, et cette
nous montrait un ensemble de compositions sorte d'habitude paresseuse du crayon, qui
destinées à illustrer \cs Scènes et Épisodes de conduit l'artiste à tracer d'instinct tous les
l'Histoire d'Allemagne, de M. Charles Sci-
gnobos; c'étaient là des tableaux d'histoire ré-
duits, où il ne pouvait guère rester du décora-
teur que la faculté de mise en scène. Mais plus
qu'ailleurs s'y pouvaient révéler la variété et la
solidité d'une instruction documentaire.
' Après ces différentes études de panneaux dé-
coratifs et cette figuration de scènes histori
encadrements suivant une formule identique.
A chaque pas, doit s'éveiller une surprise sous
les doigts du lecteur.
Il est assurément permis de regretter que cet
art, digne de passionner les esprits, ne trouve
pas une réalisation plus fréquente; mais il faut
bien dire aussi que toute la faute n'en est pas
à la réserve des éditeurs, et que beaucoup d'ar-
ques, le talent de M. Mucha, pour parvenir à tistes ne se sentent pas le cœur d'affronter une
Usée, princesse de Tripoli
■^
œuvre aussi complexe et aussi touffue. A parler
franchement, je ne vois depuis des années, à
part quelques plaquettes hors commerce, que
deux volumes qui aient été exécutés en France
dans celte donnée de décoration suivie : ce sont
les Quatre fils Aymou, où s'est si généreu-
sement dépensé
le talent de M . ^
Eugène Grasset,
et VEvangile de
r Enfanee de
Notre-Seigiieur,
quenous devons
à M . Carlos
S c h w a b e , Et
voici qui vient
juste à point
contirmer l'opi-
nion que j'avan-
çais tout à l'heu-
resur les hautes
qualitésqu'exige
un tel travail,
car M. Grasset
et M. Schwabe
sont actuel-
lement, sans
contredit, les
premiers de nos
décorateurs, et
M.Mucha prend
aujourd'hui pla-
ce avec eux.
Mais alors
même qu'on ne
puisse réclamer
trop souvent de
pareils ouvrages, et en reconnaissant que les
volumes de luxe ne pourront Jamais être de
production courante, on ne peut trop souhaiter
de voir chez nous l'art du livre prendre
une place plus considérable, en regard des
tentatives incessantes des éditeurs anglais
et allemands. Avouons en passant que notre
public n'est pas difficile à contenter, et que les
livres même de consommation journalière, si
l'on peut ainsi dire, les romans que l'on froisse
fiévreusement au bord d'une table, ou que l'on
empile dans ses bagages au moment des dé-
parts, pourraient se présenter à nous sous un
appareil moins négligé. L'infirmité de notre
mouvement décoratif tout entier, c'est de s'at-
taquer aux recherches de détails, aux raffine-
ments accessoires, et non point du premier
'■■ Usée ", encadrement de page.
coup aux réformes fondamentales. C'est ainsi
qu'en ces derniers temps, la reliure a séduit
nombre d'artistes très avisés, que je n'aurai
garde de décourager; mais n'oublions pas que
toutes les parties diverses de l'imprimerie, la
fonte des caractères, la tvpographie, la fabri-
cation même du
papier, récla-
ment des soins
plus éclairés.
Remarquons
aussi que le ré-
gime du collège
nous a trop for-
tement marqués,
et qu'à peine un
livreapparaît-il,
on s'empresse de
l'interner dans
une '< Bibliothè-
que » o u u n e
« Collection », et
de le revêtir de
l'uniforme de la
maison. Quand
donc appren-
drons-nous à
respecter l'indi-
vidualité du li-
vre, et à lui don-
ner l'habit qui
se prête à son
caractèreetàson
allure?
Il convient
d'autant mieux
d'apprécier hau-
tement l'exemple que donne de ce respect
l'œuvre réalisée par VEdition d'Art. Tous les
détails de rexécution ont été l'objet du choix
le plus attentif,et il ne faut pas oublier de men-
tionner spécialement, parmi les raretés de ce
beau livre, la branche de lis incisée en fili-
grane sur la feuille de garde, par M. Alexandre
Charpentier.
Le récit des aventures mi-chevaleresques,
mi-orientales du troubadour Jaufré Rudel et
d'Usée, princesse de Tripoli, offrait à tous les
développements que pouvait rêver M. Mucha
un canevas merveilleusement souple et assorti.
L'artiste, se sentant ainsi autorisé à tous les
caprices de sa fantaisie, a usé avec beaucoup
d'aisance de l'horizon libre qui lui était ouvert.
Les héros du conte, ou des figures de person-
4
26
Art et Décoration
nages abstraits, prennent place dans ces enca-
drements; mais M. Mucha les isole ou les
assemble sans se départir jamais du style qui
convient à la continuité ornementale de son
œuvre, et ces compositions sont conçues dans
un goût qui procède parfois du vitrail, et plus
généralement de la tapisserie. Mais la décora-
tion du livre comprend aussi des abréviations
de paysages, très vivement notés dans leur
mouvement essentiel, et dont M. Mucha
excelle à révéler le caractère pathétique; puis,
le grouillement le plus imprévu et le plus
curieusement ordonné des formes d'animaux
et de plantes. Et ces éléments divers s'unis-
sent, se juxtaposent, interprétés avec un sens
de l'ornement, aussi éveillé qu'il puisse être.
C'est à peine si l'on peut relever, de temps en
temps, un effort d'imagination un peu trop
tourmenté et bizarre, ce qu'il était difficile
d'éviter dans cette tension constante des facultés
inventives. La couleur est toujours fort agréa-
ble, très délicatement appliquée, et ne verse
sur la page aucune tache lourde et obsédante;
l'harmonie est partout très heureusement sou-
tenue.
Je ne veux pas clore ces notes sans appeler,
surtout, l'attention sur les enlacements graphi-
ques qui sont, chez M. Mucha, un procédé
constant de décoration. Non seulement les
formes existantes lui paraissent capables de
donner naissance à un ornement, mais il estime
que les lignes pures, habilement assouplies et
combinées, ont aussi unsiyle. Delà, ces courbes
qui s'embrouillent et se nouent comme les
vrilles de la vigne. M. Mucha apprécie fort jus-
tement les moyens de rornen>entation en ne
dédaignant pas l'exemple des grimoires que
nous ont laissés les arts arabes et persans; de
là même, me semble venir le cachet le plus per-
sonnel de ses œuvres, car je ne me suis guère
aperçu que ni M. Grasset, ni M. Schwabe
fissent usage de l'arabesque.
Les lecteurs sauront assurément gré à notre
Revue d'avoir relevé pour eux, dans cette œuvre
importante, quelques exemples divers d'arran-
gements décoratifs, dont le paysage, la flore,
la faune et les lignes sinueuses donnent le
thème, et aussi ce médaillon de femme, où
M. Mucha s'est souvenu des coiffures et des
joyaux affectionnés par Mme Sarah Bernhardt.
Pour notre part, nous devons remercier
M. Mucha et son éditeur d'avoir donné ici
prétexte à ces réflexions sur l'ornement du
livre, qui ne peuvent se terminer pour eux que
par un large tribut d'éloges.
Gustave Soulier.
NOS CONCOURS
^w^
I. — Porte-Allumcttcs
Qu'on ne vienne pas dire que le programme
était de peu d'intérêt pour justifier, cette fois-ci,
la maigreur des résultats de notre concours,
car tous les sujets peuvent prêter à l'ingénio-
sité de l'inventeur. La principale condition
estdercstcrdans
le programme et
de ne jamais
chercher à le
dépasser sous
le prétexte d'é-
tonner, de ren-
verser son pu-
blic. Je ne sau-
rais trop le
redire à tous les
artistes qui
créent des ob-
jets ornés: faites-
les comme si
c'était pour
vous! Tant pis
pour ceux dont
le goût n'est
pas suffisam-
ment formé
sans emprunter
celui d'autrui.
Les concur-
rents étaient ce-
pendant nom-
breux et pleins
de bonne vo-
lonté; plusieurs
d'entre eux
avaient envoyé
des objets en
nature ou mo-
delés en cire, terre ou plâtre. Disons tout
de suite que la commission d'examen n'a pas
cru devoir distinguer particulièrement un de
ces derniers malgré des mérites relatifs ; beau-
coup de ces objets étaient peu pratiques. Il en
a été de même des projets dessinés, presque
tous trop compliqués, trop cherchés et insuffi-
samment trouvés. Les uns trop petits, d'une
ornementation inutilement fignolée et destinée
a disparaître sous les salissures inévitables de
Porte-Allumettes [i" Prix).
l'usage; d'autres, au contraire, énormes monu-
ments en bois, faïence ou métal, avec décou-
pures des plus bizarres ou d'une importance
disproportionnée avec l'échelle d'un tel objet.
On peut dire que le seul projet vraiment
artistique et pratique à la fois est celui de
M. Diifrciw, qui a obtenu le r"'' prix. Le petit
meuble est très
simple; pas de
découpures sau-
g renues. La
composition est
de la meilleure
donnée orne-
mentale, c'est-
à-dire nécessité
constructive
simple et motifs
ornés peu nom-
breux et riches;
le simple faisant
valoir le riche.
Grâce à cet
excellent prin-
cipe, nous n'a-
vons que des
éloges à don-
ner à ce pre-
mier prix. La
seule critique à
y faire serait
la ténuité des
consoles delata-
blettc, qui relè-
veraient plutôt
du métal que
du bois. Mais les
agrafes, formées
de capricornes
de bronze, sont
de la meilleure invention, ainsi que le réci-
pient de même métal destiné aux allumettes
et orné de chauves-souris.
Le 28 prix a été donné au projet de AI. Bou-
lin à cause de la simplicité de sa composition,
peut-être même un peu trop simple; mais
où, en tous cas, ne se trouve d'inutile, et ne
correspondant pas immédiatement à la fonc-
tion, que le cercle de bois, un peu grand sans
raison. La décoration en est un peu pauvrette;
M. DUFBESE.
28
Art et Décoration
ses fleurs de diclytra sont peu riches d'aspect et
un peu tropclaircsdecoulcur.Mais l'ensemble
Porte-Allumettes ;!■' Prix)
M. lîUUTIN.
est sobre, facile à fabriquer et surtout sans
prétention.
La Commission a cru devoir donner le
?'■ prix a M. Levé i\i, maigri} un certain abus du
bois découpé et une évidente fragilité de l'objet,
parce que son dessin est bien exécuté et assez
élégant d'aspect. L'attache du godet de céra-
mique est insuffisante et précaire, et ce réci-
pient lui-même s'applique très mal, étant rond,
à l'espèce de palette ajourée qui forme le fond.
Il serait difficile de dire comment seraient
gravés les ornements indiqués sur les parties
plates.
Au résumé, beaucoup de bonne volonté de la
part des concurrents et peu de résultats.
//. — Papier de garde.
Autant le précédent concours a été peu satis-
faisant, le premier prix mis à part, autant
celui-ci a été brillant. La Commission a vive-
ment regretté de ne pas avoir à sa disposition
un grand nombre de récompenses à décerner,
peut-être serait-elle allée à la douzaine. Mais
les programmes sont formels, et il faut tenir
compte aussi de la difficulté plus ou moins
grande de les remplir. Sans cela, tel concours
ne mériterait qu'un seul prix alors que tel
autre en exigerait dix.
En effet, on peut sans hésiter prédire aux
programmes ayant pour but un objet en relief,
un résultat piteux relativement à ceux qui s'ap-
pliquent à des compositions planes. Serait-ce
à croire que l'intelligence à deux dimensions
est plus facile à rencontrer que celle à trois?
Je n'en crois rien; ce doit être un résultat
des méthodes d'enseignement, dans lesquelles
l'exercice en relief ne tient qu'une place infime.
Ainsi, sur trente jeunes gens composant et
exécutant bien les ornements en surface, on
en trouve à peine trois qui composent en
relief de façon passable.
Peut-être est-ce à ces causes qu'il faut attri-
buer le grand nombre de -bons dessins du pré-
sent concours.
Cependant, malgré la précision des pro-
grammes, on est étonné de voir autant d'ar-
tistes en sortir d'une manière flagrante. Est-ce
mauvaise habitude de compter un programme
comme quantité négligeable? Est-ce désir de
surpasser les concurrents qui s'y seront ren-
Portc-AIlumettes {3' Prix . m. levird
fermés?— Lecalculseraitmauvaisdans les deux
cas, et la Commission d'examen remettra tou-
jours les choses à leur place. 11 vaut mieux
penser que c'est inattention ou manque de
clarté de l'énoncé.
i7{jjs Concours
29
Quoi qu'il en soit, il a fallu d'abord faire
deux classes de projets : ceux qui étaient dans
le programme et ceux qui n'en avaient tenu
qu'un compte partiel. Il aurait été possible
d'en constituer une troisième, formée de ceux
qui n'avaient pas compris du tout et qui ont
cru qu'il s'agissait de la couverture du volume.
Ceux-là ont été
écartés du con-
cours, malgré le
mérite de cer-
tains dessins.
Les trois prix
disponibles ont
été décernés à
des composi-
tions rentrant
exactementdans
les conditions
voulues, c'est-à-
dire pouvant
s'imprimer en
une seule cou-
leur.
Les lecteurs
pourront se ren-
dre compte du
i''"prix, accordé
au projet de M.
Joanny Coqiiil-
lat, puisqu'il est
reproduit gran-
deur d'exécu-
tion dans le nu-
méro. Il y a peu
de reproches à
faire à ce dessin,
sobrement et
clairement com-
posé: il produit
un effet assez ri
che,gràceàuneintelligente disposition des par-
ties claires et foncées franchement écrites, et
aussi à ce que, entre les motifs, les fonds sont tra-
vaillés finement. Peut-être les cercles d'étoiles
sont-ils un peu clairs et auraient-ils eu besoin
d'un rien qui adoucit un peu le passage des
ronds avec le fond.
Le projet de M. Laboureur se sépare nette-
ment des autres par une disposition toute diffé-
rente; il a obtenu le 2« prix. L'idée en est des
plus gracieuses ; ces montants de roses avec
les monogrammes très simples, entre deux,
sont d'un charmant etfet.
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JfiPl
K-^S^
Pafier de garde (-2' Prixl.
La composition de M. Pillard, qmi'ah l'objet
du 3- prix, méritait peut-être mieux, par l'ingé-
niosité de l'arrangement et le style du dessin.
L'échelle en a été trouvée un peu grande et
reti'et quelque peu dur. Cependant, le tracé est
irréprochable et l'idée des monogrammes en
ondes, entre les cygnes, est une jolie idée.
M. Pillard a, en
quelque sorte,
enfreint le pro-
gramme par
l'adjonction
d'un ex - libris
qui n'était pas
demandé. Nous
ne nous en plai-
gnons qu'à moi-
tié, car il est
charmant.
La 1^8 men-
tion est donnée
à M. Marc Bas-
tard pour un
très joli arran-
gement d'anco-
lies avec des
monogrammes
d'un beau carac-
tère. Seulement,
ce dessin com-
porte deux im-
pressions, ce
qui n'est pas le
cas de la 2'^
mention attri-
buée à M. Lom-
bard, qui s'en
est tenu au
programme. Sa
. composition,
presque uniquement au trait, est d'un carac-
tère quelque peu ancien, mais bien approprié
à un papier de garde. Il est regrettable que,
pour le bon effet, M. Lombard n'en ait pas
fait quelques centimètres carrés de plus.
M ' Labourjau nous donne une page de gra-
cieux muguets, qui serait bien meilleure si la
feuille était travaillée de façon à laisser les
fieurs un peu plus en évidence, et qui a obtenu
la .3'^ mention.
La 4« mention, exécutée par M. Paycn, est
M. LABOUREUR.
30
An et Décoration
'fé^^ ^/^^|%«f ^c?^^l/1T.5
i(= Prix.
M. PILLARD,
Mention.
M. LOMBARD.
5' Mention.
M"° LABOURIAU.
j" Mention.
M. BASTARD.
NOS CONCOURS.
/^^^
ij\\}s Concours
}'
d'un arrangement très ingénieux, bien qu'un trop lourdes et d'autres trop fines, viennent
peu froid à cause des lignes droites.
M. Mangeant nous envoie un papier de
garde dont la composition exigeait une couleur
de plus et elle en comporte déjà une de trop,
ce qui fait qu'il n'obtient que la y- mention.
La 6« mention est attribuée au projet de
M. Riom, d'un élégant dessin, mais dont les
jf •." ' '•■^'^
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5r"*"(;l"-T^
J^T^É^Â-c-rî
ijJirS
Papier.de garde\{4' Mention). M. payen.
monogrammes ont été trouvés trop importants,
surtout le D qui laisse un vide tirant l'œil.
De M. Marc Bastard, encore un ensemble
un peu maigre bien qu'élégant; deux couleurs
en trop et j'- mention.
U ne intéressante composition de M. Z)«rri7n?,
d'un arrangement très heureux, mais qui aurait
gagné à ce que les papillons eussent été d'un
dessin un peu plus correct avec une couleur
de rnoins; et enfin, le projet de M. Dufrêne,
bien composé mais avec, à la fois, des parties
Papier de garde (?' Mention).
M. MANGEANT.
Papier de garde {!>' Mention).
y
'<iW^^'
U
ôiâ:)^
'Cl.:15^-%^|^
Papier de garde (()' Mention).
M. DUFKENE.
clore une liste que nous aurions eu plaisir à
E. Grasset.
allonger encore.
p
Art et Décoration
f^ri'^r^^e.
^_
o
^
W^l£^r
<i:
c^
A y
Papier de garde [y' Mention). m. m. bastard.
M. DIRRANT.
NOTRK CONCOURS DE SEPTEMBRE
us CHEMIN DE TABLE EN BRODERIE
Nous mettons au concours, pour septembre,
un chemin de table en broderie.
Ce chemin de table ne devra en rien ressem-
bler, ni pour le choix, ni pour la disposition
des motifs, aux articles actuellement dans le
commerce. Il se composera, non d'une bande
rectangulaire de toile ornée d'une broderie en
bordure, mais d'une toile ajourée où l'on
rçservera la place des pièces indispensables du
surtout : au centre une corbeille, à chaque
extrémité un candélabre ou un bout de table,
et de chaque côté, entre la corbeille et le bout
de table, deux compotiers ou deux coupes.
Le dessin que constitueront les ajours courra
entre les diverses pièces et les reliera dans un
ensemble harmonieux, l'une à l'autre. On sera
tenu, dans le choix du motif, de s'inspirer
directement de la nature. C'est la tendance
heureuse qui domine, non seulement dans
l'orfèvrerie nouvelle, mais dans la décoration
du verre taillé ou de la porcelaine, et il im-
porte que le chemin de table se tienne dans
une note décorative analogue. Liberté absolue
pour tout le reste, mais exclusion formelle de
la couleur.
On nous enverra, le 25 Septembre au plus
tard, le détail le plus important à grandeur
d'exécution, et un dessin d'ensemble assez
grand pour perrnettre d'embrasser tous les
détails d'un coup d'œil. Trois prix, de y5,
de 5o et de 25 francs, seront donnés.
PETITE CORRESPONDANCE
Nous recevons de MM. Daum frères, de
Nancy, la lettre suivante, que nous nous em-
pressons d'insérer.
« Monsieur,
« Je reçois le numéro de juin de votre Revue,
« et j'y vois, à la première page, attribuer à
« notre illustre confrère M. Galle, la cruche
« de verre, décorée d'orchidées, dont vous
n donnez la reproduction. Il y a là une erreur
« qui ne laisse pas d'être flatteuse pour nous,
« mais que, par respect pour M. Galle, nous
« nous empressons de relever, en vous priant
« de la rectifier dans votre prochain numéro. »
Voilà qui est fait. Il ne nous reste plus qu'à
présenter nos excuses pour cette circonstance,
à l.a fois à MM. Daum frères et à M. Galle.
Imp. de A'augirarJ, G. de Malherbe & cie, iSi, rue de VaugirarU, Paris.
lîMILE LEVY, UJiUur-géranl.
1A1>ISSKRIE DES GOBICI.IXS
Art et Décoration
^^ç
La Tapisserie à la Manufacture des Gobelins
A Tapisserie, comme
le Vitrail, est un art
français. Ceux pour
qui notre art com-
mence à l'institution
des Académies sous
Louis XIV ont pris
l'habitude d'appeler
flamandes toutes les
tapisseries antérieures au xvii" siècle : cela
dispense de toute recherche et facilite la clas-
sification.
Aujourd'hui, grâce aux progrès de l'éduca-
tion artistique et surtout à la précision des
venant du château du Verger, en Anjou; et la
somptueuse scène de bal que conserve l'église
de Nantilly, à Saumur; et les scènes tirées des
romans de chevalerie qui sont exposées dans
la même église; et les tapisseries de Saint Rémi
de Reims; et la tapisserie de Saint-Saturnin,
don de Jacques de Semblançay à une église de
Tours; et la tapisserie de la Dame à la licorne,
acquise par le musée de Cluny. Un volume ne
suffirait pas à l'énumération des belles œuvres
françaises que le hasard des ventes a dispersées
dans les collections publiques ou privées, rnais
qui sont en majeure partie demeurées en France.
Ce qui est caractéristique et ce qui témoigne
ï-i
^^^*— 1^ J.
"^^y>-'^^
^.,,^
■i-, ,'V ■•.x.i;'^:>f7>.
Départ de Jcaiim d Arc se rendant a la Coin- de Charles 17/.
(En cours d'éxecution )
J.-P. LAlRiiNS.
études historiques, nous pouvons restituer à
l'art français et la magnifique série de l'Apo-
calypse, exécutée du xiv° au xv° siècle pour les
ducs d'Anjou, Louis I"'' et Louis II, d'après les
miniatures d'un manuscrit de la bibliothèque
de Charles V, par le tapissier parisien Nicolas
Bataille; et la tapisserie dite de Rohan, pro-
en faveur de l'origine française de ces tentures,
qui formaient le principal décor des habita-
tions princières ou seigneuriales, c'est l'inter-
prétation décorative conforme aux traditions
de l'art français qui subordonne au travail de
la laine la forme et le modelé des figures, des
plantes ou des ornements.
5
H
Art et Décoration
Si le point de tapisserie se prête à des divi-
sions beaucoup plus fines que le cube de mo-
saïque, il exige néanmoins, comme lui, des sim-
plifications qui sont d'ailleurs indispensables
^^.fM^'^ff.
Dossier de fauteuil.
(F,n cours J'exécutinn.)
E. MALOlbEL.
à l'effet d'une décoration murale. Non seule-
ment, comme cela a lieu pour le vitrail ou la
mosaïque, la composition destinée au décor
d'une surface doit éviter les successions de
plans qui, parles lignes fuyantes de la perspec-
tive, détruiraient la surface à décorer, mais le
tapissier qui ne peut, comme le mosaïste, en-
velopper ses formes par les rangées concen-
triques des cubes de verre, qui n'a pas, comme
le peintre verrier, la ressource d'un contour
opaque sertissant et isolant les colorations
translucides, qui ne dispose pour l'assem-
blage des points que de deux directions se
coupant à angle droit, est, plus encore que
le peintre verrier et le mosaïste, tenu à des
simplifications, telles que le passage de lignes
d'ombre dans la lumière, pour obtenir le mo-
delé, et pour éviter l'amollissement des formes
par l'abus des nuances. Chaque nuance néces-
site d'ailleurs un changement de laine, et la
complication qui résulte, pour l'exécution, de
l'abus des nuances n'est point compensée par
une amélioration de l'effet.
Lorsqu'on étudie suivant l'ordre chronolo-
gique Icstapisseries de nos fabriques françaises,
on est frappé des concordances de style qui se
manifestent du xii" au .wr- siècle dans toutes les
œuvres décoratives, et qui attestent l'extraor-
dinaire unité de l'art français. On pourrait
comparer quelques-unes des pièces de l'Apo-
calypse d'Angers, comportant une double ran-
gée de sujets sur fonds alternés bleus ou
rouges, aux verrières contemporaines dont les
sujets se détachent aussi sur des fonds unis,
ou bien encore aux peintures murales, par
exemple à celles qu'on exécutait sur le même
thème dans une salle attenant au cloître des
.lacobins de Toulouse. Les procédés employés
pour le modelé, pour le tracé des ombres, ont
à une même époque des analogies singulières,
et ne diffèrent d'un art à l'autre que par les par-
ticularités de la technique. Le procédé qui
consiste à laisser filer des traits sombres dans
le ton clair pour obtenir les tons intermédiaires,
est celui qu'on employait" pour les vitraux et
même, pour la peinture, ainsi que je l'ai
constaté lorsque j'ai mis à découvert dans une
abside de l'église de Pontigné, en Anjou, des
fresques du xiif siècle représentant des scènes
de la vie de la Vierge. C'est le procédé qui a
subsisté jusqu'au xvi« siècle pour les minia-
tures, où de fines hachures d'or accusent les
lumières, laissant paraître entre elles le ton
local.
Ainsi la tapisserie était depuis longtemps
pratiquée en France lorsque, sous le ministère
de Colbert, à l'époque où l'Etat substituait
partout sa direction à l'initiative privée, le
peintre Lebrun fut chargé d'organiser une ma-
nufacture royale de tapisseries.
Dès le milieu du xvi<- siècle, le goût qui, en
Siège de fauteuil.
(iùi fours JfXL-cuIinn )
E. MALOISEL.
peinture, tendait vers le tableau et que propa-
geaient dans les ateliers les gravures de Marc
Antoine, d'Albert Diirer et des petits maîtres
allemands, avait modifié pour le vitrail comme
La Tapisserie à la Mann facture des Gobelins
M
pour la tapisserie la composition décorative.
La transformation du goût fut aussi rapide de
i5oo à i55o pour toutes les œuvres de décora-
tion que pour
Farchitecture
dont elles re-
lèvent. Ce n'est
pas seulement
le décor à l'an-
tique qui dis-
lingue, à la ca-
tiicdrale d'An-
gers, la tapis-
serie de Saint-
Saturnin de la
tapisserie de la
Passion. L'une
est composée
à la façon des
l' r e s q u e s de
Benozzo Goz-
zoli : la surface
V est occupée
par les person-
nages du pre-
mier plan et la
perspective n'y
est employée
que pour aider
au développe-
ment et à l'iso-
lement des scè-
nes. L'autre,
c om pa ra ble
aux fresques de
Ghirlandajo,
f o r m e d é j à
un véritable
tableau limité
par un cadre
architectural
de pilastres et
de frises à rin-
ceaux.
Cette dispo-
sition de ta-
bleau encadré
par une bor-
dure se main-
tint, malgré les variations de style, du xvi«: au
xvu*^ siècle; elle était encore en honneur
lorsque Lebrun fut chargé d'installer et de
diriger la nouvelle manufacture.
Tandis que le vitrail, dévoyé par l'emploi des
Le yiiinnscrit.
(1838)
émaux et l'adaptation des gravures à des
scènes mal composées, était délaissé dès le
début du xvn« siècle, la tapisserie, conservant
ses traditions,
se développa
sous l'impul-
sion de Le-
brun, conser-
vant, ainsi
qu'on le con-
state au revers
des tentures,
les belles cou-
leurs franches
harmonieuse -
ment grou-
pées, et ne
s'écartant pas,
dans l'exécu-
tion, des sim-
plifications de
forme et de
m o d e 1 é qui
sont indispen-
sables à toute
décoration ré-
sultant du tra-
vail de la laine.
Ces traditions
se maintinrent
pendant tout le
cours du wm"
siècle : les ta-
pisseries exé-
cutées sur les
cartons de
Boucher en
témoignent en-
core.
C'est seule-
ment au début
de ce siècle, au
moment où
l'enseignement
de l'art, ten-
dant de plus en
plus à une étu-
de abstraite de
formes , pros-
crivait tout ce qui touche aux études
techniques, tout ce qui tend à varier la forme
par les qualités de la matière, que la tapisse-
rie, comme la céramique, comme tous les
arts de la décoration, s'écarte de ses glorieuses
F. EHRMANN.
}
6
Art et Décoration
traditions. Dans cette période, il semble que
la tapisserie n'ait d'autre but que la reproduc-
tion en laine, c'est à-dire avec une matière qui
s'v prèle mal, de toutes les nuances d'un
tableau. On obtient ainsi a grands frais une
très médiocre copie, et si le tapissier, à force
de nuances, arrive à donner l'illusion d'une
peinture, il semble que le but soit atteint.
Si par hasard, comme Viollet-Le-Duc tenta
de le faire, un artiste entreprend de critiquer
et maintenant par la supériorité même de
l'exécution le prestige de la Manufacture.
Sous la direction de Darcel, des peintres
éminents, Galland et F. Erhmann, préparés
par de fortes éludes à la composition décora-
tive, que l'un d'eux enseigna d'ailleurs à l'Ecole
des Beaux-Arts, préludèrent, par d'intéres-
sants essais, à la rénovation des modèles, en
composant spécialement pour des emplace-
ments déterminés des cartons étudiés dans un
Dessus de Porte. — L'Automne et I Hiver. ealdry.
(i863)
un enseignement déplorable, qui tend à la sens vraiment décoratif, quoique composés
déchéance de tous les arts de la décoration, on encore comme des tableaux. M. Erhmann a
crie à « la profanation par l'industrie du commencé, pour la Bibliothèque nationale, une
temple de l'Art », et c'est seulement après un intéressante série de sujets allégoriques que
demi-siècle d'erreurs qu'on commence à com- complétera la grande composition, symbo-
prendrc l'intérêt d'un enseignement artistique lisant les Arts, les Lettres et les Sciences à la
s'appliquant à toutes les œuvres et tenant Renaissance, exposée, cette année, au Salon des
compte, aussi bien pour la composition que Champs-Elysées.
pour le dessin, de simplifications qui sont Galland, le décorateur ingénieux qui a laissé,
l'essence même de l'art et comme la marque outre ses plafonds, tant d'intéressantes études
du génie humain. analysant, suivant la méthode inaugurée par
La Manufacture des Gobelins a eu le rare Viollet-Le-Duc et Ruprich Robert, la feuille,
mérite, grâce à son organisation patriarcale, le bouton ou la fleur, et faisant de ces analyses
de conserver, même dans cette période de les plus charmantes applications décoratives,
décadence, de merveilleux ouvriers connais- ne paraît pas s'être rendu exactement compte
sant à fond tous les secrets de leur métier, dçs exigences d'un canon de tapisserie au
améliorant toujours les modèles insuffisants point de vue de la précision du contour. Cher-
La Tapisserie à la Manufacture des Gohelins
}7
cheur infatigable, n'hésitant pas à repeindre
entièrement, comme il le fit pour sa fresque du
Panthéon, une œuvre presque achevée s'il la
jugeait encore imparfaite, Galland laissait
souvent indécis des contours ou des modelés
qu'il étudiaitpassionnément, et cette indécision
même, intraduisible en tapisserie, ne peut
aboutir qu'à des mollesses déformes, nuisibles
à l'effet décoratif.
Il n'v a point de décoration sans contours
ration n'avait point produit des œuvres très
remarquables.
C'est toujours la conséquence du défaut
d'enseignement qui reléguait au dernier plan
la composition décorative, comme si le seul
but de la peinture et de la sculpture était
l'exécution d'une figure nue ou drapée.
Depuis quelques années, sous la direction
de M. Guiffrey, la Manufacture des Gobelins
est résolument entrée dans une voie de progrès.
Dessus de Porte. — Le Prtntemfs et
(iiso!.;)
nettement définis, parce que la traduction d'une
forme, quelle qu'elle soit dans une matière
quelconque, nécessite une interprétation pré-
cise, facilement saisissable et bien adaptée à la
destination de l'œuvre. On ne peut pas plus
innover en laissant la forme indécise qu'en ne
tenant pas compte des qualités propres à chaque
matière. La forme est, en somme, l'expression
de l'idée, et comment l'idée serait-elle claire si
la forme est indéfinie ?
Paul Baudry, le merveilleux décorateur du
foyer de l'Opéra, avait fait pour les Gobelins
les figures de cartons qui ont été en partie dé-
truits dans les incendies de la Commune avec
les tapisseries destinées au Palais de l'Elysée ;
les ornements et lesfleursde ces cartons étaient
faits par plusieurs artistes, et cette collabo-
lEté.
Le nouveau directeur, qui connaît bien les
tapisseries françaises, a su réveiller le goût
pour la simplicité de forme et de modelé qui
est l'une des qualités maîtresses des œuvres
anciennes. Il a su convaincre M. Jean-Paul
Laurens, et dès le premier essai, les habiles
ouvriers des Gobelins se révélaient les conti-
nuateurs des maîtres ouvriers, leurs ancêtres,
reprenant sans effort les traditions qui sem-
blaient perdues.
L'exécution en tapisserie du panneau exécuté
d'après le carton de M. Laurens, et dont
nous donnons une reproduction en couleur,
est due à M. Emile Maloisel, l'habile sous-chef
de l'atelier de haute lisse.
Après cet essai concluant, a été mise sur le
métier une grande composition de M. Laurens
J8
Art et Décoration
représentant les « apprêtsd'unTournoi »,etdes-
tince à la salle publique des Archives nationales.
Ce sera certainement une des œuvres les plus
intéressantes qu"aura produites depuis long-
temps la Ma-
n u facture .
Nous y re-
trou \erons
les tons
francs et har-
m o n i e u X
qu'ont tou-
jours eus les
t apisseries
françaises, et
qui ne s'at-
ténuent qu'a-
vec le temps.
Si nous
avions la ma-
lencontreuse
idée de cher-
cher l'harmo-
nie dans la
décoloration,
dereproduire
les tons pas-
sés des tapis-
seriesancien-
nes,cestapis-
series neuves
auraient ,
ans, perdu
toute couleur
et par consé-
q u e n t tout
intérêt.
Grâce à l'i-
nitiative de
M. Guiffrey,
deux autres
œuvres d'une
importance capitale
métier: l'une de
Uit tjyis .s.iriiiineyic your le palais de i Elysée.
^En cours d'exécution.)
marines aux étincellements de pierreries, mar-
quera dans l'histoire de la Manufacture des
Gobelins. Bien que l'exécution soit à peine
commencée, les parties faites ont tout l'éclat
du modèle :
les tapissiers
semblent se
jouer dcdifti-
cultés qui se-
raient insur-
montables si
le peintre n'a-
vait affirmé et
précisé par le
dessin et la
couleur les
moindres dé-
tails de son
œuvre.
Les œuvres
Je M. Roche-
Q-rosse, telles
o
que la mort
d'Astyanax,le
festin de Bal-
thasar.lamort
de César ou
le Chevalier
aux fleurs, le
désignaient
suffisamment
au choix de
M. l'Admi-
nistrateurdes
Gobelins. Le
sujet qu'il
avaitàtraiter,
la France en
Afrique, a été
l'occasion
d'une compo-
sition trèsori-
ginale. L'ar-
ont ete mises sur le
M . Gustave Moreau ,
l'autrede M. Rochegrosse. M. Gustave Mo-
reau n'est pas de ceux qui recherchent le
succès facile dans les expositions; il ne livre
pas volontiers ses œuvres, mais on peut dire
que chacune d'elles, par sa poésie pénétrante,
reflète la haute pensée d'un maitre qui n'a
jamais rien sacrifié à la' mode. La tapisserie
qui représente « le poète et la sirène » au fond
des eaux, au milieu d'une flore et d'une faune
tiste a symbolisé la France, dans son œuvre de
civilisation, s'avançant la main tendue devant un
groupe de soldats dont l'uniforme clair s'enlève
sur un ciel de feu. Au premier plan à gauche,
sont des Africains, dont la peau brune à reflets
bleus donne une coloration très puissante,
s'harmonisant avec le ton sombre de la robe
aux larges plis de la France. M. Rochegrosse a
très habilement lie la bordure au sujet, en com-
posant cette bordure de magnifiques plantes
tropicales entremêlées d'animaux. La tapisse-
■SI
■Q 3
40
Art et Décoration
rie très harmonieuse tirera son effet de la jux-
taposition de tons francs enfermes dans des
contours très précis.
C'est par des qualités différentes que se dis-
tinguera la tapisserie de M. Albert Maignan
représentant Apollon et Daphné. L'artiste a
su rajeunir un ancien sujet dans une composi-
tion simple, soutenue par des tons chauds et
brillants. Un autre panneau, destiné au Tri-
Le Toucher. , baudry.
(r8<i8) Pour le palais de rÉlysce.
bunal de Commerce et représeniant la « Jus-
tice consulaire », n'est pas moins intéressant
par la forme et la couleur que par le choix des
attributs qui révèle le goût de l'artiste et de
Térudii.
Une œuvre considérable, représentant la
« Mission de Jeanne d'Arc», est entreprise de-
puis l'année dernière d'après les compositions
de M. Jean-Paul Laurens. Par la simplicité
des scènes, par le style des figures, par l'har-
monieuse vigueur des tons, la tapisserie de
« Jeanne d'Arc » se rapprochera des belles ta-
pisseries françaises de nos cathédrales. Ceux
qui contestent l'existence d'un style à notre
époque ne manqueront pas de critiquer
l'œuvre comme entachée d'archéologie. Il faut
cependant admettre que la convention du cos-
tume historique s'applique à toutes les œuvres,
à la tapisserie comme à la peinture et à la sculp-
ture, et je ne pense pas qu'on puisse aujour-
d'hui représenter Jeanne d'Arc en costume mo-
derne à la tête d'un peloton de cuirassiers. Je
ne vois pas non plus les personnages d'un
tournoi en costume de jockeys, et je n'ai ja-
mais cru que la caractéristique d'une œuvre
moderne fut le costume moderne.
Je ne puis donc faire un crime à M. Leloir
d'avoir utilisé les modes et les ornements du
siècle dernier pour sa gracieuse composition
du « Roman au xvin'" siècle ». Il en est de
même de la suite de tapisseries exécutée
d'après les cartons de M. Joseph Blanc pour la
décoration d'une ancienne salle au Palais de
Justice de Rennes. Le peintre était tenu d'ac-
corder sa composition, pour l'échelle et le
caractère des figures aussi bien que pour les
colorations, avec le plafond et l'ornemen-
tation générale de la salle. Il est certain que
les tapisseries de AL Blanc feront en place un
excellent effet.
M. Guiffrey a eu le rare mérite de trouver
des artistes dont le talent pût se plier aux exi-
gences d'une décoration en tapisserie. La tache
était d'autant plus difficile que la composition
décorative est depuis trop longtemps négligée,
et que trop souvent le peintre s'imagine avoir
fini son œuvre lorsqu'il a dessiné ses figures,
abandonnant à des décorateurs de profession
la partie la plus intéressante de son œuvre, celle
où pourrait le mieux s'accuser sa personnalité.
Bien rares sont les artistes qui, comme
M. Olivier Merson ou M. Grasset, ont su
faire œuvre d'art avec le décor d'un livre ou
d'un tapis, ne dédaignant rien de ce qui, dans
toute manifestation de la pensée, peut se prê-
ter à une expression artistique. Aussi M. l'Ad-
ministrateur des Gobelins n'a eu garde d'où-
La Tapisserie a la Manufacture des GoheJins
41
blier MM. Merson et Grasset, et ce sera jour
de fête à la Manufacture que celui où seront
reçus les cartons qui leur sont commandés.
La fabrication des tapis dits
de « Savonnerie », c'est-à-dire
des tapis de haute laine dont
la composition ne peut guère
comporter la figure, mais ad-
met toutes les combinaisons
linéaires, toutes les adapta-
tions de la flore et de la faune,
n'a point encore donné, à mon
avis, les résultats qu'on est en
droit d'attendre. Les décora-
teurs de profession, qui oni
jusqu'ici fourni les dessins des
tapis, font de la flore des appli-
cations banales, dépourvues
de caractère, simulant par le
modelé et les ombres, des re-
liefs inquiétants pour un tapis
sur lequel on marche.
On abuse aussi, dans les
cartons des tapis, de l'harmo-
nie trop facile des tons neu-
tres ; on n'ose pas aborder les
colorations puissantes , le
rouge, le jaune orangé, le
blanc, le brun noir ou le bleu
foncé, qui donnent tant de
prix aux tapis persans. Et ce-
pendant, le muséede la Manu-
factureestriche entapisorien-
taux qui sont des modèles de
composition et de couleur. Il
n'est pas question d'en copier
les formes, mais ils peuvent
suggérer, dans des contours
absolument modernes, l'idée
de taches de couleur harmo-
nieusement et savamment dis-
tribuées.
Sans doute les compositions
de M. Libert qui sont aujour-
d'hui sur le métier, fourniront
des tapis agréables de dessin et de couleur, mais
ne différant que par la perfection de l'exécution
de ceux qu'on produit dans l'industrie. D'ailleurs,
une œuvre n'a de caractère qu'à la condition
d'être faite pour une place, d'avoir une destina-
tion qui détermine le choix des ornements, leur
échelle, la valeur des colorations. Une œuvre
sans destination est nécessairement banale.
Frappé de ces inconvénients, j'avais de-
mandé qu'un tapis fût donné comme sujet de
concours de composition décorative aux élèves
architectes de l'Ecole des Beaux-Arts, et^ le
AfoUon et D,
(Kn cours d'exéc
liUon.)
.\. MAIGNAN".
" tapis pour la Cour de Cassation », sujet du
concours Rougevin, a été l'occasion décompo-
sitions originales.
La décoration d'un tapis relève, en effet, de
l'architecture, et notre Ecole a forme d'assezbril-
lants élèves, pour que nous puissions y recruter
quelques artistes capables de faire sur un pro-
gramme précis le carton d'un tapis de Savonnerie.
D'une manière générale, pour les tapisseries
6
42
Art et Décoration
de haute lisse comme pour les tapis, je crois nant les valeurs des colorations devraient
inutile que le peintre fournisse une peinture suffire. On gagnerait ainsi du temps et on
achevée comme un tableau, qui l'entraîne for- faciliterait l'exécution de modèles dont l'inter-
ccment à exagérer les nuances, et qui restreint prctationcn tapisserie n'exige nullement l'exé-
beaucoup trop l'initiative du tapissier. Autant cution complète d'un tableau.
le dessin doit être d'une précision absolue, au- Ce sont là des progrés qui seront réalisés
La conquête de t Afrique.
(Kn cours d'exéculiun.;
tant la couleurdoitêtre localisée par tonsfrancs
dans des contours précis, en évitant les nuances
de modelé qui nuisent à l'effet décoratif.
Si l'exagération des nuances est critiquable
dans le carton que doit copier le tapissier, elle
est inexplic.ible dans l'esquisse à échelle
réduite et ne peut donner qu'une idée fausse
aux membres du Conseil de perfectionnement
auxquels l'esquisse est soumise. On pourrait
considérablement réduire ces travaux prépara-
toires, destinés à être interprétés par des
artistes tels que les ouvriers de la Manufac-
ture. Un dessin précis de même grandeur que
le tapis et une aquarelle à échelle réduite don-
aisément. Ce qu'il importait de faire connaître
à une époque oîi l'on critique volontiers l'in-
tervention de l'État dans le domaine des arts,
c'est la merveilleuse organisation d'une Manu-
facture, véritable pépinière d'ouvriers artistes,
où il a suffi de quatre années d'une direction
intelligente et dévouée pour reprendre la tra-
dition interrompue des tapisseries françaises,
créer des modèles, simplifier l'exécution et
donner à cette phalange d'artistes, d'ouvriers
et d'apprentis une impulsion qui assurera à la
fabrication française une incontestable préé-
minence : nous en aurons la preuve en ii)(io.
Lucien Magne.
Conclusion sur la Peinture aux Salons
i:s deux Salons sont que vont disparaître les loeaux où Ton se diri-
t'ermés depuis bien- geait par habitude. Essayer de formuler une
tôt deux mois, mais conclusion après tout ce débordement de pein-
la sisnitication véri- ture, de'gager une morale des divergences qui se
sont révélées dans le goût et la recherche, c'est
là une tcàche fort attirante ; et aussi bien, puisque
Ton m'y convie, le tenterai-je volontiers.
Pour cela, il est nécessaire d'en revenir
table ne s'en pré-
cise que mieux pour
nous : le moment
nous invite à nous
laisser aller à quel- sans cesse aux lois générales de la peinture
ques réflexions d'ensemble sur les tendances à ses moyens d'expression et à sa desti-
d'art qui se sont manifestées, ou sur les idées
qui doivent de plus en plus présider à toute
conception artistique. Notre souvenir se re-
porte maintenant aux œuvres qui nous ont paru
le plus significatives ; quelques noms s'im-
nation, d'autant mieux que cette destination
change suivant les époques, et que les mêmes
édifices ne s'ouvrent pas toujours aussi
généreusement à la décoration picturale. Au
xiv' siècle, on peut dire que le tableau n'exis-
posent encore à notre mémoire, après tout ce tait guère, et que la peinture était presque exclu-
que l'on a déjà dit : et sans doute, toute cette sivement murale; au xve siècle, ce furent
longue suite de Salons annuels ne doit pas, surtout les églises qui fournissaient aux
pour être vraiment profitable, s'écouler et s'éva- peintres de vastes surfaces à couvrir; aux siè-
nouir dans le passé et dans le vide, sans donner clés suivants, la peinture pénètre déplus en
prise à quelques remarques fixes, qui en conser- plus dans les palais et les villas. Aujour-
vent les traces successives. Ce n'est pas assez d'hui, l'art ne reçoit plus que rarement une
de distinguer les Salons et de les dater par le aussi large hospitalité, et la grande décoration
nom du peintre auquel est échue la Médaille n'a pas souvent l'occasion de se donner libre
d'Honneur, comme l'année sportique se dési- jeu. Nous avons eu le Panthéon; nous avons
gne par le gagnant du Grand-Prix : c'est en surtout maintenant la Nouvelle Sorbonne et
quelque sorte le bilan de l'art qu'il faudrait l'Hôtel de Ville, qui ont fait une grande
pouvoir établir tous les ans; et cette fois-ci, il consommation de décorateurs, et auxquels il
semble que nous soyons appelé à cet examen sera, souhaitons-le, beaucoup pardonné. Le
par une solennité particulière, et qu'une pé- Sacré-Cœur ne semble pas bouger pour le
riode d'expositions s'achève, en même temps moment, et ne songe pas sans doute à ramener
44
Art et Décoration
les beaux jours de Santa Maria Noveila. De
temps en temps, quelque mairie tient à faire
peindre une noce de banlieue dans sa salle des
mariages; et c'est à peu près tout. La grande
peinture décorative, qui fournissait autrefois
toute la matière de
l'art, ne doit donc
former aujourd'hui
qu'une part minime
des œuvres peintes.
Et cependant , un
grand nombre d'ar-
tistes s'obstinent, si-
non à la peinture pu-
rement murale, du
moins à de vastes
compositions allégo-
riques , historiques
ou légendaires, qui
ne sauraient trouver
place sous tous les
plafonds. Quand
l'auteur n'a pas visé
ainsi une récom-
pense marquante, il
s'efforce d'obtenir l'a-
chat de son tableau
par l'Etat , regardé
toujours par les ar-
tistes comme le ga-
rant et l'acquéreur
naturel des fortes di-
mensions. Si le pein-
tre aboutit dans ses
intrigues, sa toile va
alors compléter, non
pas l'ornement d'un
palais national, mais
un panneau de salle
de Musée; or, l'on
s'habitue trop à regarder les Musées comme
l'unique et le plus digne réceptable de toute
œuvre d'art. Si les démarches échouent, le
tableau regagne le seul domicile qui consente
à le recevoir, le fond de l'atelier, d'où il ne sor-
tira probablement plus.
C'est à la Bibliothèque de la nouvelle Sor-
bonne qu'est réservé le plafond de M. Dubufe;
sachons-lui tout au moins gré de nous donner
texte à quelques réflexions sur la légitimité du
genre. Les discussions que l'on voit se repro-
duire, chaque année, sur la peinture plafon-
nante ou non plafonnante, me paraissent, en
déliniiive, assez oiseuses ; et peut-être serait-il
Panneau décoratif.
temps de convenir, en toute franchise, qu'une
peinture de plafond est toujours fort désa-
gréable à regarder. Il faut reconnaître, sans
parti pris, dans cette invention de l'art, une
immense erreur, à laquelle les plus grands
décorateurs ont pu
se laisser entraîner,
mais que les nou-
veaux édifices offi-
ciels ont grand tort,
je crois, de perpé-
tuer. Seule, la Sixii-
ne est capable d'a-
néanti r, dans l'ébran-
icment prodigieux de
toutes les puissances
du génie, cette faute
originelle de la
conception pictu-
rale ; dirai-je même
que l'on peut voir
dans les poses dou-
loureuses de pos-
sédé auxquelles nous
force le spectacle de
cette voûte, une pré-
paration significa-
tive, une sorte d'in-
troduction au mys-
tère qui va s'accom-
plir en nous sous la
terrifiante domina-
tion de l'iêuvre sur-
humaine ?
C'est du moins une
œuvre de grand style,
et de véritable portée
décorative, que le'
carton de Puvis de
Chavannes, conçu
pour une destination bien déterminée.
Voilà déjà bien des années que la première
partie de l'histoire de Sainte Geneviève, peinte
au Panthéon, avait contribué à établir définiti-
vement l'universelle renommée du Maître. Le
crayon nous donne déjà une haute idée de ce
que sera cette nouvelle suite de trois panneaux.
M. Puvis de Chavannes a acquis encore avec
le temps une composition plus pleine et plus
nourrie, si l'on peut ainsi dire; l'ordonnance
des groupes y est devenue plus condensée, tout
en restant d'une ligne simple et imposante. La
procession qui sort de la ville et s'avance au
devant de la sainte, les débardeurs qui dc-
BOIKINE.
Conclusion sur la Teinture aux Salons
45
chargent les barques de ravitaillement, les mu-
railles mêmes de Paris, tout cela se trouve très
fermement situé et
établi, et nous com-
munique une très
grande impression.
On a déjà parlé ici
de la robuste pein-
ture de M. Jean-
Paul Laurens, qui
témoigne aussi sû-
rement d'une maî-
trise sans cesse re-
nouvelée. Mais il
ne faut pas omettre
la frise composée
par M. Victor
Prouvé pour la
mairie d'Issy, La
Me, d'un arrange-
ment très souple et
d'une jolie qualité
de couleur, avec
cette ronde d'en-
fants qui monte à
droite de la berge,
et le groupe noble
et triomphant, au
centre, de la mère
et du nourrisson,
tandis que se dé-
roule dans le fond
un de ces paysages
attendrissants des
bords de la Seine,
à la fin d'une belle
journée d'été. Mais
pourquoi faut- il
que dans les coins
s'imposent des cou-
ples vulgaires, qui
accusent trop un
lieu et une date à
cette souriante ap-
parition de la vie.
et qui nous rap-
pellent que c'est
aux Moulineaux
que nous sommes?
Immédiatement
s'évoquent pour
nous des odeurs de guinguettes et les silhouet-
tes propres aux environs des/or/ifo : voilà qui
n'est plus de la décoration.
Eve.
Il faut bien dire aussi un mot du grand
tableau de M. Henri Martin, Vers l'Abîme dont
le sujet symbolique
et les proportions,
et aussi le parti pris
des grandes lignes
du paysage, font, en
quelque manière ,
une œuvre décora-
tive. Reconnais-
sons d'abord que
l'idée en semble
beaucoup plus
claire qu'on ne l'a
voulu voir en géné-
ral ; le grand défaut,
c'est que l'exécu-
tion en reste encore
trop aride et trop
frénétique, le mo-
delé trop uniforme
encore dans les
figures et les ter-
rains, bien qu'on y
distingue cepen-
dant plus de soli-
dité et de cohésion
que par le passé.
Pour s'imposer
dans la totalité de
cette large surface,
il faudrait à l'œu-
vre un accord plus
soutenu et moins
heurté des formes
et des colorations,
venant discipliner
et assouplir les qua-
lités d'àpreté et de
vigueur qu'il faut y
remarquer.
Voilà à peu près
les seules œuvres
des Salons que l'on
puisse classer dans
la grande décora-
tion, en élargissant
même la significa-
tion immédiate de
ce mot. Mais si la
peinture murale
ne trouve plus à s'employer fréquemment, est-
ce à dire qu'il n'y ait plus à faire œuvre de
décorateur? Au contraire, dirai-je; mais nous
LEVY-DHURMEK.
46
Art et Décoration
devons comprendre autrement la peinture dé- gager dans cette voie longtemps négligée de
corative. L'artiste doit songer à élaborer autre l'art. Bien d'autres artistes ont droit à notre
chose dans son atelier que de grands tableaux considération et cherchent, avec eux, à nous
de galeries, sans préoccupation de jour ou toucher par des tigures qui prennent dans le
d'entourage. Ce sont les tableaux de chevalet site et la posture où elles nous apparaissent, ou
qui devront procéder de l'art ornemental; car dans l'action à laquelle elles participent, une
c'est à toute oeuvre d'art qu'il appartient d'être signification humaine et allégorique, qu'il faut
décorative; et il s'agit de concevoir une pcin- prendre garde toutefois de compliquer d'inten-
Plafoiui fow la Soibonnc.
ture d'intérieur, pour ainsi dire, qui prendra
toute sa valeur sous l'éclairage assombri et dans
la retraite intime de nos appartements, .le pré-
vois d'autres occasions de revenir plus tard sur
ce que l'on pourrait entendre par le caractère
décoratif de la peinture; on comprend en tout
cas que les préoccupations de plein air et de
relief ne devront pas dominer les 'efforts de
l'artiste, et qu'il y faut chercher par dessus
tout le style, l'arrangement, la ligne et l'har-
monie, en même temps que l'intensité expres-
sive du sujet. On a déjà relevé ici le mérite
des compositions de MM. René Ménard et
Aman-Jean, qui ont été des premiers à s'en-
tions par trop littéraires. Là réside en effet le
grand écueil, et les peintres du plus haut mé-
rite ne l'ont pas toujours évité. Parmi les
artistes dont les Salons de cette année ont
laissé en nous le souvenir, il convient de rap-
peler au moins aux Champs-Elysées MM. Fan-
lin-Latour — bien que les formes souples et
balancées paraissent devenir sur ses toiles trop
inconsistantes — Raphaël Collin, Albert Lau-
rens, Bellery-Desfontaines. On n'a pas oublié
sans doute l'Eve, de M. Lévy-Dhurmer, appa-
rue dans un radieux enchantement, et que
nous reproduisons ici. Nous ne saurions trop
en relever la ligne élégante, et cette ordon-
Conclusion sur la Peinture aux Salons
47
nance savante, serrée et harmonique, qui est
bien, dans toutes les œuvres du peintre, la
marque d'un esprit pénétré du vrai sentiment
décoratif. Il faut noter au Champ-de-Mars, les
savoureuses peintures de MM. Ary Renan, Lu-
cien Monod, Lecmpnels,deMii'' Rœders-
tcin; les colorations puissantes
et fastueuses de M. La Tou-
che, qui devrait se résou
dre à mieux ordonner
et définir ses riches-
ses, et celles de
M.Brangwvn.qui
restent malheu-
reusement trop
un échantillon-
nage de beaux
tons assourdis.
Et M. Botkine
a tiré de très heu-
reux effets de la
franche donnée
de simplification
selon laquelle il
a interprété quel-
ques figures de
femmes.
Le portrait lui-
même saura se
plier au senti-
ment décoratif,
et la physionomie
du modèle se révc-
leraainsi bien pluspro
fondement, car tout sera
disposé dans le tableau
pour la mieux formuler, et on
la pénétrera plus à loisir
dans la chambre où elle vien-
dra prendre place en silence.
La belle exposition des Portraits de femmes
et d'enfants nous a permis de voir bien des
modèles de ces visages, présentés dans une
pose qui serve à les définir, sans troubler
l'allure tranquille que doivent garder ces
figures muettes. L'école anglaise du siècle der-
nier a spécialement compris ce prestige de
l'arrangement et du style; mais nous n'avons
pas à en être jaloux, car il est facile de s'aviser
de tout ce que les peintres anglais ont décou-
vert chez nous, et emprunté en particulier à
notre Greuze.
Cette conception du portrait nous transporte
bien loin de la recherche photographique, qui
Piirtrjît.
fait saillir sur la toile toutes les grimaces carac-
téristiques, toutes les rides, toutes les flétris-
sures que le peintre tenace a observées sur le
visage de son modèle. Il n'y a pas longtemps
que le plus bel éloge que l'on pensât faire à un
portrait, c'était cette simple exclamation:
« Comme il sort du cadre! »
Nous croyons au contraire
qu'un portrait ne doit pas
s'avancer à l'impro-
viste, comme un in-
trus; mais que, fixé
à la muraille, il
doit rester en-
foncé dans son
cadre, s'allier à
la trame de la
tenture, tout en
surgissant, peu à
peu, semble-t-il,
quand nos yeux
se poseront lon-
guement sur lui.
Il ne suffît pas
non plus que le
portrait révèle
chez l'artiste une
habileté singu-
lière, la connais-
sance de toutes
les ruses du mé-
tier, si loin qu'elle
soit poussée, et la
oie dépeindre, d'éta-
ler de beaux tons de
chairs ou d'éi(}ft'es,oud'en-
.- ver avec au tant d'aisance que
d'éclat une tête sur un fond. Ce
sont là des qualités qu'il ne
faut pas mépriser, pourvu
qu'elles soient modérées par d'autres soucis;
ce n'est pas assez d'être un peintre pour se
faire l'analyste et l'historien d'une physiono-
mie, il faut être aussi un penseur.
Enfin, nous reviendrons aussi de ces portraits
à grand fracas, qui semblent pétiller dans tous
les sens, et suffisent à désorganiser à eux seuls
toute harmonie entre les meubles divers d'un
salon. M. Besnard lui-même semble désabusé
de la dangereuse vanité des robes couleur
de feu. Et nous pouvons ranger dans la même
classe ces portraits comme nous en connais-
sons, où les détails accessoires — les pelisses,
les chapeaux lustrés et les complets du bon
]. BLANCHE.
48
/In et Décoration
faiseur, ou bien les cannes de camelote —
prennent une importance outrageante pour la
physionomie humaine.
Après ces réflexions, il serait oiseux de dire
quels sont les talents qui nous paraissent
condamnables. Il suffit de citer en hâte, parmi
ceux qui tentent de nous donner des portraits
plus recueillis, plus composés et plus péné-
trants, MM. Blanche, Dagnan-Bouveret, Aman-
Jean, Lévy-Dhurmer, René Ménard, Burnand,
surtout le caractère grandiose, ample et serein,
comme le fait \T. Harpignies, soit que l'on en
veuille manifester la majesté écrasante et aride
devant l'infirmité des hommes, suivant la ma-
nière de M. Demont-Breton, ou soit que l'on
tente d'associer de plus près la nature à nos
souvenirs, à nos angoisses et à nos regrets,
comme le montrent quelques études récentes
de M. Helleu. La recherche même la plus sin-
cère de la nature peut ne pas se départir du
m
Dcciii.iliuii
l.i Mairie d Issy .Fragment).
V. PROUVE.
de la Gandara, Boutet de Monvel, — et Bol-
dini, malgré ses exubérances de gestes.
De M. Blanche, nous donnons dans ce nu-
méro le Portrait de Af^e la Princesse '" , qui,
pour n'avoir pas été exposé au Salon, n'en est
pas moins de la meilleure façon de l'artiste.
La reproduction permet déjà d'apprécier cette
sorte de plénitude aisée du métier, cette dis-
tinction d'allure, cette union souple et ondu-
leuse de la Hgure et de l'entourage, qu'ont si
heureusementdéveloppés les modèles de l'école
anglaise.
Le paysage s'ennoblit aussi de la dignité
d'une recherche décorative, et quelques exem-
ples que nous avons sous les yeux suffisent à
l'affirmer, soit que l'on s'efforce d'en exprimer
sentiment de l'effet et de l'ordonnance, et les
tableaux de NL Cazin réussissent bien à le
prouver.
Ces aperçus en diront assez, je le pense, et
je n'ai pas besoin de m'attarder à des conclu-
sions. Dans toute œuvre, l'artiste doit avoir à
se déterminer, à choisir, à agencer, à exprimer.
Si les conditions de l'art ne cessent d'évoluer
avec les nécessités de l'existence et la tournure
des esprits, tout artiste véritable doit corn
prendre ces conditions telles que son époque les
réclame, et se reporter d'ailleurs aux règles
perpétuelles de l'art, autour desquelles on a
peut-être trop longtemps gambadé.
Gustave Soulier.
Clicinnice (Actail).
L'ART DOMESTIQUE DE M. VALLGREN
u nombre des artistes qui une élégance de formes sveltes et affinées, au
ont le plus le sens de la charme d'une imagination mystique et senti-
sculpture moderne, il
faut assurément comptci'
M. Vallgren. Dans tout ce
qu'il tente, figure d'expres-
sion en marbre, en bronze
ou en pierre teintée selon le procédé qu'il a
inauguré, ou même dans un simple buste, il
s'efforce de faire œuvre intime et décorative.
Ces visages qui s'accoudent pensivement, qui
s'extasient ou s'apitoient sous la révélation de
la jeunesse ou du deuil, trouvent bien leur
entourage nécessaire dans les appartements
où s'abrite notre vie quotidienne. Aussi affec-
tionne-t-il particulièrement les statuettes et les
groupes de dimensions réduites, qui prennent
sur une table ou sur une étagère une véritable
valeur de bibelot. On connaît de lui une
série d'Unies cinéraires, de Pleureuses et de
Maternités (l'une d'elles est au Musée du
Luxembourg), où il a réussi à mettre sur les
figurines modelées toute la prostration et tous
les soubresauts de la douleur. Il choie son
I œuvre d'une main tendre et compatissante;
1 il l'habille et la caresse, pour ainsi dire, d'ad-
I rnirables patines, laissant tantôt sur le bronze
1 comme un reflet de flamme vorace, et qui se
glacent tantôt en reflets mauves ou verts,
comme si la statuette avait séjourné au fond
des eaux.
Dès longtemps aussi, et l'un des premiers,
M. Vallgren s'est appliqué à donner à d'humbles
objets usuels tout l'imprévu et la séduction
dune œuvre d'art. Aux Salons du Champ-de- mentale, grâce à laquelle toute pensée prend
Mars ont déjà figuré des tentatives très diverses aussitôt figure. Et par là se découvre, à vrai
laites dans cette voie. L'artiste s'y reconnaît dire, le tempérament de l'homme du Nord,
toujours à certaines inflexions habituelles, à l'àme du Finlandais qu'est M. Vallgren, le
7
Miroir à main (revers).
50
Art et Décoration
cerveau qui a été nourri de légendes dès son
origine, et qui ne cesse de s'entretenir de ses
propres songeries. II n'y a jamais, dans l'idée
de ses œuvres, aucun symbole obscur et péni-
blement concerté; c'est au contraire la vision
naturelle d'un esprit délicat et rêveur qui donne
carrière au ciseau ou à l'ébauchoir, d'un mou-
vement aisé. La précieuse vertu des pays Scan-
dinaves, ce n'est pas tant de fournir aux carac-
tères qu'ils développent le trésor héréditaire
des fables antiques, que
de former des âmes lé-
gendaires, qui ne s'ar-
rêtent point à une
mythologie officielle,
mais aspirent devant
elles le libre espace où
peuvent éclore pour
chacun, selon l'incli-
nation de ses songes
coutumicrs, les irréelles
figures de mythes per-
sonnels. C'est ainsi que
l'on parvient rapide-
ment à relever le prin-
cipe fondamental et le
thème générateur dont
s'inspire toute la déco-
ration de M. Vallgren.
On pourrait dire que
toutes ses idées déco-
ratives se ramènent à
l'assimilation de la vie
végétale et de la vie
humaine. Il associe les
fleurs au sentiment de
la joie ou de la souf-
france; les formes de
fleurs s'apparient pour
lui à des formes de
femmes : elles fleuris-
sent ensemble, pour ainsi dire; et des calices
ouverts, il fait surgir des sortes de Filles-Fleurs,
qui semblent s'épanouir elles-mêmes, comme
d'une tige que formeraient leurs jambes frêles,
dans le mouvement souple et rigide de leurs
hanches étroites et de leur buste dressé. C'est
là l'attitude des figures de femmes, auréolées
de grandes fleurs de soleils, qui forment l'inté-
ressant lustre en cuivre que l'artiste exposait,
il y a deux ans, au Champ-dc-Mars; et c'est
à peu près la même conception que l'on retrouve
dans l'Applique- de bronze dont nous donnons
aussi la reproduction. Mais, cette fois, M. Vall-
Cotipe {pièce centrale d'un siittont Je table).
gren a choisi les fleurs d'arum, dont la blan-
cheur semble répandre elle-même de la lumière,
pour y placer les minces ampoules de verre,
imitant l'épi central, où s'allumera le fil incan-
descent. Des feuilles de fléchières soutiennent
les tiges, et la sveltesse de ce jeune corps se
marie bien au galbe pur et élancé des fleurs
qui s'inclinent au-dessus de lui et l'environne-
ront de clarté. La composition est ici d'une
simplicité et d'un charme accomplis.
Ailleurs, c'est la vie
humaine qui se penche
sur la fleur comme sur
un miroir, ou comme
sur un calice où l'on
boirait la science, et
qui semble chercher,
dans cette existence
mystérieuseet primitive
qui se révèle, le secret
de sa propre destinée.
Tel est le motif de la
Coupe à fruits que l'on
trouve encore dans ce
numéro, et dont on re-
marquera aisément la
ligne exquise et non-
chalante, et la grâce
rêveuse, fondant la robe
de la femme sur la tige
de nénuphar qui semble
l'entraîner dans son
ascension.
On peut noter la pré-
dilection de l'artiste
pour les fleurs aqua-
tiques, dont les mouve-
ments paraissent se mo-
deler sur les frissons
mêmes des flots, et par-
ticiper de leurs fluides
ondulations. Par là même, elles s'animent à
nos yeux d'une vie plus fébrile et plus subtile,
plus proche de cette existence immatérielle,
toute de grâce et de sentiment, que décèlent
aussi ces formes ténues de petites I^lfes, dont
M. Vallgren peuple ses œuvres.
Car M. Vallgren est avant tout sculpteur, et
il le reste dans toutes sescomposiiions : presque
toujours, dans les objets d'utilité qu'il conçoit,
il fait appel aux personnages pour l'ornemen-
tation; il leur fait jouer de petits drames mys-
térieux et intimes, des sortes d'allégories de
notre vie et de notre pensée; et il faut bien re-
L'Art domestique de M. Fallgreii
5
connaître là la puissante et savoureuse origi- se dégagent guère, dans leur touchante graci-
nalité de cet artiste. Le Salon du Champ-de- litc, que des corps adolescents, ne saurait nous
Mars nous montrait, il y a quelques années, un échapper ; mais il faut dire que cet art serait
surtout de table en argent, composé de trois d'une dangereuse école, et que la quintessence
pièces, qui ne laisse pas d'être très significatif du sujet, ou la fuite constante de l'arrange-
etqui découvre singulièrement la tendance de ment habituel et banal, risqueraient d'égarer
cet art. Je regrette que nous n'ayons pu repro- ceux quivoudraients'y essayer. Regardczlc pied
duire ici que la pièce centrale. Le thème est oblique delà coupe à fruits dont j'ai parlé plus
emprunté à la liosc de Noël, et ce sont aussi haut : l'artiste est ici servi par un sentiment
les phases de ^ merveilleux
hu- ^^^^^^H^^^^^^^^^^^^^^B^H^^HH^^^H^HH
de la mesure;
mais un
peu plus, l'é-
quilibre des
lignes serait
compromis.
Il convient
de remarquer
aussi que
l'emploi des
liguresmode-
lées en reliel
ne saurait
s'appliquer
indifférem-
ment à la dé-
coration de
toutes les
pièces d'or-
fèvrerie . 1 1
s'adapte fort
bien cepen-
dant à cette
sorte d'orfè-
vrerie d'ap-
parat à la-
quelle s'est
appliqué M.
Vallgren, et
qui estl plus
plus ouverte, et sur les étamines se dresse le faite pour parer la table que pour porter des
groupe de l'homme et de la femme, qui se fruits ou des gâteaux. Il n'y a ici qu'à louer
tiennent étroitement embrassés. Le motif de la l'ingéniosité de l'ornement, qui sait rester
troisième pièce est la Maternité : du cœur de souple et sans surcharge. Mais les objets plus
la fleur s'élance une jeune mère, tenant un usuels, tels que les théières, les cafetières, les
poupon dans ses bras. Voilà bien, je le disais, sucriers, ou autres pièces destinées à être
qui nous aide à déterminer la personnalité de maniées, doivent être cherchés dans une don-
ce talent, pressé d'appuyer sur une idée la née plus sobre, et plus dépouillée, pour ainsi
recherche de l'élément ornemental, et cela dire, d'agrémentation extérieure. Je ne crois
sans violenter l'inspiration, en se livrant à la pas qu'il soit dans la voie de l'orfèvrerie nou-
tournure native de l'esprit. velle de se proposer, par exemple, pour mo-
Et sans doute le charme subtil et fragile de dèles les aiguières de la Renaissance, si grouil-
ces compositions précieuses et mièvres, oi.i ne lantes de formes diverses, animales et végé-
1 a vie
maine qui se
développent ,
en même
temps que
s'épanouit le
calice de la
fleur. La fleur
elle-même
s'évase et for-
me une sorte
de drageoir.
Mais tandis
que dans la
première ,
une figure
légère de
f e m m e se
penche, se te-
nant debout
tout au bord
des pétales,
dans un mou-
vement ex-
quis d'inno-
cence et de
curiosité , la
seconde cou-
pe symbolise
l'Amour : la
fleur est déjà
Cheminée.
^2
Art et Décoration
taies, accouplées toujours avec une noble clé- méro un Miroir â main, que M. Vallgren a
gance, maisciont la pompe et l'emphase seraient encadré de fleurs de pavots, auxquelles il a
peu dans le caractère de notre temps. L'élé- conservé une allure rustique et sans apprêt; et
ment végétal même ne doit, me semble-t-il, sur le revers, le même sentiment naïf nous ravit
prêter ici au décorateur qu'une assistance dis- dans cette figure de fillette, dessinée d'un relief
crête, et ne point alourdir les formes essen- à peine sensible, et qui tient des fleurs avec un
ticlles du vase sous un
modelé trop directe-
ment emprunté à la
nature. Peut-être est-il
bon de signaler là en
passant une tendance
fâcheuse que parais-
sent manifester plu-
sieurs tentatives ré-
centes, où le style ne
prend pas une part as-
sez prédominante.
C'est dans la forme
même de l'objet que
l'orfèvre doit trouver
l'élément capital de
l'élégance et de la sé-
duction qu'il sera ca-
pable de réaliser; c'est
le galbe général qui
doit le préoccuper
avant tout, et déter-
miner les motifs d'or-
nement dont il le re-
haussera. M. Vallgren
lui-même l'a bien
compris, du reste, et
l'on connaît de lui une
Ecuelle d'enfant, avec
sa cuiller, qui ne sont
point, malgré leur at-
trait d'art, des bibelots
de vitrine, mais vrai-
ment desobjets de mé-
Applique.
geste simple d'of-
frande, évoquant en
nous d'une façon char-
mante et lointaine le
ressouvenir de l'atti-
tude orante d'une nielle
byzantine. J'avoue que
je goûte dans ce rappel
atténué, cette sorte de
sous-entendu où l'ar-
liste et l'amateur se
comprennent à demi
mot, un plaisir parti-
culièrement délicat.
N'y a-t-il pas, en effet,
une distinction d'es-
prit très particulière,
et la tînesse d'un talent
très libre et très cul-
tivé, dans cette adresse
tout instinctive à glis-
ser dans une œuvre
d'inspiration très mo-
derne, et même très lo-
cale— car celte tîllette
a bien l'allure et le cos-
tume d'une jeune Sué-
doise — une douceur
voilée d'archaïsme?
Je veux appeler aussi
l'attention sur une sé-
rie d'objets consacrés
à la décoration d'une
porte. Nous n'avons
nage, conçus dans une forme simple et aimable, pu mettre ici sous les veux de nos lecteurs que
et très légèrement ornés de reliefs et de devises. le Heurtoir: il y a aussi une serrure, une clef et
L'orfèvrerie n'est d'ailleurs pas seule à sollici- des gonds, qu'il ne faut pas en séparer. On
ter l'activité de M. Vallgren, et de cotés bien di- doit louer spécialement M. Vallgren de n'avoir
vers il s'est senti attiré vers les recherches d'art pas adapté à ces objets un motif quelconque d'or-
domestique. Nous avons déjà parlé d'une nement, mais d'avoir cherché à pénétrer plus
applique et d'un lustre électrique, dont j'ai dit intimement leur signification propre, afin de
l'heureuse invention décorative, faisant déver. les embellir selonleur caractère et leurdestinée.
ser la lumière par des fleurs de tournesols ; il N'est-ce point là, d'ailleurs, le système ordi-
faut pourtant relever, dans la composition qui naire de M. Vallgren? Nous avons vu qu'au
ne manque pas de grâce, une certaine maigreur sujet de son lustre et de son applique, il avait
de tiges, communiquant à l'ensemble un aspect choisi pour thème ornemental des fleurs qui
un peu vide pour ses dimensions. semblent donner de la lumière. Ici, c'est toute
On trouvera encore reproduit dans ce nu- une « histoire des portes » qu'il raconte, pour
L'Art domestique de M. V allier en
^
ainsi dire ; il prête en quelque sorte un carac- tiste termine en ce moment, et qui restera, à
tère muet et fatidique aux portes, qui mettent coup sûr, parmi ses œuvres décoratives les
tour à tour une communication ou un obstacle plus considérables et les plus complètes, par
entre l'abri serein et chaud du foyer, et le vent, la grâce souple et ingénieuse du motit orne-
le froidetles ombres du dehors. Des fleurs sau- mental qui court en frise, et par le solide
vages ont grimpé à l'abandon, et sous le judas assemblage des parties. Nous retrouvons ici
quadrillé, une petite flile, avec sa natte dans le le thème des soleils et des arums, entre les-
dos, se suspend en suppliante, comme pour im- quels s'enlacent en vivante guirlande des
plorerasile,et frappe des genoux contre la porte: formes féeriques de femmes, dont la robe,
tel est le sujet du heurtoir de bronze. La fillette reliée aux tiges et aux feuilles, atteste la
elle-même forme le marteau, que l'on soulève nature à demi végétale . Cette tantaisie
par le bout
de la robe qui
s'envole , ter-
minée en bou-
ton de fleur.
Le mouvement
est sobre et
exactement ap-
proprié à l'uti-
litéde lafigure,
qui reste une
trouvaille déli-
cieuse. D'au-
tres motifs
moins impor-
tants décorent
les autres par-
ties : à coté du
trou de la ser-
rure se tient
une enfant qui
pose ses doigts
sur ses lèvres,
comme dans
une crainte va-
gue et mysté-
rieuse ; la poi-
gnée de la clef
s'orne d'un
chien abo3'ant,
et nous voilà
soudain rame-
nés au cave canem des seuils antiques. Pour pierre , s'impose avec une vraie gran-
les gonds de la porte, M. Vallgren a heu- deur. Sur les chenets, fondus en cuivre, des
reusement songé à ajuster îles têtes de pavots, soleils encore ont été nerveusement modelés,
rappelant les végétations parasites se dessé- par touches plus rudes ; mais les fleurs se
chant au hasard des interstices. On le voit, tordent et s'affaissent sur leurs tiges, décré-
c'est bien toute une légende des vieilles mai- pites et défaillantes, comme sous la chaleur
sons qui a surgi sous les doigts du mode- excessive du brasier.
leur, et qui éveille en nous à son tour les II ne faut pas oublier de remarquer les colo-
éternelles hallucinations du vent d'hiver. rations agréables que le sculpteur donne à cette
A l'ennoblissement de la maison se rapporte pierre moelleuse, par la pénétration des acides,
encore la cheminée en pierre teintée que l'ar- et qui, en même temps qu'elles en corrigent la
Lustre.
ondule en un
rythme souple
et caressant,
tandis que
sur les mon-
tants de la che-
minée , fran-
chementtaillés
dans la pierre
et laissant au
bloc sa struc-
ture massive
de support, des
chardons s'élè-
vent, et leurs
fleurs épi-
neuses segrou-
pent pour for-
mer un chapi-
teau.Leslignes
générales res-
tent d'une sim-
plicité rigide,
n'enlevant rien
à la construc-
tion de son
aspect logique
et résistant; le
caractère ar-
chitectural, ac-
cuséencorepar
la nudité de la
54
An et Décoration
blancheur froide, lui coinmuniqueni le lustre l'art appliqué que ses heures de loisir et les
émoussé et onctueux d'une belle patine. rognures de son talent, et que c'est en manière
Ainsi s'exerce cet an attentif et nuancé, dési- de délassement des travaux sérieux qu'il s'amuse
reux de toucher par un charme secret, et non à asservir à un détail pratique ses dextérités de
seulement de plaire parla vue d'une jolie métier. Je voudrais, au contraire, faire entendre
chose. Et ce qui donne à M. Vallgren son que M. Vallgren se propose sans cesse de réa-
individualité caractéristique, c'est ce mépris liser un art domestique, et que c'est par cette
du décor quelconque, du motifindifférent, qui direction primordiale de son talent et de ses
semble prêt à se plier également à toute forme efforts qu'il occupe, dans notre art contem-
et à toute matière, de la moulure facile qui porain, une situation considérable et tout à fait
s'agence d'elle-même, sans mordant, sans sur- personnelle. Il ne peut même pas être question
prendre jamais par un
accent vif et personnel ;
mais toujours, au con-
traire, on discerne chez
lui ce talent aiguisé ,
prompt à saisir, en quel-
que sorte, la vraisem-
blance de l'ornemeni.
Toute œuvre décorative
prête au développement
d'un thème approprié.
Il faudrait mettre quel-
que ménagement à l'é-
loge, si l'on sentait l'ar-
tiste soucieux de ren-
chérir sur l'intention et
de compliquer le sym-
bole; mais l'on ne sau
rait vraiment observer
dans cet art intime ni
recherche, ni préten-
tion. Tout imitateur en
arriverait à peu près fa-
talement à l'obscurité
ou à la manière; M. Vall-
gren nous laisse tou-
jours, dans ce que son
art peut avoir de plus
rare etde plus expressif,
une impression de frai-
Coupe.
ici d'art industriel ;
M. Vallgren ne cherche
pas à produire des ob-
jets purement usuels,
mais l'embellissement
de notre intérieur le sol-
licite sans relâche. Il
conçoit véritablement
ce que doit être l'art de
la maison, et partout
oii son art peut intégra-
lement prendre place
dans nos demeures, il
s'eft'orce de l'y intro-
duire. J'ai dit que le mo-
tif ornemental n'était
jamais quelconque chez
M. Vallgren; il faut le
dire aussi du caractère
d'ensemble de ses ou-
vrages. 11 suffit d'ob-
server la cheminée de
pierre que j'ai décrite
tout à l'heure, pour se
rendre compte qu'elle
ne sera pas à sa place
dans tout logement. On
imagine pour elle une
sorte de hall, qui accu-
serait plus le dessein de
cheur et de na'iveté: ses ouvrages nous révè- l'architecte que celui du tapissier, et où l'on
lent un sentiment mélancolique et primesau- retrouveraitla mêmesévéritédetenue, marquée
tier; et a vrai dire, la grâce de ces figurines ne par la franchise de lignes de l'édifice. Il en est
les rend-elle pas un peu parentes, avec une de même pour les autres œuvres, délibérément
inspiration bien différente et très moderne, exécutées suivant un caractère bien voulu et
des terres cuites tanagréennes? nettement déterminé. On ne voit point que de
Il ne faudrait pas croire que M. Vallgren tels objets puissent se répéter à de nombreux
ayant un vrai tempérament de sculpteur et exemplaires; ils gardent bien le caractère de
s étant fait connaître d'abord comme tel, il est pièces uniques : leur originalité même semble
nécessaire, pour acquérir une idée exacte de sa
nature et de ses qualités, de le juger sur ses
œuvres purement sculpturales. On s'imagi-
nerait, bien à tort, qu'il n'accorde aux soucis de
en interdire la reproduction, car l'objet déjà
vu ailleurs serait trop facilement reconnais-
sable. C'est ainsi que M. Vallgren s'est
toujours refusé, par exemple, à céder à un
L'An domestique de M. VaUgrcn
éditeur le droit de multiplier ses petits bronzes,
il V a donc autre chose, dans l'exercice de ce
talent, que des tentatives d'art appliqué : il y a
une véritable accommodation de la statuaire à
nne nouvelle conception de cet art. Le temps
n'est plus des grandes figures taillées dans le
marbre ou coulées en
bronze; c'est la figurine
qui doit dominer. Ce n'est
pas une raison pour voir
là un signe d'impuissance
chez les artistes, et pour
déplorer que l'on ne sache
plus imaginer et sentir
qu'un art amoindri, rape-
tissé. Nous serions vrai-
ment bien à plaindre, et
notre vision de l'art serait
par trop restreinte, si les
sculpteurs ne travaillaient
que pour les musées et les
places publiques. Quant à
nos intérieurs, on com-
mence à comprendre qu'ils
ne doivent pas être dis-
posés comme une salle
d'exposition; il est temps
d'aménager un peu chez
nous, et d'y mettre plus
d'ordre et d'intimité. Pour
orner les chambres, on en
est arrivé à l'encombre-
ment, à une accumulation
de bibelots, dont on ne par-
vient pas toujours à allier,
avec l'entourage, l'aspect
étrange ou exotique. De
même que je prônais, pour
tout objet, un élément de
décoration qui soit en rap-
port avec son rôle et sa na-
ture, rornementation
même de notre maison gagnera une sorte de
lucidité logique à lirer son développement du
confort même de la maison, au lieu d'y ajouter
des parures extérieures et indépendantes. De
cette entente d'un art journalier et méthodique
vient, chez M. "Vallgren, le désir d'approprier
ses statuettes à une destination spéciale. N'ou-
blions pas aussi que le plaisir esthétique ne se
contente pas de la satisfaction des yeux, mais
que le sens du toucher y a sa part. Nous
aimons caresser un bibelot de prédilection,
comme pour apprécier mieux les délicatesses
llciirtoir
^5
du modelé et la douceur de la patine. Sur un
objet d'usage, notre main se posera d'elle-
même en même temps que nos regards, et
nous nous sentirons invités d'une façon plus
fréquente et plus directe à jouir de son voisi-
nage. C'est bien l'art le mieux fait pour nous
que celui qui trouve ainsi
mille chemins pour nous
captiver, et auquel nous ne
pouvons rester étrangers.
Nous ne saurions trop
nous féliciter de voir des
artistes tels que M. Vall-
gren, ou M. Dampt, s'inté-
resser d'une façon aussi
effective aux progrès de
l'art domestique. Ils ont
prouvé qu'ils lui pouvaient
donner une forte impul-
sion. Il importe toute-
fois qu'il ne veuille pas
prodiguer en toute occa-
sion toutes les ressources
de son métier d'origine,
et il doit s'interdire l'abus
du plein relief et des formes
trop mouvementées . Les
contours nécessaires de
l'objet à décorer ne doi-
vent jamais être embar-
rassés et comme défigurés
sous la profusion des orne-
ments. Nous avons vu ré-
cemment des sièges bos-
sues et cahotés de façon
fort inconfortable sur des
échines tortueuses, et c'est
sans doute là une des voies
les plus déplorables où
l'art du meuble puisse
,, brun^^c. s'aventurer à la suite de
quelques ébénistes véni-
tiens. Peut-être même les objets de bronze
exposés cette année par M. Prouvé étaient-ils
déjà d'un esprit un peu trop fiévreux et tour-
menté. M. 'Vallgren me semble se tenir au point
extrême de la limite légitime; il use de la figure
dans l'ornement avec un tact merveilleux; et si
ce n'est point sans trembler que l'on attend par-
fois ses essais nouveaux, il y a une joie très par-
ticulière à se sentir chaque fois rassuré, et à sa-
vourer la fantaisie et l'enchantement de ses
mventions.
Gustave Souluîr.
NOUVEAUX ESSAIS D'AMEUBLEMENT
M. BELLERY-DESFONT AINES. — MM. LOUIS BIGAUX ET JOSEPH LE CŒUR
M. Bellery-Desfontaines est peintre. L'un
des meilleurs élèves de Jean-Paul Laurens, il
collabore aux toiles du maître comme décora-
teur-architecturiste. Et, personnellement, il
expose aux Champs-Elysées, depuis quelques
années, des œu-
vres très distin-
guées , à ten -
dances symbo-
liques , telle
Vllliision. au
dernier Salon.
Entre deux ta-
bleaux, il s'oc-
cupe d'art déco-
ratif, préoccupé,
lui aussi, de for-
mes nouvelles.
C'est un cons-
ciencieux. Il ne
se contente pas
de dessiner un
meuble, il en
exécute le mo-
dèle en cire et
surveille en-
suite, de très près, le travail de reproduction.
Dans sa récente conférence sur l'art nou
veau, M. Grasset a reproché avec juste raison,
à la plupart des peintres et sculpteurs qui
s'essayent dans l'art décoratif, de ne s'être pas
adonnés préalablement à l'étude de la géomé-
trie et de l'architecture, qui, seules, peuvent
donner « la notion et le sens des proportions »
'c'est-à-dire « le sens des rapports entre les
longueurs, les largeurs et les épaisseurs »j et
le sens constructif ou sens de l'équilibre : « de
l'équilibre qui est une condition essentielle
de durée ».
M. Bellery-Desfontaines, a étudié la géo-
métrie et l'architecture. La table que vous
voyez ici, et que la photographie a malheu-
TjiMc.
reusement déformée, m'a paru très logique-
ment construite. C'est une table de travail
en noyer, avec dessus carrelé en céramique.
M. Bellery-Desfontaines l'a voulue très simple.
Comme seuls <> agréments » décoratifs : sur
les tenons, un
délicat enrou -
le ment, dont
l'humble feuille
du cresson a
fourni le thème;
et de douces
cannelures aux
incurvations des
pieds. Elle ne
doit son élé-
gance qu'aux
éléments qui
concourent à sa
solidité : à ses
arcs, à ses te-
nons , si joli -
ment « accen-
tués », et sur-
tout aux gra-
cieuses jam-
bettes fuselées qui viennent renforcer les
cquerres.
Je trouve moins de grâce, je l'avoue, aux
deux autres meubles, mais j'affirme qu'ils en
ont beaucoup plus que ne leur en a prêté la
traîtresse photographie qui déforme, à son
gré, tous plans et toutes lignes. Ainsi, les
accoudoirs du canapé ne sont pas aussi lourds
qu'ils en ont l'air. Ils le sont un peu trop,
comme tout le meuble, du reste. Je veux dire
que M. Bellerv-Desfontaines n'a point voulu
faire là un meuble élégant, mais un meuble
solide, comme doit être tout bon canapé, ami
de nos fatigues. On s'y peut laisser tomber de
toutes ses forces, et j'ai jugé qu'on y est tort
à l'aise.
BELLERY-DESFONTAINES.
Noiii'i'aiix rssnis d'Ameiihlemcut
SI
Il est en noyer clair, et tendu d'un velours
où s'impriment en vert, sur fond crème, des
feuilles de châtaignier stylisées. Le dossier
inscrit son arc dans un entablement rectangu-
laire à amortissements, entablement >; très pri-
mitif », de chaque côté duquel s'enlèvent deux
figures symboliques. Cette disposition ne
s'adapte pas très bien, à mon sens, au corps du
meuble, mais l'auteur tenait à lui donner un
cadre qui fût en
harmonie avec
le « style » de
son armoire-bi-
bliothèque dont
les deux mon-
tants, vous le
voyez, sont quel-
que peu « gothi-
ques ».
La forme gé-
nérale de cette
b ibliothèque
n'est pas banale.
Et M. Bellery a
été parfois fort
bien inspiré
dans le détail. Il
aimelesymbole,
je vous l'ai dit,
et vous ne dou-
terez pas qu'il
n'ait attaché une
signification à
ce joli motif qui
couronne l'un et
l'autre des mon-
tants. Le sym-
bole est d'ail-
leurs simple et charmant de ce papillon buti-
nant cette fleur... Et c'est un symbole aussi,
vous le devinez, cette branche d'olivier dont
l'éventail se marie, d'un si souple mouvement
aux souples courbes des appliques latérales.
Comme la table, comme le canapé, la
bibliothèque est en noyer clair et bien veiné,
qu'aucun brou de noix ne souille. Le corps
principal est h deux vantaux pleins ornés de
charnières en cuivre rouge dont le motif em-
prunté au lierre est très gracieux. Une guir-
lande de lierre finement gravée sur l'un des
vantaux grimpe mollement parmi les moires
du bois, et c'est le meilleur ornement de ce
■ meuble. Pourquoi faut-il que M. Bellery-Des-
fontaines, avant de consulter la nature, ait
.
_ j
Vi^i
,.^ -^^'^^^H
p.
Wi^^H|
(l ^
^^^0i
^
Cana^-c.
imaginé une si lourde formule pour les pen-
tures du soubassement. Au reste, la biblio-
thèque est bien construite; plus solide qu'élé-
gante, oui, mais ce n'est pas une bibliothèque
de salon. Je note, et c'est très important,
qu'elle est intérieurement fort bien disposée
et très logeable.
En somme, ce premier essai de M. Bellery-
Desfontaines est des plus louables; j'ai vu,
de lui, en outre,
de très intéres-
sants projets de
chaises, de fau-
teuils, de tapis,
de coussins. Et
je suis persuadé
qu'il prendra ,
dans l'art du
mobilier, une
des meilleures
places.
Voici mainte-
nant MM. Le
Cœur et Bi-
gaux. Ils ont ex-
posé à Bruxelles
le petit salon
que vous voyez
reproduit ici. Et
ils sont, je crois,
les seuls à re-
présenter chez
nos voisins, l'art
décoratif fran-
çais.
M. Le Cœur
est l'auteur des
meubles, M. Bi-
gaux a signé la décoration générale.
La photographie donne une idée bien in-
complète de cette décoration. Elle a diminué
la hauteur de la pièce, et tout en nous suppri-
mant un fort joli plafond, elle prête une im-
portance exagérée au panneau qui surmonte la
cheminée centrale. Ce panneau, à vrai dire,
n'est venu que par hasard jouer un rôle déco-
ratif auquel il n'était pas destiné, et je trouve,
pour ma part, qu'il gène l'ensemble. Pris à
part, il est des plus fins. La tehture qui tapisse
le mur n'est pas moins délicate et charmante,
.'e ne connais rien de plus flatteur pour l'œil
que cette bordure de tenture si finement
stylisée, et dont les tons violacés s'harmo-
nisent si justement avec le fond jaune verdàtre.
BELLERY-DESFONTAmHS.
S8
Art et Décoration
De tous les meubles de M. Le Cœur, c'est la
cheminée que je préfère avec ses jambages
droits. Les formes curvilignes du canapé et
de la console eussent réclamé, je crois, un
peu plus de légèreté dans l'exécution. Mais
M. Le Cœur est menuisier et bon menuisier
avant tout, et
nous n'en
sommes pas
moins en pré-
sence d'une
recherche de
nouvelles for-
mes très inté-
ressantes .
(Les deux vi-
trines degau-
che, dispo-
séesenencor-
bellement ne
manquent
pas de galbe.)
Tous ces
meubles sont
en chêne, en
chêne clair,
rehaussé
d'ornements
de bois des
îles. Et leur
meilleure ori-
ginalité leur
vient préci-
sément de
l'emploi très
i ntelligen t
que M. Le
Cœur a su
faire de ce
bois exotique
dont la colo-
ration rouge,
très chaude, tranche admirablement sur la
blonde lumière du chêne. Le lambris mobile
est intérieurement rehaussé de panneaux du
même bois. Kt c'est de ce bois encore que
M. Le Cœur s'est servi pour réaliser sur le
parquet une décoration géométrique qui est
d'excellent effet. Ce petit salon est donc fort
harmonieux, et l'exposition d'un ensemble
aussi complet est un excellent exemple à
suivre.
M. Le Cœur, non plus que M. Bellery-Des-
fontaines n'encourra, j'aime à le croire, le
Bibliothèque.
BELLERY-DESFONTAINES.
reproche d'avoir copié des modèles de meubles
anglais. C'est un reproche qu'on adresse trop
souvent aux artistes français. Qu'ils se soient
quelquefoisinspirés decesmodèles, j'yconsens.
Mais ils avaient mieux à faire, et ils ont
fait mieux, car lorsque je compare les ma-
nifestations
qui se sont
produites
chez nous de- ,
puis quelque 1
temps dans
Fart du mo-
bilier avec I
celles qui ont
eu lieu outre
Manche, je
n'hésite pas
à proclamer
l'in fé ri o ri té
de ces derniè-
res. La ré-
cente exposi-
tion des Arts
and Crafts
n'était point
pour me
contredire, ei
les meubles
exposés en ce
moment à la
Royal Al-
bert Hall ne
font que me
confirmer
dans une opi-
nion qui, il
faut le regret-
ter, ne man-
querait pas
d'étonner
beaucoup de
Français. Mais quoi? la mode est au meuble
léger importé d'Angleterre, et, tant que celte
maîtresse impérieuse dictera leur choix à tous
ceux qui se piquent d'élégance, il n'y a pas à
espérer réagir.
Il n'en est pas moins vrai que, s'il existe dan^
toute une catégorie de fabricants un mouve-
ment furieux d'opposition à toute tentative
d'art nouveau, l'idée, quand même, fait son
chemin. Si l'on voit des bronziers se syndiquer
pour organiser parmi leurs ouvriers, parmi
leurs apprentis, des concours de garnitures de
Nouveaux essais d'ÂincithL'niciit
59
cheminées, de flambeaux, de candélabres et de quis de meubles d'où l'on avait exclu de parti-
bras de lumières où l'on n'accepte que des pris toute imitation, même lointaine, d'art
pastiches d'art anciens, on ne voit ni le même ancien.
entêtement, ni la même folie de réaction chez Et ces projets ne venaient pas d'un quel-
les grands représentants de l'industrie du meu- conque des artistes dont cette revue, à plusieurs
ble. Ceux-là même qui, par la nature des tra- reprises, a signalé les efforts, mais de grandes
vaux qu'ils produisent, sembleraient au prc- entreprises parisiennes bien connues pour
DcLui'^ilitiu d intc)-ictn\
Lt CŒUR El blùAUX.
niier abord les ennemis-nés de toute formule
nouvelle, ont été les premiers à s'adjoindre
des collaborateurs capables de créer ces
formules.
J'étonnerais certainement bien des gens si je
leur disais que, dans tel château de province
dont le propriétaire, homme de goût, vient de
brocanter, pour se loger à neuf, tout un ameu-
blement second Empire, j'ai vu des projets de
décoration intérieure qui ne le cèdent en rien,
pour la recherche de la nouveauté, aux projets
les plus hardis du Champ-de-Mars, etdescro-
s'être bornées jusqu'ici à d'admirables mais
stériles copies du passé.
Le fait est concluant. Croyez bien, en effet,
que si, dans ces grandes maisons, on s'est
décidé à tâter de l'art nouveau, ce n'est ni par
conviction, ni par dilettantisme : c'est par
nécessité. La clientèle a demandé autre chose,
— on sert la clientèle — et vous verrez à l'Expo-
sition de 1900 si les plus rétifs de nos fabri-
cants n'exposent pas, eux aussi, des essais mal
venus peut-être, mais loyaux, de style neuf.
Edouard Sarradin.
Bordure en mosaïque.
M. PAILLtR.
L'Exposition des travaux d'élèves à l'École des Arts décoratifs
HAQUE année, à la fin
de juillet, l'École na-
tionale des Ans dé-
coratifs ouvre ses
portes au public et,
dans une exposition
forcément restreinte,
en raison de Tcxi-
guité des locaux, met
en lumière les tra-
vaux de ses nom-
breux élèves.
L'entrée seule,
dans cette cour entourée de vieux bâtiments,
met le visiteur, dès le premier moment, sous
le charme d'une poésie particulière, faite à la
fois de traditions et de souvenirs.
Depuis Louis XV qui, il y a près d'un siècle
et demi, créa cette école, sous le nom d'Ecole
royale des élèves protégés, pour aider à l'édu-
cation artistique des artisans d'alors, son ori-
gine et son but ont été bien souvent oubliés.
VioUet-le-Duc y a pourtant professé longtemps.
C'est là, dans ce cours de composition d'orne-
ment dont il inventa le litre et la forme, si sou-
vent repris depuis, qu'il exposa tout d'abord
ses théories libérales, et d'une logique si sûre,
de l'étude directe de la nature appliquée à la
décoration.
Son successeur, Ruprich-Robert, suivit la
voie tracée par le maître. Le solide et savant
ouvrage dans lequel il concentra ses idées, la
Flore ornementale, n'eut en France qu'un suc-
cès relatif. C'est à l'étranger surtout qu'on
médita les leçons qu'il donnait. L'Angleterre
notamment s'appropria ses théories et en
obtint, tout en restant elle-même, les résultats
qui nous ont étonnés depuis vingtans.
Les traditions qui régnent à l'Ecole ne sont
donc pas, à l'encontre de bien d'autres, très
gênantes. Celle de Louis XV consistait à
imprégner toutes choses d'une note d'art.
Celle de Viollet-le-Duc consistait à prendre
Un cache-pot en bronze.
COMPOSITION DE LHUER.
conseil en tout de la nature. Toutes deux
sont encore les seules, à présent, dont s'inspire
l'École, dirigée depuis vingt ans par un
homme d'idées larges et d'un goût aussi sur ■
L'Exposiiiou des traraiix d'élèves à l'École des Arts décoratifs 6i
qu'éclairé, M. Louvrier de Lajolais; fière des s'attache un appareil électrique destiné à pro-
élèves nombreux qu'elle a formés, et dont les jeter sur la table sa lumière. Si l'invention de
travaux, dans les expositions annuelles, ne ce motif accessoire est la création propre de
-"ï,.
U*-'i.-|
,x3»-^
**>-'--^'^--j
\ «S£t-''--'>i^.:
Une table de travail.
COMPOSITION DEEOBICHON.
constituent pas l'apport le plus banal, elle M. Robichon, si elle ne lui a été suggérée ni
travaille et poursuit sa voie, sans se préoccuper par un des articles du programme, ni par une
des critiques. \"ovons les résultats
qu'elle obtient.
L'analyse de l'exposition de cette
année, dans une étude aussi courte,
est chose difficile.
Les travaux des élèves sont variés
autant qu'ils sont nombreux. Nous
nousborneronsdoncà présentera nos
lecteurs les reproductions de quel-
ques-unes des compositions emprun-
tées aux différents cours de l'école,
et qui caractérisent le mieux, à notre
sens, les tendances de l'enseignement
qu'on y reçoit.
Prenons-les, si vous le voulez bien,
une à une. Nous avons, de M. Robi-
chon, trois compositions impor-
tantes, une table de travail, une
grille de square et une lampe à
pétrole.
Très sérieusement étudiée, la première se collaboration bienveillante, elle lui fait grand
caractérise par l'adjonction au motif principal, honneur. L'appareil, en lui-même, n'a rien de
sur la gauche, d'un panneau vertical, où neuf, mais il est bien compris. Peut-être la
Une grille de Square.
COMrOSlIIOX DE EOBICHON.
62
Art et Décoration
tulipe électrique ne s'avance-t-elle pas suffi-
samment au-dessus du plateau de la table
pour répondre à toutes les exigences. Elle est
encore bien éloignée du centre où séparpil-
leront les feuillets de copie, les cahiers ou les
livres sous l'œil du travailleur, mais elle est
bien à la hauteur voulue et son inclinaison est
bien faite pour propager, dans la direction
nécessaire, les ondes lumineuses.
Le panneau, bien assis sur le rayon trans-
versal où s'aligneront les livres courants, relié
aux extrémités de ce rayon par deux croi-
sillons très simples, mais d'une forme élé-
gamment incurvée, échappe à toute critique
sérieuse. Il n'en est pas de même de la table,
dont les montants, rétrécis en colonnettes
légères, n'ont pas la solidité voulue pour
porter la lourde charge des tiroirs. Telle qu'elle
est, néanmoins, l'œuvre est d'une bonne tenue,
et suffisamment homogène. Le modèle aussi
des ferrures mérite d'être loué, quoiqu'il n'ait
rien de personnel. Mais il y a harmonie entre
les ferrures et le dessin de la table.
On goûtera moins la lampe à pétrole, dont
la base est bien établie, mais dont l'ensemble
est lourd, quoique ingénieux. Il y a lieu aussi
de regretter la découpure par trop accentuée
du bouton qui commande la mèche, et pour
lequel la forme circulaire est de rigueur. Les
doigts qui le manieront ne doivent être ni
accrochés ni blessés.
On a déjà vu bien souvent le motif dont s'est
inspiré M. Robichon pour sa grille, dont le
détail, d'ailleurs, manque de netteté dans la
Une laïufc à yctfolc
COMPOSITION Di; KolJli;
partie inférieure. L'œuvre est assez bien com-
prise, néanmoins, pour la matière employée.
Ros.jcc peinte.
CoMI'OSl ll'iN Ijl- I h<;kas.
Une serviette à thé.
COMPOSITION DE BOl'DOIS.
L'Exposition eus travaux d' élevés a l'Ecole des Arts décoratifs 6j
Les compositions dont M. Chadel est l'au-
teur ne sont pas moins intéressantes en leur
i'ii cnlTret en marqueterie.
genre que celles de M. Rohichon. Une d'entre
elles, spécialement, est charmante : c'est la
face d'un coffret de marqueterie. Rien de spi-
rituel, de Hn et de gracieux comme cette ronde
menée par de mignonnes Parisiennes autour
d'un petit Cupidon bien embarrassé pour savoir
à laquelle il décochera le trait vainqueur. Les
toilettes dont les a revêtues le jeune artiste
sont du jour; on pourra sans difficulté, dans
vingt ans, déterminer la date à laquelle elles
auront été composées, mais nulle excentricité,
au fond, ne les dépare. Manches à gigots et
jupes cloches ont été stylisées comme les pétales
des fleurs qui s'enroulent sur le décor classique
d'arabesques dans lequel la scène s'encadre.
Excellent aussi, le procédé par lequel on a
séparé de la composition à figures la composi-
tion purement ornementale. A la bande qui
court le long du couvercle s'oppose, dans la
partie supérieure du coffre, une bande de lar-
geur identique oii le trou de la serrure trouve
sa place. Tout, en un mot, est disposé avec un
goût raffiné qui n'exclut ni la préoccupation
du but à poursuivre, ni celle de la matière
employée. C'est bien d'une mosaïque de bois
qu'il s'agit, et l'œuvre, une fois exécutée, serait
complète.
Dans la composition qu'il destine à servir de
couverture à la Vaffiic de Métra, M. Chadel
s'est visiblement inspiré du procédé deMucha,
qui consiste à séparer une chevelure en une
infinité de mèches séparées et à rouler en
sinueuses volutes ces mèches. Le procédé sem-
blait ici indiqué, la Vague étant personnifiée
par une femme dont les cheveux figurent ainsi
parfaitement le caprice on-
duleux du flot. L'encadre-
ment est formé par des
algues qui se relient à mer-
veille aux volutes de la che-
velure. Exécuté en cuir re-
poussé, rehaussé decouleur,
comme le superbe panneau
de Prouvé que nous avons
reproduit naguère en hors
texte,lemotif serait du meil-
leur goût et de l'eft'et le
plus chatoyant.
11 y aurait quelques ré-
serves à faire sur le panneau
de vitrail composé par le
même élève. Non que la
composition en elle-même
ne soit bonne. Au point de
vue décoratif, elle est joliment comprise, mais
elle semble infiniment mieux indiquée pour
COMPOSITION DE CHADEL.
Cvui-ei tare fuur un ntvrccau de niu:>ique.
COMPOSITION DE M. CHADEL.
être reproduite en couleur sur le papier que
pour être reproduite en vitrail. La mise en
plomb n'y est pas suffisamment indiquée.
64
Art et Décoration
^*4
*m^n
^^mmmmtfmm^ifmt^mi^i^Ê^tt^ÊBm
Une bordure en mosaïque .
COMPOSITION DE COSSARD.
On ne peut duccrner que des éloges au mo- sont meublées de feuillages d'une façon très
dèle de cache-pot en bronze présenté par satisfaisante. Un bon point surtout à la façon
dont l'artiste a plié la tige
du muguet, parsemée de
blanches clochettes, en
courbes sinueuses.
Deux projets de bor-
dures, pour finir, tous
deux en mosaïque. Ni
l'un ni l'autre n'est neuf.
M. Pailler a emprunté le
motif de la sienne à la dé-
coration byzantine, et les
géraniums de M. Cossard
me rappellent )e ne sais
quoi de déjà vu ; mais les
deux projets, le premier
surtout, où d'avance tout
le travail du mosaïste est
indiqué, sont tout prêts
pour l'exécution. Réa-
M. Lhuer, un lauréat, d'ailleurs, de nos lises, ils feraient bonne figure,
concours. La forme du vase est bien appropriée En résumé, ces travaux d'élèves sont d'une
à l'usage auquel on le destine, et je sais peu de moyenne excellente, et on n'y trouve pas que
réussites aussi heureuses que
le motif de feuillages qui cons-
titue la panse ajourée du cache-
pot. Il est large, il est ferme, il
a du caractère et une certaine
noblesse, et les ajours y sont
ménagés avec infiniment
d'adresse.
La composition de M. Bou-
dois pour une serviette à thé se-
rait irréprochable, s'il s'agis-
sait d'autre chose que d'une
serviette à thé. Elle est ingé-
nieusement disposée, et pro-
duirait, une fois exécutée en
broderie, un excellent effet comme couleur.
Mais pour un objet d'usage courant comme
celui-là, grand tout au plus comme un mou-
choir de poche, que de complications! Ajou-
tons que cette serviette doit être un objet
résistant et qu'elle ne le serait guère, enca-
drée comme elle l'est dans un cercle de passe-
menterie, agrémenté lui-même de glands.
Avez-vous songé, M. Boudois, à quel prix
reviendraient de telles serviettes?
La rosace peinte de M. Legeas ne me
déplaît nullement. Elle sort de l'ordinaire,
avec le double triangle où s'encadre le cercle
qui rappelle le motif ancien de la rosace, erjvois : le 25 octobre. Trois prix : un de cin-
et les six pointes formées par le double triangle quante et deux de vingt-cinq francs.
Un panneau de vitrail.
COMPOSITION DE CHADEL.
des promesses. 11 n'est que juste d'en reporter
tout l'honneur à l'Flcole qui a formé ces jeunes
talents. Thiébault-Sisson.
CONCOURS D'OCTOBRE
Deux vignettes, en blanc et noir, une pour
le papier à lettres de la revue, et une pour
l'enveloppe. Chaque vignette doit être accom-
pagnée de la mention : « Art et Décoration,
revuemensuelle illustréed'art moderne, i 3, rue
Lafayette, Paris », et former un tout harmo-
nieux avec elle. Toute liberté pour la forme et
la disposition des lettres. Limite extrême des
Imp. de Vaugiiard, G. de Malherbe & C', ;52, rue de Vaugirard, Paris.
EMILE LEVY, Editeur-gérant.
r.
■A
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O
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a,
o
V)
Art et Décoration
^^
LE BISCUIT DE SEVRES
L est à la manufacture
de Sèvres, au-dessus du
musée, sous les com-
bles, un lieu de délices
exquis pour les artistes:
c'est le musée des mo-
dèles. Entre ces ran-
==^__^ S*-'*^* symétriques de
vieux plâtres, ombrés par le temps d'une
poussière qui adoucit leur teinte d'un blanc
cru, que d'heures charmantes à passer ! C'est
un siècle et demi de l'histoire de notre art ; et
quel siècle ! le plus agité, le plus vivant, le
plus changeant qui tut jamais.
Ici, toutes les transformations du
Louis XV, toute l'audace de ses
courbes, tout le délire de ses
contorsions. Là, le caprice assagi
durant les premières années du
Louis XVI, puis le retour à la
forme droite, d'abord égayée d'un
peu de grâce, enlaidie peu après
par l'abus de la monotonie recti-
ligne, pervertie enfin, sous l'Em-
pire, par une admiration fanatique
pour une antiquité mal comprise et
maussade. Plus loin, le Louis-
Philippe et la Restauration luttent
entre eux de mauvais goût, de pla-
titude et de maigreur, l'une tou-
jours fidèle au principe, formulé
par Percier, de l'imitation architec-
turale dans le moindre bibelot de
porcelaine, l'autre féru de roman-
tisme et entiché du gothique trou-
badour. Ailleurs, le Second Empire
et les premières années de la Répu-
blique se caractérisent par une profusion de
petites machines compliquées, surchargées, à
la Carrier-Belleuse, et par une interminable
série de ces grands vases ovoïdes dont les
larges panses, revêtues de frises peintes, attes-
taient, en même temps qu'une habileté dépla-
cée, l'ignorance absolue de l'art décoratif tout
spécial qui convient à la porcelaine.
Et parmi toutes ces variétés de tasses et de
soucoupes, de buires et de Jardinières, de caba-
rets, de surtouts de table, de soupières, de
vases décoratifs, une série charmante vous
attire, ci finit par s'imposer, quasi seule, à une
attention qu'aucune laideur ne rebutera.
Quelque appauvrie qu'elle soit, en effet, par
le pillage raisonné qu'en firent, en 1870, les
Prussiens, la collection des modèles authen-
tiques exécutés par nos maîtres légers du
La f'ctc des j,n-aiids-f.iieiits (xvm' sièclt;).
xvine siècle pour être reproduits en biscuit
est une collection unique en son genre. Elle
n'existerait pas, qu'il manquerait un chapitre
essentiel à l'histoire de notre art; bien des
noms tomberaient dans l'oubli, bien des
9
66
Art et Décoration
gloires même courraient le risque, n éiaiu
La Rosière (xvin" siècle).
plus appuyées que d'ieuvres vaines, de tomber
après discussion dans une déchéance d'oii le
plus indulgent des critiques hésiterait à les
tirer dans l'avenir.
Les premiers de ces modèles remontent à
1749. La manufacture de Sèvres n'existait pas
encore, car sa fondation ne remontequ'à ijSô ;
mais la manufacture de Vincennes, qui l'avait
précédée, et qui était aussi, dans une certaine
mesure, une manufacture royale — puisque
Louis XVla commanditait pour un tiers — avait
été fondée en 1740, et elle avait entrepris la
fabrication du biscuit dès que son succès s'é-
tait affirmé pour le reste. Elle ne produisit pas
toutefois le biscuit d'une façon continue.
Même en tenant compte du peu de soin qu'ap-
portaient à la conservation de leurs modèles
les gens du dernier siècle, même en doublant,
par conséquent, ou en triplant le chiffre des
sujets antérieurs à 1750 qui figurent dans la
collection actuelle, on ne trouverait pas, de
1749 à 1/56, plus d'un motif nouveau par
année; mais déjà ces motifs se recommandent
par une entente parfaite des exigences aux-
quelles un ouvrage de ce genre doit répondre.
Le biscuit est une matière d'un blanc pur,
faite d'un kaolin de premier choix, et dont la
cuisson accentue davantage encore
la blancheur. L'artiste qui fournit
le modèle, en terre cuite ou en cire,
sur lequel on prendra un moule
destiné à la production mécanique
des objets, reste libre de donner à
son œuvre toutes les finesses qu'il
lui plait, puisque la matière ne sera
revêtue, ni de l'engobe, ni de la
couverte feldspathique dont la
porcelaine ordinaire s'habille et qui
en empâtent les reliefs. Liberté en-
tière, d'autre. part, dans la compo-
sition, où le pittoresque peut entrer
à haute dose, où la scène, sans in-
convénient, peut être à plusieurs
personnages, puisque le modèle
n'est jamais moulé tout d'une pièce.
On divise, en etïet, en autant de
morceaux qu'il est nécessaire, et
l'on^ réunit après la cuisson ces
morceaux dont le répareur effacera
ensuite les bavures.
A ces libertés s'opposent un cer-
tain nombre d'entraves. De par la
matière même dont il est fait, le
biscuit se renfermera, de toute né-
cessité, dans les limites restreintes du bibelot.
Madame Royale, fille Je Louis .V17. pajou.
Sans se borner, comme les produits du vieux
Saxe, aux dimensions exiguésde l'objet d'éta-
Le Biscuit de Serres
67
3,hrc, il ne dépassera pas, en hauteur, de 28 à s'était contenté, comme on le fait aujourd'hui,
?ocentimètres, surtout s'il se réduit à une fit^ure de réduire, pour la reproduction en biscuit, les
unique et si le motif traité est un nu, — car il belles oeuvres des contemporains, le mal aurait
été moins sensible ; mais la laideur des œuvres
reproduites, sous la Restauration et sous Louis-
l'hilippe, est sans nom. Certes, on ne peut
s'empêcher de rire quand on voit, sous le Pre-
mier Empire, les artistes se mettre à la torture
pour créer des conceptions aussi fâcheuses que
la tasse à bouillon de Marie-Louise, une tasse
figurée par un casque orné d'une énorme che-
nille et que deux Amours enguirlandent de
roses. Le motif est d'une intarissable gaieté;
mais l'exécution, malgré tout, a de la tenue,
tandis que la Jeanne d'Are et le beau Diinois de
Rrachard, la première coiffée d'une toque à
plumes, le second d'un casque à multiples
panaches, sont le comble du grotesque. L'ab-
surdité du harnachement s'y complète d'une
exécution prétentieuse autant que lourde. C'est
l'ouvrage d'un Joseph Prudhomme en délire.
Surtout Louis XV. — Cliasseur. oudry.
est indispensable qu'il se garde de singer.'la
statuaire. Les effets de modelé dans les chairs,
qui conviennent au marbre, sont interdits, par
définition même, au biscuit ; car le statuaire
achève lui-même son marbre, tandis que le
dernier coup, celui qui donne à l'objet son
caractère et son véritable aspect artistique, est
donné au biscuit par un répareur qui peut être
une mazette et qui dénaturera, neuf fois sur
dix, le modèle, s'il s'agit d'un nu de dimension.
Ce sont là les règles du genre qu'un peu de
bon sens suffit à tracer. On n'y a pas toujours
obéi. C'est pitié, dans la collection des modèles
de ce siècle, de voir la lamentable série de
bustes officiels, de 5o à 60 centimètres de haut,
commandés, depuis la Restauration jusqu'à la
fin du Second Empire, aux représentants les
plus misérables de notre école de sculpture.
La tendance a été d'ailleurs manifeste, dès le
Premier Empire, à confondre le biscuit avec esprit et finesse. Non seulement l'art dépensé
les autres travaux du sculpteur. Encore, si l'on dans ces compositions, toutes charmantes, esi
Surtout Louis X V. — Sonneur de trompe oudky.
\u xvui« siècle, au contraire, tout est grâce,
68
Art et Décoration
autrement raffiné que celui des modèles de
ce siècle, mais les sujets traités sont admi-
rablement adaptés à la matière dont ils se-
ront fabriqués.
Les artistes
pourtant, au dé-
but, sont desim-
plescmployésde
la manufacture.
Ni Falconet, ni
Caffiéri, ni Pi-
galle, qui plus
tard ne croiront
pas déroger en
modelant, pour
cettedcstination
spéciale du bis-
cuit, de gracieu-
ses fi gur i n e s
pour cheminées
oupour surtouts
de table et des
statuettes déco-
rativesdegrands
hommes, n'ont
été appelés, dans les commencements, à
collaborer à cette brillante éclosion. Ce sont
d'obscurs artisans qui ont modelé à Vincennes,
d'après les dessus de portes de Boucher, la
délicieuse série d'enfants nus qui figure à la
fin de cet article ; et le merveilleux surtout de
table dont le Président de la République vient
de porter en Russie une reproduction est
l'œuvre des mêmes anonymes. Là encore, la
pensée première n'est pas d'eux. La tradition
veutqu'Oudry soii l'auteur de la composition.
Surtout Louis AT. — Citasse au cerf
donnons de toutes ces pièces pour se rendre
compte que l'exécution des modèles, même
avec les indications fournies par un maître.
était une entre-
prise singulière
ment périlleuse.
Elle a réussi à
ceux qui l'ont
tentée.
Ce surtout est
formé de sept
pièces. Dans le
motif central ,
une meute force
un cerf. D'un
coup de ses so-
lides andouil-
1ers, la bête a
jeté bas trois sur
cinq des limiers
qui la serrent de
plus près, mais
les survivants ne
la lâchent pas et,
tandis que l'un
d'eux, par derrière, lui enfonce ses crocs
dans la cuisse, l'autre, encore plus hardi, va
s'élancer à sa gorge. L'ensemble est vivant,
animé, disposé à ravir et délicieux de cou-
leur. On ne peut s'empêcher, il est vrai, de
constater que le cerf est bien petit pour des
chiens aussi gros. Suivant la coutume du
siècle, on en a pris à son aise avec les indica-
tions de la nature. Pour conserver au motit
l'élégance dont on s'est fait une loi primordiale,
on a supprimé les caractéristiques de la force et
Chasse au loup.
Chasse au satiglie
et qu'il en ait dessiné pour la manufacture les accentué de parti-pris la finesse. Il en est résulté
motils. .Niais il suffira à nos lecteurs de jeter moins un cerf qu'un délicieux à peu prèsdeccrt,
un coup d'œil sur les reproductions qtie nous un pur joujou de la Forêt-Noire en biscuit.
J
Le Biscuit Je Serres
69
Les deux motifs secondaires, la CImsse an
loup, la Chasse au sanglier, qui flanquent le
Siirto'it Louis XV.
Valet de chiens.
motif principal, prêtent moins à la critique au
point de vue de Texactitude dans les formes. Ils
ne sont ni moins pittoresques, ni moins heu-
reusement composés.
Mais où le xvuie siècle triomphe, où il
déborde d'entrain, de vivacité spirituelle et
légère, de justesse et de grâce expressive, où sa
merveilleuse entente des nécessités décoratives
s'affirme, c'est dans les figures détachées qui
accompagnent les groupes d'animaux. Voyez
l'homme au fusil, le valet de chiens, les deux
sonneurs de trompe. Aucun d'eux qui ne se
relie directement à l'action, tout en gardant
comme pièce séparée son charme propre. Je ne
voudrais certainement pas déprécier le surtout
récemment exécuté pour la manufacture, sur ce
même sujet de la Chasse, par un jeune anima-
lier, M. Gardet, qui, à plusieurs reprises déjà,
s'est affirmé à nos Salons annuels comme un
maître, mais ses figurines de chasseurs a
pied sont bien loin, pour la vérité de l'allure,
l'entente du pittoresque et surtout le sens déco
ratif, des modèles du siècle passé. Les figures
montées, FAmaione et le Piqueur, otîrent déjà
un intérêt plus vif, la première surtout, dont le
cheval, sautant un obstacle, et les chiens, lancés
au galop, donnent une animation réelle à la
scène.
.Mais quelles bases étroites pour des motifs
aussi compliqués! L'artiste n'eût pas dû perdre
de vue que ces objets, destinés à la décoration
d'Line table, doivent être soustraits à tout heurt
provenant des compotiers ou des menus objets
de l'entourage. 11 eût été, partant, nécessaire
d'en élargir la base, à la fois pour les asseoir
solidementetpour préserver de tout choc leurs
multiples saillies. La reproduction que nous
donnons dos deux pièces nous fournit une
preuve décisive à l'appui de nos réflexions.
Quelque récente que soit la fabrication du sur-
tout, des accidents, déjà, s'y sont produits, et
l'un des chiens du piqueur a été victime, à
la patte, d'une fracture dont les traces sont
visibles.
Par contre, l'artiste moderne se relève dans
le détail de l'exécution. En ce qui concerne sur-
tout les animaux, il témoigne d'une supériorité
éclatante. Il atteint même au style dans ses
deux groupes de chiens et dans le Cerf forcé
par les chiens qui est le motif central du sur-
tout. Si nous sommes contraint de lui repro-
cher, dans cette dernière pièce, une erreur ana-
logue à celle des figurines à cheval, s'il est à
regretter que les andouillers saillants de l'ani-
mal soient destinés à éprouver le même sort
que la patte dont nous parlions tout à l'heure,
Surtout Louis XV. — Piqueur et chiens.
il n'en faut pas moins reconnaître que la scène
est traitée avec une incomparable vigueur. Elle
-o
Art et Décoration
fait preuve, en même temps que d'un savoir
étonnant, d'une vérité dans le mouvement et
d'une exactitude dans l'observation qui en font
un véritable chef d'œuvre. Joignez-y qu'elle
est dramatisée à ravir et concentrée avec
une superbe vigueur. Par là, elle rachète élo-
quemment ce qui manque, à d'autres points
de vue, à la conception par trop naturaliste
de ce siècle.
Ce surtout
m'a mené bien
loin. J'avais
rêvé, dans cette
courte étude,
d'appeler l'at-
tention sur bien
d'autres chose
encore. J'aurais
voulu conter par
le menu, avec
tous les déve-
loppements
qu'elle com-
porte, l'histoire
du biscuit au
xvnr'siècle; j'au-
rais aimé à le
montrer, dans la
variété infinie
de ses sujets, se
réglant d'année
en année sur la
mode, et des pas-
torales imitées
de Boucher pas-
sant, avec La
Rué, à ces mo-
nographies pit-
toresques qui
s'appellent la Lanterne nuif^iqiic, les Mar-
chandes de poisson, la Marchande de fleurs,
les Alangeiirs de raisin, la Toilette. Il est
interdit, malheureusement, d'insister. Dans
l'espace mesuré qui me reste, c'est à peine si
j'ai le temps d'esquisser, dans un rapide cro-
quis, la physionomie des phases successives de
la fabrication, de mentionner l'hommage rendu
par Leriche aux célébrités du théâtre, entre
autres à Mlle Contât, qu'il a immortalisée sous
la figure de Thalie. L'actualité est la spécia-
lité, d'ailleurs, de Leriche. Il excelle à croquer
d'un trait juste, en précises et lestes figurines,
tantôt les érangers de passage, comme l'aven-
turier, par exemple, qui se fil passer à Paris,
Surtout de M. Gaidet.
pour le Fils du Grand Moi^al. tantôt les types
de Jocrisses dont s'égaveni,à la foire Saint-Lau-
rent, le monde de la Cour et celui de la Ville.
Puis, c'est F"alconet, c'est Pigalle, avec les
délicieux petits nus et les gracieuses figurines
d'enfants qu'ils modèlent pour la cheminée des
boudoirs; c'est Pajou, avec ses inimitables
portraits des Enfants de France, d'une grâce si
pénétrante et si
fraîche, et sur-
tout avec cette
exquise mer-
veille bien
connue sous le
nom de Marie-
.\ntoinette et le
Dauphin 1781 j.
Rien ne se
fait plus, désor-
mais, qu'à l'an-
tique. On usera
et on abusera
du nu à l'avenir.
La reine elle-
même, dans le
petit groupe de
Pajou que je
viens de men-
tionner, et que
nous reprodui-
sons, n'a-t-elle
pas donné
l'exemple, que
nous trouve-
rions mainte-
nant immo-
deste, de se faire
Am.Tyone sautant vn obstacle. représenter de-
mi-nue?
L'amour gai, pimpant, à fleur de peau, si
joliment caractérisé, vers 17(10, parle Baiser
donné ei le Baiser rendu, fait place au pastiche
banal des camées et des médailles antiques,
aux Cupidons allégoriques et rondelets dont
Boizot, un délicat pourtant, nous assassine
dans son .Amour réminileur. aiguisant une
flèche, dans son interminable série des .\mours
menaçant s, dépités, triomphants, même dans un
Nid d'Amours ingénument ridicule, et le tout
sera encore dépassé aux approches de la Révo-
lution, par le mélange à la mode, un mé-
lange oi.1 le pathétique, le sentimental et le
patriotique se fondent dans un pathos décla-
matoire et navrant.
Le Biscuit de- SèiTcs
7
I
Si l'on voit par hasard encore de l'esprit, c'est
de l'esprit si alamhiqué, si apprêté, qu'il alour-
dit et vulgarise tout ce qu'il touche. 'Vous faites-
vous une idée de
VInsoinnie fissu-
rée par une jolie
femme, rejetant
d'une main fé-
brile les couver-
tures de son lit
pour chercher,
sous sa chemise
entr'ouvene, la
puce importune
qui la mord?
De pittoresque
plus ombre. Le
sentimentalisme
courant l'a gâté.
Au lieu des pi-
quantes petites
scènes où excel-
la i t La R il e ,
on ne voit plus
que la trans-
cription aggravée des scènes larmoyantes
qui ont fait la fortune de Greuze, des pères
paralytiques, des fils et des filles coupables,
ou des scènes déjà empreintes de ce ci-
visme et de cette Intmanitairerie e.xaltés dont
le parallélisme avec les égorgements de la Ter-
reur est d'une observation si curieuse dans
l'histoire. A peine, une fois encore, en 17SS,
trouvera-t-nn une composition qui rappelle,
Surtout Louis XV. — Cerf aux prises avee les ehwus. ovdky
dans le détail, d'aller de pair avecles charmants
bibelots d'autrefois.
Le glas de l'ancien régime a sonné. Lugete,
Venercs. Ce ne
sont plus que
triangles égali-
taires suspendus
par de trop vi-
sibles Génies
au-dessus de
Fraternités dra-
pées chaste-
ment. C'est le
déclin, c'est la
mort du biscuit.
En vain Boizot
et Clodion s'é-
vertuent à adap-
ter aux idées
nouvelles leur
talent, ils ne re-
trouvent plus
l'équivalent, le
premier de sa
Dubarry et de
sa Marie-Antoinette, le second de ses bas-re-
liefs et de ses Nymphes. En dépit du concours
apporté par des maîtres, sous le Premier
Empire, sous la Restauration, sous la Monar-
chie de Juillet, à la manufacture royale, rien ne
se fera plus désormais que d'odieux. Le second
Empire pourtant, malgrél'ignominie des inven-
tionsqu'ilessayepourfaireneuf, malgré l'extra-
vagance de ses pâtes bronzées ou bleutées,
Surtout de M. Gardet. — Groupe de cliicns.
Surtout de M. Gardet. — Groupe de chiens.
dans les scènes de genre, l'aisance et la grâce enrichira la collection des modèles d'une pièce
disparues, un Couronnement de la Rosière qui exceptionnelle, magistrale, avec VEnfant au lé-
serait digne, en dépit de quelques exagérations vrier portraitdu Prince impérial), de Carpeaux.
Art et Di'coration
Il y a progrès de nos jours. S'il paraii inutile
de reproduire, comme on l'a lait, en biscuit,
le Guerrier ou la Maternité de Paul Dubois,
ou la Vierge au lis, de Delaplanche, on a c-té,
croyons-nous, heureusement inspiré en repro-
GLincusc. M. Hoi'ssiN.
duisantces œuvres charmantes qui s'appellent
la Moissonneuse, de Houssin, la Chanson, de
Félix Charpentier, la Léda, de Suchetet, la
Catherine II, de Deloye, La plaine et le Ruis-
seau, de Larche. Mais le mieux est encore de
recourir à la commande directe.
On me dira, comme on me l'a déjà répondu,
que le budget de la manul'aciure est limité.
qu'onarriveiout juste à jomdre les deux bouts,
et que l'argent, par conséquent, fait défaut
pour permettre à la direction, chaque année,
de commander une demi-douzaine de modèles.
La réponse ne me paraît qu'à demi concluante.
Les frais de réduction de statues qui n'ont pas
été faites, en vue d'une reproduction, en bis-
cuit, coûtent aussi cher à eux seuls qu'un mo-
dèle commandé à un artiste de talent, et, pour
le même prix qu'un morceau commandé à des
maîtres, on obtiendrait aisément dix morceaux
commandés à des jeunes en pleine possession
déjà de leur talent, mais dont la notoriété n'est
pas faite.
Pour quiconque suit de près les Salons, il
est certain qu on trouverait aisément une tren-
taine de ces jeunes, capables d'inventer des
motifs charmants, pittoresques, traités selon
l'esthétique du genre.
On V gagnerait doublement. D'une part, en
étendant la production, en variant les modèles,
en les imprégnant d'un esprit plus moderne,
on augmenterait dans des proportions très
sensibles le chitl're de la vente. D'autre part,
on répandrait parmi les artistes le goût d'un
art moins encombrant, moins inutile, par
suite, que celui qui foisonne aux Salons.
Les bons modèles ne leur manqueraient pas
pour bien faire. Outre le surtout de Gardet,
qui renferme, comme nous l'avons dit, des
jiarties vraiment magistrales, on leur mettrait
sous les veux les morceaux déjà terminés du
surtout que la direction des Beaux-.A.rts com-
manda, voilà deux ans et demi, à M. Frémiet,
et qui constituera pour la manufacture, à
l'Exposition de 1900, un attrait exceptionnel.
Dans l'atelier du maître, où j'ai vu l'œuvre en
train, j'ai pu m'en rendre compte. Comme
dans le surtout Louis XV, comme dans le sur-
tout Gardet, le motif traité est la Chasse. Mais
cette fois la conception est tout autre. .A.vec la
iinesse habituelle de son goût, M. Frémiet l'a
variée au possible en y introduisant l'allégorie,
en y reproduisant l'image de la chasse à toutes
les époques de l'histoire, et sous les climats
les plus ditiérents.
La chasse à l'ours, entre autres, est une pure
merveille. Campée avec une incomparable
noblesse, sur un char de bois aux roues
pleines traîné par un attelage de rennes, une
Minerve Scandinave y préside. C'est en même
temps une scène préhistorique de l'érudition
la plus consciencieuse et tout un poème de
grâce, d'ingéniosité et de délicatesse. Nous au-
rions voulu pouvoir le reproduire, mais des
règlements draconiens s'y opposent. On ne
connaîtra par aucune reproduction cette
conception délicieuse avant l'Exposition de
1900. Trop heureuse d'avoir à montrer un
chef-d'œuvre d'une allure aussi Hère, la manu-
facture tient à garder entière la surprise au pu-
blic qui verra dans leur ensemble ses travaux.
Nous ne saurions lui en faire un crime : nous
le regrettons, pour nos lecteurs, amèrement.
.Jamais l'an si français du biscuit n'aura pro-
duit morceau plus achevé dans sa grâce et plus
exquis dans sa légère minutie.
Thucballt-Sisson.
oTRE jbut dans ces
notes rapides, est
surtout d'étudier
les ressources
principales que
peuvent apporter
à la décoration
des intérieurs
les travaux exécutés par la femme à ses
heures de loisir.
Ces ressources sont précieuses, et plus que
nous ne saurions le dire. Ce sont ces travaux,
en effet, qui, exécutés d'après un plan conçu et
mûri longuement, peuvent donner à l'aspect
de nos demeures un caractère artistique et
essentiellement personnel, ce dont les tapis-
siers sont incapables, à quelque prix que ce soit.
Ce sont ces travaux surtout qui peuvent
largement contribuer à faire entrer chez nous
cet art nouveau que l'on réclame tant, que cha-
cun désire, et qui, si difticilement, remplace
les décorations surannées dont le commerce
nous a trop longtemps abreuvés; et il nous
faut, dès lors, substituer de nouvelles œuvres
à ces antiquités, qui soient plus en harmonie
avec nos goûts, notre époque et nos besoins.
On voit par là quelle énorme portée morale
peut avoir sur l'avenir artistique de notre
époque cette collaboration féminine.
Qui, plus que la femme, est à même de favo-
riser et d'accomplir cette évolution? N'est-ce
pas à elle que revient le soin d'orner nos
demeures? C'est donc elle qui, par ces travaux
d'un goût nouveau et tout moderne, intro-
duira chez nous cet élément qui va rajeunir et
revivifier l'arrangement intérieur et la décora-
tion de nos appartements. Ce sera le point de
départ, le début. Peu à peu viendront des ré-
formes plus importantes qui porteront le renou-
veau parmi les éléments essentiels de notre
ameublement.
De nombreuses tentatives sont faites; mais,
sinon stériles, du moins restent-elles peu éten-
dues, le prix élevé de ces œuvres uniques étant
hors des ressources de la plupart.
Mais, au lieu d'une réforme radicale presque
Ecran : Pavot d'aprcs une estampe japonaise.
toujours impossible, pourquoi ne pas préparer
peu à peu celle-ci ? ^Les travaux féminins
10
74
Art et Décoration
seraient en ceci d'un secours inappréciable.
Qui empêche, au lieu de cette bande de tapis-
serie de style Louis Xl\' ou Louis W que nous
connaissons
tous , qui
empêche de
composer, de
chercher, d'a-
cheter même
un modèle
[car on en
peut trouver)
répondant à
nos goûts
plus moder-
nes? Certes,
pour le com-
poser ou le
choisir, ce
modèle, cer-
tains efforts
s'imposent.
Ce n' es t
, _, . Cuiissin. Arbouses.
plus, en effet,
le motif courant classique, consacré et adopté
et qui a presque force de loi. Là, aucun précé-
posé son intérieur d'éléments dont on puises
regarder les détails, sans avoir l'ennui de
les retrouver au hasard des visites ou des voya-
ges, comme
cela est iné-
vitable avec
ce dont nous
croyons d e-
%• o i r nous
contenter!
Nous ne
nous occupe-
rons donc ici
que des
moyens dé-
coratifs ren-
trant bien
dans les fa-
cultés d'exé-
cution cou-
ran te, tra-
vaux dont
toutes les
E. COLIY. -
femmes sont
capables en général. Nous éloignerons, de
parti pris, toute question de meubles et de
Siège et dossier four une l'i2ii,]iielte.
M.-r. VERSEflL.
dent; seul le goût est maitre et se trouve sans tentures, dont l'exécution exige des spécia-
auire appui que lui-même. listes et de coûteuses dépenses. Nous ne ver-
Mais aussi, quelle satisfaction d'avoir com- rons que les travaux bien féminins et essaie-
La Dccoratiou lutrricurc et les Travaux Féminins
7)
de les renouveler,
nous adresser à la
rons de les rajeunir et
Nous ne voulons pas
femme qui, jeune
tille, a suivi assi-
dûment les cours
d'art décoratif .
Celle-là n'a nul-
lement besoin de
nos conseils et
peut facilement
concevoir et exé-
cuter toutes cho-
ses à sa conve-
nance; mais noiif
parlons à la fem-
me qui, sans
connaissances ar-
tistiques spécia
les, a cependant
le désir de se
composer un inté-
rieur confortable
et conforme à son
esthétique .
Nous diviserons
les travaux fémi-
nins en trois caté-
gories: i"La tapis-
serie, ■!'> la brode-
rie et 3" les appli-
cations d'étoffes.
Nous laissons volontairement de coté les
dentelles, peintures diverses, pvrogravure, etc.,
Écran.
familière à chacun, et étendre ainsi le cercle
des ressources dont nous aurons à disposer.
Déjà, du reste, ces
trois procédés
nous permettront
de varier nos mo-
tifs à l'infini, et
d'adapter à cha-
que sujet le genre
d'exécution qui
lui convient.
D'autre part ,
deux cas princi-
pauxseprésentent
à nous : i» Nous
avons à décorer
entièrement à no-
tre convenance
une pièce quel-
conque : salon,
boudoir, salle à
manger ou cham-
bre à coucher; i"
nous voulons
simplement, par
l'adjonction d'ob-
jets nouveaux,
rajeunir et modi-
fier l'aspect d'une
pièce déjà dé-
corée.
Le premier cas, de beaucoup le plus intéres-
sant, nous laisse le champ absolument libre.
RIPPL-RONAI.
iiwmm.
^ i ( < . ; • .
'rnmiimm
M. -p. V£RSEU1L.
Bande. Pavots.
de pratique moins courante; nous pourrons Là, les couleurs, les éléments divers sont à
cependant plus tard en rendre la technique notre disposition sans autre nécessité que celle
/'
Art et Dàcoraîion
de les bien harmoniser entre eux et de faire un
ensemble plaisant et agréable.
Pour le second cas, le choix raisonné du
J\1,IIU.IU iJeCLII-atif. RANSON.
motif s'impose, de même que celui de la colo-
ration, qui ne doit pas déséquilibrer un ensemble
déjà composé. Que de fois ne se préoccupe-
t-on pas assez de cela, s'atta-
chant seulement à la séduc-
tion du motif ou de la cou-
leur pour eux-mêmes?
Dans ce cas donc, les conseil s
autres que ceux-ci seraient inu-
tiles, le choix devant forcé-
ment varier avec chaque cas
particulier. Aussi bien, pour-
ra-t-on en trouver les éléments
dans l'étude que nous allons
rapidement faire de la compo-
sition complète d'une pièce.
Comme nous le disions plus
haut, on ne doit partir qu'après
avoir conçu un plan formant
le squelette, la partie ferme re-
lianttouslesélémentsde la dé-
coration. Ceplancomprendra
deux résolutions distinctes: la recherche du mo-
tif général et l'harmonie de coloration de la pièce.
Quoique, le plus souvent, on s'en soucie
peu et que le bariolage et la confusion soient,
sinon recherchés, du moins tolérés, nous ne
pouvons ici accepter cette manière de voir.
Si une harmonie doit être créée dans chaque
pièce d'une demeure, une dominante doit
également exister aussi bien dans la colora-
tion que dans les éléments constitutifs des
motifs décoratifs. Donc, deux décisions à
prendre; quel élément constituera le thème
ornemental : végétal, animal, ornement?
Ensuite, quelle harmonie allons-nous créer?
bleu et jaune, vert et orangé ou tout autre?
Ici, legoùt personnel est juge souverain et la
liberté la plus complète nous est laissée; les
couleurs employées en art décoratif étant avant
tout conventionnelles, nous devons surtout
chercher l'harmonie, quitte à faire des roses
bleues ou des lis rouges.
Une fois ces deux points acquis, seule la beso-
gne matérielle reste à faire; c'est-à-dire recher-
che et tracé des motifs, et exécution de ceux-ci.
Pour le tracé, écartant le cas par trop parti-
culier où l'exécutant est son propre dessinateur,
on trouvera des maisons spéciales qui se char-
geront de ce soin; et, si nous ne voulons pas
nous faire composer des motifs inédits (moyen
bien préférable et dont les frais pourtant sont
minimes pour une œuvre d'ensemble assez
considérable), ces maisons possèdent, en pro-
pre, des motifs nouveaux encore peu répandus
et que nous pourrons exécuter dans telle
gamme qu'il nous plaira. On se croit trop sou-
Bande . Cyclamens.
-p. VERNEUII..
vent forcé de suivre à la lettre les indications
fournies avec le canevas; des modifications de
couleurs, faites avec goût, introduiront un peu
de personnalité dans ce motif que l'on pourra
ainsi modifier à sa guise.
Que de fois avons-nous vu des femmes simples pavots. La plante y est exécutée entiè-
passer des années à exécuter laborieusement rement au point carré. Mais pour v introduire
des décorations complètes de salons, par de la variété, un autre point a été choisi pour
exemple, comprenant la couverture de nom- le fond, un troisième pour les filets. En outre,
breuses chaises, de coussins, de canapés, des l'ouvrage terminé, le trait est venu rectifier les
bordures de portières, de rideaux, et plus formes, les cerner, les détailler; faire les den-
encore? et reproduisant à l'infini un dessin telures des feuilles, par exemple,
banal, pris au hasard d'un journal de modes L'etfet ainsi produit est incontestablement
ou de l'étalage d'un magasin de
nouveautés; dessin encore dé-
formé par l'application du point
carré, qui seul semble avoir le
privilège de séduire pour l'exé-
cution des tapisseries. Nous ne
reparlerons pas du motif, mais
certes, nous devons nous occu-
per des points qui sont nom-
breux, et qui bien employés per-
mettent de faire des œuvres
beaucoup plus variées et plus
intéressantes. Nous en donnons
ici quelques exemples.
Si même on veut, pour des
raisons quelconques, employer
l'immuable point carré, pour-
quoi ne pas dissimuler lesinévi-
tables brisures du dessin sous
un trait, cernant les formes, les
détaillant, les enrichissant au
besoin, et que l'on vient rebro-
der, une fois la tapisserie faite
et finie par les movens ordi-
naires.
On n'aura plus ici à se préoc-
<^uper du canevas, mais bien de
la pureté de la forme que l'on
pourra ainsi rétablir, rendre plus harmonieuse,
et plus souple
Pavots. Fragment de coussin.
supérieur et le résultat plus satisfaisant. Mais,
cependant , un autre point nous convien-
Comme exemple, prenons cette bande de drait mieux encore : c'est celui qui, dans les
/-s
An et Décoration
exemplesquenousdonnons,portelc numéroll. supprimant ce remplissage, on abrège forte-
On peut Texécuter de diftérentes façons : ou ment l'exécution tout en produisant un effet
sur canevas ordinaire, ou sur simple toile. différent de celui que nous aurait donné l'exé-
cution pleine en tapisserie. Une étoffe quel-
conque, drap, soie, ou autre, sert de support à
l'ornementation. Celle-ci est calquée sur un
canevas fin, que l'on applique sur l'étoffe; on
exécute la tapisserie et, une fois terminée, on
tire les fils du canevas.
C'est par ce dernier moven qu'ont été exé-
cutés le coussin orné de pavots de M. Couty,
dont nous donnons un fragment, et la
bande de cvclamens autour desquels volent
des libellules. Le premier de ces ouvrages
montre bien la disposition du canevas sur
l'étoffe. Une partie des fils ont été tirés sous le
motif exécuté. Le fond choisi ici était la soie;
c'était le drap, par contre, pour les cyclamens.
Mais par ce procédé, on produit bien plus un
effet de broderie qu'un effet de tapisserie; et
quoique l'admettant, pour l'économie considé-
rable de temps qu'il nous apporte, nous pré-
férons de beaucoup la tapisserie pleine, pro-
duisant un effet plus lourd, peut-être, mais à
coup sûr présentant un bien plus grand carac-
Poiiits de Tapisserie.
Dans ce dernier cas, l'exécution en est plus
difficile et une certaine habileté est nécessaire.
Les fils du canevas ne sont plus là pour guider
le travail, assurer la régularité du point, et tère d'unité. Cette observation qui s'applique
l'inclinaison uniforme de
ceux-ci. Aussi, quelque soi-
gné qu'il soit, un travail exé-
cuté ainsi présente-t-il des
défauts, qui pour nous ce-
pendant deviennent de pré-
cieuses qualités; celte irrégu-
larité forcée enlève de la sé-
cheresse, donne plus de vie,
fait jouer davantage la ma-
tière. Il ne faudrait cepen-
dant pas partir de ce principe
en le poussant à l'extrême, et
croirequ'une exécuiionlàchée
rendra plus intéressante l'œu-
vre exécutée ; il faut au
contraire chercher à appro-
cher de la perfection autant
que possible; ce qui échap-
pera à notre application suf-
fira amplement. Le plus sou-
vent, ce point s'exécute avec
une laine plus fine que celle employée d'ordi-
naire; aussi, le travail est-il long. On a cher-
ché à y remédier; la partie la moins intéres-
sante, mais aussi la plus longue d'un ouvrage
quelconque, n'est-elle pas presque toujours le
remplissage du fond. Pour certainstravaux, en
Coussin. Sorbier.
E. COl'TY.
surtoutaux grandes surfaces, est moins absolue
cependant pour les petites, pour les coussins
par exemple; là, on peut reprocher un peu la
lourdeur de la tapisserie pleine, et alors le fond
apf5arent peut devenir un avantage.
D'autres exemples de ce point, mais avec le
La Tapisserie
79
fond exécuté en tapisserie, sont le panneau t'or-
mant écran de M. Rippl-Ronaï, et le pavot
exécuté d'après une estampe japonaise.
M. Rippl-Ronaï, je crois, est le premier
qui nous ait montré, dans une exposition, un
travail exécuté avec ce point.
Ce procédé a un grand avantage : celui de
permettre de suivre, dans ses moindres détails,
le dessin à reproduire; c'est une grande facilité
qui nous est ainsi donnée, et qui étend singu-
ièrement nos moyens d'action, surtout pour
es ornements à petite échelle, qui étaient ou
inexécutables, ou incompréhensibles avec le
point carré. Et, dans tous les cas. cela nous
permettra de reproduire, dans toutes ses fi-
nesses de lignes et de formes, le modèle que
nous aurons composé ou choisi.
La faveur revient du reste à la tapisserie, et
dans nos expositions annuelles, il ne se passe
pas d'année sans que plusieurs morceaux de
choix sollicitent notre attention. Plusieurs
artistes y excellent déjà, sans reparler de
M. Rippl-Ronaï.
Parmi eux, M. Ranson nous donne des
choses intéressantes. Ses panneaux sont le plus
souvent exécutés au moyen d'un point un peu
Bande fuur foitii'rc ; fragment.
M. -p. VELNELIL.
8o
Art et Décoration
grossier, mais qui ne gène pas trop, étant donnée
la grande dimension de ses décorations. Celles-
ci, dans des gammes simples, sont de compo-
Pannt'Jiu. ranson.
sition heureuse, bien que l'abord en soit rendu
un peu redoutable par le parti pris du dessin.
Mais l'harmonie de la coloration compense
ce que certains peuvent regarder comme des
fautes.
D'autres encore parmi lesquels, M. J. Flan-
drin, suivent cette voie et savent y donner de
beaux effets décoratifs.
Mais ce sont là, souvent, des pièces considé-
rables. Nous visons moins haut, et nous nous
contentons d'orner autour de nous les objets
usuels, déjà assurés de faire œuvre ainsi utile
et intéressante.
Et parmi eux, ceux auxquels nous pour-
rons appliquer nos décorations modernes, sont
nombreux, et nous n'aurons que l'embarras du
choix. Grands rideaux et portières, lambre-
quins, dessus de chaises, de fauteuils ou de ca-
napés, coussins et banquettes pourront tour à
tour être ornés; sans compter les paravents, les
écrans, les bandes courant autour de la pièce,
les tentures mêmes.
Et variant l'aspect par les procédés divers,
usant des applications auprès de la broderie,
de la tapisserie ensuite, nous parviendrons à
créer un ensemble qui, peu à peu, nous ache-
minant vers des réformes plus considérables et
plus radicales, moditierainsensiblement le style
et l'ordonnance de nos intérieurs.
La tapisserie est de tous les procédés que
nous avons à notre disposition le plus ingrat,
tant à cause du temps qu'exige l'exécution du
moindre travail que de l'aspect un peu terne
de sa matière.
Nous allons au contraire avec la broderie et
les applications, avoir à notre disposition avec
les gammes opulentes des soies aux teintes
éclatantes ou atténuées, les tons plus sourds
des draps et jusqu'à la simplicité des cotons et
des cretonnes. Les ressources nous sont moins
mesurées, et nous tâcherons d'en tirer parti.
(A suivre)
M. P. Verneuil.
Nous devons à l'obligeance de M. Henry,
communication d'un certain nombre des des-
sins qui ornent cet article.
Nous sommes heureux de l'en remercierici.
BiTudt\ I.iseyinis
M. -p. VERNEUIL.
NOTES SUR L'ETAIN
(Premier Artielel
p$¥
Il V a trente ans, personne ne se serait douté
que rétain reviendrait à la mode, qu'il pren-
Mais, de ces monuments anciens, je ne veux
retenir qu'un point de l'histoire, intéressant
drait place à côté du marbre, de la pierre, du encore aujourd'hui pour nos artistes : il s'agit
bois ou du bronze parmi les matières employées de la technique emplovée pour fabriquer les
pour la sculpture. Et
pourtant que de che-
min la technique de
ce métal n'a-t-ellc pas
parcouru en un petit
nombre d'années!
Voilà certes un argu-
ment irréfutable à op-
poser à ceux qui pré-
tendraient que l'art
moderne piétine sur
place et ne fait nul pro-
grès ; il a suffi de J'ef-
fort de deux ou trois
artistes pour donner
en peu de temps une
expansion extraordi-
naire à une branche
des arts industriels
qui, trèscertainement,
aux époques les plus
florissantes n'eut ja-
mais plus de succès.
Je ne veux pas le-
faire ici l'histoire de
l'étain, très connue,
dans ses grandes lignes
du moins, car les dé-
tails en sont beaucoup
plus ignorés qu'on ne
le pense; et somme
toute, c'est une étude
qu'il faudra recom-
mencer dans son en-
semble le jour où des
travaux particuliers ,
des monographies au-
ront suffisamment tait
connaître les ateliers
provinciaux pour per-
mettre de classer les œuvres conservées dans permet cependant, employé avec habileté, de
les musées. Il n'y a aucune honte à l'avouer : très jolis effets décoratifs, et surtout peut
aujourd'hui nous ne savons pas encore fort ramener les artistes à faire de lajcofer/e cf'e7a/M
bien distinguer une œuvre française d'un étain et non toujours de la sculpture. Enfin, et sans
fabriqué en Allemagne ou en Suisse. vouloir plus longtemps insister sur les étains
1 1
Aiguière.
(Musée du Luxembourg.)
etains : les uns, et ce
sont assurément les
plus nombreux, sont
décorés de reliefs ob-
tenus par la fonte dans
des moules de diffé-
rente nature; les autres
sont ornés de dessins
gravés à la pointe,
quelquefois d'une très
grande délicatesse, le
plus souvent assez
grossiers et de facture
sommaire. Les pro-
cédés mis en œuvre
pour produire la pre-
mière série de ces
étains n'étant pas fort
différents de ceux qui
ont été repris aujour-
d'hui, il n'y a pas lieu
d'y insister, surtout
dans une revue telle
que celle-ci qui s'a-
dresse surtout à des
gens pour lesquels ce
côté est presque tou-
jours suffisamment
connu. Quant aux
étains gravés, je ne
vois pas que de véri-
tables artistes aient
songé à les faire re-
vivre : c'est une lacune
que je regrette; j'es-
père que d'ici à peu
elle sera comblée. Si
ce procédé de fabrica-
tion est plus limité
dans ses moyens, il
8;
Art et Décoration
du passé, il est cependant un enseignement
qu'on en peut tirer : bon nombre des monu-
ments de cette époque étaient dorés et je ne
vois pas que personne ait songé à appliquer
l'or sur l'étain : cependant du mariage de ces
deux métaux on peut tirer de très bons résul-
tats.
Ce que je voudrais en ces notes rapides sur
les étains fabriqués par nos contemporains,
c'est moins faire une énumération plus ou
moins accompagnée d'éloges ou de critiques
d'œuvres que nous tous avons pu examiner
dans les expositions et que les gravures insé-
rées ici suffisent
àrappeleraulec-
teur, que traiter
un point délicat
se rapportant à
l'emploi de l'é-
tain lui-même.
La question me
paraît valoir la
peined'étreabor-
dée, car elle se
rattache à la di-
rection générale
que prennent les
très louables ef-
fortsfaitspardif-
férents artistes
pourlerenouvel-
lement, la régé-
nération , peut-
on dire, de nos
arts décoratifs.
J'ai eu mainte
et mainte fois Platecit d'aiguière.
l'occasion d'ex-
primer cet avis, que nos artistes qui s'occupent
d'art industriel ne sont pas assez artisans et
que, par contre, nos artisans ne sont pas tou-
jours assez artistes : en d'autres termes, ani-
més, j'en suis certain, des meilleures inten-
tions, bien souvent peintres et sculpteurs font
des eflorts très louables, mais qui sont à
l'avance frappés de stérilité, parce que voulant
créer des œuvres d'art industriel, mais non
suffisamment instruits de ses besoins, ils pro-
duisent des morceaux qui, dès leur naissance,
sont des bibelots de collection ou de musée.
D'autre part, les artisans tout en possédant
une éducation artistique assez forte ne sont, pas
plus qu'aux dernierssièclcsdu reste, nullement
des créateurs; mais, à la différence de leurs
Musée du Luxumboiirg:
devanciers auxquels les artistes tendaient
continuellement la perche, qu'on me passe
l'expression, en leur fournissant des modèles,
les artisans sont aujourd'hui presque complè-
tement dépourvus de ce secours, de ces modèles
qui restent presque entièrement à créer pour
notre époque. Les plus forts s'en tirent en
puisant à pleines mains dans ce vieil arsenal
démodé que leur fournissent les œuvres du
passé; rien d'étonnant, dès lors, que le plus
grand nombre ne produise que de misérables
pastiches qui, au point de vue de la chrono-
loi;ie. s'échelonnent de la Renaissance à la fin
du siècle der-
nier. Il y a là
un écueil dont
on aurait tort de
se dissimuler le
danger ; et tant
qu'il subsistera,
à mon avis, la
plupart des ef^
forts qu'on tente
aujourd'hui se-
ront paralysés ;
sans doute, de
temps en temps,
nous posséde-
rons des arti-
sans qui seront
en même temps
des artistes de
talent; mais ce
seront toujours
des exceptions,
des isolés au mi-
lieu d'imc masse
incapable de
soutenir la comparaison avec l'ensemble ma-
jestueux des artisans des deux derniers siècles.
Ceux-là ne dépassaient certes pas en habileté
ceux de notre époque; mais grâce à certains
procédés de travail, à une méthode religieu-
sement suivie, l'ensemble de leur œuvre pré-
sente une cohésion, manifeste un 5(>^/e que nous
cherchons vainement à constituer. C'est que,
si le milieu social a pu changer, si les condi-
tions de la production ne sont plus les mêmes,
il est pourtant des conditions nécessaires au
développement des arts industriels, que ni le
temps ni le milieu ne sauraient modifier, qui
appartiennent à toutes les époques qui ont eu
un art digne de ce nom. Cela ne saurait tenir
à une organisation du travail, telle que celle
BRATEAU.
Notes sur J'Ëtain
8;
qui pouvait résulter de l'existence de corpora- ceux qui les font, incapables d'une conception
tiens — organisation essentiellement 4phémère artistique un peu élevée, n'ont point été guidés
et plutôt gênante — mais à une méthode de par les modèles que les artistes auraient du
production qui, pour les arts industriels, est de leur fournir. Là est, au fond, tout le secret de
tous les temps. Les arts industriels d'une celte réunion de tous les arts sans qualificatif
époque sont toujours
le reflet et l'applica-
tion aux usages jour-
naliers de ce qu'on
a appelé, en se ser-
vant d'une expres-
sion sans doute trop
étroite, mais qui se
comprend bien, le
grand art : en d'au-
tres termes, archi-
tectes, sculpteurs et
peintres doivent être
les grands fournis-
seurs de modèles
qu'utilisent les arti -
sans en tenant comp-
te des modifica-
tions que ces modèles
doivent subir sui-
vant la matière en
laquelle ils seront
traduits et la desti-
nation de l'objet à
décorer. II n'est donc
pas absolument né-
cessaire que, pour
fournir des modèles
aux artisans, les
artistes soient arti-
sans eux-mêmes et
connaissent tous les
secrets d'une fabri-
cation et d'une
technique qui varient
à l'infini. Il est très
rare, à n'importe
quelle époque, que
l'artiste ait été lui-même artisan
Surinitî iij tdblC. RAUIL LARCHE.
(Musée du Luxembourg.)
;i laquelle nous aspi-
rons tous sans arri-
ver à l'opérer. Le
problème n'est pas,
cependant, aussi dif-
ficile que celui de
1 a q u a d r a t u r e du
cercle et avec un peu
de bonne volonté on
lui donnerait une so-
lution.
Si je m'étends aussi
longuement ici sur
ce que je crois être
une des plaies de
notre époque au
point de vue artis-
tique, c'est que, pré-
cisément, quand on
considère les œuvres
d'étain créées dans
ces quinze dernières
années, sauf de rares
exceptions, on est
amené à se deman-
der quelle ligne de
conduite ont suivie les
artistes qui les ont
exécutées. Croient-
ils réellement avoir
labriqué des objets
d'art industriel? ou
bien ont-ils été sé-
duits par une matière
nouvelle pour eux,
trop longtemps mé-
connue, et ont-ils
voulu simplement
il est rare enrichir le domaine de la sculpture d'une ma-
aussi que l'artisan ait été artiste, du moins, tière subjective dont les tons flattaient leur
SI on attribue à ce terme le sens de créateur. œil. Aconsidérer dansleurensemble les œuvres
Ce sont des vérités qui sont très méconnues d'éiain, je le répète, — il y a heureusement des
aii)ourd'hui : d'où il résulte que la fin de notre exceptions — on serait tenté de le croire. On
siècle aura vu l'éclosion d'un très grand nombre est d'autant plus autorisé à avoir une telle
a œuvres charmantes, qu'on range, je ne sais opinion, que nous avons vu tout récemment
pourquoi, parmi les ouvrages d'art appliqué à l'apogée de ce développement anormal de
industrie, alors qu'elles ne peuvent figurer i'art de l'étain : le buste en étain demeurera
que dans des vitrines; et une foule d'objets comme un témoignage de l'oubli bizarre
industriels tout à fait horribles, parce que dans lequel sont parfois tombés les artistes de
84
Art et Décoration
notre époque, méconnaissant absolument sait, par la création de pots de toutes formes
la destination des objets et l'emploi des et de toutes grandeurs, de coupes, de gobelets,
matières mises à leur disposition. d'écuelles, de plats ou d'assiettes, de bouteilles
Surtout de table.
(ilusée du Liixombourfr
KAOUI. LARCIIE.
A dire vrai, si cette renaissance de l'art de
l'étain a produit quelques fort jolies choses,
— elles suffisent à la légitimer — il faut bien
avouer cependant qu'au point de vue plus
étroit de l'art industriel, elle n'était pas abso-
lument commandée et surtout ne pouvait
prendre une très grande extension. Et cela
pour des raisons très terre à terre. L'emploi
de l'étain — dans ses applications à des objets
usuels — ne répond plus, à noire époque, à
de très nombreux besoins. Il en était tout
autrement autrefois : le potier d'étaiu remplis-
ou de bassins, de coffrets ou de boîtes, d'orne-
ments d'église même, un rôle tout à fait pré-
pondérant; il avait autant de clients que le
chaudronnier, l'orfèvre ou le faïencier. Pour
des bibelots tels que l'aiguière ou le bassin exé-
cutés par Nicolas Briot d'après des dessins ou
des estampes des petits maîtres du xvi'^ siècle,
objets qui en soi n'avaient aucune destination
pratique, si ce n'est la décoration des dres-
soirs, on rencontre cent pièces , canettes,
écuelles ou plats qui ont réellement servi.
Jusqu'à la fin du siècle dernier, presqu'à la fin
Notes sur l'Etain
^S
du règne de Louis XV ou environ tout au
moins, l'ctain a constitué, pour ceux qui
n'étaient pas assez fortunés pour posséder de
l'orfèvrerie d'argent, une vaisselle d'un usage
courant et dont les formes, en France n'étaient
que l'imitation des
œuvres en métal pré-
cieux.
Le potier d'étain
avait donc un débou-
ché assuré. En est-il
de même aujourd'hui ?
je ne le crois pas. Per-
sonne ne voudrait
manger dans de l'étain,
et en somme on a rai-
son; c'est un métal trop
facilement ox\dable,
trop malléable pour
être d'un usage bien
pratique, et l'argent
ou tout au moins le
métal argenté coûte
trop bon marché au-
jourd'hui pour ne pas
condamner d'avance
l'usage d'une matière
peu durable et peu
appétissante. Il y a
là une évoluiion que
l'artisan ne saurait mé-
connaître; celui qui
veut appliquer un dé-
cor artistique à ces
mêmes objets qu'on
fabriquait au siècle
dernier en étain, doit
concevoir son œuvre,
non pas en vue de son
exécution dans ce mé-
tal, mais de son exé-
cution en argent ou tout au moins en métal
argenté, ce qui est tout un.
Mais, me dira-t-on, ce que vous venez de
dire équivaut à déclarer que la vaisselle d'étain
est morte. Mais certainement, elle est morte,
pour des causes tout à fait indépendantes de
l'art, et nous n'y pouvons rien faire. Et au
fond, j'imagine qu'aucun de ceux qui ont
contribué à remettre l'étain à la mode, que
Brateau, par exemple, qui a repris avec tant de
talent, les anciens procédés de fabrication, et à
ses débuts, a surtout créé des plats et des
assiettes, aucun de ceux-là, bien certainement.
Surtout de t^ihlc.
(Musée du Luxonibuuri,',)
ne s'est imaginé que le public allait délaisser
la porcelaine ou la faïence pour garnir sa table
d'étain. Mais Brateau et les autres se sont dit
— et en cela ils avaient raison — qu'il n'était
pas défendu, à l'imitation d'un Briot ou
d'un Enderlein,dc fa-
briquer des plats, des
assiettes des écuelles,
des aiguières, des
gobelets de jolie
forme, très finement
ornementés d'après
les procédés d'une
technique spéciale,
appropriée à la nature
toute particulière du
métal ; ces pièces, peu
coûteuses au demeu-
rant, prendraient pla-
ce sur les meubles ,
qui, dans notre orga-
nisation moderne, ont
remplacé les dres-
soirs, sans pour cela,
du reste, avoir la pré-
tention de devenir des
bibelots qu'on abrite
soigneusement der -
rière une glace. Ainsi
entendue la renais-
sance de l'étain était
tout à fait légitime ;
elle nous donnait de
très jolies œuvres d'art
en un métal de peu de
valeur, partant, facile-
ment répandues dans
la masse du public.
Le métal étant très
mou et ne pouvant su-
bir, après la fonte, que
des retouches insignifiantes et presque toujours
très visibles, les artistes des derniers siècles
avaient pensé que, sans être sec, le décor de
l'étain devait être, dès l'abord, d'une grande
netteté; assez de causes extérieures viendraient
corriger ce que les reliefs pourraient avoir,
en sortant du moule, de trop précis et de trop
arrêté. C'était parfaitement juste, et c'est dans
ce sentiment que furent exécutéeslespremières
œuvres qui signalèrent vraiment la renaissance
de l'étain ; c'est dans ce sentiment que tra-
vaillent encore quelques artistes, et je leur en
fais mon compliment. Mais je dois reconnaître.
RAOUL LARCHE.
86
Art et Décoration
en historien véridique, que la majorité de et se patine même très rapidement. Il en résul-
ceux qui tripotent Tétain s'est singulièrement tera que toutes ces jolies figures, que nous
éloignée de ce point de départ. Et, quel que voyons aujourd'hui se dresser gracieusement
soit d'ailleurs le mérite des œuvres qu'ils ont au flanc de quelque aiguière, ou s'étendre
produites, œuvressurlesquellesj'auraiàrevenir. mollement sur une feuille ou quelque coquil-
Cuqiiillc.
-Musée GiiUicra
j'avoue ne pas comprendre pourquoi la plu-
part de ces morceaux sont exécutés en étain
plutôt qu'en une autre matière. Ce sont des
ouvrages de sculpture, et dès lors, suivant les
cas, le bronze ou l'argent me sembleraient
plus indiqués. J'imagine que la plupart de
ceux qui emploient l'étain pour leurs petites
sculptures, ont été séduits par les tons gris du
métal, évidemmentplus agréables, moins froids
que les tons de l'argent, l'aspect doux et très
enveloppé que ces tons donnent aux formes.
Tout cela serait très joli si cela pouvait durer ;
mais il ne faut pas oublier que l'étain, quel que
soit l'alliage avec lequel on le marie, se patine
lage, avec lesquels elles semblent faire corps,
deviendront des choses horriblement tristes;
car si le bronze prend une belle patine en vieil-
lissant, il n'en est point de même de l'étain. Le
bronze, manié chaque jour, rien que par le
contact des mains, acquiert des tons admi-
rables; l'étain se tache et, métal très malléable,
si on le nettoie, surtout quand il sert à traduire
des formes délicates, un modelé étudié, s'use,
s'arrondit et perd tout son charme. Tout ce que
je dis ici, je le dis sans parti pris et, je le répète,
sans préjuger de la valeur des œuvres d'étam.
dont quelques-unes, en tant que sculptures, sont
très remarquables. Mais, à mon avis, ces sculp-
Notes sur J'Etain
87
turcs ont le tort de ne tenir compte ni de la na-
ture particulière du métal, ni de la destination
des objets ainsi produits. Créer un surtout de
table en étain — la chose a été faite, et la sculp-
ture témoigne de beaucoup de talent — est au
point de vue décoratif un non-sens. Car un
surtout de table doit être une chose brillante
et gaie, et la note dominante de l'étain est tou-
jours sourde et un tantinet triste.
Qu'est-ce qui a donc pu, dans l'étain, séduire
à ce point les artistes? On dirait que mentale-
ment, peut-être inconsciemment, ils ont assi-
milé la souplesse et la malléabilité de ce beau
métal à la souplesse de la cire; ils ont pensé,
sans doute, qu'une matière aussi moelleuse
d'aspect traduirait, mieux que toute autre, leur
pensée créée en cire ou en terre. Or, si on va
au fond des choses, l'étain n'est pas une
matière si souple que cela; elle est plutôt aigre
au toucher et plus propre à reproduire des
formes précises et même un peu sèches que
des formes très enveloppées. En sorte que les
sculptures en étain d'aujourd'hui sont des
sculptures en cire reproduites en étain — on
eût pu tout aussi bien les reproduire en bronze ;
mais dans la traduction en métal, si on sent
une matière, c'est la matière dans laquelle a
été créé le modèle, la cire, et non la matière
en laquelle le modèle a été traduit. Or, pour
faire une oeuvre parfaite, si une sculpture en
bronze ou en étain doit être tout d'abord, pour
des raisons techniques, exécutée en cire ou en
terre, il ne faut pas, cependant, qu'une fois
terminée, on puisse dire que le bronze ou
l'étain ont l'air d'une cire. Je sais bien qu'on
s'en tirera en jouant sur les mots, et c'est un
petit jeu auquel on se plait trop aujourd'hui :
on dira que le morceau est fondu à cire perdue
et il ne manquera point de gens que ces mots
subjugueront. Fondu à cire perdue ou non,
un bronze ou un étain doivent toujours être
un bronze ou un étain et présenter les carac-
tères propres à la sculpture en bronze ou à la
sculpture en étain, qui ont leurs lois tout
comme la sculpture en cire ou en bois. Ces lois
sont méconnues aujourd'hui, je vous l'accorde,
mais elles n'en subsistent pas moins. La
puissance des mots est telle que, grâce à elle,
les meilleures intentions peuvent produire
les résultats les plus déplorables. Se sou-
vient-on, il y a quelques années, des polémi-
ques qu'ont soulevéesles différents procédés de
tonte, et le triomphe définitif des procédés de
tonte à cire perdue d'un seul morceau? Par un
certain côté, les sculpteurs avaient raison,
puisqu'en exigeant qu'on fondît leurs groupes
et leurs figures à cire perdue d'un seul mor-
ceau, ils empêchaient du coup les monteurs en
bronze d'estropier et de défigurer leurs
œuvres; mais personne, que je sache, ne leur
a fait observer que rien ne les forçait à
remettre leurs productions entre les mains de
monteurs et d'ajusteurs sans talent. Que ne
faisaient-ils leurs montages et leurs ajustages
eux-mêmes? En réalité, c'est que ce travail
était long, difficile et que beaucoup de sculp-
teurs n'en connaissaient point la technique spé-
ciale et ne se souciaient point d'en faire
l'apprentissage. Autrefois, les sculpteurs ne
répugnaient pas à ce travail minutieux et
ennuveux, et, tout en faisant des fontes à cire
perdue, ils faisaient des bron\es dont toutes
les parties étaient revues et retouchées par
eux-mêmes ou par leurs élèves, sous leurs
yeux. Beaucoup d'artistes de la Renaissance
n'ont considéré le bronze fondu à cire perdue,
au sortir de la fosse, que comme une ébauche
qu'on retravaillait profondément, exactement
comme s'il se fût agi d'un marbre ou d'une
pierre. Ce travail de nettoyage, de polissage,
de ciselure donnait plus de précieux à l'œuvre
et, sans lui faire rien perdre de sa saveur pre-
mière, lui enlevait ce caractère de cire moulée
en métal qu'on parait rechercher aujourd'hui
et qui gâte beaucoup de beaux bronzes créés
de notre temps. Vouloir retrouver sur le métal
le coup de pouce que l'artiste a imprimé sur la
cire, c'est un enfantillage qui peut tout au
plus servir à contrôler le degré de conscience
que le fondeur a apporté à l'exécution de son
travail. Mais un beau bronze comme un bel
étain ne doivent pas être simplement le mou-
lage de la cire : un bronze ou un étain doivent
se présenter à nous avec 1er, aspects propres à
chacun de ces métaux, ou bien l'œuvre n'est
point parfaite et indigne de prendre place à
côté des chefs-d'œuvre du passé, dans les-
quels le métier, trop oublié aujourd'hui par les
artistes, égalait la hauteur de la conception.
C'est grâce à l'oubli de ces principes éternels
que beaucoup de nos bronzes ou de nos étains
ont l'air de cire. Les snobs trouvent cela char-
mant parce que ce sont des cires perdues et que
la chose est à la mode; mais, si on va au fond
des choses, on découvre sous cette façon de
procéder beaucoup de paresse et cette malheu-
reuse tendance de notre époque à se contenter
en art, d'à peu près, parce que ce qui serait
88
Art et Décoration
dcrtnitif et parfait demanderait trop de temps on arriverait à cette conclusion qu'il est bien
et trop de peine. Ce sont, à coup sûr, de mau- inutile de chercher à régénérer l'art appliqué
vaisesdispositionspourtenterderégénérerrart. à l'industrie, tous ceux qui le pratiquent ayant
D'aucuns trouveront sans doute que je suis pour le moins du génie. Il ne faut point décou-
trop sévère, que je vois trop en noir une situa- rager les artistes, mais pour Dieu ! ne les acca-
tion qui, au demeurant, n'est pas désespérée. Je blons point sous les fleurs ; c'est le plus mau-
serais désolé pour ma part qu'on prît mal ce vais service qu'on leur puisse rendre. Si je
que je viens de dire et ce que je crois être la pouvais supposer que tous nos artistes coniem-
vérité. Peut-être, rentrant en eux-mêmes, porains prissent en mauvaise part ce que je
quelques artistes feront-ils leur protit des viens de dire, je n'hésiterais pas à me taire. Je
reproches que je leur adresse ; en tout cas me contenterais de signaler les qualités des
ma littérature, si médiocre qu'elle soit, aura œuvres me paraissant dignes d'être conservées,
encore une moins mauvaise influence que oubliant tout à fait celles qui ne montrent que
celle qui distille, du matin au soir, la louange des défauts. Mais c'est précisément parce que
sur notre art contemporain. Le contentement je crois qu'il est encore beaucoup d'artistes sin-
perpétuel, l'admiration du moi sont de mau- cères, aimant leur art pour lui-même, dignes de
vais conseillers. Beaucoup d'artistes de notre leurs devanciers et capables de progresser, que
époque, partis sous une heureuse étoile, se je me hasarde à leur découvrir toute ma pensée,
sont arrêtés en chemin, étouffés sous le poids Quelques-uns penseront que je me trompe ;
des couronnes; au lieu de progresser, de d'autres m'approuveront; mais tous peuvent
chercher, ils se sont mis à rabâcher sans être assurés de la sincérité du jugement que je
lasser leurs admirateurs. Et cette admiration viens de formuler.
mutuelle et universelle, qui nous tue ou nous Cela dit, je vais examiner quelques-unes des
atrophie, s'est étendue des arts aux arts indus- œuvres d'étain qui ont vu le jour dans ces der-
triels, en sorte que si on mettait bout à bout nières années,
tous les éloges qui ont été décernés à des riens, [A suivre.] Emile Molinikr.
Plat.
(Musée Galliera)
J. DZSBOIS.
^^m^^^
Projet de décoration en sgyjjlito.
A. CRESPIN.
L'Art Décoratif en Belgique
MM. PAUL HANKAR et ADOLPHE CRESPIN
ANKAR ET CrESPIN !
Ces deux noms, uni S
dans une laborieuse
et féconde collabo-
ration, comme ceux
qui les portent sont
liés par une frater-
nelle amitié, déco-
rent d'une signature
collective nombre d'oeuvres dans lesquelles
s'affirment le souci d'un art neuf, l'horreur
■ des redites et
ensemble, et les voici tous deux, après l'âpre
lutte des débuts, arrivés de compagnie au port,
vent arrière et voiles gonflées; d'importants
travaux accomplis par eux à l'Exposition inter-
nationale de Bruxelles, spécialement à Ter-
vueren où, par un audacieux bouleversement
des usages établis, on a requis le talent des
artistes au lieu de réclamer l'aide des tapissiers,
les ont définitivement classés à leur rang. Et
le grand public, qui pouvait les ignorer ou ne
voir en eux que d'ingénieux chercheurs, a été
de la banalité,
le désir, fré-
quemment réa-
lisé, de créer
une harmonie
de 1 ignés e t
de couleurs
échappant aux
traditionnels
canons et pour-
tant séductrice.
Les deux Ajax,
convertis aux
pacifiques tra-
vaux de l'ate-
lier; Oreste
architecte, Py-
lade décora-
teur, l'un inspi-
rant et encou-
rageantl'autre,
celui-ci appor-
tant à celui-là
ses conseils
d'ami sûr, prêta
recevoir à son
tour les précieux avis de son collaborateur.
Depuis bientôt dix ans, ils travaillent
MA SON A. KIGULT
Boutique à Bruxelles.
p. H.\NKAE.
forcé de reconnaître que ces cerveaux emplis
de chimères étaient capables de concevoir sur
90
An et Décoration
rameublemeni, sur roriiementation, sur la Sans méconnaître l'inicrct et la beauté des
décoration, les idées les plus pratiques, les styles d'autrefois, il s'est dit avec raison que
plus aisément réalisables, en même temps ces styles trouvaient leur justification et leur
qu'il devait confesser le singulier attrait du raison d'être dans les ma'urs, les coutumes,
style nouveau si
exactementappro-
prié à la destina-
tion des locaux
abandonnés à leur
les goûts et les
usages des épo-
ques auxquels
ils s'épanouirent
et qu'il est tout
aussi illogique
de bâtir en 1897
une maison de
sivie François T'
qu'il est absurde
de donner à une
gare de chemin
de fer l'aspect
extérieur d'une
cathédrale gothi-
que. (Que ceux
que ferait sourire
ce rapprochement
aillent donc voir
à Bruges si je plai-
santel I Dès ses dé-
buts, en 1888 je
pense, il affirma
pratiquement les
principes d'une
architecture ra-
tionnelle, dégagée
des réminiscences
de périodes abo-
lies, conçue dans
l'unique préoccu-
pation de la desti-
nation de l'édifice
et des nécessités
de la construc-
tion. Comme dé-
coration , beau-
coup de sobriété :
des motifs lantoi
empruntésà la na-
ture et stylisés,
les idées tantôt purement linéaires. Aucune dissimula-
d'Hankar sur l'architecture et sur la décoration tion dans la bâtisse. Les matériaux apparents,
sont decelles que les maîtres n'enseignent pas, honnêtement montrés sans maquillage, mais
— qu'ils n'enseignaient pas, surtout, à l'époque en les faisant participer à l'ensemble décoratif,
si proche, et qui nous parait déjà si lointaine, au concert de tous les éléments mis en œuvre.
où professaient les artistes pour qui l'audace La maison qu'il se construisit à lui-même,
novatrice consistait à reproduire avec lidéliié rue Defacqz, à Bruxelles, offre à cet égard un
les édifices de la Renaissance flamande. puissant intérêt. Tout y est ordonné selon ces
Hankar s'est fait une esthétique personnelle. principes, avec une logique et une simplicité
Dans cette asso-
ciation, Hankar
est l'architecte ,
Crespin le déco-
rateur. Le pre-
mier apprit son
métier de bàtis-
seurchezBeyaert,
l'un des architec-
tes les plus émi-
nents de la Bel-
gique, celui qui
libéra l'art de
construire des
lourdes pratiques
qui en arrêtaient
l'essor.
Bâtisseur ! .. .
Hankar s'intitule
plus volontiers
« démolisseur »,
tant il met d'éner-
gie à saper les
routines, à ren-
verser les préju-
gés, à abattre les
monuments d'er-
reurs, de sottises,
de poncifs, d'hé-
résies artistiques
élevés par l'igno-
rance et le mau-
vais goût. Ce que
luidonnaBeyaert,
ce fut une solide
éducation professionnelle, car
Porte de magasin à Bruxelles.
p. HANKAR.
L'Art Décoratif en "Belgique
91
admirables. L'originalité de la façade, le dessin
du balcon en fer forgé qui la couronne, l'élé-
gance des proportions, l'absence de tout orne-
ment banal la signalent aux passants qui ne
peuvent manquer de se dire : « Voilà la mai-
son d'un artiste ». A l'intérieur, la distribution
des appartements, le dispositif des dégage-
ments et pièces accessoires, l'aménagement
des jours, tout est compris et réalisé avec une
parfaite entente de ce que doit être un home
confortable et gai. A cet égard, la maison de
ment, la décoration et ramcubicment de toutes
ses parties.
Chose remarquable — la Belgique a toutes
les témérités — il s'est trouvé des propriétaires
que n'ont point effarouchés ces proclamations
révolutionnaires. Dans le lot des clients de
M. Hani<ar, quelques-uns ont autorisé l'archi-
tecte à suivre son inspiration personnelle, tant
dans la construction que dans la décoration
intérieure. D'autres lui ont contîéle soin d'une
installation, d'un mobilier complet de maga-
Viic d'une saille de l'Expositiun coloniale de Tervueren.
M. Hankar peut être comparée à la maison,
déjà célèbre, construite par \'ictor Horta pour
M. Tassel et dont notre éminent confrère
M. Thiébault-Sisson a longuement entretenu
les lecteurs de la Revue (i). Les tendances de
Paul Hankar sont, en effet, analogues à celles
de son ami Horta. Tous deux, ils ont le même
dédain des formules, des recettes, des modes
conventionnels de construire et de décorer.
Novateurs, ils le sont au même titre, chacun
d'eux poursuivant avec un égal acharnement
l'expression d'un style qui échappe aux
influences du passé et relève directement de
notre époque. L'un et l'autre, ils comprennent
l'architecture comme la synthèse des manifes-
tations plastiques, embrassant, outre le bàti-
I. Voir Art et Dicoratiou. n« 1.
sin. Et voici que surgissent, peu à peu, des
maisons qui apparaissent dans les rues et les
avenues de Bruxelles comme des fleurs rares
dont l'éclat et la beauté tranchent sur la bana-
lité des parterres. On s'arrête, au rond point
de l'avenue Louise, devant deux façades voi-
sines dont les lignes harmonieuses, les reliefs
judicieux, l'ornementation de bon goût sont
un régal pour les yeux. Rue Lebeau, dans le
quartier neuf érigé sur les terrains de l'ancien
Palais de Justice, c'est l'officine d'un pharma-
cien avec son enseigne allégorique, sa vitrine
pittoresque, ses sgvaffiti emblématiques, la
diversité de ses trois balcons superposés, qui
requiert l'attention. L'élégante rue Royale
devenue, depuis les expropriations de la Mon-
tagne de la Cour, une artère commerciale
importante, se pare d'une vitrine exquise, celle
r-
Art et Décoration
du magasin Niguet, dont nos planches donnent,
mieux que toute description, une idée exacte.
La porte, d'un dessin hardi et sur, qui combine
si adroitement rélément décoratif avec les
exigences d'une clôture, mérite, à elle seule
un examen approfondi. Ailleurs, dans la po-
puleuse rue de l'Écuver, c'est l'élégance de
la vitrine de la maison Claesen, au Carnaval de
Venise, qui ap-
pelle et retient
les regards.
M . Hankar a
dessiné amou-
reusement les
moindresdétails
de cette installa-
tion, l'une des
réalisations les
plus complètes
d'art décoratif
nouveau aux-
quelles il nous
ait été donné
d'applaudir.
Chaises, comp-
toirs, armoires,
bureau, glace
d'essayage , vi-
trine d'exposi-
tion, appareils
d'éclairage, co-
pie de lettres ,
porte - para -
pluies, tapis, fri-
se décorative,
plafond, tout a
été conçu selon
un plan d'en-
semble, avec la
préoccupation
d'ennoblir par la pureté de la forme, sans su-
perfluités ornementales, les objets usuels néces-
saires à un commerçant. C'est charmant, ei,
chose rare, ce n'est pas anglais!
Il y a tout à espérer de cet artiste de trente-
huit ans, qui apporte dans la composition
d'une enseigne, d'une lanterne, d'une balus-
trade en fer forgé autant de soin que dans
l'élaboration d'une épure architecturale. C'est
ce qui l'a fait très justement désigner par l'Etat
indépendant du Congo pour l'aménagement
intérieur de la salle d'ethnographie du Palais
Papier peint.
de décor dans la faune et la flore locales, et
jusque dans les fétiches des nègres, il a créé
un ensemble pittoresque, vivant, personnel, un
peu barbare comme il convenait, qui a mis en
évidence, une fois de plus, l'ingéniosité de son
esprit et la fantaisie de son imagination.
Dans la plupart des œuvres que je viens
d'énumérer, Adolphe Crespina,de sespinceaux
habiles, secondé
M. Hankar, com-
plétant et ache-
vant le travail
do son ami.
M . C r e s p i n
est, lui aussi, un
I' jeune » et un
novateur. Né à
Bruxelles, de pa-
rents français, il
passa, comme
tout le monde,
par l'Académie
qu'il déserta
bientôt pour fai-
re une sérieuse
éducation artis-
tique chez le dé-
corateur Janlet,
artiste détalent,
voué, comme
tous ceux de sa
génération, à la
Renaissance
flamande, mais
qui eut le bon
goût de ne pa'^
imposer ses
préférences à
ses élèves et
s'appliqua à
leur donner, sur la décoration, des notions
saines et un enseignement méthodique.
Plus tard, il passa chez Henri Baes. Des
voyages d'études en Espagne, en Italie, en
Angleterre, un séjour prolongé à Pans
éveillèrent chez lui le goût des harmonies
chatoyantes, des rythmes inédits. Il pratiqua,
à la fois, pendant quelques années, l'art de
chevalet et la peinture décorative. Tels por-
traits, tels tableaux d'intérieur ou d'acces-
soires le montrent ingénieux en son mcuer,
dessinateur consciencieux et coloriste déhcai.
A. CRESPIN.
intérieur ae la saue u euiuuiJi uj'iuc un i ^\.i<xis uv.c.^i..«..^ —
colonial. Ici encore, en s'inspiram du milieu L'influence d'un de ses parems, paysagiste a ^
qu'il voulait évoquer, en cherchant ses motifs mérite, qui avait lutté corps a corps avec
L'Art Dec or at if en 'Bel oi que
9]
Chimère sans
arriver à la
dompter entiè-
rement,Ie déter-
mina à entrer
résolument dans
la voie qui de-
vait le mener au
but. Après dix
années de tra-
vail opiniâtre
danslesquelles
il accumula à
profusion les
cartons d'afti-
ches, les pan-
neaux décora-
tifs, les frises
ornementales ,
les modèles de
papiers peints,
desgraffites,de
tapis, de pla-
fonds , même
de costumes de
théâtre, — le
voici en bonne
posture parmi
les artistes bel-
ges du décor,
professeur de
composition
ornementale à
l'école de des-
sin de Schaar-
beek etàl'école
profession-
nelle pour jeu-
nes filles fon-
dée parM. Bis-
schofFsheim,
récompensé du
diplôme d'hon-
neur à l'exposi-
tion interna-
tionale de
Bruxelles.
Il fut, je crois,
avec Edouard
D u y k , mort
prématuré-
ment il V a Maison de M. Hankar, architecte, à Bruxelles.
quelques mois,
le premier artiste belge qui songeât à tenter une Mordus du désir d'égaler
incursion dans
le domaine de
l'afliche. alors
exclusivement
réservé à Jules
Chéret, et qui
valut depuis à
bon nombre de
nos artistes les
succès les plus
flatteurs. Il ris-
qua en 18S7 (il
V a dix ans, il
V a un siècle!)
une a ifi c h e
pour un bal
donné par la
Presse auThéâ-
tre de la Mon-
naie. Qui se
souvient de cet
essai, et quel
est le malin
collectionneur
qui en possède
un exemplaire?
Bientôtaprès,il
imaginauneaf-
fiche pour une
exposition d'a-
griculture or-
ganisée dans la
banlieue, à Cu-
reghem. Mais
les procédés
de reproduc-
tion étaient à
cette époque si
rudimentaires
que Crespin et
Duyk — je crois
bien que Duyk
en était — du-
rent se conten-
ter d'une litho-
graphie mo-
nochrome ,
entièrement
exécutée par
eux sur la pier-
re, à l'impri-
merie, et tirée
à la diable .
les maîtres fran-
94
Art et Décoration
çais, les deux artistes firent tant et si bien que peu
à peu les maisonsd'impression perfectionnèrent
leur outillage. Ils composèrenten teintes plates
la jolie affiche du Cortège des fleurs;, celles de
VAlca^ar, du Cirque, de Nieuport-Bains, de
la/''t'r/);<? Je Spa,\\ns.î autres, trente autres, qui,
reproduites d'une manière satisfaisante, épar-
pillèrent sur les murs, aux devantures des ma-
gasins,surlesco-
lonnes des bou-
levards, aux gui-
chets des théâ-
tres, la joie des
couleurs vives,
le régal des poly-
chromies har -
monieuses.
La même col-
laboration valut
à M. Malper-
tuis. directeur
de l'Alcazar et
du Palais d'Eté,
pour toutes ses
revues de fin
d'année et ses
ballets, de pim-
pants et pitto-
resques costu-
mes galamment
troussés, re-
troussés et dé-
colletés.
Concurrem-
ment avec ces
délassements,
M . Crespin
poursuivait, tan-
tôt seul, le plus
souvent en col
laboration avec
M . H an kar ,
d'importants
travaux décora-
tifs. C'est lui qui créa et exécuta la décoration
murale des magasins Niguet et Claesen, de la
pharmacie Peeters dont il est question ci-des-
sus. La composition des tapis, des frises, des
plafonds, est due à son esprit inventif. C'est lui
aussi qui imaginale dessin des sgraffites utilisés
parM. H an kar pour ses deux maisons de l'avenue
Louise. Une autre de ses compositions, exé-
cutée par le même procédé, orne la façade d'une
maison habitée par un photographe. Dan s toutes
P.jpier fcint.
cesceuvres,M. Crespin interprète quelque motit
fourni parla nature: fleur, feuille, fruit, ani-
mal, dont il dégage la synthèse. Et de la répé-
tition du même sujet, combinée avec le souci
d'une heureuse harmonie de lignes et de cou-
leurs, il fait jaillir une ornementation prime
sautière, élégante, d'une nouveauté séduisante.
C'est, faut-il le rappeler, le retour aux procédés
desgrandsdéco-
rateurs d'autre-
fois , l'applica-
tion des princi-
pes enseignés et
misenœuvrepar
Eugène Grasset
en France, par
f e u William
Morris en -An-
gleterre, pour
neciterquedeux
maîtres. Les re-
productions des
modèles de pa-
pier peint : Per-
roquets, Con-
fetti et Serpen-
tine, Poissons,
qui accompa-
gnent cet article,
précisent l'ex-
posé de l'esthé-
tique décorative
de M. Crespin.
Tout cela pa-
raît bien simple.
^L^is que d'ef-
forts pour faire
comprendre au
public, enlisé
dans les routi-
nes, ces vérités
élémentaires!
Quelle obstina-
tion à 'combat-
tre, quelles résistances à vaincre! Sans compter
la lutte intérieure;! soutenir contre l'éducation
reçue, c. Vous n'imaginezpascequ'on nousen-
seignait, me disait M. Crespin. Peindre un rin-
ceau apparaissait comme quelque chose de si
compliqué, de si effrayant, que les leçons consa-
crées à cet élément décoratif ont failli me dé-
goûter à tout jamais de faire de l'art 1 "
L'artiste est de ceux qui ne redoutent ni les
difficultés, ni la contradiction, ni l'hostilité.
A. CRESPIN.
L'Art Décoratif en T^elgiquc
95
Avec une confiance inébranlable, une persé-
vérance silencieuse, il est arrivé peu à peu à
ses lins. On admet sa manière de voir, on
s'étonne de ne pas l'avoir accueillie plus tôt.
Et des commandes officielles lui sont faites,
— celle, par exemple, qu'il reçut en collabo-
ration avec Edouard Duyk : la décoration
d'une salle au
Palais colonial
de Tervueren
dont j'ai parlé
à propos de la
participation
de l'architecte
Hankar.
Dans ces vas-
tes toiles qui
évoquent en de
caractéristiques
panoramas en-
cadrés de frises
artistement
composées les
sites et les tribus
du Congo , M.
Crespinarévélé,
en même temps
que son habileté
manuelle, d'in-
contestables
dons de compo-
sition. Paysage
et ligures sont
traités large-
ment, comme il
convient, et bien
mis en place.
Le décorateur,
cette fois, a ap-
pelé à la res-
coussele peintre
■d'autrefois, et
l'un et l'autre
ont fort bien
■compris et exprimé ce qu'on attendait d'eux.
Examinons de plus près quelques-uns des
papiers peints mentionnés tout à l'heure, et
dont nous donnons la reproduction.
Un des rôles des tentures murales consiste à
•animer les chambres, à détruire le sentiment de
•captivité où des murailles dressées nues devant
nous ne manqueraient pas de nous enfermer.
Elles apportent, dans notre intérieur, un
reflet de la Nature, non point une imitation
Papier peint.
vainement illusoire ouvrant tout à coup devant
nos veux de fausses perspectives de campagne,
mais le retour de sujets harmonieusement
agences, capables d'intéresser notre imagina-
tion, et empruntés de plus ou moins près au
spectacle de l'Univers. L'ordre et la simplifi-
cation V sont nécessaires, car il ne tant pas
oublier que nos
demeures sont
des lieux de re-
traite et de quié-
tude où nous de-
vons trouver
la paix indis-
pensable à notre
repos et à notre
travail; le pa-
pier de nos murs
qui suffirait, par
sa seule contem-
plation, à jeter
le désarroi dans
notre esprit, se-
rait d'un résul-
tat déplorable.
11 ne faut pas
vouloir trop raf-
finer , mais je
ne crois pas exa-
gérer en remar-
quant que le pa-
pier sur lequel
nous jetons les
yeux dans nos
instants de ré-
flexion doit invi-
ter de lui-même
nos pensées à la
netteté et au cal-
me . Je repous-
serais bien loin,
pour ma part,
un papier qui
ferait grouiller
sans relâche autour de moi tous les bas-londs
de la mer, ou qui se parsèmerait de toutes les
fleurs de nos parterres; et je connais des
exemples où ces exagérations ne sont pas loin
d'avoir été commises.
L'impression de tranquillité est d'autant plus
utile à un motif de tenture qu'il doit, pour
ainsi dire, servir de support, non seulement
aux meubles, mais de plus près encore aux
objets d'art qui y seront appliqués. C'est le
A. CRESPIN.
96
An et Décoration
second rôle de la tenture murale. On ne pour-
rait pas admettre qu'un tableau se superposât
à un autre tableau : le rôle du papier peint est
par conséquent un rôle de discrétion, et par
un certain coté tout négatif; il doit ne pas em-
barrasser la vue, ni retenir les regards au détri-
ment des objets qu'il encadre. Et il faut bien
se rendre compte de la difficulté très grande
qu'il y a a composer ainsi un papier peint, qui
soit à la fois intéressant par lui-même et se
prête à cette destinée effacée et serviable qui
consiste à mettre autre chose en valeur. Aussi
la critique doit-elle être fort pourvue d'indul-
gence en cette matière, et le papier peint qui
échappe aux reproches est peut-être déjà bien
près de la perfection.
Disons tout de suite que M. Crespin use d'un
très heureux choix de colorations, sans tapage,
qui répondent bien aux conditions du genre. Il
emploie de vieux tons vert et brique, sur fond
gris-vert, dans le modèle aux perroquets; le
motif des poissons comprend des mordorés et
des bruns rouges, avec les ondes ménagées en
blanc sur champ bleu très lavé, le tout étant
saupoudré d'or éteint en crachis. Ces deux
harmonies, la première plus puissante, sont
fort bien trouvées ; quant aux plumes de paon,
elles se détachent en bistre sur le fond gris-
rose pointillé de blanc. Je ne m'attarderai pas
à reprocher au papier décoré de poissons les
réminiscences de japonisme qu'il accuse dans
le procédé de dessin. Cela ne lui ùte guère de
son mérite, qu'assure assez l'entrelacement des
cordages, des poissons, des algues et des ondes.
Mais la réserve commune que je formulerai à
l'égard de ce motif et 'de celui des perroquets,
c'est la dimension du sujet, qui arrive à être
très absorbant ; les cadres que l'on suspendra
sur les murs ainsi revêtus risqueront de se
perdre sur le fond qui, je le crains, ne restera
pas à son plan. Le danger, serait moins grand
si le décor s'absorbait davantage dans le champ;
mais dans les deux exemples, il se trouve indi-
qué d'une silhouette très nette, et c'est de là,
d'ailleurs, que ces tentures tirent une part de
leur caractère. Des trois modèles que nous
reproduisons, celui où s'entrecroisent des plu-
mes de paon, avec la tonalité modérée que j'ai
indiquée plus haut, est sinon le plus original
d'invention et le plus agréablement combiné^
du moins le plus heureux de résultat ; peut-
être y souhaiterions-nous un ton qui en
réchauffât l'accord tant soit peu somnolent.
Nous avons voulu nous exprimer en toute
franchise et formuler quelques restrictions.
C'est par là seulement, croyons-nous, que
l'œuvre tentée par cette revue sera tout à fait
profitable. Mais affirmons à nouveau le vif
intérêt des efforts de M. Crespin et le haut
souci d'art qu'ils manifestent.
Octave Maus et Gustave Soulier
¥¥$¥¥
CONCOURS DE NOVEMBRE
Nous donnons comme sujet, pourle prochain
concours, un berceau. — Ce meuble est d'un
usage trop universel pour que nous en ayons à
énumérer les conditions nécessaires. Rappe-
lons seulement que les plus récentes doctrines
médicales se prononcent contre le mouvement
dont les mères avaient, depuis l'origine des âges,
l'habitude de rythmer nos sommeils enfantins.
On pourra donc concevoir le berceau sous une
forme stable, et sans donner de jeu aux oscil-
lations. Il ne faut pas perdre de vue non plus
les préoccupations pratiques, auxquelles nous
faisons toujours appel, et l'on devra éviter avec
soin, dans la structure du meuble, les angles
auxquels pourraient se heurter l'enfant. La
matière est laissée au choix de l'artiste, qui
devra s'abstenir des détails de sculpture dont
l'entretien deviendrait difficile.
L'artiste devra fournir deux dessins, un
dessin géométral au tiers et un dessin ci>
perspective au cinquième de l'exécution.
Trois prix seront décernés, de loo, de 5o
et de 2 5 francs.
Les dessins devront être déposés à la Li-
brairie Centrale des Beaux-Arts, le 25 no-
vembre, au plus tard.
Imp. de VaugirarJ, G. de Malherbe & Cie, 1S2, rue de N'au^irard, Paris.
E.MlLi; LEVV, Edileur-gérant.
Art et Décoration
NOTES SUR L'ÉTAIN
f Suite et fin)
eus disions plus haut
que la renaissance de
l'art de l'étain à notre
époque ne nous pa-
raissait pas absolu-
ment légitime. L'exa-
men d'un très grand
nombre d 'œuvre s
qui ont vu le jour
dans ces dernières années me parait de nature
à confirmer cette manière de voir. Nous
écarterons, si vous le voulez bien,dèsrabord, la
ter. Il s'ensuit que, en ces questions, pour le
moment tout au moins, le métal employé est de
minime importance. Si on en excepte l'or, qui
conserve sa valeur, qu'un monument soit
d'étain, de bronze ou d'argent, le prix qu'on en
Atma.ndcïa.en espèces ne correspondra toujours
que très imparfaitement à sa valeur en matière:
partant la matière n'est rien, l'art est tout. Je
ne crois pas que les artistes puissent se plain-
dre de cette situation. Donc je persiste dans
mon opinion, et à mon avis on ne saurait trop
le répéter : la renaissance de l'étain est injus-
SaUères.
question de la valeur du métal employé : en un
moment où le prix de l'argent est tout à fait
avili, il ne peut venir à l'esprit de personne
l'idée de le remplacer par un autre métal. Or,
presque tous les monuments d'étain nouvel-
lement créés eussent été plus beaux exé-
cutés en argent. D'ailleurs, aucun pour ainsi
dire des objets d'art enfantés en ce moment par
des artistes voués aux arts industriels n'a été
répété à des centaines d'exemplaires : cet état
de chose, je le déplore, mais je le dois consta-
tifiée. Ceux-là mêmes qui s'y appliquent et dont
bon nombre, (ce en quoi je les approuve fort)
sont opposés à toute réminiscence de l'art du
passé, subissent inconsciemment l'influence de
ce même passé qu'ils voudraient abolir jusque
dans son souvenir ; les étains d'un Briot ou
d'un Enderlein, les gobelets ou les écuelles du
xvu" et du xviiie siècle, créés à une époque où
l'étain tenait son rang auprès de l'argenterie
trop chère pour les petites bourses, hantent
leur cerveau. Aujourd'hui, il ne s'agit plus de
1 3
98
Art et Décoration
cela, Cl fabriquer de la vaisselle d'étain desti-
née aux usages journaliers, chercher à la faire
adopter, c'est une entreprise aussi déraison-
nable que d'essayer de faire voyager dans des
pataches des hommes de la fin du xix^ siècle.
Gobelet.
BRATEA.U.
Quel est l'amateur qui, ayant acheté une écuelle
à Brateau ou à Baffier,y mangera son potage?
Quel est celui qui, goûtant un vin généreux, ai-
mera à le déguster dans un métal où il retrou-
vera toujours au fond de son gobelet le goût du
vin bu la veille? Non; l'étain est un métal qui
décidément ne mérite pas l'intérêt qu"on lui a
porté dans ces dernières années. Il a donné
lieu à de curieuses recherches au point de vue
de la technique, mais j'estime qu'il serait plus
sage de s'en tenir là. Si quelques curieux
aiment à garnir leurs étagères de bibelots en
étain, libre à eux ; mais pourquoi avoir re-
cours à l'étain pour la vaisselle quand on a à
sa disposition un métal comme l'argent ou
une aussi admirable matière que la porcelaine?
Au fond, les premières créations de ceux
auxquels est due la renaissance de cet art me
donnent raison : Brateau, quand il créait son
beau plateau et sa belle aiguière de style Renais-
sance, pensait à ces pièces qui, au xvie siècle.
ne descendaient jamais des dressoirs qu'elles
étaient destinées à décorer; il ne songeait pas
à faire un monument d'usage; et il avait raison,
car vraiment je ne sais à quel usage bassin et
aiguière serviraient aujourd'hui. Dans cette
pièce où des figures de femmes symbolisent
les arts libéraux, il faut louer assurément une
impeccable exécution qui égale et surpasse
parfois l'habileté des orfèvres du xvi" siècle.
Mais j'avoue que la partition du champ du
bassin, obtenue au moyen de pilastres ou de co-
lonnettes, svstème qui se retrouve sur la panse
de l'aiguière, est loin de valoir la partition au
moyen de cartouches qu'a adoptée Briot. .le
sais bien que Brateau pourrait m'objecter que
pareil parti pris a été embrassé par maint or
fèvre du xvi' siècle: mais tout archéologue que
je sois, la raison me paraîtrait peu valable ;
pourquoi emprunter aux œuvres du passé
précisément leurs petits côtés, leurs faiblesses,
les points où on sent que l'exécutant a eu quelque
mal à rassembler et à former un tout des
détails décoratifs qui lui étaient fournis par les
livres de modèles ? Ces réserves faites, je ne
vois pas de difficulté à reconnaître que le
galbe de son aiguière est très élégant et que
l'anse même, formée d'une figure de la Vérité à
laquelle je préférerais une anse véritable, est
d'une exécution précieuse qui défie la critique.
Ces motifs irrationnels, ces débauches de forme
souvent plus amusantes que réellement belles,
nous les rencontrons dans des œuvres de la
Renaissance que nous admirons. Mais n'ou-
blions pas que nous devons, autant que taire
se peut dans une vieille civilisation, être ori-
ginaux si nous voulons être vivants, et qu'au
surplus, dans cette admiration des teuvres du
passé, entrent pour beaucoup une question his-
torique et une question archéologique qui
n'ont rien à faire avec l'art proprement dit.
Que les archéologues tombent souvent dans
ce travers, qui consiste à admirer toute œuvre
qui est ancienne ou réputée telle, rien de mieux:
question de profession et d'habitude. Mais que
nos artistes modernes aient le même défaut, ils
seront inexcusables quand ils cherchent à
faire œuvre originale. Si nous imitons le passé,
prenons bien ses qualités, mais gardons-nous
de ses défauts. Brateau, j'en suis certain, ne
m'en voudra pas, si je dis que son bassin et
son aiguière sont des œuvres très importantes
sans doute, pleines de qualités, admirables par
la conscience de l'exécution, mais inférieures
par la conception à ce qu'il exécute depuis,
Notes sur l'Etain
99
m
surtout à ces ciainsqui ne font plus songer
que de très loin aux pièces anciennes. Un
moment il a été attiré par l'art allemand,
et le résultat de
ce goût a été la
création d'une
canette que je
n'aime pas beau-
coup, je le dis
franchement,
car sous prétexte
de style aile
mand, elle cô-
toie de très près
un style gothi-
que qui fut à la
modecheznous,
il y a quelque
cinquante ans.
et qui est, Dieu
merci, fort ou-
blié et très juste-
ment, et le sera
vraisemblable-
ment jusqu'au
jour où quelque
snob le remet
tra à la mode.
Mieux inspiré
il fut très certai-
nement, le jour
où il modela dé-
licatement une
petite salière
dans le style de
la Renaissance
française, dont
l'architecture
rappelle ces
énigmatiques
faïences aux-
quelles succes-
sivement ont
été imposés les
Viise.
(iluséo CT.ilIiér;i).
nomslesplus divers. Henri II, Dianede Poitiers,
Oiron ou Saint Porchaire ont eu tour à tour
Thonneur d'avoir protégé ou vu fabriquer ces dé-
licates pièces de céramique, si françaises de style
et detechnique. Simple réminiscence du reste,
car on ne trouverait pas dans toute la série deces
charmantes faïences une seule pièce dont celle-
ci pût passer pour être la copie : nulle part on
ne rencontre ces fines cariatides ailées, qui
semblent empruntées à quelque estampe d'An-
drouet du Cerceau, ou ces petites figurines
qu'abritent des arcades surbaissées dans le style
de la Renaissance française. Les mascarons
seuls, qui for-
ment, à la base
du petit monu-
ment, de vérita-
bles patins, sont
bien des créa-
tions du potier
qui travailla à
l'époque des
derniers princes
de la maison de
Valois.
Une assiette
aux bords con-
tournés, suivant
le profil qu'af-
fectionna chez
nous le style
rocaille, mon-
tre sur son marli
toute une série
de divinités ma-
rines , néréïdes
et tritons qui
se jouent sur les
rt 0 1 s , tandis
qu'au milieu de
ce cadre char-
mant s'épanouit
lechiti'reduRoi,
deux L entre-
lacés sur un
champ fleurde-
lisé. Mon Dieu,
je sais bien que
rien là -dedans
n'est d'une ori-
ginalité fla-
grante, que les
néréïdes, aux
formes nourries
et aux minois fripons, sont proches parentes des
nymphes peu farouches d'un Clodion ou même
d'un Marin; que le chiffre de Louis XV est em-
prunté presque trait pour trait à une compo-
sition du siècle dernier; mais, néanmoins,
l'arrangement est si heureux, le style si déli-
cat, que je ne puis m'empécher de louer une
pièce dans laquelle quelques-uns sans doute
trouveront trop de réminiscences du passé. Que
si ces monumentsparaissaient trop pleins d'art
lOO
Art et Décoration
ancien et condamnables à ce titre, il en faudrait
encore retenir une notion précieuse pour
connaître le tempérament de l'artiste dont la
souplesse a su à la fois s'assimiler le style de
la Renaissance et ce je ne sais quoi de captivant
et de fut;itifqu'alestyle français du. wiii" siècle.
Mais voici une série d'œuvres beaucoup
plus personnelles et pleines de charme, une
série de gobelets dont la Revue a déjà publié
quelques spécimens et dont on retrouvera ici
des variantes. Sur des galbes très simples et
d'ailleurs très bien dessinés, l'artiste a appli-
■ que, en relief généralement peu accentué, une
décoration végétale : trèfle en fleurs, épis ou
gui dont les feuilles grasses et lancéolées alter-
nent avec les baies caractéristiques; puis, vers
les lèvres du vase, sur une frise circulaire, se
déroule généralement une devise qui concourt
elle-même à la décoration. Le gobelet, qu'il
soit légèrement resserré à sa base pour former
Gobelet. uuateau.
un rudiment de pied, ou qu'il soit coupé car-
rément, est bien en main, simple de forme et
agréable au toucher, toutes qualités que
requiert tout vase à boire. Ce rajeunissement
du gobelet, de la timbale, pour l'appeler par
son nom, est un des résultats les mieux venus
et les plus heureux des efforts de Hrateau.
.l'imagine que la plupart de ces pièces feraient
très bonne figure en argent et que, de ci
de là, quelques notes d'or réveilleraient très
heureusement la monotonie du métal, 'j ne
sais si ces modèles ont été exécutés en une
autre matière qu'en étain ; en tout cas, c'est un
essai à tenter.
Un charmant petit pot de grès ou de faïence,
— je ne sais plus lequel au juste, mais peu im-
porte — a reçu de la main de l'artiste une mon-
ture en étain. Passe encore pour le couvercle et,
dans ce cas, l'emploi de ce-métal n'a rien que de
très légitime; mais le cercle très ouvragé qui
entoure le pied, pourquoi le faire de ce métal
qui, par son oxydation rapide, ne produira
plusavec lescouleurs de la céramique lesoppo-
sitions de tons qu'on a cherché à provoquer?
Cet exemple montre mieux que tout autre,
je crois, l'erreur que nous commettons en
emplovant un métal dépourvu de beaucoup de
qualités qui se rencontrent, au contraire, nom-
breuses et durables en d'autres matières. Les
deux salières de Brateau, ces corbeilles soute-
nues par un triton et une sirène, sont infini-
ment mieux en argent. Et en l'espèce, je le
répète, qu'on ne me vienne point objecter le
prix de ces objets. Ce serait là une raison
puérile. Sans doute, les exemplaires en argent,
qui nécessitent un travail assez long de cise-
lure, coûtent plus cher que les exemplaires en
étain; mais nous ne considérons ici que des
objets de grand luxe, et, dans l'espèce, le prix
est chose secondaire : l'essentiel est de bien
faire. Et ces charmantes figurines ne sont
point nées pour être traduites en un vil métal.
Comme une véritable pièce d'orfèvrerie d'ar-
gent, par le martelage et le repoussage, est
fabriqué un plateau circulaire, très simple de
profil, dont le marli est décoré de perlesgrosses
et petites alternant, tandis qu'au fond, autour
d'un ombilic chargé de motifs en forme de
lettres S, s'étalent des godrons disposés en
spirales. Toute simple qu'elle est, cette pièce
dont la décoration rappelle certaines orfè-
vreries du trésor de Mycénes, me parait d'une
conception très noble et d'une exécution très
large. C'est de plus une innovation très
heureuse dans l'art de l'étain oij la minutie
dans l'exécution tient trop souvent plus de
place que de raison. Je trouve ce monument
beau, non pas en raison des souvenirs archéolo-
giques qu'il peut éveiller dans mon esprit.
Fontaine en éiain.
t.HAI<I'EN 1 11_R.
Notes sur l'Etain
lOl
mais parce qu'il témoigne d'un talent robuste,
capable de se transformer et de s'élever au-
dessus de l'ornière des traditions.
Un artiste, travailleur convaincu, Baffier, a
été, lui aussi, et depuis de longues années,
tenté par l'étain. Il exposait, il y a plusieurs
années déjà, un groupe, espèce de surtout de
table ou de corbeille soutenue par deux
robustes figures de paysannes. Cette création
avait incontestablement des qualités sculptu-
rales; mais ses formes un peu massives me
parurent peu propres au but que poursuivait
l'auteur. Les personnages étaient vraiment trop
solidement charpentés pour prendre place sur
une table au milieu des cristaux, et d'une foule
de choses d'aspect léger et un peu papillotant.
Un peu plus de grâce ne messied pas en sem-
blable circonstance, sans que pour cela on soit
tenu de tomber dans la mièvrerie et le manié-
risme. Mais voici que Baffier, sans renoncer
à son projet d'un grand surtout de table qu'il
exécutera, je l'espère, quand il en aura le loisir
et en aura la commande — ce que je lui souhaite
de tout mon cœur — s'est mis à fabriquer des
de forme, savantes de modelé, empruntant
leur ualbc à des fruits. Ces étains réunissent
Drageoir. baffier.
vases et des coupes en étain. Les deux pièces
ici reproduites, drageoirs ou sucriers — la dési-
gnation importe peu — sontdesœuvres simples
Sucrier. baffier.
les conditions nécessaires pour en faire des
objets d'usage et il en faut être très reconnais-
sant à l'artiste. C'est une bonne leçon qu'il
donne à ceux que nous créent éternellement
des bibelots de vitrine. Ainsi compris, sans
que j'aie à abdiquer aucune des idées que j'ai
émises au courant de ces notes au sujet de
l'emploi de ce métal, l'étain peut, dans une
certaine mesure, reprendre chez nous la place
qu'il occupait autrefois dans le même mobilier
tamilial. Ce sont des objets bien assis, doux
au toucher, bien dessinés et, de plus, qualité
rare presque toujours en art et surtout aujour-
d'hui, fort simples. Inspirés directement par
l'étude de la nature, ils en ont la solidité,
l'aspect honnêteet absentde toute fioriture inu-
tile. Les anses, qu'elles soient composées seule-
ment de tiges repliées ou de figures de femmes
en gaines, sortes d'insectes à tête humaine, sont
bien attachées et font bien corps avec le vase
dont elles doivent faciliter l'usage. Les boutons
des couvercles, lézards gracieusement repliés,
lézard faisant la cour à une grenouille, sont ha-
bilement traités sans petitesse. D'autres vases,
aiguière, pot à vin, etc., sont actuellement en
cours d'exécution et compléteront un ensemble
de vaisselle d'étain d'un aspect très original et
très personnel. Une tasse à vin, sur laquelle
lo;
Art et Dccoration
se développent des scènes de vendange en très
mince relief, accompagnée d'une anse faite
\'asc de faïence monte en etjîn.
UKATEAU.
d'un sarment de vigne, peut prendre place dans
cette série qui fait grand honneur à l'artiste.
Il y a là une tentative très heureuse pour faire
quelque chose de nouveau, de bien conforme
à la destination des objets et dont le ton de
simplicité convient tout à fait au métal mis
en œuvre. Encore un peu, et Ballier nous ré-
concilierait tout à fait avec la vaisselle d'étain.
C'est un artiste qui n'aime guère les sentiers
battus, qui voudrait dégager entièrement
notre art de l'imitation de modèles anciens et
qui applique, à lui-même, la méthode de tra-
vail qu'il préconise. Il y a là une tentative, que
dis-je, une réussite qu'il importe d'encourager
efficacement. Le jour où on voudra bien remeu-
bler nos palais nationaux avec autre chose que
des pièces de Musée qui s'y détruisent sans
profit pour personne, et au détriment du déve-
loppement du mouvement artistique actuel.
Ijaffier est de ceux au concours desquels il fau-
dra faire appel : j'imagine qu'il ferait très bien
un feu pour une cheminée monumentale et
mille autres ustensiles de bronze concourant
à une décoration d'ensemble d'un stvle vrai-
ment moderne. Et puis il aime son métier et
ne pense pas qu'une semblable besogne soit
au-dessous d'un sculpteur. Mais ce sont-là des
souhaits qui, je le crains, sont purement plato-
niques et, tout au moins, d'une réalisation
difficile. Et c'est dommage. Car si l'Etat
encourage les arts dans une certaine mesure,
en achetant bon nombre d'œuvres créées pour
les placer dans les Musées, il ne serait pas
mauvais, au point de vue des arts industriels,
qu'il jouât un peu le rôle que remplissait autre-
fois le souverain. Il lui faudrait faire plus de
commandes qu'il n'en fait en ce genre : ce
serait un moyen très efficace, non seulement
d'encourager les artistes, mais de faire créer
des modèles permettant véritablement à nos
artistes de se développer. Chez nous, on est
tellement habitué à la tutelle de l'Etat, que
bien des modifications apportées dans notre
mobilier par le style moderne, n'auraient véri-
tablement quelque chance d'être adoptées par
le grand public — qui peut faire vivre en
définitive les artistes — que si ces modifica-
tions portaient, en quelque sorte, l'estampille
de l'Etat. Question de budget, me répondra-
t-on ; d'accord. Mais, j'ai le grand tort de
croire, sans doute, que c'est dans l'industrie
artistique de grand luxe que notre pays peut
conserver une supériorité ; c'est pourquoi ces
Bas
arguments budgétaires ne me convainquent
nullement. L'argent consacré au développe-
ment de cette branche de notre industrie ne
Notc'.^
s sur
l'Etc
un
lOJ
peut rcmrer dans la classe des dépenses inutiles.
Les étains de Desbois, de Ledru, de Laiche,
de Charpentier, nous ramènent à la sculpture
enétain. Ici, nous sommes en face de beaux bibe-
lots ou de majestueux monuments, auxquels j'ai
peine à reconnaître une ombre de ce caractère
utilitaire qu'on s'attend à trouverdans unobjet
d'art industriel. Nous sommes en présence de
dilettantes de l'étain, non de potiers d'étain.
Est-ce à dire que je condamne ces monuments
en bloc ? Nulle-
ment. Mais je ne
comprends pas
pourquoi ces
œuvres sont
exécutées en
étain. Est-ce la
couleur du mé-
tal qui a séduit
les artistes? Je
veux le croire.
Mais on me per-
mettra de faire
remarquer que
le bronze est
susceptible, au-
jourd'hui que la
chimie n'a plus
de secrets, de re-
cevoir toutes les
patines qu'on dé-
sire,patines aus-
sivariéesdetein-
tes qu'on peut le
souhaiter. Est-ce
la technique de
l'étain qui aparu
intéressante :
Admettons - le ,
mais on me permettra de trouver que, l'œuvre
terminée, je ne vois là rien de très différent du
bronze, c'est-à-dire des morceaux de sculpture
I qui s'éditent avec la même facilité que des
œuvres de bronze. Suivant leurs diverses desti-
nations, il eût, je crois, été préférable de
choisir, pour l'exécution de ces différents
morceaux, soit le bronze, soit l'argent, avec
toutes les gammes de coloration que com-
_ portent ces métaux. Je sais bien qu'avec beau-
1 coup de bonne volonté on pourrait trouver
que l'étain a des reflets tout à fait particuliers,
des finesses de tons qu'on ne retrouve pas
• ailleurs. Cette opinion-là, je la connais depuis
longtemps : c'est de la littérature à propos de
Plateciu et Gobelet.
l'étain, littérature parfois fort agréable quand
la plume est maniée par un maitre écrivain.
Mais, quand on y regarde de près, on sait ce
qu'il faut penser de ces jugements littéraires
formulés, trop souvent, par des gens qui, en
art, ne voient que la petite bête, le petit coté
des choses, l'amusant, le rare, le curieux, mais
sont incapables de sentir l'harmonieuse sim-
plicité d'une forme. C'est la même littérature
qui a voulu mettre à la mode et nous faire admi-
rer en bloc, sans
faire le départ
entre les choses
vraiment belles
et les chinoise-
ries , les peti-
tesses de l'art
japonais, qui
n'est grand et
ne peut nous
paraître grand,
en somme, tout
snobisme mis à
part, qu'en ce
qui rappelle,
plus ou moins,
les conceptions
artistiques pro-
pres à notre
race. Tout ce ba-
gage littéraire a
perdu trop d'ar-
tistes et ne mé-
rite pas d'être
pris au sérieux.
Et à ces braves
gens, à ces né-
vrosés qui ont
UEATEAU. .
1 air d éprouver
de petits frémissements dans le cou à la vue
des tons plus ou moins gris, plus ou moins
argentés de l'étain, il n'y a qu'une réponse à
faire : à savoir que, neuf fois sur dix, les œuvres
qu'ils admirent à cause de leur teinte, sont
recouvertes de patines factices. Si on laissait
à l'étain sa véritable couleur, son aspect blanc
et froid, j'imagine que leurs sensations seraient
tout autres. Qu'on ne vienne donc pas nous
parler de l'étain et de la poésie de la gamme
de ses tons argentins.
Ces réserves faites à propos de la matière
employée, il y a de très bonnes parties dans le
surtout de table de Larche dont les sirènes
sont très vivantes et cracieuses de silhouette ;
I04
Art et Décoration
les petites bonnes femmes de Ledru, perchées
sur des coquilles, pour être peut-être d'un art
moins noble, t'orment encore de charmants
objets, très français d'aspect. La fontaine de
Charpentier, d'une forme sévère qui rappelle
certains monuments de l'époque de Louis XIV
par la sobriété de ses lignes, — cela soit dit
sans le moins du monde insinuer qu'il y a là
l'ombre d'une imitation — est, sans contredit,
une bonne chose, à laquelle on ne peut faire
d'autre reproche que les griefs généraux que je
formule contre l'étain. La sculpture décore la
forme, la suit, se marie avec elle sans la dégui-
ser. On ne peut rien demander de plus.. T'avoue
ne pas goûter au même degré toutes les com-
positions de Desbois dont bien des sujets ne
sont peut-être pas fort clairs et dont certaines
femmes sont tellement musclées, que n'étaient
leurs cheveux, on pourrait les prendre pour
des succédanés de l'Hercule Farnèse, vu de
dos, bien entendu. L'anatomie de la femme,
traitée de cette façon, n'est guère séduisante,
et Michel-Ange lui-même, qui pourtant n'a
point reculé devant la création de figures de
femmes colossales, en a toujours enveloppé la
forme; sous cette forme, on sent courir le sang,
on pressent la force ; mais nulle part ne s'étalent
les montagnes et les vallées d'un système mus-
culairequequelques exceptions parmi les repré-
sentants du beau sexe, possèdent, mais qu'elles
cachent sous une enveloppe charnue, aussi soi-
gneusement que les chats déguisent leurs griffes.
Ces notes rapides sur l'art de l'étain à notre
époque, notes qui d'ailleurs pèchent beaucoup
par omission, demanderaient, peut-être, une
conclusion. Cette conclusion, j'ai quelque ré-
pugnance à la formuler ici, parcequ'elle pourra
paraître brutale; néanmoins, comme cette
conclusion découle logiquement des pages qui
précèdent, je dois m'exécuter. A mon avis,
l'étain ne peut jouer dans notre renaissance
artistique qu'un rôle des plus effacés, et sauf
pour un petit nombre d'objets, des bibelots
ceux-là, destinés en quelque sorte à montrer
que notre époque peut faire aussi bien que les
siècles passés, l'emploi d'un métal de ce genre
n'est commandé ni par les qualités du métal
lui-même, ni par le prix élevé des matières
qui le pourraient remplacer. L'étain, au point
de vue pratique, a trop de défauts et pas assez
de qualités. Revenons donc franchement à
l'orfèvrerie; c'est une branche dans laquelle
presque tous les artistes qui se sont adonnés à
l'étain peuvent réussir; que si quelques-uns
d'entre eux n'en connaissent pas tous les
secrets, avec le concours d'excellents ciseleurs
(et il n'en manque point chez nousjils pourront
renouveler complètement un art d'une incon-
testable utilité et dont les spécimens les plus
courants aujourd'hui, anémiés et abâtardis, ne
représentent ni une imitation intelligente de
notre art ancien, ni les tendances nouvelles de
l'art français.
Emile Molinier.
Assiette.
MEUBLES NOUVEAUX
r^^
Nous examinerons aujourd'hui quelques
meubles, et même un ensemble d'ameuble-
ment et de décoration, exécutés à Paris par
d'importantes maisons industrielles. Le fait
par lui-même est significatif", et prouve que le
ce qu'il attend inconsciemment. Car il ne faut
pas oublier que la majeure partie de la clien-
tèle, même de la clientèle éclairée, ne formule
guère ses désirs, et qu'elle se borne à choisir,
parmi les modèles qu'on lui offre, celui qui lui
Intérieur de salle à »ijiiç;cr.
LE CŒUR ET BIGADX .
mouvement de rénovation s'est propagé plus
vite qu'on ne pouvait l'espérer il y a quel-
ques mois encore. Il est bien certain que
l'initiative industrielle, s'ajoutant aux es-
sais personnels de quelques artistes, apporte
une plus grande chance de triomphe aux ten-
dances de nouveau stvle qui se sont fait jour
dans l'art du meuble, en même temps qu'elle
fournit une indication de ce qui se passe du
coté du public, de ce qu'il demande déjà ou de
plait davantage, ou plus souvent celui qui lui
parait le plus généralement estimé, le plus à
la mode. Cette docilité même du goût public
n'est-elle pas faite pour donner plus de cou-
rage aux fabricants? Et du jour où, dans les
magasins, l'on mettra sous les yeux des ache-
teurs autre chose que des copies de styles pas-
sés, ou que l'imitation du meuble anglais
dans ce qu'il a de plus « camelote ». il v a fort
à penser que leur choix saura s'adresser à des
14
io6
Art et Dccoratioii
meubles bien compris, simples, commodes et
élégants. Mais jusqti'à présent, il serait exces-
sif de reprocher au public de n'avoir pas pris ce
qu'on ne lui a jamais présenté; et d'autre part,
lorsqu'on voit ce que certains grands maga-
sins inaugurent ces jours-ci sous le nom de
i< style moderne », on ne peut engager per-
sonne à s'y laisser convertir.
Il convient donc de féliciter des maisons
comme celles de M. Le Cœur ou de M. Mau-
est avant tout nécessaire, et un bon menuisier
sera peut-être plus que tout autre capable de
combiner des formes pratiques, surtout pour
les meubles ordinaires. C'est toujours là, en
effet, qu'il faut en revenir, et les tentatives
partielles dont les Salons nous apportent chaque
année le résultat, n'arrivent guère qu'à réaliser
des objets d'exception. C'est même, peut-on
dire, ces préoccupations multiples et opposées
d'arts individuels qui paralvsent jusqu'ici
-" '.'.
1
['i
)
1
1
1 ^
il
Intérieur de salle à manger.
rice Coblence des recherches honnêtement ten-
tées pour nous doter d'ameublements conçus
pour la vie actuelle, même lorsque ces re-
cherches n'auraient pas encore abouti à un
résultat complet et définitif.
Remarquons encore, avant de considérer de
plus près quelques-uns de ces essais, que le
meuble moderne entre ainsi dans sa véritable
voie de production. Ce n'est pas qu'il faille
décourager les efforts isolés d'artistes cher-
cheurs: plusieurs ont prouvé que leur exemple
n'était pas inutile et ont révélé une orientation
excellente. Mais la main d'im homme du métier
LE CŒl-R ET BIGAIX.
l'essor de nos arts industriels; et je suis loin
d'être de l'avis de ceux qui pensent qu'on ne
peut espérer autre chose de notre époque, où
le sens de l'individu s'est partout développé
jusqu'à l'outrance. Il s'agit seulement, pour
l'artiste qui se voue aux arts de l'ameublement,
de consentir à l'humilité de son rôle d'auteur,
et de ne point attacher autant d'importance à
la signature. Car il faut bien songer que lors-
qu'un style se sera établi — et cela, non point
sous la domination d'un créateur, mais par la
direction naturelle et parallèle de tous les
esprits , — le meuble deviendra anonyme. C'est
Mciihlcs noiireaiix
lo
7
pourquoi je ne verrais guère d'inconvénient,
pour ma part, à ce qu'une maison industrielle
s'inspirât, dans les mobiliers nouveaux qu'elle
exécute, des formes heureuses dont un artiste
a déjà pu donner le modèle. Loin de s'en
alarmer, il faudrait y voir la marque de cette
Table.
COni-ENCE.
collaboration de tous, seule efficace pour que
la rénovation tentée puisse revêtir son carac-
tère indispensable d'uniformité et d'ensemble.
Il ne peut être ici question de plagiat, car
l'amour-propre de quelques-uns doit, en ce
qui concerne les travaux d'ameublements,
céder devant le profit de tous, et l'on peut
dire que tout modèle que l'on reconnaîtra
exactement conforme aux exigences de sa des-
tination et à notre sentiment secret de l'allure
ornementale tombera par là même dans le
domaine public.
Il était utile, je crois, de donner corps à ces
considérations générales, oî.i j'ai esquissé un
aperçu de la voie à suivre, et qui répondent,
me scmble-t-il, à des objections que l'on m'a
faites, à des craintes que j'ai entendu formuler.
11 faut avouer que, pour le moment, nous n'en
sommespas encore à ce point de consentement
universel, que j'ai entrevu, et qui fera trouver
et accepter les formes légitimes de nos
meubles. Mais chaque essai nouveau nous
achemine vers le but, en ce qu'il permet chaque
fois à notre discernement de s'exercer, de
sorte que nous 'acquerrons une expérience de
plus en plus certaine des fautes que l'on doit
éviter et des données où il est bon de se main-
tenir.
On ne peut, du moins, reprocher à M. Le
Cœur, qui travaille en collaboration avec le
décorateur Louis Bigaux, d'élaborer timide-
ment quelques essais fragmentaires. A eux
deux, ils exécutent des ensembles de décora-
tion et d'ameublement, et ce sera toujours là
le point essentiel. Il faut bien dire aussi que
c'est là que réside la plus grande somme de
difficultés, car en même temps que chaque
partie du mobilier exige une entente spéciale
et une nouvelle ressource de conception, il im-
porte que le tout soit déterminé par un principe
constant de construction et d'ornementation,
appliqué à des formes variées, et qu'il y ait
entre les éléments divers un accord sou-
tenu.
On a déjà parlé ici même d'un aménage-
ment de salon que MM. Le Cœur et Bigaux
ont exposé à Bruxelles; voici maintenant un
intérieur de salle à manger, composé pour
M.A. P...
Les auteurs ont voulu poursuivre ici un idéal
de simplicité, auquel doivent certainement
aboutir tous les efforts en faveur d'un art
moderne; et ils se sont préoccupés de réaliser
certaines conditions d'économie. C'est donc
surtout des exemples pratiques et abordables
que l'on a cherché à susciter. L'important
outillage de la Maison Le Cœur a pu servir à
souhait ces intentions, et il n'entre point dans
ce mobilier de détails de sculpture. Tous les
enjolivements de formes, les moulures, les
découpages, tous les agréments dont se relève
l'architecture du meuble, ont été donnés par la
machine même. Et c'est bien sur ce perfection-
nement et cette direction intelligente des
moyens mécaniques qu'il faut fonder une
grande part des ressources de notre industrie
artistique. Il faut savoir gré à MM. Le Cœur
et Bigaux de l'avoir compris; car je ne croïs
pas, pour ma part, qu'il faille suivre 'William
Morris dans sa théorie de l'abolition de la
machine, du moins pour la plupart des grands
ouvrages industriels. Il n'est jamais possible
de faire rebrousser chemin à son époque, et il
y aurait toujours, d'ailleurs, un coûteux sacri-
fice à laisser sans emploi les forces dont nous
pouvons disposer. Ce qu'il faut, ce n'est pas
abandonner l'aide de la machine, mais la disci-
io8
Art et Décoration
pliner toujours plus, en aitcnuer la sécheresse
de procédé, la rendre « plus souple à la main »,
pourrait-on dire, ainsi qu'un animal bien
dressé. Plusieurs détails de menuiserie, obte-
nus par M. Le Cœur, montrent déjà que de
grands progrès ont été faits de ce coté, et il faut
être averti pour n'y pas reconnaître la main
de l'ouvrier.
Toutefois, cette application suivie de la
machine n'est pas, chez MM. Bigaux et Le
Cœur, sans inconvénients, et elle semble les
inviter à quelque paresse d'imagination, qui
se trahit dans les dispositions ornementales.
C'est ainsi qu'ils ont trop facilement recours
aux éléments les plus rudimentaires du décor
mécanique, aux lignes droites gravées dans le
bois, ou bien aux ajours circulaires, tels que
les enlève directement le foret; et pourtant,
en d'autres places, ils se sont montrés capables
d'obtenir des effets plus affinés, comme, par
exemple, dans les montants d'étagères qui sur-
montent la cheminée de cette salle à manger,
et qui sont d'une ligne et d'une coupe assez
gracieuses.
Par malheur, cet élément primitif de déco-
ration se retrouve parfois dans la construction
architecturale elle-même, et l'ouverture de la
cheminée me semble encore trop peu cher-
chée, sans compter que la maçonnerie appa-
rente éveille le souvenir d'un four, bien que
les briques soient revêtues d'émail vert, où
jouent des tons divers, agréables d'ailleurs.
MM. Le Cœur et Bigaux ont à se défier, je
crois, dans leur recherche d'un art simple,
d'en arriver à un art nu et froid. La maigreur
des étagères qui courent le long des murs
accuse encore cette impression. Il y aurait
pourtant à trouver un degré exact où la sim-
plicité reste plus souriante.
La structure des chaises, pourvues d'un
df)ssier canné, tandis que le siège est rem-
bourré et garni d'étoffe, est assurément bien
comprise au point de vue du confort et de
l'entretien, mais l'effet en semble néanmoins
disparate.
La partie purement décorative de la pièce
est l'œuvre plus particulière de M. Louis
Bigaux, et elle prend dans l'ensemble une
grande importance. Elle consiste surtout dans
la peinture qui borde le plafond et s'étend en
frise le long des murs, et qui emprunte son
motif aux branches de marronniers. Elle est
traitée en vert pâle sur un fond de toile gris-
clair, et les fruits d'or bruni s'y assourdissent
tour à tour ou étincellent doucement. L'har-
monie en est fort délicate, et je regrette seule-
ment l'aspect de la toile marouflée sur le mur,
qui semble enduite de colle. Il serait facile,
je pense, de lui conserver son grain mat, tout
au moins dans les parties qui ne reçoivent pas
de peinture.
Il ne faut pas oublier de remarquer en pas-
sant les plaques et les poignées de portes en
cuivre rouge, où se modèle une branche de
pommier, très heureusement conduite.
MM. Bigaux et Le Cœur ont récemment
décoré dans le même esprit plusieurs salons du
restaurant Voisin. Il y 'a dans ces tonalités
claires et cette sobriété de la décoration
murale une note séduisante, mais il faudrait
prendre garde de la répéter trop fréquem-
ment.
Tels qu'ils sont, tous ces efforts méritent la
considération, et il est permis d'en espérer
Table.
COBLENCE.
encore des résultats plus complets. .le me
reprocherais d'avoir paru faire preuve à leur
égard d'une trop grande sévérité, alors que les
néserves sincères sont aux tentatives sérieuses
le plus digne témoignage de l'intérêt et de
l'attention, et qu'il conviendra toujours d'en-
MciibL-s nouveaux
109
courager des efforts aussi persévérants et aussi
nécessaires.
M. Maurice Coblence n'est pas sans avoir
tenté déjà, lui aussi, des ameublements d'en-
semble, mais il a particulièrement réussi jus-
qu'à présent quelques petits meubles, dont
nous donnons des exemples.
Pour les parties importantes de ses meubles,
M. Coblence — comme M. Le Cœur, du reste
— recourt aux bois naturels, que ne déguise
aucune laque, ni aucun vernis. Le bois appa-
raît avec son grain spécial, sa tonalité véri-
table; et l'on ne saurait trop encourager cette
sorte de probité de la matière, qui nous procure
une qualité particulière de jouissance très
neuve, et qui contribuera pour beaucoup à
donner à notre art son caractère de simplicité.
L'entente de l'ébéniste consistera en partie à
utiliser, pour notre agrément, le jeu des veines,
les différents degrés de matité ou de poli, et les
colorations si variées, fournies par les essences
que nous avons actuellement à notre service.
Les lignes générales des petites tables de
M. Coblence me semblent fort joliment agen-
cées et assoaplies, inspirées de très loin,
comme elles le sont, par l'architecture arabe
qui, transformée ainsi par une libre et person-
nelle interprétation, restera toujours un des
plus excellents modèles., T'aime beaucoup aussi
la silhouette des chardons découpés qui
s'adaptent aux voussures, et qui sont stylisés
de façon si fantaisiste et si ornementale, .le
reprocherai cependant à M. Coblence de les
avoir compris en bois teinté, au lieu d'insérer
dans les grandes lignes de ces meubles
construits en poirier, des découpures d'un bois
différent qui aurait été choisi pour un heureux
alliage de tons, et que l'on eût retrouvé sur
d'autres détails d'ornement, en particulier sur
la tablette supérieure. Il y aurait eu aussi
avantage à faire du motif de chardon lui-
même le thème ornemental de ces tables, afin
de donner au meuble entier un signe d'unité.
La fleur se serait développée de nouveau, avec
une nouvelle interprétation, sur le plateau,
que l'on regrette de voir décoré de figures,
exécutées sur l'une des tables en marqueterie,
et sur l'autre en bois pyrogravé et teinté.
.le doute que la figure en couleurs doive être
emplovée pour l'ornementation du meuble, où
l'élément décoratif doit être plus susceptible
de se plier aux lignes architecturales ; et je
crois aussi qu'il ne faut faire de la pyrogravure
qu'un usage extrêmement discret, et plutôt
sur de menus objets que sur un meuble. La
technique en semble toujours, pour ainsi dire,
trop factice, et comme ajoutée par amusement
au travail de menuiserie; je ne sais si je me
trompe en lui trouvant toujours un air d'art
d'amateur. La marqueterie, au contraire, qui
est si pleinement un art du bois, sera toujours
d'un excellent secours dans l'ébénisterie. Les
pièces diverses, strictement ajustées, lui com-
muniquent un caractère de fermeté et de cohé-
sion, et s'encastrent bien dans l'encadrement
du meuble.
.le veux signaler, en terminant, une innova-
tion qu'a essayée M. Coblence sur d'autres
modèles de meubles : ce sont des applications
de bois découpés, fixées sur un fond d'essence
différente, et qui s'y détachent en relief, comme
une sorte de broderie nouvelle. Cet essai sera,
je crois, susceptible de donner d'intéressants
effets; mais les résultats obtenus n'ont
encore rien de définitif : ces ajustements ne
font pas assez corps avec le meuble, où ils ne
pourront, dit reste, jouer qu'un rôle très réservé.
On le voit, on ne cesse de chercher dans les
ateliers, et l'on trouve. Il faut souhaiter aux
artisans un sens de plus en plus net du rôle
et de la part que doit prendre la décoration
dans l'ameublement, afin qu'ils puissent uti-
liser leurs victoires.
Gustave Soulier.
I i
Balcon en fer forgé.
ARNOLD BOECKLIN
¥¥
'ALLEMAGNE entière
s'est associée au ju-
bilé des soixante -
dix ans du peintre
suisse Arnold Bœc-
klin, que Bâle, sa
ville natale, a célébré
le i6 octobre, en
grande pompe. C'est
qu'il n'est point,
à l'heure actuelle,
d'artiste vivant dont
l'influence ait été
plus prépondérante,
et sur un groupe
d'artistes de talent plus nombreux, que celle de
ce Suisse en qui toute l'école néo-idéaliste, essai-
mée de Munich à Berlin à travers villes et cam-
pagnes, reconnaît son précurseur et son chef.
Disons tout de suite que Bœcklin a été
conspué en Suisse, en Allemagne et même en
Italie, comme jamais artiste ne l'a été en
France davantage ; seulement, l'Allemagne, la
Suisse et l'Italie étaient les pays dont les
paysages, les traditions, l'esprit, l'érudition et
la sentimentalité répondaient à la tournure de
son àme et qui, de tous leurs caracières mul-
tiples harmonieusement fondus, devaient
contribuer à créer la caractéristique de son
œuvre.
I
La biographie de Bœcklin se résume ainsi :
indépendance absolue, même au prix de la
misère, et perpétuel va-et-vient d'Allemagne
en Italie et d'Italie en Allemagne, à travers la
Suisse. Ses premières impressions artistiques
lui viennent, bien entendu, de Holbein; le
portrait de sa mère, un type bien bàlois, en
fait foi (i). Ses premières impressions de nature
valent bien les impressions d'art qu'il aurait
(i) Nous aurions tenu à accompagner cette étude de notre col-
laborateur de reproductions plus nombreuses poui donner une
idée plus complète des œuvres de Bœcklin ; nous nous sommes vus
contraints d'y renoncer, l'éditeur qui détient, au sens exact du
terme, tous les droits de reproduction sur ces œuvres nous ayant
demantlé plusieurs milliers de francs ijour nous accorder le droit
de reproduction des quelques clichés que nous lui avions demandés.
Nous n'en sommes que plus reconn.'iissants à M. Sarasin-Thur-
neysen de l'exquise bonne grâce avec laquelle il a mis à notre
disposition la photographie des trois fresques dont Bœcklin, en
1869, décora un pavillon de son hôtel, et que les conn,disseurs les
plus délicats mettent au premier rang clans l'œuvre si complexe du
maître. Nous ne nous étonnons plus que l'œuvre du granil peintre
suisse, ainsi cadenassée, n'ait pu pénétrer davantage en franco,
et y soit même absolument ignorée. [Noie de l'cditenr.)
pu recueillir dans les musées, devant les ter-
rains de Huysmans et les nuages de Ruys-
daël; elles lui viennent de ce Jura Bàlois, aux
belles cassures de rochers régulières, aux
aspects de forteresses naturelles, couronnées
de ruines écimées et pourfendues, d'oti l'on
domine à la fois la plaine du Rhin et le pla-
teau suisse, d'où la vue s'étend à la fois sur
les Vosges, la Forêt-Noire et les Alpes. Il n'a
jamais oublié non plus les transparences
vertes et les remous écumeux de l'eau du
Rhin, de Stein à Laufen. Jeté dans le monde
des ateliers et des musées, il va droit à Pous-
sin, rarement à Ruysdaèl, et son indépen-
dance l'écarté de tout enseignement suivi. II
glisse à travers Diisseldorf, Bruxelles, Anvers,
Paris, comme ses naïades écai lieuses à travers
les embruns. En i85o, il se reconnaît chez lui
à Rome; trois ans après, le 20 juin, il épouse
l'unique femme de son œuvre, Angela Rosa
Lorenza Pascucci. Et pourtant, les femmes de
l'œuvre bœcklinienne sont très variées: mais
l'artiste bàlois, qui peint toujours de mémoire,
est un observateur excessivement sagace et
minutieux, qui n'a besoin que d'un archétype
pour en déduire tous ses types. « Etudiez une
fois un sapin en botaniste, dit-il à ses élèves,
et vous n'aurez plus besoin de copier d'autres
sapins; si vous savez ouvrir les yeux dans vos
promenades, vous n'aurez plus besoin de vous
asseoir en pleine campagne devant un motif
qui change à chaque minute, bien plus que
votre mémoire ne le change en apportant
fraîche une impression sur la toile. )> Mais il
est juste d'ajouter que Bœcklin a le tort
de juger de la mémoire des autres d'après la
sienne. Des éléments disjoints de la nature se
rejoignent dans son esprit, pour encadrer une
scène à laquelle il peut rêver des journées
entières devant une toile blanche. Puis, sou-
dain, la toile est couverte : le pinceau court
partout à la fois, avec une verve improvisatrice
aussi stupéfiante que celle de Delacroix; la
composition jaillit en une fois : le Maître n'y
apportera plus que de loin en loin une touche,
ici ou là, pour en aviver l'impression.
Ce que cette composition sera, le voici.
IJne scène fantastique, par exemple, sera
rêvée aussi simple que possible, absolument
une, complète, sans épisodes qui distraient
Arnold Ba\l;lin
II I
l'attention, et telle absolument qu'elle devrait simple encore, fait de moins d'éléments, et sur
se passer, si l'on admet la réalité de sa concep- les masses sombres duquel passe une brume
tien. Une naïade, par exemple, sera créée de lumineuse de Corot, le vaporeux friselis de
toutes pièces, d'une femme aussi femme que ses contours de bosquets, la légèreté de ses
possible, d'un poisson aussi réalistement res- feuillages. Mais Bœcklin, s'il a su placer tou-
souvenu que possible, et se comportera dans jours à l'endroit nécessaire le personnage qui
l'eau avec des allures à la fois de baigneuse et donne de l'âme et du stvle, le caractère mvtho-
La Fuite en Egyftc
de poisson, si exactes que le miracle aura été
accompli : le monstre aura pris vie.
S'agit-il d'un paysage, quelques vers de Vir-
gile auront-ils donné au peintre le sentiment
de l'horreur sacrée? Immédiatement, il se
souviendra de tel bois de lauriers, de bou-
leaux ou de cyprès, de telle mélancolique
solitude italienne d'un caractère sombrement,
mystérieusement classique, de tel banc de
marbre en hémicyle, de telle statuette qui
prêtait à ce lieu une religiosité païenne, ou
bien, sous les fûts vigoureux du lucus, d'une
éclaircie par laquelle on entrevoyait la colon-
nade d'un temple lumineux; et voici un gran-
iliose paysage, équilibré et balancé comme une
cumposition de Poussin, mais beaucoup plus
logique et classique, ne s'est jamais défendu
non plus contre les impressions d'absolue soli-
tude, et c'est ce qui fait si grands certains de
ses paysages, où les avant-plans pétris de
fleurs — asphodèles ou colchiques — semblent
n'avoir jamais été foulés, et fleurir uniquement
pour les invisibles divinités.
La nostalgie de l'Italie a donc fait de ce
romantique médiéval, né dans la ville où les
traditions suisses et souabes sont encore le plus
fermement implantées, un classique, tout
comme ils amenèrent le Gœthe de Goet^ de
Berlichingen à Iphigénie en Tauride. On se
souvient du récit de la première vision des
horizons italiens, depuis les rives du lac de
Garde, et le rappel immédiat d'Iphigénie dans
112
An et Décoration
l'esprit de Giu-the. BiLcklin a dû vivre quelque
chose de tout à fait semblable, et a traduit à la
fois son impression et celle de Gœihe, dans sa
série de Châteaux assiégés par despirates et de
Villas au bord de la mer, dont l'une est préci-
sément intitulée : Iphigénie en Tauride. Cette
série traduit avec une extraordinaire puissance
tout un groupe de très vives impressions du
poète, foulant pour la première fois la terre
italienne.
Mais le classicisme de composition de ce
romantique de la couleur a un caractère bien
spécial. Cette compréhension de Tantiquité
est celle, toute récente, que nous ont faite les
travaux d'archéologie des philologues et
mythologues modernes, des Max Muller, des
Fustel de Coulanges, des Schliemann. Il n'y a
jamais une faute de vraisemblance archéolo-
gique, non plus qu'une faute de vraisemblance
naturaliste, chez Bœcklin ; et en cela, il est
servi autant par sa science que par son instinct.
Delacroix lisait l'Arioste, Dante, Shakespeare,
Byron ; Bœcklin a lu Homère, Hésiode, Es-
chyle, Virgile, et s'est intéressé passionnément
à leurs plus récents commentateurs. Son
Polyphème et son Prométhée sont les seules
traductions sérieuses des poèmes antiques de-
puis Poussin. Quant à la vraisemblance natu-
raliste, elle consiste chez Bœcklin à ne jamais
donner au sol une végétation contradictoire
avec sa minéralogie : jamais un arbre ne souf-
frira du voisinage d'un arbre d'une autre es-
sence, incompatible avec la présence du pre-
mier. Je ne connais à cette règle qu'une infrac-
tion, et encore est-elle voulue : ce sont les pal-
miers alliés aux bouleaux, de r//e c/e /rt Vie, oîi
tout a droit à l'existence. Il y a encore une
vraisemblance supérieure, qui allie entre elles
exclusivement les lignes que la nature a cou-
tume de rassembler : un site se révèle tout
entier d'un même caractère. C'est en cela que
ce romantique est un classique ; s'il connaît
des débauches de couleurs, il n'en connaît
aucune de lignes, ni de détails.
II
La base de l'œuvre de Bœcklin, c'est le pay-
sage ; c'est par là qu'il est le moins antipa-
thique au goût latin; je dirai même plus: qu'il
est quelquefois, lui partout ailleurs si parfai-
tement tudesque, purement latin ; et la meil-
leure preuve en est que nous pourrions citer
un paysage de F.-L. Français, au Musée de
Mulhouse, que Bœcklin aurait pu signer, et
auquel tous les connaisseurs pourraient se
tromper. C'est de son paysage, bàlois ou ita-
lien, toscan surtout, que naît logiquement
toute son œ-uvre. Derrière les événements
épiques et les fantaisies mythologiques les
plus étranges, c'est toujours lui qui règne au
fond, d'une beauté souveraine harmonisant
parfois tous les contraires, tous les heurts de
coloration. Du paysage pur au paysage monu-
mental, au paysage de plus en plus peuplé de
personnages antiques ou modernes, jusqu'aux
grandes scènes mythologiques, oîi le paysage
n'est plus qu'une vague, qu'un rocher, une
grotte, l'inspiration de Ba-cklin se fait de plus
en plus particulière, de plus en plus étrange
au premier abord, de plus en plus en dehors
de tout ce qui a été vu, de tout ce qu'on a
coutume de voir ; le paysage assiste à une
création nouvelle, ou tout au moins à la résur-
rection d'êtres, de formes, depuis des siècles
abolis. Bœcklin, enetfet,conçoittoutdela façon
précisément la plus inattendue et, tout compte
fait, la plus simple. Après le coupdela surprise,
qui met en déroute toutes les imaginations
préconçues sur un sujet donné, il faut bien lui
accorder qu'il a raison, que si la chose fantas-
tique a eu lieu, elle n'a pu avoir lieu qu'ainsi.
C'est à force de bonhomie, de naïveté, une naï-
vetéqui consiste à tout rapporterdes choses de
l'antiquité à la vie de tous les jours, et à la
conviction qu'au fond rien n'a changé des sen-
timents et des faits primordiaux de l'existence,
qu'il arrive à insuffler la vie à tout ce monde
de monstres marins et terrestres, d'anciens
mythes oubliés. Il ne craint pas d'introduire
l'anecdote dans les cosmogonies, le grotesque
dans les situations tragiques et une pointe de
ridicule à coté de l'héroïsme. Si ses centaures
se livrent des luttes furieuses à démolir les
montagnes (Musée de Baie), ils ont aussi tout
à coup la lubie d'aller, au grand ébahissement
des populations, se faire ferrer à la forge du
plus prochain village (collection La Roche-
Ringwald, Bâle). Si ses tritons sonnent de la
conque dans la désolation des champs labou-
rés de longues vagues hurlantes, ils sont
amoureux aussi; par les larges houles de fond,
ils poursuivent les néréïdes; ils s'ébattent en
famille (La Roche-Ringwald, Bâle), et leur pa-
ternité ou leur maternité drolatiques font sou-
rire en même temps qu'elles attendrissent,
tant elles sont à la fois bestiales et humaines. .
Ce n'est pas cette intiniitc-la qui avait été
Arnold Bivchlin
11
)
vue JLibqu'ici dans la mytholoyic. Et ce qui
l'augmente, ce qui la rend plus tangible ■ — il
faut encore y insister — c'est le réalisme de
traduction de cette vie bondissante, fluctuante,
nageante. Les sirènes font des sauts de carpe,
et les doigts tremblent de luxure aux centaures
blanchis qui les
laissent échapper;
les écailles relui-
sent et glissent
entre les mains;
les poitrines des
tritons velues,
verdies ou bru-
nies dans les an-
tres de la mer,
font penser à des
sables chevelus
d'algues ; les bar-
bes et les toisons
pendent ruisse-
lantes comme des
mousses marines;
le pateaugeage
des sirènes multi-
colores autour de
leur écueil iMu-
sée de Bàle) a la
vie, le bruit, les
commérages et
l'écume d'un la-
voir où des lessi-
veuses canca-
nent. Jamais le
style et la cocas-
serie, depuis Ra-
belais et Shakes-
peare, n'avaient
fait si bon ména-
ge; chez B(ecklin,
la puérilité même
est toujours énor-
me ; elle devient
celle d'un Gar-
gantuaqui manie-
rait le pinceau
et plus résignée cependant, au scmiment de
l'heure qui passe, des jours qui s'éteignent, des
feuilles qui tombent et des années qui s'en-
volent. Les Aiics Je la femme du Musée de
Zurich, le Vita somniuin brève du Musée de
Bàle, et surtout un navrant tableau, où deux
vieillards, se te-
nant par la mam,
somnolent sous
unetonnelle,dans
un jardin fleuri
qu'ils ne verront
plus une seconde
fois fleurir,
condensent ce
sentiment d'une
façon poignante,
et témoignent de
la profondeur, en
quelque sorte mu-
sicale, de l'àme de
l'artiste. Le Si-
lence de la forêt
Berlin', avec sa
grande licorne
qui s'avance à tra-
vers la sombre co-
îonnade de sapins
le la foret vierge,
Pan effrayant
un pâtre ^Galerie
Schack et \e Dra-
gon de la ballade
de Gœthe se dévi-
dant avec lenteur
hors de sa caver-
ne, sûr de happer
les infortunés
\oyageursdelavM
inala, nous don-
nent, aussi inten-
ses que possible,
et uniquementpar
des moyens de
peintre, les sensa-
1 tions de l'isole-
Dans les scènes terrestres, méine bonhomie, ment absolu, delà terreur religieuse dansles fo-
même jovialité, même rire de bon géant qui a rêtsélevées,delapaniquedans lamontagneetdu
le sens de la nature et de la vie, dans les petites cauchemardans les étran^lemenis des cordes...
ftistoires de nymphes et de chèvre-pieds,
chasses de Diane, danses au son de la flûte ^^^
de Pan ou de la syrinx; mais aussi parfois, une Sortons de ce monde fantastique, que depuis
. tremblante mélancolie aux premiers soufïles Rubens et Jordaens aucune imagination aussi
' Pi"intaniers,ou bien une mélancolie plussombre, puissante n'avait évoqué avec une telle intcn-
David
114
Art et Décoration
site de vie, une telle force de re-création. Nous
voici en présence de scènes charmantes ou
désopilantes, reconstitution delà vie populaire
antique, ou de grands épisodes historiques ou
religieux, de très grands symboles philoso-
phiques : c'est toute une légende des siècles qui
commence, sinon aux jeux de la vague et des
tritons de tout à l'heure, ou même à Adam
dans le paradis terrestre, du moins aux tavernes
de Suburre, aux cabarets de soldats romains,
aux grandes griseries de la vendange, et aboutit
à la Descente de croix et aux Pieta, puis à la
Chevalerie (l'épique et formidable Aveiiliirier
du Musée de Brème, le Roger délivrant Angé-
lique), puis à la Peinture et la Poésie, puisant
à la même fontaine, à la ]'énus Genitrix tou-
jours vivante, toujours moderne. Mais je sens
venir l'objection, très française, car en Alle-
magne, en Angleterre et en Italie on la fait
moins, — et pour cause : tout cela, c'est de la
littérature; que devient la peinture dans toute
cette complexité d'intentions et ces recherches
de drame ?
Ceci nous amène à parler brièvement de la
facture. Bœcklin peint généralement a tempera,
mais selon toutes sortes de recettes qui lui sont
particulières. Il se laisse toujours emporter
par son sujet et peint selon la nécessité du
moment, à sa manière, qui consiste à se prêter
aux exigences du motif et à ne gêner aucune-
ment l'impression du spectateur. On conçoit
donc que cette manière-là n'ait pas pu et pas
dû varier avec la mode, d'autant plus qu'elle
est d'une largeur, d'une facilité et d'une sou-
plesse merveilleuses, ici frottant à peine la
toile, la voilant d'un rêve de couleur, ailleurs
empâtant avec une fermeté lisse aux apparences
d'encaustique. Quant au coloris, objet de toutes
les discussions en Allemagne, quand on discu-
tait Bœcklin, et qui va sans doute l'être désor-
mais aussi en France, je crois qu'il est indis-
cutable, comme celui de Rubens,de Delacroix
ou de Besnard, dans ce sens qu'on l'aime ou
qu'on ne l'aime pas, spontanément, avant que
d'alléguer les motifs pour ou contre. Il a été
qualifié de giorgionesque, entre autres à la
Galette des Beaux-Arts, ce qui peut excellem-
ment se soutenir, mais nécessiterait un très long
développement. D'autre part, des détracteurs
ont appelé ce coloris : vinaigre pour les veux,
bigarrure de cacatoès, badigeonnage d'omnibus
londonnien, etc. Comme on le voit, il y a de la
marge. La vérité est qu'il est très spécial a
Bcecklin et varie éiiorniénient d'une toile à
l'autre, si bien qu'entre les Jeux de la vague
et le Vita sonmium brève de Bàlc, par exemple,
et les paysages de la Galerie Schack, il y a
réellement un abîme; mais en face de n'importe
laquelle de ces toiles, on est obligé de convenir,
quel que soit cecoloris — excessivement fondu,
harmonieux et doux, ou heurté, violent, dis-
sonant— qu'il obéit à la suggestion du sujet,
qu'il en est une nécessité.
Là où son coloris conciliera, je crois, tous les
suffrages, c'est, par exemple, dans le portrait
de Mme Bœcklin, appartenant à la Kunsthalle
de Bàle; c'est encore dans certains de ses
paysages le Paganisme, sacré du Musée de
Bàle) et certaines de ses vagues. Dans ses
paysages, il a des colorations sourdes, ambrées,
profondes, ou au contraire, dans ses vagues,
métalliques, luisantes, pailletées, à reflets chan-
geants de labrador, qui ne sont qu'à lui et qui
constituent son appoint à la svmphonie des
grands coloristes, comme les transparences de
gemmes celui de M. Gustave Moreau. N'eùt-il
apporté que cela au monde de la couleur, le
nom de Bœcklin ne serait pas négligeable
dans l'histoire artistique du siècle. Mais il y
a encore tant d'autres choses dans le monde
de la ligne et de la forme! Car ce synthé-
tique a défriché dans tous les sens, et ouvert
tout autant de sentes par où se sont précipités,
chacun selon son tempérament, ses disciples,
dont quelques-uns sont les plus belles espé-
rances de l'Allemagne actuelle. Ses toiles et
fresques, même celles dont le coloris est la
grande qualité, résistent merveilleusement h
la reproduction, et cet a'uvre multiple,
étrange et incroyablement varié... et quelque-
fois inégal, a déterminé, en Allemagne, le
mouvement d'opinion publique, aujourd'hui
si favorable à l'art nouveau.
Les perpétuels voyages de Bœcklin l'ont
sans doute empêché de se livrer aux travaux
d'architecture, de sculpture et d'art décoratif
qui l'eussent tenté et où il n'eût pas manqué,
là encore, d'innover. Cependant, il est assez
d'indices qui permettent de pressentir ce qu'il
eût fait dans tous ces domaines. Il est impos-
sible d'avoir vu un ou deux de ses paysages
monumentaux, sans être frappé de la belle
ordonnance de ses architectures, de l'heureuse
disposition de ses grands jardins à l'italienne,
et telle de ses villas au bord de la mer serait,
nous le savons, le rêve d'intérieur qu'il s'était
fait. Les fresques du Musée de Bàle sont une
iL-uvre de jeunesse, conuariée en pleine cxé-
Âi'iiohl Bivc/ilin
^M
ciuion par tous les « protecteurs éclairés de littérateurs français, de passage à Râle, ont
l'art » à Bâle, à cette époque, et que, de guerre éprouvé et dit le charme.
lasse, l'artiste abandonna inachevées avec Je n"ai pu retracer qu'à hâtons rompus la
dégoût. Plus tard, il se vengea en sculptant les phvsionomie d'une œuvre et d'un artiste, dont
masques grimaçants de la Kunsthalle. Mais la diversité d'expression est si captivante que
déjà, dans cette décoration interrompue de la les ouvrages les plus brefs ;voir le manuel,
cage de l'escalier du Musée, il faut relever classique en Allemagne, de Muther sur « l'Art
au moins les médaillons où li^urent les mas- Moderne »^ lui doivent encore, mali^ré la né-
L(S liîscipics d'Einmaiis.
ques symboliques de l'Art effare devant la
Nature, de la Méchanceté et de V Idiotie, qui de
tous leurs traits crient leur signification. Puis,
je sais au fond d'un jardin particulier, à Bàle,
sous une vérandah, trois fresques dont deux
comptent parmi les plus beaux paysages de
notre temps ; c'est là qu'il faut voir une de ces
prairies fleuries, dont Bœcklin s'est avisé de
découvrir la beauté, bien avant que les impres-
sionnistes aient mis ce sujet à la mode. Un
essai de sculpture polychrome, le bouclier à
la tête de Méduse, dont un exemplaire est au
Musée de Bàle, est encore, en fait d'art déco-
ratif, une création saisissante, dont bien des
cessité de se borner, un très grand nombre de
pages. Supplions, une nouvelle fois, ceux qui
sont appelés à prendre connaissance de
Bœcklin, à la minute présente, de ne pas
oublier qu'il ne s'agit point d'un nouveau
venu, désireux de bruit et gui cherche à faire
sa trouée, mais d'un vieillard de soixante-
dix ans. qui ne se soucie d'aucuns honneurs
vains, et qui, dès l'année iS.^o, était déjà ce
qu'il est aujourd'hui, aussi bien que Puvis de
Chavannes, son aîné de trois ans, n'est pas
Puvis de Chavannes de ce matin seulement.
William Piitkr.
CONCOURS D'AOUT
Un Vitrail d'Appartement
¥¥¥nr¥
• •••• •••••••• •••• •
A crainte du Sei-
gneur, je veux dire
le respect du pro-
gramme, n'est
peut-être pas, de
nos jours, la préoc-
cupation domi-
nante en mniière
de concours, et il
n'est pas rare que
des jurvsse voient
contraints, pour
être éc]uitahles,de
décerner la palme aux plus indisciplinés.
Rien de semblable en l'occasion pré-
sente, et le soin scrupuleux qu'ont mis
presque tous les concurrents à suivre les
stipulations édictées, vaut qu'on le signale
avec éloge.
.Te me plais à louer surtout la tendance
manifeste chez la plupart à rendre leurs pro-
jets, non seulement aimables dans leur forme
immédiate, mais aussi, faciles à traduire et à
réaliser matériellement. Il suffit donc de le
vouloir énergiquement, pour acquérir en ma-
tière d'art industriel une documentation tech-
nique convenable, puisque, sur une cinquan-
taine de projets émanant d'artistes difierents
sans doute par l'âge, les goûts, l'orientation
des études, il en est à peine quelques-uns dont
un praticien ne pourrait faire usage sans rema-
niements essentiels.
D'autres efforts sont visibles et non moins
intéressants. C'est ainsi qu'en général, on n'a
pascru qu'il fût suffisant, pour « faire vitrail »,
de cerner tant bien que mal les principaux
contours du dessin par un trait robuste et que
l'indication des plombs a été judicieuse, l'équi-
libre entre les différentes pièces bien établi.
Sans doute, bien des coupes nécessaires ont
été omises, bien des formes dessinées que le
diamant ne saurait traduire, mais on n'atteint
pas d'emblée à la perfection et je me sens
plein d'indulgence pour ces défauts véniels
quand je constate que la plupart des concur-
rents ont su se garder d'un travers assez fré-
quent de nos jours, même chez les profes-
sionnels, très familier, par exemple, aux
Anglais. Je veux parler de cette pratique, au
moins bizarre, qui consiste, sous le prétexte
d'enrichir un vitrail et de lui donner du carac-
tère, à le cribler de plombs inutiles qui l'alour-
dissent et le compliquent au grand détriment
de la facile compréhension.
Enfin, la plupart des concurrents ont eu la
sagesse de ne pas trop verser dans la littéra-
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inciter, et ont compris qu'on leur demandait
de faire preuve de talent plutôt que d'esprit,
Pourquoi ces très réelles qualités ne se sont-
Un Vitrail d'Appartement
1 1
Mention.
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MARGUERITE DRUGNIOT. MoitioU.
JULIETTE MILES!.
Mention.
PAYES. Mcntiou.
LEON LAUGIEIt.
ii8
Art et Décoration
elles pas accompagiu'cs d'un peu plus d'invcni 'on,
de hardiesse, ou tout simplement d'originalité ?
Je pourrais alors crier franchement « bravo »,
tandis qu'il me faut bien avouer
que si le plus grand nom
bre des projets son;
n honorables »,
il n'en est pas un
de transcendant
et que, si j'avais
fait partie du
jury, mon em-
barras eût étO
très grand de-
vant des œuvres
aussi voisines
les unes des
autres.
Et puis, j'en
rage un peu de
voir combien
ont mal dirigé
leurs efforts et
gâché à des su-
perfluités un
temps et un ta-
lent dont l'em-
ploi s'indiquait
si bien d'autre
part. Ainsi, alors
qu'on deman-
dait l'indication
aquarellée seu-
lement pour lu
croquis au dixiè-
me, la grande
majorité des
concurrents a
cru devoir colo-
rier également
le dessin gran-
deur d'exécu-
tion. Rarement
excès de zèle fut
plus intempes-
tif, et, ce faisant,
plusieurs d'entre eux me semblent avoir bé-
névolement amoindri leurs chances de succès.
C'est que cette enluminure du carton n'est
pas seulement inutile parce qu'elle fait double
emploi avec l'esquisse réduite, mais encore
elle rend pénible ou impossible le calque
sur verre, enfin elle réclame une expérience
très spéciale sans laquelle, au lieu de l'effet
:;' Prix.
harmonieux que l'on vise à aneindro, on
rencontre le plus souvent un aspect morne ou
criard. Et comme partout où la couleur est en
cause, l'impression première joue
rôle capital et influe
souverainement sur
le jugement dé-
finitif, on voit
aisément les
conséquences
qui en résultent.
Je n'aurais
compris cette
imprudence que
si elle avait eu
pour excuse le
désir de faire
comprendre par
un <' rendu » bien
explicite le rôle
intéressant et
parfois capital
que peut jouer
dans la compo-
sition d'un vi-
trail la variété
des verres em-
ployés. Chose
étrange, le grand
nombre semble
n'avoir jamais
observé les ma-
tériauxquicons-
tituent le plus
ordinairement
les vitraux
d'appartement
actuels, et ne
point se douter
que depuis vingt
ans l'industrie
a presque décu-
plé les ressour-
ces dont dispo-
sait jadis le pein-
tre verrier. Ils
sont nombreux pourtant les nouveaux maté-
riaux et les verres coulés, granulés, chenilles,
givrés, gaufrés, maroquinés, martelés, marbrés,
opalescents, pour ne parler que des principaux,
ont gagné maintenant leurs lettres de grande
na.turalisation et offrent aux modernes des res-
sources que ceux-ci ont le devoir de ne pas
ii^norer et seraient maladroits de dédaigner.
ELANXllE lAVZAXNE.
Un Virrail d'Àppartciiwnt
11
9
C'est à peine cependant si une hrèvt:
notice, jointe à deux ou trois projets, indi
qtutit timidement l'em-
ploi possible, pour les
fonds, d'un autre verre
que le transparent
classique , alors qu'un
peu de réflexion eût
dû montrer que pour
une chambre à cou -
cher, l'usage s'impo-
sait presque de ces
verres spéciaux qui,
se laissant traverser par
la lumière, non par le
regard, pouvaient assu-
rer à la pièce l'inti-
mité nécessaire. Le
programme l'indiquait
presque, en pré-
voyant l'emploi de châs-
sis mobiles pour don-
ner libre accès à la lu-
mière ordinaire quand
on n'avait ri'Mi à crain-
dre des indiscrets ou
qu'on voulait voir au de-
hors.
11 y avait bien d'au-
tres choses dans ce pro-
gramme, pourtant très
concis, que les concur-
rents auraient pu com-
prendre sans même ciu'il
leur fût besoin de lire
entre les lignes, et dont
ils n'auraient rien perdu
à s'inspirer.
C'est d'une fenêtre
de chambre à coucher
qu'il était question, de
cette partie de notre ha-
bitation où le goût per-
sonnel de l'individu peut
et doit se manifester,
au mépris de toutes ces
considérations de mode,
de style, de convention
auxquelles tant de gens
n'osent parfois se sous-
traire, malgré qu'ils en
aient, et qui pèsent si fâ-
cheusement sur notre émancipation en ma-
tière de mobilier et de décoration intérieure.
• Pii.x-.
,Te gagerais, par exemple, que si beaucoup
d'artistes avaient composé leur projet comme
s'il devait être immé-
diatement réalisé et uti-
lisé pour leur usage per-
sonnel, l'ensemble des
envois y eût singuliè-
rement gagné... en sim-
plicité.
Mais c'est principa-
lement sur la façon d'en-
tendre le coloris que
l'influence de ces pré-
occupations personnelles
eût été sensible. Ils se
seraient avisés bien
vite que , même sans
tenir compte des heu-
res possibles de mi-
graine ou d'hyperesthé-
sie, les couleurs franches
devaient être proscrites
d'une chambre à cou-
cher ou n'y apparaître
que par touches rares
et petites. Ils auraient
aussi remarqué que,
parmi les harmonies dis-
crètes qu'on peut ob-
tenir en nombre par le
mélange des tons atté-
nués, certaines sont dan-
gereuses malgré leur
séduction dès l'abord.
Je veux parler des tons
froids (bleuâtres et cer-
tains verdàtres) qui, par
la lumière quasi lunaire
qu'ils déversent sur les
choses et les gens, im-
prègnent les intérieurs
d'une tristesse mor-
telle.
Or, un coup d'oeil sur
l'ensemble des maquettes
et esquisses m'apprend
bien vite qu'elles sont
légion, celles où le ver-
dàtre et le bleu tur-
cjuin triomphent souve-
rainement, qu'elles sont
minorité imposante celles
qui ont emprunté aux verrières de nos
cathédrales leurs tons les plus éclatants,...
CCQ.L-ILLAT.
120
An et Décoration
qu'elles brillent sunoui par leur absence
celles où ce côté si essentiel de la question
:;' Mciitiuii.
DE PENHOUET.
étudié et résolu hcurcu-
a L-te sincèrement
sèment.
Je ne pouvais, en une matière oi.i le charme
delà couleur joue le rôle prépondérant, m'abs-
tL-nir de ces observations, mais je ne me dissi-
mule pas que malgré l'abondance des gravures
il faudra quelque peu me croire sur parole...
Les projets n'ont pu être reproduits qu'en pas-
sant sous les fourches caudines de cet impi-
toyable égaliseur qu'est l'orthochromatisme,
laissant dans l'aventure qui des défauts, qui
des qualités.
Comment ces défauts et ces qualités se
trouvent répartis parmi les projets les plus
marquants ; je vais m'efforcer de l'ana-
lyser.
Ce sont sans doute les bonnes qualités de
technique qu'elle reflète qui ont valu à la
composition de M. Socard le premier prix.
On sent là, en effet, la main d'un habile prati-
cien ; la plante est puissante et bien tracée, les
détails sont indiqués avec science et précision.
et l'ensemble a certainement du caractère. Il a
même du « style », beaucoup trop de style
car sa parenié indéniable avec les ornements
du xn« siècle me